Je détestais réellement les soirées de bienfaisance. Je les avais toujours détestées d’ailleurs. Donner de l’argent à des associations caritatives ne me dérangeait pas, au contraire, je le faisais depuis mon premier argent de poche. Bien sûr, au début ce n’était qu’à mon église, mais petit à petit, quand l’argent augmentait sur mon compte, les donations aussi. Mais demander de l’argent n’était réellement pas mon activité préférée. Pas que j’avais un problème d’égo ou autres – non, j’avais plutôt l’impression que mon égo était de taille normale – mais l’idée même de demander de l’argent aux autres me dérangeait. Ces personnes pourraient donner à tellement d’autres associations … Mais ce soir, je n’avais pas le choix. L’hôpital commençait à être en déficit à cause de la crise. Il n’avait jamais été très en forme – et je ne comprenais toujours pas que la santé puisse être dirigée comme un commerce – mais avec les patients qui avaient de moins en moins d’assurance, j’avais dû augmenter le budget des opérations pro-bono. Et nous commencions donc à être en déficit. D’où la soirée que j’avais dû organiser ce soir … Nous étions tous tirés à quatre épingles, à faire de grands sourires aux probables donneurs, dans l’espoir qu’ils donnent le plus possible. Je prenais une coupe de champagne qu’un des serveurs proposait – parce que oui, apparemment, même si nous avions des problèmes d’argent et que nous en demandions ce soir, il ne fallait pas le montrer et donc organiser une très grande soirée, chère donc – avant d’apercevoir Vitaly, mon meilleur ami. Un sourire illumina de suite mon visage. Je connaissais Vitaly pour ainsi dire depuis toujours. Réellement puisque nous nous étions rencontrés au jardin d’enfants. Et nous étions meilleurs amis depuis, à toujours pouvoir compter l’un sur l’autre – même si depuis que j’étais chirurgien, j’avais malheureusement moins de temps. J’allais à son encontre puis lui tapa gentiment sur l’épaule pour le saluer. « Vitaly ! Tu as pu venir finalement ! Comment ça va ? »

« Ça peut aller. » lui répondais-je dans un petit sourire. « Oui, je ne pensais vraiment pas qu’autant de monde accepterait de venir pour distribuer leur argent ! » continuais-je dans un rire. En regardant mon meilleur ami, je me demandais à quoi l’amour, le véritable amour, pouvait bien ressembler. Même si l’amour le mettait dans une situation compliquée, il avait la chance de le connaître, et plutôt deux fois qu’une – littéralement parlant, sans mauvais jeu de mots. Il était amoureux de sa femme et de la sœur de celle-ci et les deux l’aimaient en retour. Etait-ce grave de l’envier, d’envier sa vie ? Il la trouvait chaotique, et peut-être l’était-elle, mais j’avais tellement rêvé du grand amour quand j’étais jeune, d’un amour comme celui que mes parents se portaient, après toutes ces années. Bien sûr, en tant que véritable catholique, je ne cautionnais pas l’infidélité, mais je la comprenais. Je ne m’imaginais pas tromper ma femme et cela même si je ne l’avais jamais aimée. Nous nous étions mariés quelques mois après la naissance de ma fille – et donc à ma majorité – et seulement pour ma fille. Pour lui offrir un véritable foyer, une famille. Mais je me disais que j’aurais dû écouter ma mère ce jour-là, quand elle me disait que je n’étais pas obligé de me marier et que cela ne m’empêcherait pas de voir ma fille. Mais l’aurais-je vu autant si je ne m’étais pas marié avec Melissa ? Probablement pas. Je ne regrettais donc pas ce mariage sans amour, et avais même fini par apprécier Melissa, en quelque sorte. Après tout, elle avait mis au monde ma fille, ma Jamie, la merveille de ma vie. Je ne pouvais que l’apprécier, non ? Et pour cela, je lui devais aussi mon respect. Et c’était donc pour ça que je ne l’avais jamais trompée. Bien sûr, cela m’était déjà passé par l’esprit, surtout ces derniers temps, depuis ma rencontre avec Lexie, même si je refusais de me l'avouer. « Et les amours ? » lui demandais-je en me passant la main dans les cheveux.

