Enfin ! Lynn pouvait prétexter être sur une affaire de la plus haute importance et ne plus être harcelée par son père. Plus de coups de fil intempestifs, plus de sermons sur le fait qu’elle risquait de passer à côté des plus merveilleux moments qui soient avec son fils… plus de tout ça. Plus de culpabilité non plus. Lynn avait revêtit un pull à col roulé, un jean, des baskets et en passant devant le miroir, elle s’amusa à constater que finalement, il n’y avait pas une trace du passage de sa grossesse sur son corps. Non pas qu’elle soit narcissique dans le genre, c’était même plutôt l’inverse, mais si les gens lui étant inconnus évitaient de lui rappeler à leur tour qu’elle était maman d’un petit Tommy ayant à peine deux semaines… et qu’elle ne l’avait jamais pris dans les bras ni même regardé, cela ne pouvait qu’être du bonus. D’autant que ce n’était pas le moment de s’éparpiller : le malfrat qu’elle devait suivre discrètement ne se trouvait pas être un enfant de cœur. Cela ne l’empêchait pas de passer un temps considérable au jardin d’enfant en compagnie de sa gamine, adorable s’il en est, mais Lynn savait parfaitement scinder en eux cette vérité avec le fait qu’elle aussi, un jour, elle devrait passer par ce genre de choseries. Évidemment, ça impliquait qu’elle veuille s’attacher à son fils, prenne le risque qu’il en fasse de même quitte à ce qu’elle puisse ne pas revenir d’une mission… ou que son ex ne vienne le reprendre après l’avoir lâchement abandonnée quelques jours avant son accouchement. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle était passée maîtresse dans l’art noble de faire l’autruche. La preuve, magazine en main, elle surveillait sa cible avec intérêt et discrétion, du moins jusqu’à ce qu’un jeune homme ne lui étant pas inconnu vienne s’asseoir juste en face d’elle, sur un banc à quelques mètres seulement. Lynn fut comme poignardée en pleine poitrine, recevant une telle décharge qu’elle en fit tomber son journal avec maladresse.

La piquante brunette refusa de regarder son ancien partenaire d’une mission dans les yeux. Elle fit des efforts considérables pour ne surtout pas créer une sorte de contact, qu’il soit visuel ou d’un autre ordre, tant elle avait honte de se retrouver ici et de le voir en compagnie de son fils de six ans, manifestement gaga de son père. Ne pourrait-on pas lui ficher la paix trente secondes ? D’autant qu’elle ne pouvait pas fuir cette fois, les enjeux étaient trop importants et si elle ne savait pas où se jouait le prochain rendez-vous du mafieux se trouvant à quelques mètres d’elle, l’affaire mourrait de sa belle mort. Elle gesticulait pourtant nerveusement, à l’image de ses hormones de grossesse n’ayant pas encore totalement disparut de son organisme, incapable de se contrôler. Le comble du comble fut lorsque le bambin fit s’échouer son ballon aux pieds de l’espionne. Lynn, déjà en apnée depuis de nombreuses minutes, fut particulièrement pâle lorsqu’il se dirigea vers elle pour lui demander de le lui rendre… « Récupère-le, je crois que tu es un grand garçon » dit-elle en poussant simplement l’objet du pied, tentant de reprendre tant bien que mal sa fausse lecture… décidément, à moins qu’elle ne soit envoyée en mission dans un autre pays, elle n’aurait pas la paix ! Voilà qui ne risquait pas d’arranger ses nerfs…

Sans grande surprise, le petit incident avec le ballon attira l’attention du papa poule qui ne manqua pas de s’asseoir aux côtés de Lynn. Diantre, pas moyen d’être tranquille deux secondes, à croire que tout le monde s’était donné le mot pour l’emmerder ! Au départ, la piquante brunette avait pris le parti de l’ignorer superbement, mais face à sa question, elle eut comme un réflexe semblable à un aboiement : « c’est vrai que j’ai totalement le look d’une mère de famille accomplie ! » Lynn s’en amuserait presque, et pourtant, c’est fou ce que les apparences peuvent être trompeuses. Elle n’en demeurait pas moins maman, bien qu’elle ne mette un point d’honneur à renier sa condition, quelqu’un sur cette planète avait son sang et son nom. Cette simple idée la faisait pâlir, d’autant qu’elle venait d’être diablement sur la défensive. Aucun moyen de balayer l’intrus de son champ de vision à moins de frapper diablement fort, mais pour cela… il fallait qu’elle trouve son point faible. En l’occurrence, son fils était plutôt une cible aisée, fallait-il qu’elle ait de grands scrupules pour ne pas s’y être attaqué plus tôt. « Vous savez pourtant que je ne suis pas du genre à trahir le secret de mon job. Mais conseil d’ami : dégagez votre fils du parc, on ne sait jamais. Je ne garanti pas qu’il n’y ait pas de dommages collatéraux si ça part en sucette, et je ne tiens pas à vous avoir sur le poil par la suite en cas de bobo de votre rejeton ! » Toujours avec un sens de la formule particulièrement inné, Lynn n’hésita pas à lui dire poliment mais fermement d’aller se faire fiche à Guadalcanal. Elle feignait de poursuivre sa lecture d’un magazine qu’elle détestait pourtant en temps normal : il n’y avait pas moins féministe que la jolie canadienne. A sa décharge, son entraînement à la CIA et le peu de douceur dont faisait preuve sa mère depuis sa plus tendre enfance n’aidait pas. Il ne fallait plus s’étonner que Lynn soit devenue aussi fragile et agréable qu’une pierre au fil des ans… surtout que la seule fois où elle avait eu le malheur de baisser sa garde et de se laisser aller à aimer un être humain, celui-ci l’avait laissée comme on met de côté un vieux vêtement usé. Impossible pour elle de passer outre cet épisode, ni de reprendre une vie complètement normale de ce fait. « Il faut que je vous le chante en russe pour que vous cessiez de pourrir mon air ou bien ? C’est pourtant pas compliqué, l’autre affreux, il a pas une tronche à faire dans le social ! » Lynn avait murmuré ces paroles, mais en y mettant un ton ne laissant strictement rien augurer de bon pour la suite. La colère montait en elle comme un soufflé dans le four et il valait mieux ne pas s’en approcher… à moins d’être masochiste ou de comprendre ce qu’elle était en train de vivre. Mais elle en doutait, concernant ce bon Caine.

