« Tu devrais nous accompagner Kaleyna, cela te sortirait un peu de cette affaire sordide et puis tu ne peux pas rester au travail aussi tardivement tous les soirs. Personne ne t’attend après tout ? » résonna dans le bureau la voix de Mary, mon assistante. Je savais qu’elle ne pensait pas à mal avec sa remarque sur mon célibat mais mon regard se durcit de lui-même tandis que je la toisais avec froideur. Je vis son expression enthousiasme se ternir tandis que ses épaules s’affaissaient. « Je te prie de m’excuser, je ne pensais pas à mal c’est simplement que depuis ton agression, tu ne sembles pas prendre le temps de réellement vivre bien qu’il y ait eu une amélioration ces derniers jours » se reprit-elle tandis que je fermais le dossier sur mon bureau. Elle n’avait pas tort, l’agression que j’avais subie ainsi que ma rupture avec Jayden avaient mis à mal ma vie même si entre temps, nous nous étions remis ensemble mais ce mois de rupture nous avait fait mal. Sur bien des plans. « D’accord, laisse-moi simplement le temps de me refaire une beauté et je te suis. Où est-ce que tu vas encore me trainer ? » soupirais-je en lui lançant un regard las car je connaissais Mary pour savoir que je pouvais me retrouver au salon de l’agriculture sans même le vouloir –où à celui de l’érotisme, c’était au choix selon ses humeurs. « Au lancement du second livre d’un auteur que j’apprécie particulièrement ! Il a un style fou et je ne te parle même pas de son sex-appeal » gloussa-t-elle tandis que je la dépassais pour rejoindre les toilettes des femmes, laissant simplement un « Hum hum » répondre pour moi.

Trois quart d’heure plus tard, nous étions finalement entrées à cette soirée grâce aux invitations qu’elle avait réussi à dénicher je ne savais où. Toutefois, en voyant les tenues proprettes des invités, je me fis la réflexion que j’avais bien fait de dépenser une folie pour ce petit tailleur qui me mettait particulièrement en valeur bien que je ne cherchais à séduire personne. Un amant me suffisait amplement surtout que dans quelques jours, j’allais rencontrer la fille de Jayden. Rien qu’à cette pensée mon cœur s’emballa mais je ne pouvais que m’en vouloir à moi-même puisque j’étais l’unique responsable de cet ultimatum. Je n’en pouvais plus de me cacher, je ne voulais plus de cela mais comme je ne pouvais pas me passer de Jayden Hamilton pour autant, je me retrouvais coincée avec mes propres contradictions. Je faussais tout de même rapidement compagnie à Mary, attrapant une flute de champagne tout en voguant dans la pièce jusqu’à dénicher une pile de livre. J’en attrapais un pour le retourner et examiner la quatrième de couverture. En effet, l’homme était séduisant et le livre semblait intéressant à lire. Ma foi, je n’avais peut-être pas perdu ma soirée, c’était toujours une pensée positive songeais-je en buvant une gorgée de champagne. Je cherchais Mary du regard, la retrouvant pendu aux bras d’un homme marié. Comment le savais-je malgré l’absence d’une alliance ? L’habitude. Avant de rencontrer Jayden, j’avais suffisamment expérimenté les relations extra-conjugales pour dénicher un homme marié les yeux fermés. Malheureusement pour moi, il avait fallu que je succombe aux charmes de l’un d’eux. Finalement, cette soirée n’était pas une bonne idée, je ne faisais que ressasser les choses inutilement. J’en étais là dans mes réflexions quand un homme m’aborda.