J’étais moi-même plutôt impressionné par la foule qu’il y avait ce soir. En même temps, notre équipe avait pas mal fait la promotion de cette soirée. Nous avions tous été en contact avec des patients qui avaient les moyens. Que nous leur ayons sauvé la vie, sauvé la vie de leurs enfants, voire simplement mis au monde leurs enfants, cela aidait grandement pour les inviter à cette soirée de bienfaisance. Et nous n’avons essuyé aucun refus, ce qui était probablement le plus impressionnant. L’organisatrice de cette soirée avait dit qu’environ dix pour cent seulement des invités y allaient vraiment. Nous n’avions donc pas lésiné sur le nombre d’invités, en prenant en compte ce chiffre. Elle s’était bien trompée, puisqu’environ quatre-vingt-dix pour cent étaient présents ce soir. Peut-être que ce n’était pas la même chose dans le milieu hospitalier que pour une entreprise ? Après tout, nous avions réellement été là pour toutes ces personnes et les avions réellement aidés, que ce soit eux ou un de leurs proches. La différence était probablement là. Après tout, comment dire non au médecin qui nous a sauvé la vie ? Comment refuser de donner de l’argent au chirurgien qui a sauvé notre enfant ? Puisque si la personne ne donnait pas d’argent, le chirurgien en question risquerait de ne plus pouvoir sauver l’enfant d’une autre personne. Je me concentrais sur mon meilleur ami, et culpabilisais. Comment un catholique pouvait-il envier une double vie ? Parce qu’après tout, c’était à peu près ce qu’il vivait. Deux vies, deux amours. Mais il était aimé, et par deux fois. Et je l’enviais pour cela. « Et tu l’as dit à Serena ou elle n’est toujours pas au courant ? » lui demandais-je, un peu gêné. Je ne savais jamais quoi lui dire pour l’aider. J’aurais tellement aimé pouvoir trouver la solution miracle à son problème. Mais non, je ne pouvais que l’écouter et rien faire d’autre, malheureusement.

Je n’étais largement pas le plus doué pour les relations. En même temps, techniquement parlant, je n’en avais jamais réellement eu. J’avais rencontré Melissa lorsque j’avais seize ans, avait passé la nuit avec elle comme je le faisais avec les jeunes filles que je trouvais jolies à l’époque – oui, à cet âge, je ne me posais pas beaucoup plus de question que cela – elle était tombée enceinte, j’avais emménagé avec elle et dès que j’avais atteint ma majorité, je l’avais épousée. « Oui, c’est vrai que tu serais probablement en train de mourir de faim quelque part … » tentais-je dans un rire pour alléger l’atmosphère. Techniquement parlant, ma femme était donc la seule avec qui j’avais eu ce qui ressemblait le plus à une relation. Et je ne l’aimais pas et ne l’avais jamais aimée. A un moment, j’avais cru que je pourrais un jour l’aimer. Puis elle était tombée de nouveau enceinte mais avait décidé cette fois-ci d’avorter, malgré le fait que j’avais toujours rêvé d’une grande famille. Si je l’avais laissé faire, voire même soutenu et tenu la main ce jour-là – après tout, j’étais pour les droits des femmes, et l’avortement en faisait parti et je n’avais donc pas à disposer de son corps – quelque chose s’était définitivement brisé entre nous. Et nous avions tout simplement arrêté de nous parler. Il était donc probablement normal que je n’arrive pas à donner de bons conseils à Vitaly, comme un meilleur ami devrait le faire. En plus d’envier sa situation, en quelques sortes, je n’étais pas vraiment le mieux placé pour la comprendre. Mais bon, je tentais du mieux que je le pouvais, même si ce n’était pas suffisant, au moins, il avait une oreille attentive. Et puis, j’espérais qu’il savait que si cela se passait mal, il pourrait rester chez moi quelques temps – au moins, il ne mourrait pas de faim, c’était sûr, et ne serait pas seul. « Je ne sais pas si c’est de l’égoïsme … Je pense que tu es perdu, que tu les aimes toutes les deux, et qu’en plus de ne pas vouloir les faire souffrir elles, tu ne veux pas souffrir, tout simplement … »

