Je sortais tout juste de l’opération de M. Anderson et me dirigeais vers la cafétéria, histoire de prendre un café pour me requinquer. Je ne savais pas encore si son opération s’était bien passée, ne pouvant le savoir qu’à son réveil, et c’était justement cette attente que je détestais. Je détestais ne pas savoir si cela avait fonctionné ou non. Normalement, je n’avais pas à m’inquiéter de cela, puisque j’étais chirurgien traumatique. Je m’occupais donc des personnes arrivant aux urgences dans un état grave, et il n’y avait que deux solutions lorsque je venais d’opérer : soit le patient était en vie, soit il n’avait pas survécu à ses blessures. Je n’avais donc pas à me préoccuper des réussites d’une de mes opérations, puisque je le savais en sortant du bloc. Sauf lors du cas d’un coma bien sûr, mais heureusement, les personnes tombant dans un coma après une opération – surtout que je n’étais pas neurochirurgien et ne touchais donc pas au cerveau – étaient très rares. C’était officiel, je n’étais plus en congés et venais de reprendre le travail. Bien sûr, j’adorais mon travail, mais passer une semaine entière avec Rebekah sans me préoccuper de ma femme ou de ma fille avait été un rêve devenant réalité. J’avais enfin eu l’impression que notre relation était totalement naturelle et qu’elle venait de soi, et non que j’étais en fait un mari infidèle. J’avais eu une vision de ce que donnerait notre futur, une fois que j’aurais demandé le divorce et dire que cela me plaisait était un euphémisme. Mais je ne pouvais pas demander le divorce, je ne m’en sentais tout simplement pas capable. Cela briserait ma fille, je le savais. D’ailleurs, je me demandais si elle n’avait pas des doutes et que ce n’était pas pour cette raison qu’elle n’avait voulue que partir avec sa mère, au lieu de me le demander à moi. Surtout que ma femme étant femme au foyer – et une femme au foyer ayant accès à une femme de ménage et à une personne faisant la cuisine – elle était tout le temps disponible pour partir, alors que ce n’était pas mon cas. Peut-être ma fille voulait se rapprocher de sa mère pour ensuite prendre sa défense lors du divorce et ne jamais me revoir … « Il faut donner un coup sur la machine pour qu'elle fonctionne. » m’exclamais en rejoignant mon geste à ma parole et en y donnant un petit coup, après avoir vu une jeune femme s’énerver dessus.

Je ne savais vraiment pas comment je réagirais si ma fille était au courant, et surtout si elle prenait le parti de sa mère. Oui, je n’étais pas parfait et trompais ma femme, mais était-ce un crime d’être enfin amoureux et de choisir le bonheur ? Je n’avais jamais aimé Melissa, même si Dieu seul sait à quel point j’avais pu essayer. Je n’étais resté avec elle que pour ma fille, parce que je savais que sinon, si je demandais le divorce, un juge préférerait donner sa garde à sa mère, qui était beaucoup plus disponible que je ne l’étais. Bien sûr, les revenus venaient de ma poche, tout comme l’assurance maladie, mais apparemment les juges préféraient ceux qui étaient tout en même temps : disponible, avec un joli patrimoine une bonne assurance. Sérieusement, à l’exception des héritiers, je ne voyais pas qui pouvait convenir. Parce que si je divorçais, ma femme n’aurait rien – nous avions signé un contrat, et je ne remercierais jamais assez ma mère pour m’avoir convaincu à le faire – ni argent, ni assurance et devrait donc trouver un travail pour subvenir aux besoins d’Alexis. Mais bon, malgré tout, les juges préféraient donner la garde à la mère plutôt qu’au père, c’était de notoriété publique. J’attendais donc patiemment les dix-huit ans de ma fille, et espérais vraiment qu’elle comprendrait pourquoi je demandais le divorce et qu’elle prendrait mon parti et non celui de sa mère. Après tout, sa mère lui avait tout de même dit de nombreuses fois qu’elle lui avait gâché sa vie, et ne lui avait jamais montré une once de tendresse. Malgré mes études prenantes ainsi qu’ensuite mon internat puis ensuite mon travail, c’était moi qui m’étais toujours occupé d’elle et cela avec grand plaisir. Autant dire que je serais grandement blessé si elle me tournait le dos simplement parce que j’étais amoureux et heureux. « On va changer les machines à café, c’est prévu dans le budget du mois. » répondais-je à l’intention de la jeune femme. « Heu non, je suis désolé mais ce n’est pas moi. Je viens seulement de reprendre aujourd’hui. J’espère que ce n’est pas trop grave … »

« Je vous en prie. » commençais-je, avant de froncer les sourcils en l’entendant parler de l’infirmière en chef du service. « Vous connaissez son nom ? Parce que je ne vois pas de qui vous voulez parler. » continuais-je. Parce que même si je savais à quel point le travail des infirmiers et infirmières était épuisant, ils devaient mettre tout cela derrière eux lorsqu’ils s’adressaient aux patients ou à leur famille. C’était l’une des choses les plus importantes à faire dans un hôpital et si cette personne ne le faisait pas, je n’hésiterais pas à la sanctionner. « Et non, je ne le prendrais pas mal, au contraire. Une partie de mon travail consiste à vérifier que mes employés font bien leur travail. » répondais-je, sérieux. C’était même une très grande partie. Heureusement, j’avais la meilleure des assistantes – même si elle était enceinte en ce moment et donc sur les nerfs – et cela me permettait de continuer la chirurgie traumatique, qui était ma véritable passion, même si j’adorais être le chef de la chirurgie et donc être en charge de mon hôpital. « Le docteur Watson est le meilleur donc si votre grand-père peut avoir une chirurgie, il sera entre de bonnes mains. » Je ne savais pas si c’était lui qui s’occupait de ce patient, mais comme il était à la tête du service de chirurgie cardiaque, tous les dossiers passaient de toute façon entre ses mains pour être analysés. « Oui, je veux bien un café. Merci beaucoup. » acceptais-je son offre dans un sourire. J’étais un véritable addict à la caféine. Je savais que ce n’était pas très bon pour le cœur – j’étais médecin après tout – et qu’il valait mieux se restreindre à quatre cafés par jour pour ma santé, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. En même temps, je ne savais pas si j’arriverais à tenir sans, mes journées étant, la majeure partie du temps, interminables et épuisantes.