« Alors je crois qu’il va falloir que je commence à prendre des calmants pour éviter d’avoir envie de t’étrangler dans deux ou trois semaines, c’est ça ? Te fais pas de bile, tu ne me verras pas souvent, ça va être le Club Med en mon absence va ! » Lynn haussa les épaules tandis qu’elle l’imaginait parfaitement se fondre dans la masse à la CIA. Il allait se sentir comme un coq en pâte là bas, puisque les bureaux étaient souvent comblés par une large présence féminine. Les mecs restaient surtout sur le terrain, il n’y avait bien que Lynn pour mettre en avant son côté garçon manqué à ce point. Et d’ailleurs, on la détestait souvent pour ça, parce qu’elle était meilleure que ses collègues masculins et apportaient diablement plus de résultats significatifs… voilà bien pourquoi sa mère lui menait autant la vie dure. Elle ne supportait pas de voir ses autres toutous laissés sur la touche ! « La matrice à plans b, voilà ce que je suis ! Pas besoin d’aller s’emmerder pour acheter quoi que ce soit, j’te parie des dollars contre des biscuits que je te trouve ce qu’il faut pour faire des pancakes comme il se doit dans tes placards ! Inutile de parier, j’ai toujours raison. Et quand j’ai tort, surtout, réfère-toi à la règle numéro un, ça pourrait te sauver la peau ! » Il ne fallait pas inviter deux fois la jolie canadienne à prendre ses aises auprès des placards d’une cuisine. Elle se mit à farfouiller absolument partout, sortant dans un premier temps une batterie impressionnante d’instruments culinaires qui allaient lui permettre de mener à bien cette nouvelle mission. Elle trouva ensuite farine, levure, œuf, huile et sucre, soit les ingrédients indispensables pour faire des pancakes réussis. Ce qu’il faudrait mettre dessus, c’était une autre histoire et n’entrerait en compte qu’une fois la cuisson finie, il n’était donc pas encore temps de s’en inquiéter. Fouet en main, air sérieux plaqué sur son visage, Lynn s’arrêta néanmoins dans son élan face à la générosité dont faisait preuve Caine. Pour un peu, on aurait presque pu croire qu’elle était gênée face à tant d’altruisme, mais encore faudrait-il qu’elle avoue avoir ressentit ce genre de frémissements… plutôt crever que d’avouer, tiens ! « Pourquoi est-ce que tu es aussi sport avec moi ? » osa-t-elle demander, la voix pleine d’incrédulité. Finalement, le voir nettoyer la crispait plus qu’autre chose puisqu’elle ne pouvait pas capter son regard…

Lynn posa le fouet contre son plan de travail et agrippa Caine jusqu’à le plaquer contre le placard suivant, le maintenant fermement pour qu’il n’ait pas la mauvaise idée de se défaire de son emprise. Là, le contact visuel était nettement plus véridique et elle saurait tout de suite s’il lui mentait. Les sourcils froncés, les yeux brillants, la piquante brunette cherchait à comprendre la façon de fonctionner de cet homme ayant une fâcheuse tendance à la… troubler. « Je veux comprendre : tu m’as hurlé dessus et à moitié traitée d’incapable… et là tu fais comme si j’étais une demoiselle en détresse. Charmant, mais j’ai déjà donné. Pourquoi tu veux me filer un coup de main ? Je peux démanteler ce réseau de mafieux et revenir border mon fils. En tout cas je vais essayer. Mais je veux une réponse : pourquoi jouer des cils et mettre en place tes ridicules manigances de prince charmant ? Réponds ! » Lynn n’allait évidemment pas lui en coller une, elle n’était pas suffisamment en rogne pour ça, mais comme à chaque fois qu’elle ne comprenait pas quelque chose… elle réclamait une réponse de la seule façon qu’elle connaissait ; à savoir avec force et persuasion. Le fait d'avoir créé une belle proximité entre eux ne lui avait pas effleuré l'esprit pour le moment.