Venir à cette soirée avait été une bonne et une mauvaise chose. Bonne dans le sens où cela me sortait un peu du travail, me forçait à ne pas négliger une vie sociale mais dans un même temps, je ne pouvais que mesure la solitude qui était la mienne. Certes, Jayden et moi nous nous étions remis plus ou moins ensemble avec cette épée de Damoclès qui était de dire la vérité à sa fille mais la donne restait inchangée pour autant. Je n’étais que sa maîtresse et à aucun moment, nous pourrions nous rendre à ce genre de soirée ensemble, en tant que couple. Voilà ce qui me désespérait le plus dans cette histoire, c’est que même en le disant à sa fille, nous resterons cachés aux yeux des autres pourtant je l’aimais et j’avais la naïveté de croire qu’il en allait de même de son côté. Est-ce mal que de vouloir avoir une vie normale ? De pouvoir s’aimer librement sans se poser de question, sans regarder derrière son épaule au cas où nous serions espionnés ? Je ne savais pas si je pourrais supporter cette situation encore un an et pourtant c’est ce que me demandait Jayden. Etre la maîtresse, celle a qui l’on sourit quand l’autre à le dos tourné et qu’on fait mine d’ignorer en public pour mieux étreindre à l’abri des regards indiscrets. « Bonsoir ... Je suis Vitaly James-O'Neil. » vint se présenter l’auteur du livre. Je devais avouer que la photographie présente sur la quatrième de couverture ne lui rendait pas justice. L’homme était réellement doté d’un physique des plus plaisants et sans nul doute aurais-je pu y être sensible si un certain médecin ne faisait pas déjà battre mon coeur. « Bonsoir. Je sais lire, merci » répliquais-je avec un léger sourire, fidèle à moi-même en public à savoir ce mélange d’ironie et de froideur enrobé d’un zeste de politesse teintée de douceur. Un mélange relativement explosif. Je serrais donc la main tendue lorsqu’il reprit la parole « Vous êtes Kaleyna ? » . A ses mots, je me crispais, lui lançant un regard des plus méfiants tandis que je retirais plus ou moins brusquement ma main de la sienne. « Mademoiselle Barrow je vous prie » répondis-je sur un ton un peu plus rafraîchit tandis que je le toisais, essayant de me rappeler où est-ce que j’aurais pu le croiser mais rien ne me venait. Je ne le connaissais pas le moins du monde alors comment diable pouvait-il me connaitre ? Avais-je eu à faire à lui dans le cadre de ma profession de substitut du procureur ? Peu de doute, un homme aussi élégant et charismatique ne m’aurait guère laissée indifférente. Aussitôt, la méfiance me fit me faire des films. Je le voyais déjà à la solde d’Edgar prêt à me jeter en pâture à ce dernier dès que j’aurais le dos tourné. « Nous nous connaissons ? » lui demandais-je sur un ton méfiant tout en dardant sur lui un regard des plus rafraichissants.  Je savais que je me montrais bien trop méfiante avec le commun des mortels mais mon expérience personnelle ne me laissait guère d’autre choix que celui-là. Après tout mon ancien fiancé avait essayé de me tuer parce que je renonçais au mariage l’empêchant dans un même temps de toucher le pactole. Aussi, par mesure de prudence, je préférais de loin me montrer prudente. Oh bien sûr, il ne m’était pas venu une seule seconde à l’esprit que Jayden ait pu parler de moi à un ami et que ce dernier m’ait reconnu grâce à une photo. C’était tellement tiré par les cheveux que la thèse d’un complot me paraissait bien plus réalise et séduisante.