Le pire, c’est que Lynn aurait très bien pu ne s’exprimer qu’en russe et laisser l’anglais de côté. A force d’être choisie pour démanteler des réseaux mafieux, elle avait appris de très nombreuses langues, le russe parmi tant d’autres. Mais cela ne règlerait aucunement son problème ni ne la ferait passer pour moins nerveuse qu’elle ne l’était en vérité. Ça la tuait de l’accepter, mais Caine n’avait pas tort, il avait même totalement raison : elle respirait la nervosité à des kilomètres, était à deux doigts de l’apoplexie sans compter qu’elle beuglait presque pour qu’il lui fiche définitivement la paix. A force d’éloigner toutes les personnes censées de son existence, Lynn allait crever de solitude. Certes, elle la vivait déjà au jour le jour, mais ce n’était pas une raison pour s’engouffrer dedans comme si sa vie entière en dépendait ! Hélas, la brunette était butée. Personne ne pouvait l’être autant qu’elle. A l’image de l’éducation stricte fournie par sa mère et les différentes merdes vécues au cours de son épique existence, l’espionne avait fini par devenir une véritable pierre. Excepté lorsqu’elle avait rencontré Mikaël… il avait fait tomber un à un les murs qu’elle imposait au monde et malheureusement, cela avait mal fini. A croire qu’elle soit définitivement infréquentable. « Je sais, merci d’éviter de remuer le couteau dans la plaie. J’ai beaucoup, beaucoup de mal à me reconnaître moi-même… et dire que je suis la meilleure de mon unité, c’est absolument effrayant. Mais vous savez quoi ? On me harcèle. On me harcèle et je suis à la limite de péter une durite, moi, qui suis capable de tout supporter en général ! » Lynn soupira avant de fermer son magazine sans l’ombre d’une violence et d’afficher une sorte de sourire on ne peut plus crédible lorsqu’elle se tourna vers Caine. Effectivement, il lui offrait la couverture rêvée alors qu’elle s’apprêtait à parler à quelqu’un pour la première fois depuis des semaines. Entendre par là qu’elle comptait s’exprimer sans aboyer, évidemment. « Vous n’avez pas tort, votre fils est une maladie pour moi. Ne le prenez pas personnellement je suis ainsi avec tous les gamins que je croise. Je n’ai pas envie qu’on me rappelle ma condition toutes les deux secondes ou même que l’on continue à jouer les papas poules avec moi… je voudrais juste être peinarde. Oublier que je me suis fait avoir par un mec comme une vulgaire bleue et tenter de me reconstruire à ma façon, c’est tout. Je ne demande rien d’autre. Le pire… c’est qu’on me harcèle avec ma condition mais on se fiche éperdument du reste. Ce que je ressens. De ce que j’ai en tête ou même de cette colère insupportable qui ne me lâche pas d’une semelle. »

Lynn se surprit de l’excès de sincérité dont elle venait de faire preuve. Sans doute était-ce parce qu’il pouvait comprendre, ou bien parce qu’il était de la gent masculine… impossible de le dire clairement. Quoi qu’il en soit, elle avait parlé. Et de fait, un morceau de sa colère semblait s’être amoindri. « Merci pour la couverture, McDouglas. On va dire que nous n’avons jamais eu cette conversation, que tu as été pris d’une soudaine surdité et que je peux maintenant retourner à mon investigation tranquille. Je ne peux pas partager ce genre d’info avec toi et je pense que je ne t’apprends rien. »

« Ah ouais ? Et avec qui je peux la porter ma hargne si ce n’est seule, monsieur le graaand génie ? Me fais pas marrer j’en ai mal aux côtes d’avance. » Lynn leva les yeux au ciel d’exaspération. Le pire, c’est qu’en parler lui faisait du bien, mais sa fierté restait en ligne de fond histoire de tout foutre en l’air le moment venu. Il s’agissait de sa nouvelle philosophie de vie… dès que cela touchait au personnel, la brunette était bien incapable d’agir de façon naturelle et délicate. Elle finissait immanquablement par faire foirer la chose, histoire de pouvoir dire qu’elle avait pris seule la décision… et que personne ne l’avait laissée tomber la première. La jeune femme restait donc soigneusement campée dans ses certitudes, jusqu’à ce que Caine ne rejoigne son gamin, tout juste tombé, et cherchant à cacher fièrement ses larmes. Diantre, c’était au dessus de ses forces… si Lynn continuait à observer ça, même de loin, elle allait finir par craquer et cela n’annonçait strictement rien de bon pour la suite. Par chance, le détective finit par l’honorer à nouveau de sa présence et dès lors, son bref attendrissement se changea aussitôt en une exaspération tout à fait véridique : plus il s’exprimait et plus forte l’envie de lui en mettre une était. Lynn allait en arriver à un point de non retour où elle aurait un choix à faire… rester et affronter le démon qu’elle fuyait depuis des jours, ou partir. Elle maudirait presque le fait de n’être pas habituée à prendre la fuite devant la difficulté, tiens ! « Deux semaines. En quoi cela peut-il t’intéresser, Sherlock ? » Lynn ferma soudainement les yeux, commençant à s’exaspérer elle-même tant elle aboyait de plus en plus fort. Caine n’était aucunement responsable de son malheur et pourtant, elle le prenait lâchement pour un punching-ball… lui au moins s’occupait de son fils ! C’était une denrée tellement rare de nos jours que la brunette s’y attarda un moment, cessant de froncer les sourcils pour détendre son beau visage marqué par une tristesse indescriptible. La peur au ventre, ses propres émotions s’insufflait en elle plus librement et, machinalement, sa respiration s’accéléra soudain. Par on ne sait quel miracle, elle finit par se rapprocher afin de mieux pouvoir se tourner vers Caine… Lynn était toujours en mission et n’aurait pas trop d’un alibi supplémentaire afin de paraître crédible.