Imaginant la scène de Serena découpant mon meilleur ami en petits morceaux me tira une grimace. Parce que si une partie de moi n’arrivait pas à imaginer la douce Serena en une femme vengeresse, l’autre partie ne pouvait pas s’empêcher de me glacer le sang. « Tu sais ce qu’on va faire ? À la seconde où tu la vois avec un couteau à la main, s’approchant dangereusement de toi, tu cours chez moi et je te cacherais le bunker au fond du jardin, okay ? » lui proposais-je, mi rieur, mi sérieux. Après tout, il était hors de question que je perde mon meilleur ami simplement parce qu’il faisait des conneries ! Je me demandais comment ma femme le prendrait si j’avais une liaison. Une partie d’elle s’en moquerait, probablement – ce n’était pas comme si elle m’aimait – mais l’autre se sentirait probablement trahie. Et il y aurait de quoi. Je ne jugerais jamais mon meilleur ami, mais je ne sais pas si je pourrais me retrouver dans une situation similaire. Et pourtant j’étais tenté. Réellement tenté. Lexie … Son visage apparut immédiatement dans mon esprit. Tout chez elle me tentait. Ce n’était pas que physique, malheureusement. Ce n’était pas qu’une attirance … Cela aurait été tellement plus simple s’il ne s’était s’agit que de cela. Mes jambes ne me guiderait pas à elle – sans me demander mon avis – à chaque fois qu’elle mettait les pieds à l’hôpital et qu’elle croisait mon chemin. Mais je ne voulais pas craquer. Déjà pour Lexie. Elle ne méritait pas d’avoir une relation avec un homme marié. Elle avait tant souffert, vécue sa grossesse seule, son petit ami ayant perdu la mémoire. Ses seuls soutiens n’avait alors été que Soren, son frère, et moi-même en quelques sortes. Je ne pouvais pas lui faire cela. Et puis il y avait Melissa, ma femme. Même si nous ne nous étions jamais aimés, elle avait mis ma fille au monde, et je lui devais bien cela. Ecoutant Vitaly à propos de sa situation, je lui donnais une tape sur le bras, comme pour montrer mon soutien – ne pouvant malheureusement pas faire beaucoup plus. Puis un petit rire ironique sortit, tandis qu’il me disait que je ne serais jamais un connard fini. « J’espère que je n’en serais pas un … J’espère. »

Bon, si je ne donnais en effet pas les meilleurs conseils au monde – après tout, je ne m’étais encore jamais retrouvé dans la situation dans laquelle mon meilleur ami se trouvait – au moins, j’arrivais à le faire rire et à – en quelque sorte – alléger la situation dans laquelle il se trouvait. Et le voyant rire, je savais que j’avais réussi à faire une partie de mon job de meilleur ami, et c’était un peu l’essentiel – même si j’aimerais pouvoir lui refourguer des conseils plus pertinents … « Si ça peut te rassurer, les meurtres passionnels ne sont jamais préméditer … Donc je ne pense pas qu’elle pensera à bloquer les portes de sortie. Sauf si c’est une psychopathe et qu’on l’ignorait … » répondais-je sur le même ton – donc mi rieur mi sérieux. Je ne savais pas si ça allait réellement le rassurer finalement. Je ne voyais pas ce qu’on pourrait trouver qui serait rassurant dans le fait que sa femme veuille un jour le tuer en apprenant qu’il la trompait – voire pire, puisqu’il aimait les deux femmes – avec sa sœur. Mais bon, malgré tout, je n’arrivais pas vraiment à imaginer Serena commettre un meurtre passionnel. Elle était tellement … gentille. Quoique des patients que j’avais eu et qui venaient de subir une tentative