Kaleyna Barrow. Belle plante d’un mètre soixante et un au caractère aussi trempé qu’exécrable. Voilà comment les personnes me fréquentant au quotidien pouvaient me qualifier. Ils n’auraient pas tort loin de là s’en faut mais disons qu’ils se tromperaient également sur toute la ligne. Je n’étais pas abordable très facilement et je pense que j’employais là un euphémisme des plus déconcertants mais qu’importe, je ne pouvais guère changer qui j’étais. Jayden avait eu le droit au même traitement que cet homme lui en déplaise et encore aujourd’hui, lorsqu’il me voyait parler aux gens, je pouvais sentir son regard désapprobateur. Jayden voulait que je me montre comme j’étais avec lui à savoir douce, chaleureuse, un brin taquine mais toujours pleine d’esprit. Je ne pouvais pas même si j’avais bien conscience que mon comportement hautain le blessait et qu’il aimerait pour une fois qu’une personne puisse me voir comme lui me voyait. Le problème était que je n’avais confiance en personne mise à part mon cousin Jeremiah et Jayden. Comment me montrer chaleureuse et avenante quand je pouvais me confronter à un des sbires d’Edgar ? Combien même toute la population New Yorkaise ne travaillerait pas sous ses ordres, l’expérience m’avait montré que j’avais le chic pour justement tomber sur ce genre-là. Ce Vitaly connaissait mon prénom, il m’avait abordé dans ce sens et je ne pouvais que me braquer et me montrer revêche dans l’unique but de le faire déguerpir. Malheureusement pour moi, il semblerait que cet homme n’était pas aussi impressionnable que je ne l’avais espéré. « Je ne connaissais pas votre nom, mademoiselle Barrow. » me répondit-il sur un ton où perçait désagréablement l’ironie. Un léger sourire étira brièvement le coin gauche de mes lèvres tandis que je le toisais toujours avec ce mélange de froideur et de méfiance. « Eh bien maintenant c’est chose faite puisque les présentations sont terminées » répondis-je sur le même ton tandis que mon regard dévia quelques secondes comme un appel à l’aide destiné à nulle autre que Mary mais cette dernière continuait de conter fleurette à son homme marié. Je soupirais intérieurement. Je revins donc à l’auteur pour lui poser la question qui me brûlait les lèvres. D’où nous connaissions-nous. Sa réponse me laissa perplexe et l’espace d’un instant, je posais sur lui un regard confus. « Un ami ? » lui demandais-je presque timidement. Ma voix n’avait jamais autant reflété une certaine fragilité car j’avais très peu d’amis. En réalité mes amis se comptaient sur les doigts d’une seule main et encore. « Il m'a un peu parlé de vous. » insista-t-il tandis que je fronçais les sourcils. Dans mes connaissances, je ne voyais guère de personnes pouvant fréquenter un écrivain. Je dois dire que je devais lui offrir un drôle de spectacle comme si le simple fait de parler d’amitié me chamboulait et pourtant, c’était le cas. J’étais totalement perdue dans mes réflexions que j’en sursautais presque quand une intuition me poussa à poser cette question. « Jayden Hamilton ? » osais-je donner le nom de mon amant sans trop y croire. Je ne voyais pas le rapport entre ce dernier et cet écrivain si bien que nerveusement, je me passais une main dans les cheveux, ramenant une mèche derrière mon oreille tout en penchant la tête sur le côté. Je crois que ma méfiance allait exploser des sommets car voilà que désormais, je n’osais plus rien dire de peur de porter préjudice à Jayden car on pouvait me reprocher énormément de chose mais pas celle-ci. J’étais même très protectrice envers Jayden car il avait beaucoup plus à perdre dans cette histoire que moi. Après tout, n’étais-je pas la championne pour disparaitre en changeant d’identité ? Telle était la vie d’une héritière en cavale.