« Exactement, on va dire que tu n’as rien entendu et que dès que je me serais levée, on ne se connaîtra plus. » Décidément, bien qu’elle fasse un considérable pas en avant, Lynn n’était pas prête pour autant à laisser de côté son sempiternel orgueil. « Tu peux croire que je suis quelqu’un de faible, de lâche, quelqu’un d’indigne d’être mère mais jusque très récemment, j’étais l’exact inverse. Ça baignait même pour moi. J’avais demandé ma mutation dans un bureau histoire de ne plus être sur le terrain ET DONC de ne surtout pas risquer la vie de mes proches, à commencer par ce petit garçon dont je te parle depuis quelques minutes. Mais toute seule, ce n’est pas possible. Je ne suis pas quelqu’un de sensible, de délicat et encore moins de câlin alors m’abandonner alors qu’à la base je n’étais pas du tout taillée pour la maternité, je trouve ça cruel et extrêmement lâche. Je ne peux pas m’attacher à ce bonhomme en sachant que je ne serais pas capable de m’en occuper… ou que cet enfoiré peut un jour réapparaître et me l’arracher. Je ne peux pas non plus aller mieux sans retourner sur le terrain puisque manifestement je ne suis bonne qu’à cela… mais merde, j’ai rien demandé moi. On part du principe que je suis juste une écervelée qui ne pense qu’à elle, mais jusqu’à preuve du contraire, c’est MOI qui me suis fait lourdée ! C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de gens consciencieux comme toi dans cette chienne de vie, tiens. » Bien évidemment, Lynn s’écarta aussitôt après la fin de son discours : il ne faut pas pousser mémé dans de la lave en fusion. « Surtout, sois amnésique sur la dernière phrase. De toute façon, d’ici cinq minutes je vais me lever et poursuivre ma filature… ça me permettra d’éloigner ce pourri de ton fils. »

Pour la première fois de sa carrière, Lynn oubliait complètement sa mission au profit d’autre chose. Quelque chose de personnel. La brunette n’en prenait pas réellement conscience, bien évidemment, puisqu’elle observait Caine d’un air proprement incrédule et ne se préoccupait plus du tout du pourri qu’elle était pourtant censée suivre de près. L’envie n’y était plus réellement… sans doute s’en mordrait-elle les doigts plus tard, mais en attendant, les mots de son ancien partenaire faisaient diablement écho dans son esprit, et résonnaient contre sa propre douleur. Elle semblait même pendue à son discours, comme en attente d’une certaine libération qu’il aurait été le seul à pouvoir lui offrir. Mais c’était hélas un problème qu’elle ne pourrait résoudre que toute seule. Lynn ne serait pas en mesure de regarder son fils dans les yeux tant qu’elle n’irait pas mieux… c’était une certitude. Mais pour aller mieux, encore fallait-il le vouloir. Pour l’instant, elle semblait davantage préoccupée à se mettre en danger plutôt qu’à se pencher réellement sur la question. Cela ne l’empêchait pas d’être touchée par les paroles de Caine, vérité qui venait de provoquer une humidification étrange de ses yeux… bien sûr que non elle n’allait pas se mettre à pleurer en plein parc, en face d’un presque parfait inconnu qui plus est, et ce bien qu’il connaisse à l’heure actuelle nettement plus de choses sur son compte que bien d’autres. Lynn avait sa fierté. Sa colère avait beau s’amoindrir, fondant comme un caramel sucré sous un rayon de soleil, elle n’en restait pas moins d’un orgueil insurmontable. Ce n’était pas gagné… « Pourquoi est-ce que tu voudrais m’écouter, d’abord ? Tu ne me connais pas même pas, McDouglas. Je n’ai jamais été autre chose qu’une nénette odieuse avec toi, rien d’autre. Soit tu es masochiste… soit non tu ne peux être que masochiste en fait. » Lynn haussa les épaules tout en se rendant compte que sa cible se faisait actuellement la malle. Qu’importe… il pouvait lui filer entre les doigts aujourd’hui, il n’empêche qu’elle avait criblé son appartement de micros, connaissait son emploi du temps sur le bout des doigts et avait donc plusieurs plans B de rechange. Toujours avoir un temps d’avance sur son ennemi, toujours. Il n’était pas question qu’elle ne se transforme en simple bleue sans expérience à cause de ses problèmes personnels…

« Peut-être que tu sais effectivement ce que ça fait et que ton discours est fondé, peut-être. Mais il n’y a aucun courage à ne pas pouvoir regarder son propre fils dans les yeux. Je n’y arrive pas, c’est tout. Je ne me cherche aucune excuse. Il mérite tellement mieux que l’espèce de désastre que je suis… je ne pourrai rien lui apporter de bon et ça, crois-moi, c’est être lucide que de le reconnaître et non pas de l’auto flagellation. J’ai beaucoup trop perdu pour pouvoir perdre encore… l’impression que je perds pied à chaque seconde est insupportable. Je m’accroche à ce que je peux, et à l’heure actuelle… ça se résume à pas grand-chose. J’ai toujours été plutôt douée pour faire le vide autour de moi. » L’excès de lucidité de la part de Lynn était en train de l’honorer… mais il restait effrayant, dans une certaine mesure. L’impression de devenir un danger public s’intensifiait de seconde en seconde, tant et si bien qu’elle trembla en osant poser son regard noisette sur le fils de Caine ; et si elle devenait un danger pour eux deux ? « La preuve, tu aurais presque la médaille du mec ultra sympa, du prince presque charmant et je t’envoie chier de la pire des façons. Et tu me trouves encore du courage ? Il y a un opticien très bien au coin de la rue, il paraît ! »