d’assassinat de la part de leur femme – il y en avait plus que ce que l’on croyait – généralement, les femmes étaient justement des personnes gentilles, propres sur elles. Mais elles finissaient simplement par avoir un accès de rage en apprenant l’infidélité – puisque celle-ci était très majoritairement la cause de ces tentatives d’assassinat – de leur mari. J’eus un frisson d’angoisse, que je tentais immédiatement de chasser. Rien n’arriverait à Vitaly. Serena n’aurait pas d’accès de rage. En l’apprenant, elle réagirait comme n’importe quelle personne apprenant cela, et pleurerait dans son coin ou tomberait en dépression. Ce n’était pas que je lui souhaitais cela, mais à choisir entre cela et l’accès de rage qui la mènerait à assassiner mon meilleur ami, je choisissais la dépression … Puis Vitaly finit par me questionner. En même temps, vu la façon dont je lui avais répondu à propos de devenir un connard fini, ce n’était pas vraiment étonnant. « J’ai rencontré une femme … Enfin, en quelque sorte. » lui avouais-je, plus gêné qu’autre chose.

A l’écoute de mon meilleur ami, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Réellement, je n’exagérais pas. Bon, je me doutais quand même que ce serait plus rationnel que de se dire qu’il se faisait tout un film dans sa tête et que jamais Serena ne lèverait la main sur lui – et donc encore moins le découperait en petits morceaux. Mais bon, j’avais tant entendu sur les tentatives de meurtres passionnels, que je ne savais plus trop. « Non, vraiment, je pense que sa première réaction sera plutôt de pleurer dans sa chambre plutôt que de monter un plan diabolique pour te tuer. Et si elle veut ensuite le faire, ce sera plus pendant les explications, et donc pas prévu … » finissais-je par répondre. Cela ne le rassurerait probablement pas. Et l’idée de la voir pleurer dans sa chambre ne ferait probablement pas plaisir à Vitaly. Mais sincèrement, je pensais que ce serait plus à cela que cela ressemblerait lorsqu’elle apprendrait qu’il la trompait – avec sa sœur en plus. Mais bon, juste au cas où, je préparerais le bunker en rentrant chez moi ce soir. Une petite télé ne lui ferait pas de mal. Et puis des livres aussi. Oh, et un ordinateur ! Vitaly était écrivain, il ne fallait pas l’oublier. Et puis, je lui cuisinerais des bons petits plats tous les soirs, et ainsi, il ne mourrait pas de faim … Mais bon, réellement, je n’imaginais pas la douce Serena tenter de tuer mon meilleur ami. Et puis, il avait toujours su tirer l’épingle de son jeu, non ? Pourquoi pas cette fois ? La conversation dériva ensuite sur mes propres histoires de cœur. Qu’est-ce qui m’avait pris de lui dire que j’avais peur de finir en connard, moi aussi ? Forcément, maintenant, il avait besoin de plus d’informations. « Il y a quelques mois … J’ai croisé une femme à l’hôpital, dans une des salles d’attente. Elle était enceinte et semblait si seule, si perdue. Donc je suis allé la voir, lui parler un peu. Et on a continué de se voir … Je l’ai aidé avec les papiers administratifs … Lorsqu’elle a accouché, je suis allé la voir plusieurs fois par jour, pour vérifier que tout allait bien … Et je sais pas. Je n’ai pas l’impression que ça reste dans le domaine du professionnel. Ce n’est pas une relation médecin/patient. D’ailleurs, je n’ai jamais été son médecin … Mais quand je suis avec elle … Je me sens … Je sais pas … Bien ? J’imagine … Trop bien, probablement … »