L’amitié avait toujours été une denrée rare chez moi pour la simple et unique raison que j’avais connu mes premiers émois amicaux en arrivant à Paris, soit dix ans après ma naissance. Mon père, fou de douleur à la perte de sa femme s’était mis en tête de me préserver par tous les moyens. Malheureusement pour moi, il s’était avéré que le plus efficace de tous, avait été de m’enfermer loin de tout et de tous. Aussi, à sa mort, une partie de moi avait espéré me libérer de mes chaines mais ma prison n’en avait que plus difficile à supporter sous le joug d’Edgar. Alors oui, désormais, je fuyais pour ma vie mais aussi pour ma liberté et je ne laissais que rarement les gens m’approcher de peur de me fourvoyer une nouvelle fois. Jayden avait pourtant réussi non seulement à passer outre mon sale caractère mais à me faire tomber en amour pour lui. Comment résister à sa chaleur, à sa gentillesse quand vous ne réclamiez qu’un peu d’amour et tendresse ? C’était impossible et depuis deux ans que durait notre relation, je n’avais fait qu’entrevoir le monde dans son regard si bien qu’il me connaissait comme personne avant lui, pas même Harold et Carol, mes faux parents. « Lui-même. » me répondit-il tout en hochant la tête. Je restais perplexe car mine de rien, j’étais touchée que Jayden parle de moi. Après tout, je m’étais toujours imaginée n’être qu’une simple maitresse qu’on cache aux yeux des autres alors entendre de la bouche d’un inconnu que mon amant, l’homme que j’aimais plus que tout parlait de moi –et surtout en bien, me fit perdre la parole pour un temps. En fait, je crois qu’il m’aurait annoncé que le père noël existait que je n’aurais pas eu autant de bonheur dans le regard mais très vite ce dernier s’effaça pour laisser place à cette imperturbable froideur. « Je présume que vous devez avoir beaucoup de mal à croire ses paroles n’est-ce pas ? » plaisantais-je avec ironie car je me doutais que je devais détonner du portrait quasi idyllique que lui avait brossé Jayden. Dans un sens, cela me peinait car je m’imaginais bien que cet homme devait être proche de lui pour qu’il lui parle de moi. Un ami ? Un meilleur ami peut-être ? « En fait, il m'a toujours à peu près tout dit sur tout. Il ne fait apparemment pas de même avec vous. » ajouta-t-il peu après tandis que j’arquais un sourcil des plus hautains. Il marquait un point, Jayden ne m’avait guère parlé de lui. En réalité, mise à part sa femme et sa fille, je ne connaissais pas grand-chose de l’entourage de mon amant et cette constatation ne fit que m’affliger si bien que pour la seconde fois depuis le début de cette discussion, je peinais à conserver mon masque de froideur. En réalité, j’avais mille et une question à lui poser sans trouver ne serait-ce par quel bout commencer. « Il est vrai que nous ne parlons pas beaucoup du moins, il ne me parle pas réellement de son entourage. Je présume qu’il ne juge pas cela utile » répondis-je après un court silence tandis que je terminais d’une traite ma flute de champagne pour retrouver une certaine contenance. Je ne désirais pas me battre ce soir, en réalité, j’étais même las de devoir toujours me protéger de tout et de tout le monde sans arrêt. « Quel lien avez-vous avec Jayden ? Je pencherai pour ami voire meilleur ami car je me doute que ce n’est pas au premier venu que Jayden irait se confier au sujet de sa maitresse non ? » soupirais-je. Je m’étais exprimée sans ironie ni agressivité mais plutôt avec lassitude. « Pourquoi venir m’aborder ? Est-ce le refrain purement amical consistant à me dire que si je le fais souffrir vous ferez de ma vie un enfer sur Terre ? » ajoutais-je avec un léger rire nerveux.

J’ignorais bien la teneur des propos de Jayden à mon encontre mais je connaissais suffisamment mon amant pour savoir qu’il avait dû brosser un portrait des plus flatteurs. Je ne pouvais pas le blâmer puisque je savais qu’il n’irait pas mentir sur mon compte mais le problème, c’est qu’entre ses paroles et mon comportement, il y avait un véritable fossé. Jayden ne comprenait pas toujours pourquoi je me montrais aussi froide et hautaine avec les gens, je savais qu’il aimerait que je me montre différente, que je laisse éclater au grand jour ma véritable personnalité à savoir celle qu’il connaissait et dont il était tombé amoureux. Malheureusement je n’y arrivais pas, perdu entre ma méfiance naturelle et mon envie de me préserver. J’avais trop souffert par le passé et je continuais de souffrir pour la simple et unique que je ne pouvais pas être moi. Véritablement moi. Seulement qui étais-je au fond ? L’héritière en cavale depuis ses dix-huit ans ou la substitut du procureur qui s’était construite une vie depuis à New York depuis six ans ? Bonne question. « Je ne