Lynn se prit pour ainsi dire une porte en pleine poire : non seulement elle ne s’était pas attendue à ce que Caine se lève, mais ses paroles la glacèrent littéralement sur place. Impossible de bouger ou même de rétorquer quoi que ce soit… avait-il raison, avait-il tort, cela ne semblait même pas l’atteindre pour l’instant. Il venait de frapper spécifiquement là où ça fait mal, aussi la jeune femme ne manqua pas de se renfrogner violemment, crispant ses mains aux doigts fins et tremblants contre le banc où elle se trouvait assise. Sa mission lui passait désormais à des lieues au dessus de la tête : elle était perdue. Perdue comme elle l’avait rarement été dans sa vie. Qu’avaient-ils donc tous à vouloir à tout prix la pousser vers une direction qu’elle n’était pas prête à prendre ? Lynn avait besoin de se reconstruire avant même que de pouvoir se prétendre capable de quoi que ce soit d’autre. Elle n’avait cure du fait qu’il ne comprenne pas, après tout, ce n’était pas la vie de monsieur McDouglas et il ne possédait donc aucun droit dessus. La brunette demeura donc silencieuse, tête baissée, regard rivé vers le sol jusqu’à ce que l’orage ne passe et que Caine ne se décide enfin à la laisser en place une. Dès lors, le regard qu’elle lui lança était non seulement plein de colère, mais également marqué par cette détresse à laquelle elle ne trouvait décidément aucun remède. Finalement, elle se dirigea vers lui d’un pas décidé, ne s’arrêtant qu’à quelques millimètres seulement histoire qu’il soit le seul à entendre ce qu’elle avait l’intention de lui… après tout, Lynn s’était suffisamment donnée en spectacle, il ne semblait pas utile d’en rajouter une couche. « Belle performance, monsieur le donneur de leçons mais si tu t’occupes de ton fils je ne vois pas sa mère. Je ne suis pas certaine que tu aies le moindre sermon à me faire étant donné que tu ne connais rien de ma vie… très justement souligné d’ailleurs ! Navrée de ne pas être la parfaite bourgeoise avec ses quinze mômes derrière elle, fière d’être une matriarche ! Il y a peut-être des formations pour devenir astronaute, y’en a pas pour devenir mère, alors arrêter de tous me faire chier avec vos belles paroles ! Les mots ne consolent pas, ne tiennent pas chaud et ne vous rendent pas ce que l’on a perdu. Tu vis peut-être au pays des Bisounours mais j’essaye d’avoir un brin de lucidité. Maintenant, si ça te défrise, y’a de très bons salons de coiffure dans le coin ! »

Sans autre forme de procès, la jeune femme tourna les talons et s’en alla comme elle était venue : tel un souffle se perdant dans l’atmosphère. Inutile de la rattraper car elle aurait très bien été capable de lui refaire le portrait sans l’ombre d’un état d’âme. Lynn avait besoin de se calmer avant même que de pouvoir réfléchir à quoi que ce soit d’autre. Elle fonça donc à son bureau, y passant une bonne heure à broyer du noir jusqu’à ce qu’elle ne se rende à la salle de gym pour évacuer toute cette haine qu’elle lançait contre le monde entier. Autant dire qu’elle n’en ressortit qu’une fois totalement épuisée… et par malchance, sa mère lui tomba immédiatement dessus pour qu’elle ne se rende à une soirée entre mafieux le jour même. Consignes : mettre une tenue tellement fendue et sexy que ça devait presque relever de l’indécence. Parfait, il ne lui manquait plus que ça, vraiment ! Direction ses appartements, où la nounou était malheureusement présente avec Tommy, qui n’avait de cesse de hurler. Bon sang, mais elle n’était pas censée savoir s’y prendre avec les nouveaux nés ?! En tout cas, pendant toute sa préparation, Lynn eut l’impression que sa tête allait exploser. Hélas, elle n’était pas au bout de ses peines… une fois de retour dans son salon, vêtue d’une longue robe rouge particulièrement fendue lui donnant un décolleté proprement ravageur, elle constata avec horreur que sa nounou avait… disparut. Paniquée, Lynn chercha à la joindre pendant un long moment jusqu’à ce qu’elle n’abandonne ; celle-ci l’avait plantée, c’était aussi simple que ça. Ce qu’elle ne fut pas en mesure de remarquer en revanche, c’est que Tommy avait cessé de pleurer à l’instant même où elle avait été près de lui. Lynn n’avait aucun œil pour ça… d’autant qu’elle cherchait un plan b pour de rester dans cette merde noire ! Elle attrapa finalement le couffin, ne mit aucune veste et fonça dans sa voiture à la vitesse de l’éclair. Sa destination ? Mystère et boule de gomme.

Couffin à ses pieds, sa tenue toujours aussi surprenante, Lynn tambourinait à la porte d’un appartement tout en espérant qu’il allait répondre. « Allez, ne me laisse pas tomber toi aussi… » murmura-t-elle juste au moment où Caine ouvrait effectivement sa porte, son fils juste à côté de lui. Connor fut le premier à s’avancer pour lui offrir son plus grand sourire et tenter un accueil des plus chaleureux… « T’es beeeelle ! Tu veux pas être mon amoureuse ? » Lynn ouvrit deux grands yeux surpris avant que son rire ne peuple l’atmosphère sonore du couloir. A croire que le garçon soit timide, puisqu’il ne lui laissa pas le temps de répondre et s’engouffrait déjà dans leur salon. « Je ne sais pas s’il est davantage charmant ou en avance pour son âge, je suis un peu partagée… mais bref. Je suis désolée. Si tu visualises qui est Marjorie Maryweather, celle qui essaye désespérément de te recruter depuis quelques semaines, c’est ma mère. Tu vois comme elle est délicate ? Je ne suis pas aidée dans le genre ! Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas tactile, ni câline, je n’anticipe pas les besoins des autres et jusqu’ici, mon métier est la seule chose pour laquelle je suis bonne. Je suis un peu conne sur les bords, je sais, inutile de me le dire, je me le répète assez souvent. Je ne me suis pas encore totalement débarrassé de mes hormones et je pète un peu une durite, je dois avouer ! J’ai besoin de ton aide. Ma nounou a disparut et… je ne sais pas faire tout ça. Depuis qu’on est tous les deux il n’a pas pleuré mais ça ne veut pas dire qu’il a besoin de rien j’imagine ? Bordel que je préfèrerais avoir une bombe à désamorcer en ce moment ! Surtout que bon… ton voisin est en train de zyeuter à sa porte et je n’aime pas supplier… ne m’oblige pas à quémander ton aide à nouveau. Je ferai tout ce que tu veux en échange. » D’autant qu’elle frissonnait de froid à force d’avoir les épaules dénudées. Un peu d’aide ne serait pas de refus !

