Il était étrange de voir à quel point nos vies étaient différentes. Nous nous connaissions depuis toujours – pour ainsi dire – et pourtant, nous étions réellement différents. Si moi je n’avais jamais été amoureux et n’avait jamais ressenti mon cœur battre tellement fort à la vision de la femme aimée – même si je connaissais le cœur semblant vouloir s’échapper de ma poitrine lorsque j’étais proche de Lexie, mais ce n’était probablement pas la même chose – il l’était et même trop, puisqu’il l’était de deux femmes. A croire que dans notre amitié, il était celui qui avait le monopole de l’amour et qu’il aimait pour deux – c’était le cas de le dire ! – tandis que je lui cédais ma place. Je me demandais à partir de quand c’était arrivé. Probablement quand Melissa m’annonça sa grossesse. J’avais tant voulu faire les bonnes choses, que je m’étais probablement perdu au passage. Mais je ne regrettais absolument pas. Si je ne l’avais pas fait, il était fort probable que je n’aie jamais eu la chance de partager ma vie avec Jamie. Je ne l’aurais pratiquement pas vue en fait. Entre mes études de médecine qui me prenait déjà tout mon temps puis ne parlons même pas de l’internat, je serais clairement passé à côté de ma fille. Donc comment regretter d’avoir épousée Melissa ? Ce que je regrettais, c’était de ne pas avoir divorcé lorsque Jamie avait une dizaine d’années. Cela aurait été plus simple, et elle ne se serait pas posée de questions. Alors que maintenant, elle risquait de m’en vouloir et de briser la relation fusionnelle que nous avions. D’où mon hésitation. Il n’y avait pas que moi en jeu. Il y avait principalement ma relation avec ma fille et j’étais réellement prêt à tout pour que rien ne change entre nous. Ce que je ressentais pour ma fille était tellement puissant, que je ne pus m’empêcher de demander – pour la millième fois, probablement – à mon meilleur ami s’il ne voulait réellement pas d’enfant. Comment passer à côté de l’amour d’un enfant ? Je n’en avais aucune idée, mais c’était son choix après tout. « J’ai bien été père pendant toutes mes études et mon internat. Et je passe toujours la majorité de mon temps à l’hôpital je te signale ! » lui répondais-je dans un rire franc. « Et ce n’est pas dingue. Je suis père, donc je sais ce qu’un enfant apporte dans la vie, c’est tout. »

Ce serait mentir que de dire que je ne comprenais pas sa réaction à l’idée d’avoir un enfant. En plus d’être le pire moment pour lui d’avoir un bébé, avoir un enfant était un réel engagement. On ne pouvait pas juste arrêter d’être père, juste parce qu’on en avait plus envie. Même si mon emploi du temps avait toujours été très rempli – et encore, malgré tout, cela s’était calmé depuis que j’étais titulaire, et non plus interne, où là je faisais bien plus que 90 heures par semaine – ma fille avait toujours été ma merveille, celle pour qui je rentrais le soir, au lieu de simplement dormir à l’hôpital après une dure journée par exemple. Et mes jours de congés, je les prenais en fonction d’elle. Son anniversaire par exemple. J’éteignais carrément mon biper ce jour-là, pour être sûr de ne pas être dérangé, tout comme il était hors de question d’allumer la télévision, de peur que les informations n’indiquent qu’un grave accident venait d’avoir eu lieu. Et puis mes vacances, même si elles n’étaient que de deux fois deux semaines par an, je les prenais quand elle-même était en vacances. Bref, elle passait avant tout le reste en fait. Et est-ce que Vitaly serait capable de s’engager à ce point ? J’avais même été surpris qu’il se marie, c’était dire. « C’est vrai que je suis plutôt patient … » répétais-je en occultant les autres caractéristiques qu’il me donnait. « Et il est également vrai que tu es plutôt … impulsif, aussi … » continuais-je, hésitant sur le terme qui lui correspondrait le mieux. « Mais ça ne veut pas dire que tu serais un mauvais père. Sérieusement, je ne t’imagine vraiment pas encastrer un bébé dans le mur simplement parce qu’il pleure de trop. » dis-je dans un petit rire, même si je savais parfaitement que mon meilleur ami exagérait lui aussi la chose. « Après en effet, maintenant n’est clairement pas le meilleur moment, vu dans quoi tu t’es fourré ! Mais dans quelques années, qui sait ? » répondais-je en haussant les épaules, avant de reprendre dans un rire franc. « Et puis pourquoi je n’aurais pas le droit d’être parrain moi aussi, hein ? »

Même si je savais pertinemment que devenir père demandait quelques sacrifices et ajustements, je savais aussi tout ce que cela apportait. Je me rappellerais toujours du jour où Jamie était née et qu’elle m’avait regardé pour la première fois. Le regard qu’elle avait dans ses yeux, qui semblait si curieux, et le sourire qu’elle m’avait donné ensuite, resteraient gravé à jamais dans ma mémoire. J’aurais réellement aimé avoir une grande famille et donner à Jamie des petits frères et petites sœurs. Avoir une maison remplie d’enfants avait toujours été mon rêve. Bien sûr, c’était trop tard maintenant. Et je savais que je ne devais pas attendre cela de Melissa. Après tout, lorsqu’elle était tombée enceinte pour une deuxième fois, quatre ans après la naissance de Jamie, elle avait décidé d’avorter. J’avais alors compris que nous n’en aurions plus d’autres, malgré le désir que j’en avais. Je ne savais même pas pourquoi elle m’avait dit être enceinte, alors qu’elle savait que cela me mettrait en joie, pour ensuite me dire qu’elle ne comptait pas le garder. Je ne savais même pas si j’aurais préféré qu’elle me le cache. Après tout, notre relation n’était pratiquement basée que sur des faux semblants, donc un de plus ou de moins … Mais bon, j’avais pu la soutenir le jour de l’avortement, tenant sa main jusqu’au bout, et j’imagine que c’était là aussi le rôle d’un mari, non ? Ce qui était certain, c’est que Jamie m’avait apporté tant de choses, que j’aurais aimé que mon meilleur ami vive ce bonheur un jour. Mais il était vrai que nous étions différents et n’avions pas la même façon de penser à ce sujet. « Mais bien sûr que tu ne sais pas de quoi je parle ! » lui répondais-je dans un rire à propos de sa double relation amoureuse. Apparemment, même en évoquant que cela pourrait se faire dans quelques années, il ne semblait pas du tout convaincu. « Tu n’as pas l’âge d’être grand-père voyons ! Moi, à la rigueur vu que ma fille a 17 ans. Et encore, j’espère qu’elle attendra un petit moment, je suis bien trop jeune pour devenir grand-père ! Mais je l’ai eu jeune je te signale ! La majorité des couples ont un enfant vers la trentaine, voir la quarantaine maintenant ! » répondais-je offusqué. Nous n’étions pas si vieux quand même ! Je tentais le dernier argument dans un rire, comme quoi je voulais moi aussi être parrain un jour. Et sa réaction me fit doublement rire. « J’avais oublié que monsieur était susceptible dis donc ! » continuais-je sans perdre mon rire. Puis un investisseur demanda à me voir et je dus finir par m’éloigner – après tout, j’étais ici pour récolter des fonds à la base. Je lui lançais un   « Cette conversation n’est pas finie ! » dans un rire, avant de rejoindre les autres.