Il allait vraiment falloir que je me fasse une check-list de quoi mettre dans le bunker pour le cas où. Même si bon, je voyais plus Serena tomber en dépression que commettre un crime passionnel, il valait mieux être prévoyant, non ? « Je vais te sonner très égoïste pour le coup, mais, à choisir, je préfère qu’elle pleure dans un coin plutôt qu’elle te découpe en petits morceaux avant de t’enterrer. » lui dis-je dans une petite grimace. Bon, il était vrai que ce n’était pas non plus plaisant de l’imaginer pleurant toutes les larmes de son corps, mais je préférais largement cela plutôt que de perdre mon meilleur ami parce qu’il aura abusé de conneries. Personne n’était parfait, non ? Et bien j’imagine que l’égoïsme que me faisait ressentir cette histoire à propos de perdre mon meilleur ami était mon imperfection … Et tant d’autres encore d’ailleurs. Si je devais énumérer la liste de mes défauts, j’en aurais probablement pour un bon moment. En parlant de mes imperfections, le sujet dériva rapidement sur celle que me faisait ressentir Lexie : la tentation. Et c’était vraiment de cela qu’il s’agissait. Pas d’attirance, pas même de luxure, mais bien de tentation. J’allais vers un chemin glissant avec la jeune femme, et je le savais pertinemment, ce qui était probablement le pire d’ailleurs. Je savais très bien que ce que je ressentais pour elle n’était pas ce que devait ressentir un homme marié envers une autre femme que la sienne. Mais le fait est que je n’avais jamais ressenti cela pour la mienne, malheureusement. J’avais essayé, pendant de nombreuses années, mais maintenant, le devoir conjugal – toujours plus espacé – était plus devenu une corvée qu’autre chose. « Elle a accouché depuis … » commençais-je, avant de réaliser que ce n’était pas bien mieux. Puis il me demanda pourquoi réfléchir plus longtemps, vu qu’avec elle, je me sentais enfin bien. « Parce que je suis marié, peut-être ? Au hasard hein … » répondais-je dans un petit rire. « Désolé. » m’excusais-je presqu’immédiatement. Après tout, dire cela à un homme trompant sa femme n’était peut-être pas la meilleure idée que j’avais eu. « Plus sérieusement … Donc oui, en plus du fait que je suis marié et que malgré tout, je n’ai pas vraiment envie de tromper Melissa … Enfin voilà, elle est quand même la mère de Jamie, tu vois ? Il y a aussi le fait que Lexie, c’est son prénom … Elle est … perdue ? Un peu. Enfin voilà, j’aurais l’impression d’abuser d’elle, j’imagine … »

J’eus un petit rire à l’entente de la réponse de mon meilleur ami. Okay, peut-être que je n’étais pas si égoïste que ça, et que finalement, mon choix était parfaitement normal. Après tout, je connaissais Vitaly depuis … toujours, d’aussi loin que je m’en souvienne, je le connaissais en tout cas. Et Serena … Et bien seulement depuis que Vitaly la connaissait. Donc comparativement, il était vrai qu’à choisir entre Serena tombant en dépression et Serena tuant mon meilleur ami de toujours, mon frère de cœur presque, le choix était facile, voire même compréhensible. « Oui, bon, peut-être qu’égoïste n’était pas le bon terme … Mais à choisir, clairement je préfère que tu restes en vie, je te le dis ! » annonçais-je en roulant des yeux. Mais bon, il était presque sûr que jamais Serena ne voudrait le tuer. Okay, Vitaly faisait des conneries – et pas qu’un peu – et  la trahissait, mais même, cela n’était pas un motif de meurtre – du moins pas pour moi. Il était donc plus certain qu’elle tomberait en dépression, et adopterait des chats pour ne pas se sentir seule … Et c’était tant mieux. Par contre, égoïste, je l’étais tout de même un peu. Tout du moins avec ce qui touchait à Lexie. Le fait de passer bien trop de temps avec elle pour notre bien à tous les deux, et de la vouloir, tout simplement. Dans quelle galère j’avais bien pu me fourrer ? Pourquoi est-ce que je n’écoutais pas plus mon cerveau que je le voudrais ?  