mettrai jamais sa parole en doute. Je suis seulement en train de me demander si nous avons la même définition des termes qu'il a employé pour vous définir ... » me répondit-il avec sincérité –du moins avais-je cette impression. Cet homme ne se cachait pas de son opinion à mon sujet et quelque part, je trouvais cela noble de sa part bien que beaucoup de femmes en auraient été vexées pour moins que cela. « Jayden a toujours été un grand optimiste devant l’éternel » rétorquais-je avec le plus grand calme bien qu’une lueur de tendresse avait éclairé mon regard l’espace d’un très court instant. Parler de Jayden me rendait toujours aussi douce bien que mon environnement présent me poussait bien malgré moi à me montrer toujours aussi froide et hautaine face à cet homme. D’ailleurs mise à part sa profession et son identité, j’ignorais toujours qui il était réellement pour mon amant. Un ami ? Un meilleur ami ? Après tout, ce n’était pas à n’importe qui que ce dernier irait se confier. Je le voyais mal crier sur les toits notre liaison à moins d’avoir raté tout un épisode en cours de route. Non, je sentais que Jay et cet homme étaient réellement liés. Appelons cela l’intuition féminine ou tout simplement déformation professionnelle. Je ne pus m’empêcher d’ailleurs de lui poser directement la question, lui donnant clairement mon avis quant à la réponse. « Nous nous connaissons depuis le jardin d'enfants. On peut donc considérer que je suis son meilleur ami, en effet. » me confirma-t-il tandis que je réattaquais dans la foulée pour lui demander les raisons de notre rencontre. Après tout, cela n’expliquait toujours en rien pourquoi, il s’était mis en tête de m’aborder au cours de cette soirée. J’espérais secrètement qu’il ne viendrait pas me chanter ramona car à fleur de peau comme j’étais, je risquerais de me montrer particulièrement hargneuse. « Si vous l'aimez vraiment, le fait de le faire souffrir vous détruira en même temps. Je crois que la punition est suffisante. » commença-t-il par me répondre en haussant les épaules avant de poursuivre « Je voulais seulement faire la connaissance de la femme dont mon meilleur ami est amoureux. Et je dois reconnaître que je ne m'attendais ... Pas vraiment à ça. » Et bien nous étions deux. Je ne m’étais pas le moins attendu à me retrouver face à face avec l’ami d’enfance de mon amant et encore moins à lui faire la conversation. Je soupirais, jouant avec la flute de champagne vide se trouvant toujours dans mes mains. En réalité, je ne savais pas vraiment quoi lui dire. Cet homme n’était visiblement pas à la solde d’Edgar alors peut-être pourrais-je me détendre un peu sauf que cette fois-ci, je me sentais presque sous les feux des projections à question pour un champion. « Loin de moi l'envie de blesser Jayden mais je n’ai pas à vous convaincre de tout de manière. Le seul a qui je rends des comptes se trouve être Jayden » débutais-je froidement presque agressivement tant je me sentais sur la défensive avant que je ne balaie l’assemblée du regard pour mieux poser ma flute sur le plateau du premier serveur passant à portée. Je m’approchais par la suite de Vitaly, glissant mon bras dans le sien pour mieux le pousser à me suivre. « Je ne cherche pas à vous amadouer ni même à me montrer trop familière avec vous mais si Jayden vous a réellement parlé de moi, il vous aura confié que je n’aime absolument pas me donner en public ni même parler de ma vie privée devant un auditoire » lui expliquais-je la raison d’un tel revirement tandis que je le conduisais vers une des terrasses. Arrivée à destination, je relâchais mon étreinte pour mieux m’accouder à la balustrade. « Autant jouer carte sur table, vous me trouvez froide et hautaine voire méprisante. Je ne nierais pas les choses puisque c’est exactement l’effet que je recherche mais je sais aussi que Jayden m’en voudrait si jamais cela lui remontait aux oreilles. Il ne supporte pas de me voir évoluer en public car il ne supporte pas la femme que je suis pendant ces moments-là… Je ne sais même pas pourquoi je me justifie auprès de vous, peut-être est-ce simplement mon besoin de faire plaisir à Jayden » murmurais-je sur la fin de mon petit monologue tout en me retournant pour le fixer moins froidement.

