Karina venait d’être appelée en plein milieu de ses consultations postopératoires. Elle avait notamment assisté le docteur Sullivan sur une impressionnante transplantation cardiaque et cette chance était habituellement réservée à des internes plus anciens. Ce n’était que sa deuxième année et pourtant on lui faisait déjà confiance. C’était une preuve de son talent. Ses efforts commençaient à payer, elle était reconnue par les titulaires et on la demandait elle en priorité quand il s’agissait de choisir des internes à prendre sous son aile. Un tel appel était plutôt inhabituel. Elle n’était prévue pour aucune opération aujourd’hui. Peut-être une urgence ? Son cœur se mit à battre un peu plus vite. Assister à une opération lui procurait beaucoup d’adrénaline, mais les urgences encore plus… Si elle ne réussissait pas dans la voie de la chirurgie cardiothoracique, elle se verrait bien en tant que médecin urgentiste. La jeune femme porta une plus grande attention à son biper : cela ne venait pas des urgences. Son rythme cardiaque s’affola de plus belle : il était arrivé quelque chose à l’un de ses proches. Un de ses colocataire, Coleen, ou encore Will, il y avait moult possibilités et elle ne se sentait pas prête à perdre l’un d’entre eux. Elle laissa ce qu’elle était en train de faire en plan et se mit à courir en direction de la chambre qu’on lui avait indiquée. Presque à bout de souffle, elle arriva devant une porte fermée et trouva une infirmière juste à côté, qui l’attendait. Celle-ci se mit à lui expliquer la situation en détails. Il s’agissait de Will. C’était apparemment assez grave et il ne s’était toujours pas réveillé.

La dernière fois qu’elle avait vu Will remontait à quelques semaines. Il avait débarqué un soir, dans l’appartement qu’elle partageait avec quatre autres personnes, alors qu’elle était « miraculeusement » seule – c’était loin d’être évident quand on vivait à cinq. Il était paniqué, venu pour la protéger d’une de ses connaissances pas vraiment fréquentable. En même temps dans le monde qu’il côtoyait, son ex-fiancé n’avait pratiquement que des connaissances de ce genre. Il jouait avec l’argent et souvent avec le feu. Ce soir là, il lui avait dit avoir reçu des menaces qui la concernaient apparemment elle aussi. Elle avait eu du mal à y croire mais s’était fait une belle frayeur quand même. Surtout qu’elle s’était enfuie à New York justement pour échapper à un tel monde, à de telles menaces. En tant que fille de parrain, elle n’aurait pas dû avoir peur. Mais elle n’était pas comme son père, elle n’était pas comme ses frères, sa tante ou ses neveux. Elle était faible. Bien sûr, s’il lui était arrivé quelque chose ou si elle avait réellement été menacée elle savait que son père l’aurait su, d’une manière ou d’une autre, et l’aurait protégée. Mais elle ne voulait pas être mêlée à de telles histoires. Déjà que son passé avait commencé à la rattraper…

L’ « accident » de Will tombait vraiment mal. Il fallait qu’elle gère la mort de son frère et l’arrivée d’une partie de sa famille à New York. Avoir perdu Vladimir la perturbait franchement, et perdre son ex-fiancé auquel elle était encore attachée malgré tout ne ferait que compliquer la situation. Elle lui avait pourtant dit de faire attention ! Pourquoi personne ne l’écoutait jamais ? La jeune femme entra tout de même dans la chambre, suivie de l’infirmière. Il la fixait, toutefois, elle ne pouvait pas dire s’il la reconnaissait ou non comme venait de la prévenir l’infirmière. Arrivée à sa hauteur, la jeune femme attrapa sa main. « Ca va aller, d’accord ? Je suis là et tu es entre de bonnes mains. »