Lynn n’avait rien rétorqué, pourtant, ce n’était pas l’envie qui l’en manquait. Le pire, c’est qu’elle se savait parfaitement ingérable mais refusait de faire quoi que ce soit contre. Elle attendit patiemment qu’il lui présente la sortie pour émettre un minuscule soupir et réfléchir quant aux possibilités qu’elle avait. Rester, partir… de toute évidence, rester était stupide vu que sa présence n’était plus agréable ni voulue. Néanmoins, avant que de quitter cet appartement, Lynn voulait simplement mettre les choses au point… juste pour faire bonne mesure. « Peut-être que tu n’es pas un salopard. Tu serais alors l’exception parmi tous les salopards que j’ai eu le malheur de croiser et qui ont tenté de me faire mordre leur beau parquet bien ciré. Félicitation, je te donne un Oscar volontiers si tu veux ! Mais tu ne sais rien de moi. Tu parles de mon ex, mais ma vie entière n’est rien d’autre qu’une gigantesque tartine de merde dont il me faut bouffer une bouchée chaque jour ! Tu parles, tu parles, tu juges facilement aussi mais au fond tu campes soigneusement sur tes positions toi aussi. C’est plus facile et je ne te blâme pas pour ça. J’aimerais être plus calme, moins sur la défensive, être capable d’offrir moi aussi une vie honorable à mon fils, et ne pas être obligée de faire tout ce qu’il y a de plus dangereux au monde parce que je suis incapable de fermer l’œil depuis des jours !! Ah, mon ex… c’était de la gnognotte par rapport à tout ce que j’ai vu. J’étais quelqu’un de bien, d’équilibré avant. Si seulement je n’avais pas vu mon fiancé se faire descendre le jour où il voulait me demander en mariage alors que je n’avais que dix-sept ans, ou pas cru que mon père était mort pendant dix ans avant de m’apercevoir que ma mère me mentait et qu’il était enfermé en Birmanie… ne pas avoir pris trois balles dans le torse en le sauvant, aussi ! Tu as sûrement souffert et des tas de raisons de me juger ou même de me croire folle… mais j’en ai des tonnes à t’opposer qui font que je peux péter une durite facilement. C’est con la vie, hein ? Désolée du dérangement. Je crois juste que le fait de ne pas avoir dormi depuis des lustres me monte au cerveau. » Lynn récupéra son fils et referma la porte derrière elle, sans violence aucune, trop consciente que cela puisse réveiller Connor. Difficile de savoir si elle avait effectivement privilégié la fin de sa mission ou le fait de s’occuper de son fils puisqu’elle ne donna pas signe de vie à Caine avant de nombreux jours.

Caine n’en n’eut qu’au moment où Marjorie Maryweather le convoqua pour une première visite de la cellule. Sur le bureau qu’il devait occuper, Lynn y avait déjà déposé les vêtements qu’il lui avait prêtés, lavés et repassés avec une précision presque militaire. « Je vous laisse prendre vos marques, je vous attend dans deux heures dans mon bureau, McDouglas. » Marjorie partit sans fermer la porte du bureau et fatalement poussa la piquante brunette à sortir de la pièce adjacente, constituée par une douche et deux casiers, afin de la refermer en la claquant. « On lui a jamais appris à fermer les portes à cette vieille peau replâtrée ! » Lynn était presque calme, vu qu’elle n’avait pas crié, mais repartit aussitôt dans l’autre pièce pour poursuivre son changement de pansement. Elle n’était vêtue que d’un pantalon de jogging particulièrement moulant et d’un soutien-gorge, vu qu’elle était blessée au flanc. Une balle, semble-t-il, et qui la contraignait à une semaine hors du terrain. Cela aurait dû la mettre d’une humeur massacrante, mais très étrangement, elle avait plutôt bien pris la nouvelle. « Bienvenue au fait, McDouglas ! Si je n’ai pas trop perdu la boule j’ai pris une bouteille de whisky quarante ans d’âge, tu peux l’ouvrir si tu es en humeur de célébration ! » Aucune fioriture mais pas de manque de chaleur pour autant. Disons que Lynn était… occupée.

« La fin de ma dernière mission a été un peu… rock’n’roll dirais-je, mais ça va aller. » Lynn ne crut pas utile de préciser qu’il n’avait pas à s’inquiéter puisque de toute évidence, il mettait une barrière évidente entre eux. Sans en comprendre la raison, la donne la dérangea. D’ordinaire, elle détestait au plus haut point le fait d’avoir un coéquipier, situation qu’elle ne savait pas gérer le moins du monde, mais avec Caine, ce n’était pas exactement la même chose. Sans doute parce qu’il la connaissait mieux que sa propre mère, probablement. Quoi qu’il en soit, la piquante brunette eut tôt fait de finir son pansement, mettre une chemisette noire lui allant à ravir pour venir le rejoindre dans le bureau principal, à l’abri des regards puisque bordé de vitres opaques. Peut-être avait-elle bien fait de fermer la porte, ainsi, personne d’autre que Caine n’entendrait son discours quelque peu… inhabituel pour quelqu’un d’aussi imprévisible et souvent insupportable à la longue. « Je te demande pardon » commença-t-elle sans pour autant que ses yeux noisettes ne se pointent vers le sol. Au contraire, elle avait le courage de le regarder sans condition ni hésitation, ayant pour ainsi dire préparé son petit discours durant ces quelques derniers jours. « Je ne voulais pas spécialement me méfier de toi, être cruelle ou aussi insupportable que je l’ai été l’autre soir… je ne sais pas ce qui m’a pris et je m’en suis beaucoup voulu. Tu peux être certain que je suis en train de piétiner ma super fierté adorée pour te dire ces choses… je suis névrosée, imprévisible, je ne sais pas de quoi demain sera fait et la plupart du temps je m’en fous mais honnêtement, sincèrement, de tout mon cœur je suis vraiment très contente de t’avoir pour partenaire. Tu es quelqu’un de bien… le genre que l’on préfère avoir comme pote plutôt que comme ennemi parce que d’après ce que j’ai lu, tu es plutôt virtuose du gun toi aussi, hein ! Hem bref. Je m’égare. Je suis dérangée c’est vrai mais je n’en suis pas moins fiable. Du moins je vais essayer de botter le cul à mes névroses pour me contrôler davantage. Je sonne un peu comme une midinette, hein ? C’est ce que je craignais. Pourtant j’ai répété ce discours pendant un moment, j’peux t’assurer qu’on aurait presque dit que j’allais auditionner pour un putain de rôle ! Bref… je m’égare à nouveau, non ? » Lynn esquissa une petite grimace avant de hausser les épaules, persuadée qu’elle ne passerait jamais pour la femme parfaite et que dans le fond, ce n’était pas le plus important.