Plus les minutes filaient, et plus Lynn se demandait au final ce qu’elle faisait là. Pourquoi venir le trouver lui ? Il ne lui devait rien. Ils ne se connaissaient même pas, au bout du compte. Elle tenta de se faire discrète alors que Caine faisait connaissance avec son fils, mais son regard était soigneusement posé ailleurs, dans le vague, comme pour faire mine de disparaître totalement. Dommage qu’elle ne puisse pas faire comme dans un tour de passe-passe… voilà bien qui serait nettement plus appréciable que cette gêne insupportable transperçant littéralement ses entrailles dans la seconde. Ce fut la voix du jeune homme qui la sortit de la torpeur dans laquelle elle s’était soigneusement glissée : hein, une mission ? Ah oui ! Sa mère allait bouillir de rage si elle la plantait au dernier moment, c’était même probable qu’elle ne la mette à pied pour un temps considérable, mais la jolie canadienne n’avait aucune espèce d’envie de bouger d’ici. Quelque part, être contrainte de passer du temps avec son fils était une première bataille en soit, inutile d’en rajouter une deuxième à la longue liste qui ne cessait de s’agrandir de minute en minute. « Ce n’est pas mon genre de demander de l’aide à quelqu’un, alors… faire en sorte que tu me serves de bouche-trou, sérieusement ? Je cherchais justement un prétexte pour mettre ma charmante maternelle folle de rage, tu es l’alibi parfait ! » D’accord, attendre des remerciements « normaux » de la part de Lynn équivalait à vouloir décrocher la lune. Mais en langage digne de celui de la canadienne, cela voulait justement dire qu’elle n’avait pas l’intention de bouger ne serait-ce que d’un millimètre. En somme, elle n’était aucunement prête à laisser son fils entre les pattes d’un simple inconnu. Pourquoi, comment, cela relevait de l’inexplicable. Il n’y avait pas l’ombre d’une hormone là-dessous, mais plutôt un tempérament protecteur plus virulent qu’elle ne l’aurait cru de prime abord. Elle soupira doucement avant de reprendre, d’un ton aussi assuré que possible malgré sa gêne perpétuelle : « je sais, je ne suis pas vraiment en tenue pour jouer les grandes bourgeoises sur le retour, mais j’étais été un peu prise au dépourvu. En théorie, je devrais effectivement te laisser Tommy et partir à cette foutue soirée à laquelle je n’ai aucune envie de me rendre, risquant par la même de me prendre une balle dans la tête… je crois que l’option que je vais prendre est plutôt évidente. »

Une chance que Connor soit justement en train de se laver les mains car elle n’avait pas d’effort de vocabulaire à faire. Elle n’avait pas non plus de raison de craindre la réaction du petit garçon puisque seul Caine pouvait l’entendre… une chance que Tommy soit bien trop petit pour comprendre. « Tu veux que je te dise ? Tu avais raison. Enfin, raison et tort… ce n’est pas lui qui a besoin de moi, c’est l’inverse. Ca me déglingue de le dire, mais… j’ai peur de le regarder, de le prendre dans mes bras et de m’en occuper car je sais qu’une fois que je l’aurais fais, je ne pourrais pas me passer de lui. De veiller sur lui comme s’il était le dernier trésor sur cette planète. Je ne pourrais pas non plus m’empêcher de me raccrocher à lui comme à ma dernière bouée… mais quand je plante mon regard dans ses yeux si parfaits et innocents, je me sens importante. Je sens l’importance qu’il me donne, une importance inaltérable. Ca me déglingue parce que ça me terrifie… je suis diablement douée pour faire le vide autour de moi, mais là, je voudrais qu’il ne connaisse rien de tout ce que moi j’ai connu. Si seulement c’était possible… » Lynn était douée pour cacher ses émotions, mais sa voix était en train de la trahir. Quelques mots de plus et elle aurait probablement craqué… mais là, son précieux contrôle revenait au galop. « Je ne te demande pas de me comprendre, je sais que tu ne le peux pas. Mais ne me jette pas la pierre. C’est la dernière chose dont j’ai besoin je crois… »

« Je ne suis pas douce, tu te rappelles ? » Inutile de compter sur l’indulgence de Lynn si jamais il acceptait un jour de devenir son partenaire. Aussi vrai qu’elle était parfaitement infoutue de dire ce qu’il faut quand il s’agit de consoler quelqu’un, ou même ne serait-ce que d’offrir un câlin à une personne désespérée, il ne fallait surtout pas s’imaginer qu’elle allait sauter de joie alors que pour elle, avoir un coéquipier signifiait devoir veiller sur quelqu’un plus qu’autre chose. Caine savait sûrement très bien se débrouiller, elle n’en doutait pas un seul instant, mais ils n’avaient pas eu les mêmes expériences professionnelles. Lynn avait vécu l’enfer, et devoir sauver la vie du détective lui avait suffit. Inutile de vouloir retenter la chose des semaines plus tard… « Merci du compliment, mais je crois que si tu as l’extrême bonté de me prêter des frusques, je vais prendre cette option là. Je me sens ridicule là dedans. » Mais il n’empêche qu’elle avait été flattée. Pas au point de rougir bien sûr, fidèle à ses précieux sentiments contrôlés, mais la jeune femme restait humaine… être caressé dans le sens du poil fait toujours du bien. Elle lui lança d’ailleurs un sourire bien plus franc avant que de prendre le biberon qu’elle avait amené de chez elle avant de soupirer. Il était évident qu’elle n’allait pas se mettre à allaiter maintenant… et surtout pas ici, par conséquent donner un biberon à Tommy était un premier défi qu’elle pouvait relever sans peine. « Je suppose qu’il faut préparer ça… tu as une idée de combien de temps faut le chauffer cet engin de torture ? Non parce que me sortir la poitrine face à toi… je passe mon tour si tu vois ce que je veux dire. » Déjà, elle avait la présence d’esprit de penser à nourrir son fils… c’était toujours ça de gagné !

« Je vais m’en occuper après, chaque chose en son temps. Tu acceptes que je me change où ? » Lynn avait évidemment remarqué l’œillade de Caine à son portable mais décida de ne pas en faire la réflexion de façon brutale et mauvaise… il ne s’agissait certes pas de ses oignons. Elle se contenta donc de déposer le biberon sur la table basse, sans cesser de regarder le jeune homme tandis que Connor les attendait patiemment dans la cuisine, prêt à manger, les pieds sous la table. « Tu as un problème ? » demanda-t-elle simplement en faisant mine de ne rien savoir. Mais il ne fallait pas oublier qu’elle restait un agent de la CIA… les détails étaient donc son dada quoi qu’on en dise. « Tu as vraiment l’intention d’accepter l’offre de ma mère ? Tu ne sais pas dans quoi tu t’embarques. Soit plus intelligent que ça, refuse. »