Un romancier québécois a dit un jour une phrase qui m’a marqué profondément : Nous portons tous des masques, mais vient un temps où on ne peut plus les retirer sans s’arracher la peau. Cette phrase m’avait touché car elle me correspondait en tout point. Je portais un masque depuis ma plus tendre jeunesse. Je crois que je n’avais jamais réussi à me montrer telle que j’étais réellement avant de rencontrer Jayden. Je ne savais tout simplement pas comment faire. Au départ, ce masque avait été créé pour dissimuler ma tristesse et ma solitude à mon père qui m’avait condamné à une vie de recluse soi-disant pour mon propre bien. Ensuite, il avait été pour me dissimuler aux gens pour qu’ils ne devinent pas ma réelle identité alors que je fuyais pour la première fois Edgar. Par la suite, ce masque s’était mué en véritable bouclier pour me protéger des gens, pour éviter des souffrances inutiles, pour tenter de sauver ce qui restait de mon cœur brisé. Adriel ne l’avait pas seulement piétiné, il me l’avait arraché, il l’avait torturé et fait saigner sans l’ombre d’un scrupule. J’en avais tellement souffert que je n’avais jamais pensé que je pourrais un jour aimer à nouveau mais Jayden était entré dans ma vie et l’avait bouleversé. Au départ, je n’avais rien vu venir. Il était un homme parmi tant d’autres, un médecin, rien qui ne justifiait un attachement quelconque. Pire, je m’étais montrée aussi hautaine en sa présence que je ne l’étais avec Vitaly. Puis, au fil des rencontres, mon amant m’avait touché, il avait su se frayer un chemin vers mon cœur pour l’entourer de douceur, pour panser ses blessures et le faire battre à nouveau. Oh quelle n’avait pas été ma panique en prenant conscience de mes sentiments à son égard mais le mal était fait : j’étais tombée amoureuse de Jayden Hamilton. « Ce sont toutes ces petites choses qui font de Jay ce qu'il est. » me répondit-il et j’hochais la tête, perdue dans le passé, dans mon passé avec cet homme que nous avions en commun. « Il est vrai » me contentais-je de répondre peu après. Jayden était un homme bon, un homme sur qui l’on pouvait compter les yeux fermés mais aussi un homme très seul, enfermé dans un mariage sans amour. Est-ce sa solitude qui avait fini par me faire ployer sous son charme définitivement ? Sûrement.

Toutefois, je n’avais pas envie de discuter de cela en public avec Vitaly. Je n’étais pas une personne très démonstrative certes mais l’idée même de défrayer la chronique ne m’intéressait pas le moins du monde si bien que j’entrainais mon interlocuteur vers la première terrasse de libre que je trouvais. Je notais avec amusement qu’il semblait surpris de mon comportement et une partie de moi en fut satisfaite. Je me doutais qu’il avait une idée précise quant à la façon de me cataloguer mais peu importe. Je ne pouvais pas lui lancer la pierre d’avoir une piètre opinion de moi. Pour autant, par amour pour mon amant, je ne désirais pas qu’il la conserve. Il m’importait peu de savoir ce qu’il pensait de moi car dans le fond, il restait un parfait inconnu et à ce titre, je n’avais aucun compte à lui rendre. Malheureusement, il était aussi l’ami d’enfance de l’homme que j’aimais et je savais que Jayden en serait peiné si jamais Vitaly venait à lui expliquer notre rencontre. Et ça, je ne pouvais le tolérer pas alors que nous arrivions à peine à nous retrouver suite à notre rupture. « Je me disais aussi, qu'il était étrange que Jayden soit tombé amoureux d'une femme comme ... » commença-t-il et le vous était si criant que j’arquais un sourcil moqueur tandis qu’un léger sourire amusé fleurissait sur mes lèvres. Je n’étais ni choquée ni vexée par cela, loin de moi-même. En réalité, je trouvais cela très comique qu’il retienne ce vous qui semblait pourtant lui démanger les lèvres. « Enfin c'est sans importance de toute façon. Je ne juge pas. Et encore moins les décisions, sentiments et goûts de mon meilleur ami. Je préfère supposer qu'il n'est pas tombé amoureux de vous par hasard. » termina-t-il et sans que je ne contrôle quoique ce soit, je me hissais sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue. « Quant à moi, je commence à comprendre pourquoi vous êtes le meilleur ami de Jayden. Je pourrais m’excuser de mon comportement mais nous savons tous les deux que je ne le ferais