La jolie canadienne surprit néanmoins son monde et probablement Caine le premier en s’avançant vers lui pour le serrer contre elle, entourant son cou de ses bras sans aucune mauvaise intention, partant simplement du principe qu’un croquis vaut mieux qu’un long discours. En l’occurrence… elle était simplement reconnaissante qu’il ne l’ait mise face à ses responsabilités. La petite claque qu’elle s’était prise lui avait mis davantage de plomb dans la cervelle que beaucoup d’échecs passés. Elle alla même jusqu’à embrasser légèrement sa joue, avant de s’écarter et de racler légèrement sa gorge comme pour conclure son petit discours. Elle lui serra finalement la main avant de pousser un soupir d’aise : au moins, elle était parvenue à aller jusqu’au bout… « Alors comme je ne sais pas si tu as eu mon dossier, je suis experte en combat corps à corps, certaines armes blanches et je suis analyste de profession de base. Avant d’être ce que je suis aujourd’hui, à savoir agent terrain, j’étais utilisée pour reconnaître les malfrats pour ainsi dire. J’ai une bonne capacité et c’est ce que je vais faire, avec ta participation, cette semaine. Quand je serais rétablie… tu seras mes yeux et moi les bras pour aller dénicher nos cibles sur le terrain. Si tu as des questions… je suis toute ouïe. » Lynn était redevenue sérieuse et nettement plus à l’aise que lors de son laïus précédent. Et pour cause… elle était bonne pour ça : changer de sujet.

« Tu veux dire que je suis un foutu spécimen même pour un expert comme toi ? » plaisanta Lynn avant d’éclater littéralement de rire face à sa remarque sur le fameux tiroir de son nouveau bureau. Il faut dire que son ancien coéquipier était un chaud lapin pour ne pas dire obsédé, et il était toujours armé prêt à faire feu. Cela changeait radicalement la piquante brunette d’avoir enfin à faire à quelqu’un de droit et de noble. D’ailleurs, plus les secondes filaient sur l’horloge de leur bureau désormais commun et plus elle s’apercevait que leur étreinte l’avait légèrement faite frissonner. Elle se racla la gorge pour ne plus y penser et se dirigea d’un pas décidé jusqu’au tiroir de Caine avant même qu’il n’ait eu le temps de mettre la moindre affaire dedans pour le décrocher et jeter l’intégralité de son contenu dans la première poubelle à portée de sa main. Lynn, toujours aussi radicale… « Ah, j’aime le classement vertical ! Hem. Mon ancien coéquipier s’est retrouvé trois jours à l’hosto parce qu’il m’a mis une main au cul… disons que j’ai eu le pied qui me démange, si tu suis mon raisonnement ! » Efficace et rapide, la jolie canadienne remit en place le tiroir avant d’adopter un air satisfait et de se présenter enfin officiellement à celui avec qui elle allait passer un temps considérable à partir de maintenant. « Tout beau tout neuf, l’ami ! Enchantée, Monsieur McDouglas… Lyanna Maryweather. Mais tu peux m’appeler Lynn. » Pour la beauté de la chose elle lui serra à nouveau la main de façon franche, accompagnant son geste d’un sourire ayant déjà fait frémir de nombreux hommes. Si elle avait été une femme aux mœurs légères, probablement aurait-elle laissé un carnage cuisant derrière elle après son passage… mais Lynn était une romantique dans l’âme. Jusqu’au bout, et malgré les difficultés imposées par la vie, elle ne renonçait pas à son rêve de famille équilibrée et heureuse, cocon auquel elle n’avait jamais eu droit jusqu’à lors.

« Si tu l’appelles Cruella d’enfer tu es mon héros et je te dresse un temple en chocolat à ton effigie, ça répond à ta question ? Bah, en même temps… tu peux la siffler aussi, histoire qu’on s’marre ! Mais on risque de finir en taule pour une fraîche nuit toi et moi. Elle n’a aucun sens de l’humour cette espèce de vieille branche croulante ! » La piquante brunette avait adopté un regard horrifié tandis qu’elle imaginait non sans un étrange amusement le rapport prochain qu’allait entretenir Caine avec elle. Quelque chose lui disait que Marjorie Maryweather allait lui donner plus de fil à retordre encore que sa fille… « D’habitude, je trouve que la collaboration c’est à chier mais je pense qu’on va bien s’entendre. Tu es le plus calme de nous deux, tu seras le gentil flic… et moi je dégomme les tronches façon puzzle s’ils ne répondent pas assez vite, ça te va ? Ne me regarde pas comme ça, je déconne ! Je serais douce comme un agneau. Enfin presque. »