Lynn, grande habituée à fouiller des appartements au luxe indécent afin de trouver le petit détail qui résoudrait son affaire en cours, et cela bien qu’il lui faille côtoyer généralement des appartements de membre de mafias mondiales, mit un temps considérable à choisir un t-shirt bien trop grand pour elle ainsi qu’un pantalon de jogging qu’il lui fallut resserrer à l’extrême à la taille pour qu’il ne lui tomber pas sous les genoux. Il ne s’agissait pas du comble du charme, mais au moins la perte impressionnante de poids de la brunette passait bien mieux inaperçue que dans la robe extraordinaire qu’elle portait en arrivant. D’autant qu’elle n’avait absolument personne à impressionner ici, elle n’était pas là pour ça. La jolie canadienne finit par conséquent par retourner à la cuisine, où Caine l’attendit, s’occupant comme un chef du nourrisson comme s’il s’agissait de son propre enfant. Pour un peu, elle fut presque gênée de la chose, sans même en comprendre la raison… il était plus que temps qu’elle se reprenne, elle que rien ne touchait jamais d’ordinaire ! Elle fronça cependant les sourcils face à la description de l’inquiétude du détective. Effectivement, si son retard était absolument inexplicable, il y avait de quoi se torturer l’esprit… à moins de ne se réincarner en Lynn, parfaitement semblable à une pierre ces temps-ci. « Où est-elle censée se trouver en ce moment ? Si tu as l’adresse, je peux t’obtenir la vidéo en deux coups de cuillère à pot. » La brunette avait lâché cela d’une voix claquante et sans attente de renvoi d’ascenseur : il venait de s’occuper de son fils, il était normal, à ses yeux du moins, de lui rendre la pareille d’une façon ou d’une autre. C’était un peu en dehors de ses fonctions habituelles, mais un peu de changement n’est jamais mauvais… surtout si cela évite d’arriver aux oreilles de sa mère, dont il parlait justement. « Haha, bonne chance pour la négo alors ! Tu ne connais pas cette vieille bique, fais-moi confiance… si elle a décidé que tu ferais équipe avec moi, happy ou pas tu devras obéir et point barre final. D’autant que… les autres agents sont des catas ambulantes, tu n’as pas idée. Pire, tu n’en n’as jamais rêvé dans tes pires cauchemars. Tu as un peu moins de chance de te prendre un pruneau avec moi qu’avec ces guignols de merde… sur ça aussi, tu peux me faire confiance. »

Lynn n’était pas ravie d’obtenir un coéquipier, car cela signifiait veiller sur son arrière-train. Elle allait devoir faire un effort considérable et la donne ne l’enchantait pas, mais puisqu’elle n’avait pas le choix et qu’il avait besoin du pécule récolté pour son fils… qui était-elle pour lui mettre des bâtons dans les roues ? Ah, la maternité l’avait rendue pareille à une guimauve. « Je m’adoucis trop, c’est détestable ! Bref. Pour ta gouverne, j’adore l’Écosse et je ne bois que du whisky. Le mojito, c’est pour les lavettes. J’opte même pour du quarante ans d’âge quand je suis au bord du suicide. Pourquoi, laisse-moi deviner : tu es écossais ! En même temps, avec ton nom de famille, tu pouvais difficilement être russe. Enfin quelqu’un fier de ses origines, ça change… » Certes, le langage de Lynn savait être brutal, mais cela évitait les intermédiaires et les défauts de compréhension. Surtout qu’elle s’était démerdée pour éviter d’être entendue par Connor, probablement une éponge à « mots interdits » comme tous les enfants. Hélas, Lynn aurait presque préféré continuer cette conversation si elle n’avait pas entendu son fils se mettre à pleurer à s’en déchirer les poumons. Par réflexe, sans savoir pourquoi, elle le prit dans ses bras pour lui tapoter tout doucement le dos. Incroyable comme il se calmait vite de cette façon… « Pas de commentaires désobligeants ou je te refais le portrait façon Picasso période déstructurée, vu ? »

« Elle a l’air charmante ton ex, dis-moi ! » Lynn, ou miss commentaire qui ne sert à rien. Il fallait qu’elle commente tout ce qui lui passait sous les yeux ou entre les mains. Elle devenait presque un enfer pour les éventuels partenaires qu’on lui collait entre les basques. Mais derrière une foule de mots cherchant avant tout à la défouler se cachait un besoin de hurler sa hargne évidente, d’oublier la situation précaire dans laquelle elle se trouvait et une envie à peine dissimuler de retourner dans son pays natal, le Canada. Là où l’on mange de bons pancakes avec un sirop d’érable absolument inimitable… pas étonnant qu’elle connaisse typiquement le genre de nostalgie qu’elle croyait voir passer dans la fierté écossaise de Caine ! Sauf que sur ce point précis, Lynn s’était abstenue de tout commentaire, au même titre qu’elle n’en n’avait pas fait lorsqu’il l’aiguilla avec des conseils typiquement paternels. Ce qui l’étonnait davantage, c’est qu’il n’ait pas encore retrouvé de femme. Après tout, il était loin d’être repoussant, jouait à merveille le rôle du père célibataire et, plus que tout, semblait typiquement être celui à désirer une famille nombreuse. A moins que son envie de carrière ne dépasse ce désir… allez savoir. La jolie canadienne avait une assez bonne capacité d’analyse, mais celle-ci était un peu pervertie par cette situation étrange dans laquelle elle s’était plongée bien malgré elle. Caine connaissait davantage de sa vie que n’importe qui d’autre, et le pire, c’est qu’elle pouvait à peine prétendre l’inverse. Sa vie restait un grand point d’interrogation… et pour une fois, la donne ne semblait pas réellement la mettre mal à l’aise. Elle n’estimait pas devoir s’introduire dans celle-ci, bien au contraire. « Je pige pas… tu fais comment pour repousser toutes les midinettes qui doivent s’agripper à ton cou comme des abeilles à du miel ? Non parce qu’en général, le père célibataire meurtri, ça plait énormément à la gente féminine. Si tu savais ce que j’entends les rares fois où je suis au bureau, c’est à pleurer… enfin bref. Ton ex n’est peut-être pas quelqu’un de tip top, mais il y a d’autres poiscailles dans l’océan et avec un peu de chance, il y a peut-être même un beau dauphin à la peau scintillante qui n’attend que toi. » Lynn, le romantisme ne te vas pas. Pas du tout du tout !