Allez la voir la première fois, c’était finalement logique. Après tout, elle était seule et semblait vraiment perdue. Et ce n’était pas la première fois que j’allais vers des patients – même lorsqu’ils n’étaient pas les miens – pour leur parler – parler étant ce que je considérais comme l’une des choses les plus importantes pour aider une personne dans le besoin. « Oui, c’est en ça que je suis égoïste j’imagine … Imaginer la mettre dans une position telle que maitresse, alors qu’elle est perdue et mère célibataire … C’est assez égoïste de ma part de penser la mettre dans cette situation … » répondais-je, sentant la culpabilité monter. Avant de reprendre, à propos d’un éventuel divorce. « Je suis catholique Vitaly … Le divorce n’est pas accepté … Et puis même si je le veux, il y a toujours Jamie. Je ne veux pas que les juges la séparent de moi. Je ne veux pas qu’elle reste seule avec sa mère, alors que celle-ci n’en veut clairement pas … »

Je me demandais si Vitaly finirait par choisir entre les deux amours de sa vie. Je ne connaissais pas vraiment Lindsay. Peut-être que je l’avais vu une fois ou deux, mais je n’avais aucun souvenir de lui avoir parlé en tout cas. Ce qui n’était pas le cas de Serena. Même si je ne connaissais pas bien cette dernière – après tout, je ne la connaissais que parce qu’elle était la femme de Vitaly en fait – je n’arrivais pas du tout à l’imaginer en meurtrière qui pourrait assassiner mon meilleur ami. Et ce fut ce que je dis à Vitaly d’ailleurs. Je l’imaginais bien plus tomber en dépression qu’autre chose. Mais bon, pour le cas où, je préparerais quand même mon bunker. Il valait mieux prévenir que guérir, non ? Et il était hors de question que je n’ai à guérir Vitaly dans le cas où elle manquerait de le tuer. La conversation finit par dériver vers mes propres problèmes de cœur – enfin, si on pouvait appeler ça comme ça. J’avais rencontré Lexie plusieurs mois auparavant, alors qu’elle attendait dans le service de néonatalité. Elle semblait si seule et si perdue. Je n’avais même pas eu le temps de me poser la moindre question que j’étais allé à sa rencontre pour lui parler. Et il en fut ainsi pendant toute sa grossesse, et même après son accouchement. Je ne savais pas vraiment comment l’expliquer. Quand j’étais avec elle, je ne me sentais plus vraiment moi-même. Je me sentais bien, dans une plénitude que je n’aurais cru possible. Le simple fait d’être en sa présence et lui parler – voire simplement l’écouter parler – me donnait immédiatement le sourire. Et l’idée de la voir faisait étrangement battre mon cœur plus vite qu’il le devrait. Mais je n’avais jamais tenté quoique ce soit. Déjà, j’étais marié, c’était un fait. Et même si je n’avais jamais aimé Melissa, elle avait mis au monde Jamie, qui était réellement la merveille de mon monde, et rien que pour cela, je lui devais bien le respect, non ? De plus, je ne savais même pas si Lexie ressentait la même chose pour moi – même si je ne savais pas ce qu’était cette chose … - et encore moins si avoir une aventure avec un homme marié était ce qu’elle souhaitait pour débuter sa nouvelle vie avec sa fille. Probablement n’était-ce pas le cas d’ailleurs … « Jamie est mineur Vitaly … Ce sera donc forcément un juge qui décidera de qui en aura la garde. Et sérieusement, je ne pense pas qu’elle pourra me regarder en face si un jour je trompais sa mère … » expliquais-je à mon meilleur ami. « Et tu sais très bien que je n’ai jamais ressentis cela pour une femme … En même temps, je suis avec Melissa depuis mes 17 ans, donc ce n’est pas comme si j’en avais eu l’opportunité. » lui dis-je dans un petit rire – même s’il n’y avait rien de drôle dans mes propos, la situation en elle-même me faisait tristement rire.