Voir Will dans un tel état était douloureux. Elle l’avait vu pour la dernière fois il y avait à peine quelques jours et il était en pleine forme. Il était venu la prévenir qu’elle était peut-être en danger. Il lui avait bien fait peur sur le coup, elle avait eu la sensation que son passé la rattrapait. Mais bien vite, s’était plus pour lui qu’elle s’était inquiétée. Elle lui avait fait promettre qu’il ferait attention à lui. La dernière chose qu’elle souhaitait était de le retrouver à l’hôpital ou dans un cercueil. Elle s’était encore inquiétée le jour suivant, puis comme elle n’avait pas eu de nouvelles, elle avait pensé que tout était réglé. Jusqu’à ce qu’elle soit appelée en plein milieu de ses consultations. La jeune femme avait paniqué avant même de savoir de qui il était question mais elle avait tout de suite eu un mauvais pressentiment.

Une infirmière l’attendait devant la porte d’une chambre entrouverte. Elle lui expliqua qu’il s’agissait de son ex-fiancé – elle avait été appelée parce que les infirmières connaissaient leur histoire et savait qu’elle était encore attachée à lui, il était donc normal qu’elle soit au courant – et que c’était assez grave. Il avait reçu plusieurs coups sur tout le corps, notamment à la tête. C’était ça qui était le plus alarmant puisqu’il avait été dans le coma et qu’il y avait des chances pour qu’il ait perdu la mémoire. Karina ne tarda pas à entrer dans la chambre, pressée de voir par elle-même de quoi il en retournerait, à quel point l’état du jeune homme était grave. Elle constata qu’il était quand même mal en point, les coups étaient visibles sur les parties de son corps qu’elle pouvait voir. C’était vraiment dur à regarder. Elle savait qu’il était en danger et elle n’avait rien fait – même si elle savait qu’elle n’aurait rien pu faire. Elle ne l’avait pas retenu, ne l’avait pas empêché de faire quelque chose de stupide.

Toujours en avançant, la jeune femme essayait de déchiffrer les expressions de Will. Il avait l’air de ne pas la reconnaitre, il était clairement perdu. Cela dit, elle ne se gênait pas pour immédiatement prendre sa main et la serrer, lui promettant que tout irait bien pour lui à présent. Elle était prête à suivre toute l’évolution de son séjour ici, à le soigner personnellement, mais il allait aller mieux rapidement, elle se le promettait. « Je suis désolé mais... qui êtes-vous ? Je suis sûr de vous connaître mais j'ai... j'ai du mal à me souvenir... » Ses doutes étaient confirmés. Elle avait été prévenue et pourtant cela lui fit un petit pincement au cœur. L’idée qu’il ne se souvienne jamais des quatre belles années qu’ils avaient vécu à deux était douloureuse. Mais au moins, il ne se souviendrait pas non plus du mal qu’elle avait pu lui faire subir. C’était sa seule consolation. « Je ne voudrais surtout pas vous offenser ! » Elle sourit puis secoua la tête. « C’est bon… C’est normal vu ton état. Je m’appelle Karina. On se connait depuis un moment mais qui je suis n’est pas important pour le moment, l’important c’est que tu guérisses. » Elle serra sa main un peu plus fort. Devait-elle lui dire qui elle était de but en blanc ? Il avait déjà pas mal à digérer, elle n’était pas sûre que ce soit une très bonne idée. Puis ce n’était pas important pour le moment. « Je suis médecin. Pas ton médecin mais je vais veiller à ce que tout aille bien pour toi. » ajouta-t-elle avec un sourire qui se voulait chaleureux, rassurant. La jeune femme finit tout de même par lui lâcher la main, jugeant que sa familiarité pourrait très vite le dérouter, surtout si elle refusait de lui donner plus d’explications pour le moment. « Qu'est-ce qui m'est arrivé ? » « Apparemment tu as été battu… Tu souffres de plusieurs contusions sur tout le corps ainsi que d’une importante commotion. Mais tu es conscient, faible, mais conscient. Tu devrais être hors de danger très rapidement. »