« Je te rassure tout de suite : je suis une cata ambulante. Je suis la seule à me retrouver dans mon bordel organisé, personne ne me supporte plus de cinq minutes et je passe le plus clair de mon temps, quand j’ai le malheur d’être au bureau, à envoyer paître ma mère pour ses jugements acerbes me donnant envie de lui faire bouffer son uniforme sans sauce ! Mais… aussi incroyable que ça puisse paraître, pendant ma grossesse j’étais analyste. C’est mon métier de base. Le terrain me donne plus d’adrénaline c’est vrai mais je ne vais pas te jeter la pierre parce que tu veux être derrière un bureau, t’es un grand garçon comme dit l’autre ! Au pire… contrairement aux idées reçues je ne suis pas fermée au dialogue. Si je merde, tu me le dis, c’est aussi simple que ça. Je me ferais un plaisir de te retourner la galanterie si jamais je constate la chose de ton côté. » Lynn se permit un clin d’œil suivit d’un sourire sincère avant qu’un petit rot ne se fasse entendre de la part de son fils. Cette fois-ci, ce fut un rire qui peupla l’atmosphère sonore de l’appartement avant qu’elle ne lui masse son petit dos comme le lui avait appris Caine. Le recoucher fut nettement plus aisé après cela… « Vive l’Écosse, et le Canada ! » reprit-elle finalement en trinquant volontiers avec son futur coéquipier potentiel.

Sans savoir pourquoi, Lynn n’avait aucun mal à croire le fait que Caine ne veuille une certaine stabilité de relation, une famille à offrir à son fils. Il en était de même pour son travail, qu’il souhaitait mieux rémunéré afin d’avoir au final de meilleurs moyens et prendre ainsi soin de son fils. Quelque part, elle avait l’impression de s’entendre alors qu’elle était encore enceinte de Tommy et que Mikaël jurait qu’il serait toujours là pour l’épauler. Au final, elle se retrouvait avec un job passionnant, dangereux et personne pour la soutenir dans son rôle de mère. Bien que la brunette prenne peu à peu conscience de ses responsabilités, elle n’en restait pas moins sur la touche, incapable de déverrouiller le coffre fort où étaient enfermés ses sentiments, sa fragilité, ainsi que ses rêves. Lynn n’avait pas toujours été ainsi, loin s’en faut. Certains réflexes de joie de vivre perduraient, comme l’avait attesté ce rire cristallin, échappé comme de nulle part, alors que Tommy avait simplement poussé un rot… rien de poétique, et pourtant, il s’agissait du premier vrai moment qu’elle passait en compagnie de son fils, et où elle n’avait pas à feindre ou à dégainer son arme pour se faire entendre. Difficile d’admettre qu’elle l’avait fait en compagnie de Caine, ce presque inconnu qui allait bientôt devenir son partenaire. Au moins, elle semblait avoir confiance. La jolie canadienne espérait simplement qu’il savait déjà à quel point il pourrait se reposer sur elle en échange. De tout temps, elle n’avait jamais été pour les échanges à sens unique. « Con ? Tu me prends pour une nénette qui aime juste danser la salsa à l’horizontale ma parole ! Ce n’est pas parce que je me suis fait lâcher comme une débutante ou que j’ai le métier que j’ai que je connais bibliquement tous les types que je rencontre… pour ta gouverne, Sherlock, je suis l’exact contraire. Ca t’embouche un coin, hein ? » Lynn n’était pas vexé du poncif dont il venait de faire preuve : après tout, elle restait jolie, piquante, sauvage, bref un cocktail qui incitait souvent la gent masculine à la poursuivre, même si elle n’était jamais intéressée. Oh elle n’irait pas jusqu’à dire que cela ne lui arrivait jamais d’avoir des écarts, mais la chose ne l’intéressait pas, surtout en ce moment. « Les locations vingt-quatre heures, ça finit par faire mal comme le reste, de toute façon. Le meilleur amant, c’est le chocolat. Tu devrais essayer, Casanova ! » Mais pas immédiatement : tout d’abord, il fallait que les deux jeunes gens se « battent » pour obtenir une petite part de ce dîner préparé par Caine avant même que Connor n’ait engloutit la totalité du plat. Et contre toute attente… Lynn n’était pas fâchée que leurs fils respectifs soient là, bien au contraire. « Bon appétit de même ! » s’exclama-t-elle joyeusement.

Durant de longues minutes, une sorte de silence s’instaura dans la pièce, et Lynn n’en fut même pas gênée. Cela n’empêchait pas le fils de Caine de la dévisager longuement, comme s’il avait affaire à une princesse et qu’il ne pouvait en détacher les yeux. Au bout de quelques bouchées, la piquante brunette reposa sa fourchette pour lui faire un premier clin d’œil, suivi d’une sorte de grimace qui l’amusa. Une sorte de petit jeu s’instaura entre eux, jusqu’à ce qu’elle n’avance ses paumes ouvertes vers lui, ne les retournant qu’au dernier moment pour faire apparaître une rose sous les yeux ébahis du petit garçon. « En fait je vais la garder pour moi, vu que c’est moi la fille de la situation. » Sous le rire de Connor ainsi que ses applaudissements, Lynn glissa la rose dans sa chevelure, contre son oreille, tandis qu’il s’était approché pour lui faire un bisou. « C’toi la plus belle » murmura-t-il avant de retourner à sa place, tout penaud, sous un sourire éclatant de la jolie canadienne. « J’en connais un que tu vas devoir surveiller parce qu’il va vraiment faire des ravages dans le genre ! Au fait… pas aussi bon que mes pancakes au sirop d’érable, mais félicitation au chef écossais ! »