pas pour la simple et unique raison que cela ne serait pas sincère. Je pourrais également vous montrer la femme que je suis lorsque Jayden est dans la même pièce mais je ne le ferais pas car j’aime à penser que je veux être vraie qu’en sa présence. » avouais-je dans un murmure avant de me reculer avec un sourire des plus amusés et taquin. « Pardonnez-moi pour cette bise mais je n’ai pas pu m’en empêcher. C’est bien la première fois qu’une personne daigne se montrer courtois alors que je n’ai rien fait pour mériter cela » lui expliquais-je alors mon geste impulsif montrant pour ainsi dire que je savais être une personne douce et spontanée. En fait, sans même le vouloir, je venais tout simplement de lui offrir un aperçu de ma véritable personnalité. « Parlez-moi de votre amitié, je suis curieuse d’en savoir plus sur vous mais aussi sur Jayden. S’il vous plait. »

Je ne savais pas ce qui me passait par la tête en ce moment précis mais je ne contrôlais pas grand-chose à croire que deux femmes étaient littéralement en train de se livrer un combat des plus acharnés au sein même de mon esprit. La première était déterminée à ne pas baisser sa garde, à continuer ce petit jeu habituel en oscillant entre impertinence et froideur. L’autre, plus raisonnable, restée profondément convaincue que ce n’était pas une solution à tous les problèmes bien au contraire. Elle souhaitait ardemment prouver au monde entier –Vitaly compris ; que je valais bien mieux que ce que je montrais à la face des gens. Il n’y a pas à dire mais se conduire comme une garce à temps plein pouvait se révéler bien plus difficile que ce que la croyance populaire sous-entendait. C’était même un travail en soit bien qu’au fil des années, j’avais pris le pli de revêtir ce masque avec de plus en plus de facilité et d’habileté. Or, la donne était différente aujourd’hui car ce n’était pas un inconnu qui se trouvait sous mes yeux mais bel et bien un ami de mon amant. Comment faire ? Continuer ce simulacre de pièce de théâtre ou faire tomber les masques ? Je choisissais de couper la poire en deux en me montrant bien plus avenante tout en ne perdant pas mon insolence au passage. Cela semblait lui convenir si j’interprétais bien son léger rire. « J'aurais au moins pu réaliser que vous n'êtes pas vraiment une garce. » me fit-il remarquer tandis que j’affichais une moue des plus boudeuses et mutine. « Et gardez donc votre vraie personnalité pour lui, oui. Il suffise qu'il me jure que vous êtes ainsi et pas autrement, pour que je le crois sans avoir besoin de preuve, de toute façon. » ajouta-t-il tandis qu’un fin sourire se profilait sur mes lèvres. « Décidément, Jayden aura le mérite ce soir, de me faire comprendre même en son absence qu’il sait s’entourer des bonnes personnes. Je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou au contraire m’en inquiéter » plaisantais-je avec légèreté avant justement de m’interroger sur leur amitié. J’avais tellement envie d’en apprendre plus sur lui que je me montrais bien trop curieuse à mon goût mais peut-être pouvais-je faire passer cela comme une simple déformation professionnelle et non la vulgarité d’une groupie en chaleur. « Que dire si ce n'est qu'on se connait depuis le jardin d'enfant ? Je crois l'avoir toujours eus dans ma vie en fait. Et il est exactement le même qu'il y a trente ans. En à peine plus mature ... » termina-t-il par me répondre, me laissant plus ou moins sur ma faim à croire que je ne serais jamais satisfaite et que ma soif de connaitre mon amant sur le bout des ongles ne serait jamais étanchée. « Il est rare de rencontrer des amitiés qui durent depuis aussi longtemps »commençais-je de manière assez rêveuse, songeant que j’aurais aimé avoir un ami autre que mon majordome et ma gouvernante. Je ne pouvais pas non plus me plaindre, père m’avait tout donné, tout offert sauf une vie en liberté. « Dans un sens, je suis soulagée qu’il vous ait, ces derniers temps, on ne peut pas dire que nous avions été à la noce tous les deux mais j’ai bon espoir que cela change dans les jours prochains. Jayden a dû vous parler de mon ultimatum n’est-ce pas ? » l’interrogeais-je bien que ma question tenait en tout lieu à de la simple rhétorique. « Me trouvez-vous égoïste si je vous dis que je ne désire qu’une seule chose, qu’il divorce ? »