« Karina, Karina... » Comme-ci cela pouvait l’aider, Will répéta le prénom de la jeune femme plusieurs fois. Il avait quelques problèmes de mémoire apparemment et il ne se souvenait pas d’elle mais parfois elle savait qu’un simple mot, une odeur, une image, un rien pouvait aider les amnésiques à se souvenir de quelque chose. C’était toujours ça de gagné et Karina espérait vraiment que son prénom lui fasse remonter quelques souvenirs, même si ces souvenirs dataient un peu, même s’ils l’induisaient en erreur. Elle n’aimait pas le voir perdu et elle était prête à tout remettre dans son contexte s’il le fallait. Elle n’y voyait pas là une façon de se racheter, d’effacer la douleur qu’elle lui avait infligée en partant plus d’un an et demi auparavant. Elle ne pouvait pas être égoïste et penser ça puisque ça signifiait qu’il oublierait beaucoup d‘autres choses importantes pour lui, comme le fait qu’il avait une petite amie pour commencer. Qu’en était-il d’elle, d’abord ? L’avait-il oubliée, elle aussi ? Devait-elle lui en parler, le brusquer ? Ou bien devait-elle lui laisser un peu de temps pour y voir un peu plus clair ? Pour le moment, la jeune femme choisit de simplement le rassurer. Il était peut-être perdu, mais voir un médecin le rassurerait surement. Un médecin bienveillant d’autant plus. Karina allait suivre personnellement son cas tant qu’il serait ici et même après. Elle viendrait le voir dès qu’elle aurait le temps et s’occuperait de lui à la place des infirmières quand elle le pourrait. Ce serait une manière de se racheter et puis elle tenait encore beaucoup à lui, elle avait envie qu’il se rétablisse comme il le fallait. « Will. Fais-moi confiance, d’accord ? Tu te souviendras plus tard, ça va revenir, je te le promets. Mais chaque chose en son temps, concentre-toi sur le fait d’aller mieux pour le moment. » Elle l’implorait presque et n’avait pas lâché sa main. Elle voulait qu’il sache qu’il n’était pas seul et qu’elle serait là pour l’aider même si elle ne représentait rien pour lui pour le moment. « Mais euh... tu ne sais pas ce qui a pu m'arriver ? Si c'est quelqu'un que je connais ou... pas ? » La jeune femme se mordit la lèvre. Elle ne savait pas si elle devait lui en dire plus ou non… Est-ce que ça l’aiderait réellement ? Il ne se souvenait de rien après tout et il voudrait surement chercher à savoir qui était Jim et pourquoi il lui avait fait du mal. Et il n pourrait pas se remettre correctement dans ces circonstances. Après un moment de silence, elle se décida tout de même à lui donner des éléments de réponse, un peu hésitante. « Est-ce que le nom de Jim te rappelle quelque chose ? Tout porte à croire que c’est lui qui t’as fait ça. » dit-elle amèrement. Elle n’était pas désireuse d’entrer dans les détails, sauf s’il insistait. Après tout, ça ne servait à rien de le frustrer ou d’engager une discussion de sourds qui n’aboutirait jamais. « Karina, si on est amis depuis longtemps, je veux savoir. Mon... esprit est un peu embrouillé... » La jeune femme soupira puis se résigna à lui en dire un peu plus. « Tu te souviens que tu joues beaucoup au poker ? Tu as joué avec les mauvaises personnes, et je pense que tu leur devais pas mal d’argent… Et visiblement ils sont venus réclamer leurs du… C’est ce Jim dont je viens de te parler. Et si tu ne te souviens de rien c’est parce que tu as pris un grand coup à la tête mais visiblement, tu devrais t’en remettre d’ici quelques temps. » Elle fit une pause et le regarda un instant dans les yeux. « Panique pas, d’accord ? Je te promets que ça va aller. Tu finiras par te rappeler. »