Il était étrange de se rendre compte que malgré nos différences, Vitaly et moi avions un point en commun au niveau de notre vie amoureuse. Même si c’était différent, étant donné que lui était amoureux de sa femme et de sa maîtresse – qui était d’ailleurs la sœur de la première, ce qui n’arrangeait pas les choses du tout – et que moi je n’avais jamais aimé ma femme, et que je n’étais même pas sûr d’être amoureux de Lexie, il y avait une chose qui était identique : nous étions tous les deux perdus. Et malgré tout, il me semblait que ma situation pouvait être plus simple que la sienne. Après tout, je n’avais qu’à demander le divorce, et je serais libre comme l’air, à pouvoir fréquenter qui j’avais envie de fréquenter. Et pourtant, l’idée d’être séparé de ma fille me glaçait réellement le sang. Elle était tout pour moi. Elle était ma vie, tout simplement. « Peut-être qu’elle a son mot à dire, je ne sais pas. C’est vrai qu’elle est bientôt majeure. Mais … et si je la dégoûte en demandant le divorce ? Et si elle ne veut plus entendre parler de moi ? » lui répondais-je, sans réussir à me séparer de mes doutes. Il y aurait en effet une chose bien pire que d’être séparé de force de ma fille par un juge : être séparé d’elle parce que c’était ce qu’elle souhaitait. Bien sûr, j’espérais que ce ne serait jamais le cas et que même si je demandais le divorce, nous garderions la relation fusionnelle que nous avions. Mais je ne savais pas du tout ce qu’elle penserait de moi si je demandais le divorce, et c’était bien ce qui m’effrayait. L’idée de la décevoir me terrifiait tout autant que l’idée d’être séparé d’elle. « Peut-être qu’elle pourrait comprendre, en effet. Mais je n’ai pas envie de prendre le risque qu’elle ne comprenne pas … » continuais-je, même si je me sentais lâche de penser ainsi. Après tout, je pourrais en avoir le cœur net, une bonne fois pour toutes. Je lui en parlerai, saurai de quoi il en retombait, puis demanderai le divorce et pourrai enfin être heureux. Mais la peur de la perdre était bien trop présente dans mon esprit pour simplement y penser. « Oui, c’est vrai que j’imagine qu’elle s’en rend bien compte. Enfin, je ne sais pas, mais elle regarde tellement de films à l’eau de rose et lit tellement ce type de romans que je me dis qu’elle doit bien se rendre compte que Melissa et moi ne nous aimons pas … »

Il était vrai qu’à part pour ma fille, je n’avais jamais réellement vécu. Il n’y avait d’ailleurs qu’avec elle ou Vitaly, que j’appréciais ma vie. Bon et mes parents aussi. Et probablement mes sœurs. Et au boulot. Bon, je n’étais pas non plus à plaindre. J’avais ma fille, une super famille aimante –je parlais bien sûr de la biologique … - un meilleur ami toujours là pour moi et un boulot de rêve. Mais mon cœur sentait bien qu’il manquait quelque chose. Jamais il n’avait battu à tout rompre jusqu’à ce que je rencontre Lexie. Avant elle, jamais je n’avais eu le souffle coupé. Et il était même probable qu’avant elle, je n’ai jamais réellement désiré une femme – si je ne comptais pas ma période d’adolescent, bien sûr. Je soufflais lentement en entendant la réponse de Vitaly, avant de me pincer l’arrête du nez. « Non, il est probable que je n’en ai jamais le courage, en effet … » répondais-je les yeux dans le vague. C’était dans ces moments-là où j’enviais mon meilleur ami. Il ne se posait pas de question, il fonçait. Il avait envie de faire quelque chose, il le faisait, tout simplement. Bon, après il se retrouvait dans la situation dans laquelle il était actuellement – dans la