Lynn avait beau être du genre nature peinture, à toujours dire ce qui lui passait par la tête et à se moquer des apparences, elle peinait à accepter les compliments sur sa personne. Ca n’en faisait pas d’elle quelqu’un de timide, bien au contraire, mais il lui arrivait d’être gênée, comme ce soir. La jolie canadienne tordit légèrement sa bouche tandis que le père et le fils lui faisaient un compliment sur sa beauté, chose à laquelle elle ne répondit rien et offrit une expression presque fière, tournée en dérision, comme si une telle chose ne pouvait être possible. Finalement, ce fut le bouquet lorsque Connor lui demanda si elle pouvait le border une fois qu’il serait en tenue : déjà qu’elle avait un mal fou à être maternelle de façon naturelle avec son propre petit bout, l’être avec celui d’un presque inconnu… pourtant, en souvenir des moments durant lesquels elle s’occupait de sa jeune sœur de treize ans, Lynn n’hésita pas une seconde avant d’accepter. Comme quoi, tout le monde sait très bien cacher son jeu à un moment donné… « On va faire un deal toi et moi : je veux que tu te laves tellement bien les dents qu’elles seront plus blanche que ce carrelage, que tu mettes ton plus beau pyjama et alors je me pointe pour te border. D’accord champ’ ? » Léger haussement de sourcil défiant avant que le petit garçon ne sautille, ravi. Si Caine vivait avec un coureur de jupons, la piquante brunette n’avait pas senti la moindre réaction de ce type chez son fils. Il était bien élevé, poli, curieux, franc comme tous les enfants de son âge… son père n’était pas au bout de ses peines s’il avait du succès auprès des filles mais après tout, cela fait partie de la vie. Connor avait déjà une longueur d’avance puisqu’il parvint à s’exécuter en un temps record pour mieux l’appeler de sa chambre, fin prêt à être bordé, ne souhaitant pas attendre une minute de plus comme si son sommeil merveilleux dépendait de ce moment « privilégié » avec Lynn… qui se dirigea vers la chambre de l’enfant non sans un regard hautement amusé à Caine. Le pire, c’est qu’elle ne se forçait même pas et y allait de bon cœur… elle n’hésita pas à lui faire un long câlin pour le bercer doucement, constatant que ses paupières étaient déjà lourdes et qu’il n’était encore debout que pour profiter un peu plus longtemps de son père et de l’amie de celui-ci. « Allez, c’est le moment de te coucher… le marchand de sable est passé. » Dernier bisou sur le front et Lynn remontait déjà les couvertures pour qu’il ne prenne pas froid avant de se lever et d’éteindre la lumière. Lorsqu’elle quitta la chambre, il dormait déjà à points fermés. Pour un peu, tout ceci la rendait presque nostalgique. « Ton champion dort à points fermés ! Hein que j’ai trop la classe comme bordeuse professionnelle ! Blague dans le groin, je peux penser à me recycler… ! »

Lynn accepta un autre verre de whisky, bien mérité après ce qu’elle venait de faire, avant de rejoindre Caine dans le salon où il s’était installé sur un fauteuil. Le visage de la jolie canadienne était redevenu sérieux trente secondes mais bientôt, c’est un sourire franc et amusé qui pointa le bout de son nez. « Tu sais jouer de la gratte et tu chantes ? Bordel ça me la coupe ! Remarque, je joue bien de l’harmonica à mes heures perdues, chacun ses vices… partant pour me jouer la sérénade ? Demande ce que tu veux en échange ; et fais gaffe, je peux mordre si jamais le gage est pourri ! »

Pour sûr, Lynn était diablement curieuse d’entendre chanter Caine, surtout après avoir vu autant de fierté dans le regard de Connor dès qu’il avait évoqué le sujet. Elle ne fut pas déçue une seconde en entendant les première notes de la chanson, alliant à la fois une maîtrise évidente à la guitare mais également une voix suave qui aurait fait fondre bien des midinettes. Lynn se surprit à avoir une soudaine expression passionnée, captivée, tandis qu’elle triturait son harmonica entre ses mains, se demandant si elle serait capable de le suivre dans sa lancée sans gâcher le tout par son audace. Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’elle ne reste soigneusement dans son coin, comme d’habitude, elle n’hésita pas longtemps avant de l’accompagner de quelques fioritures d’accords parfaitement maîtrisées à l’harmonica, ajoutant un son à la fois doux et culotté à l’ensemble musical… cette intervention lui ressemblait en tout point, à croire qu’ils étaient faits pour jouer ensemble de même qu’ils semblaient faits pour bosser ensemble, même si elle n’avait pas été enchantée au départ. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis… la preuve, dès qu’il eut fini, elle fut la première à applaudir de façon à la fois enthousiaste et tout à fait franche. Caine n’avait rien à craindre vis-à-vis d’un potentiel manque de sincérité : Lynn n’avait pas sa langue dans sa poche dans son genre… « C’était top ! T’inquiètes, si j’avais trouvé ça à chier je ne t’aurais pas accompagné et j’aurais encore moins applaudit ! Non, sincèrement, tu gères. M’étonnes pas que ton fils soit fan de toi ! Ce qui me chiffonne plus c’est que tu fasses presque ton timide face à tout ça… rockstar en papier bulle va ! T’a visé juste, avec le rock, je suis absolument fan de Jazz. Devin dans ton genre, maintenant ? » Lynn lui offrit une sorte de grimace, preuve qu’elle était presque gênée de la chose mais qu’elle se refusait à l’admettre. Il ne faut pas pousser mémé dans les orties, non plus…

« Tu n’as pas à me remercier, au fait. Remballe tes remerciements, je suis plutôt désolée que ton petit bout ait une mère atroce. Je sais ce que c’est mieux que personne. La preuve, je merde pas mal moi-même et bien que j’essaye de faire autrement, je suis soigneusement le chemin de ma vieille ! Tu ne la connais pas encore, et crois-moi, tu n’as rien loupé. Par chance, elle n’est pas souvent à la cellule donc tu ne las croiseras pas souvent. Tu vas y venir quand, blague dans le groin ? » Que Lynn soit certaine de pouvoir au moins l’accueillir elle-même et lui présenter les personnes de confiance, avec qui elle avait vraiment plaisir à bosser sur le terrain. Il ne risquait pas d’être gêné par quelques tuyaux, surtout vis-à-vis des personnes à éviter… capitales informations ! « Je vais avoir du mal à te livrer un petit déj’, j’en ai peur ! Dès que je vais partir d’ici, je devrais reprendre mon affaire laissée en plan, c’est la règle du jeu. En théorie, je ne devrais même pas être ici et je sais très bien la soufflante que je vais me prendre pour ça. Pour compenser, je peux te les faire tout de suite tes pancakes ? Comme ça… je pars après et j’arrête de te pomper l’air ! Comme ça sonne ça ? Je ne peux pas te promettre que je ne serais pas la pire des chieuses avec toi… j’ai mes bons jours et mes jours apocalyptiques ! »