merde, appelons un chat, un chat – mais au moins, il vivait sa vie, sans regret. Je me voyais dans cinquante ans, vivant toujours avec Melissa, dans une maison vide de bruit, à ne simplement rien faire. Je n’aurais pas vécu. J’aurais sauvé la vie des autres, leur permettant à eux de vivre, dans tous les sens du terme, j’aurais éduquée une fille merveilleuse aussi, mais cela aurait été tout. Voilà ce qu’aurait été ma vie. Pleine de regrets et de ressentiments. J’eus un frisson à cette image. Mais serais-je réellement capable d’annoncer à ma fille que je voulais divorcer ? Oui, comme venait si bien de le dire Vitaly, il y avait une chance qu’elle comprenne. J’acquiesçais, sans rien dire. Mais risquer de la perdre pour … Pour quoi, au juste ? Pour tenter une relation, sans savoir si cela fonctionnerait entre nous ? Non, il était vrai que ce n’était pas que de Lexie dont il s’agissait. Il s’agissait de moi. De ma liberté. De ma vie. Je revins sur terre lorsque Vit plaisanta à propos du fait que Jamie regardait des films à l’eau de rose, ce qui eu au moins le mérite de me tirer un éclat de rire. « Non, tu n’as pas le droit ! C’est un truc à vie ! Et je te rassure, elle ne regarde et ne lit pas que ça. On va dire que ce sont ses plaisirs coupables ! » répondais-je sans perdre mon rire.

Rien que l’idée de nous imaginer Melissa et moi dans une cinquantaine d’années me procurait réellement des frissons. Mon dieu, quelle horreur ! J’allais passer à côté de ma vie ! Et je ne parlais pas que de Lexie, mais bien de moi-même. Il fallait que je demande le divorce, pour moi, pour ma liberté.  Je ne pouvais pas rester ainsi, à dormir près d’une femme pour laquelle je ne ressentais strictement rien. Même dans notre lit, il y avait une distance qui nous séparait. C’était limite si on ne mettait pas des coussins entre nous deux, juste pour être sûrs de ne pas pouvoir nous efflorer. Qui pouvait accepter de vivre ainsi. Si Lexie avait été le déclic – après tout, je ne m’étais jamais réellement posée la question avant de rencontrer la jeune femme – c’était tout simplement pour moi que je voulais le faire. Bien sûr, si en plus cela me permettait de tenter quelque chose avec la jolie brune, cela était un bonus non négligeable. Mais il était certain que je n’allais pas détruire près de vingt ans de mariage, simplement pour une femme que je connaissais à peine. Et c’était pour cela qu’elle n’était pas la raison de mes questionnements. Mais voir mon meilleur ami aimer tellement deux femmes qu’il était incapable de choisir entre les deux, alors que je ne ressentais strictement rien à la maison, cela me forçait tout simplement à réfléchir sur les choix que j’avais fait dans ma vie. Et si je ne regrettais pas d’avoir épousé Melissa – après tout, cela m’avait permis d’être proche de ma fille – je savais pertinemment que je l’avais fait pour les mauvaises raisons. Le sujet dériva ensuite sur ma fille justement, et sur les films mièvres qu’elle aimait regarder à la télévision. Bien sûr, elle regardait également des films d’auteurs, mais au moins la réaction de mon meilleur ami – qui était justement le parrain de Jamie – eue le mérite de me faire rire. « Oui, je ne compte pas mourir d’ici les mois à venir, heureusement ! » riais-je de bon cœur. Après tout, en mars prochain, elle serait déjà majeure. Que le temps passait vite. « Et toi, tu n’as vraiment pas envie d’enfants ? Je sais que les choses sont compliquées dans ta vie, donc je ne parle pas de maintenant. Mais dans le futur, tu n’as vraiment pas envie d’en avoir ? »