C’est en tombant sur une de ses propres photos d’enfance que les premiers soupçons de Trevor étaient apparus. Sur ce cliché, il devait avoir à peu près deux ou trois ans, et était entouré de sa mère et de quelques unes de ses tantes. En trouvant cette photo au fin fond de son portefeuille il aurait put être nostalgique, il aurait pu avoir des remords et imaginer ce que sa mère pensait de sa soudaine disparition. Et pourtant, c’est un tout autre genre de tracas qui l’avait assailli. Leo était encore en Angleterre avec Ashton et Shaun au moment où cela s’était passé, et c’est précisément cette proximité et cette complicité qui s’était installé entre le petit garçon et lui qui avait que tout s’était éclairé dans son esprit. Lorsque l’italien avait observé cette photo, la sensation de se retrouver devant un cliché de Shaun l’avait d’abord fait sourire. Mais bien vite, le puzzle s’était reconstitué dans sa tête, et la coïncidence avait bien vite laissé place aux doutes. Tout semblait coller : l’époque à laquelle Leo et Ashton s’étaient rencontrés, la seule et unique nuit qu’ils avaient passée ensemble, l’âge de Shaun, ce lien qui avait uni l’italien et le petit garçon alors qu’il ne savait pas particulièrement bien s’y prendre avec les enfants en temps normal… Bref, Trevor avait toutes les raisons de penser qu’il pouvait être le père biologique de cet enfant, et ça le tuait. D’une part parce que Shaun méritait beaucoup mieux qu’un père comme lui, mais aussi et surtout parce que cela signifierait qu’Ashton le lui aurait caché pendant tout ce temps. Alors, en se gardant bien de lui faire part de ses soupçons, Leo profita d’une des dernières soirées dans le manoir anglais d’Ashton pour se glisser dans la chambre de Shaun, et prélever quelques cheveux sur son oreiller.

Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis leur retour d’Angleterre et Trevor n’avait pas recroisé Ashton. Il avait reprit le travail, et c’est en rentrant du restaurant après une soirée de service que l’italien était tombé sur cette fameuse enveloppe. Celle qu’il attendait depuis des jours et des jours avec une certaine angoisse, mais aussi beaucoup d’impatience. Et ce soir elle était là, entre ses mains. Montant rapidement chez lui, Leo s’était installé à la petite table qui trônait dans sa cuisine et s’était contenté de regarder l’enveloppe en question pendant plusieurs dizaines de minutes. Il l’avait tournée et retournée dans tous les sens, sans jamais pouvoir se résoudre à l’ouvrir. Il avait même ressortit la photo qui lui avait valu tous ces doutes et pourtant, il lui était impossible d’ouvrir cette maudite enveloppe. Alors, Leo s’était brusquement levé, il avait attrapé cette lettre et avait quitté son appartement en trombe. Après tout, s’il y avait bien une personne qui pouvait « partager » ce moment avec lui, c’était elle ! Quelques dizaines de minutes plus tard, l’italien se retrouvait devant la porte d’entrée de chez Ashton et c’est sans la moindre hésitation qu’il sonna. Sa main était crispée sur l’enveloppe à tel point qu’elle était désormais totalement froissée. Sa mâchoire, elle aussi était serrée sous le coup de la pression, et de cette tension qu’il s’était imposé en faisant comparer son ADN à celui de Shaun. Planté devant la porte, Leo ne put s’empêcher de tambouriner une nouvelle fois contre cette dernière en espérant que cela fasse arriver la propriétaire des lieux un peu plus vite.

Trevor avait beau ne pas connaitre les résultats contenus dans son enveloppe, il savait d’ores et déjà que la confrontation avec Ashton allait être rude. S’il s’avérait que le test était négatif, elle lui en voudrait certainement beaucoup d’avoir pu penser une chose pareille, et de mettre à ce point en doute sa parole. Mais si Trevor était bel et bien le père de Shaun, alors il ne savait absolument pas comment il réagirait. D’ailleurs, l’idée d’ouvrir cette lettre avec Ashton n’était peut-être pas la meilleure qui soit, mais l’italien avait été incapable de le faire tout seul. Néanmoins, en arrivant devant la porte d’entrée d’Ashton, le jeune homme se sentit plus que jamais pressé de savoir ce que cette maudite enveloppe contenait. Sans se soucier du fait qu’il puisse l’effrayer en agissant ainsi, l’italien se mit donc à tambouriner sur la porte jusqu’à ce que cette dernière s’ouvre sur une Ashton dont le regard traduisait toute l’appréhension.

« Qu'est-ce que tu fais là ? » demanda-t-elle, anxieuse. Et sans même laisser à Trevor le temps de répondre, la jeune femme imagina déjà le pire… sans savoir qu’elle était pourtant bien loin de la vraie raison pour laquelle il était venu jusqu’à elle. « Est-ce qu'ils … ? » Ashton ne termina même pas sa phrase, bien consciente que Trevor savait de toute façon très précisément de quoi elle parlait. Tout en s’introduisant dans la maison sans demander son reste, et en refermant la porte derrière lui, le jeune homme répondit : « Non… c’est pas ça. » Sa main toujours crispée sur l’enveloppe, il planta alors son regard dans celui d’Ashton d’un air grave, et déglutit en cherchant une manière de tourner son discours sans paraitre trop agressif. Ses yeux se baissèrent ensuite vers l’enveloppe, qu’il remonta lentement jusqu’à ce que la jeune femme puisse clairement la voir. Après avoir déglutit une nouvelle fois, Trevor daigna mettre fin à l’attente quasi insupportable qu’il s’infligeait et qu’il infligeait par la même occasion à Ashton. « Ce sont les résultats d’un test de paternité. Je l’ai fait faire en rentrant d’Angleterre… » Le visage de l’italien était totalement fermé et ses yeux, rivés sur le visage d’Ashton, guettaient la moindre de ses réactions. Il lui sembla inutile d’ajouter plus de détails concernant ce test. Après tout, si ses doutes étaient effectivement fondés, la jeune femme comprendrait bien assez vite que Shaun était directement concerné.

Dans un premier temps, et c’était bien compréhensible, Ashton avait cru que la présence de Leo chez elle était liée aux hommes qui le poursuivaient et qui par conséquent les menaçaient aussi, elle et Shaun. Evidemment, elle ne pouvait pas se douter du séisme qu’allait provoquer la découverte de l’italien quant à sa paternité. Pour l’heure, il n’avait encore aucune certitude puisque la lettre qu’il tenait entre ses mains était toujours fermée. Mais dès l’instant où il annonça à la jeune femme le but de sa visite, Trevor comprit qu’il avait bel et bien vu juste en la soupçonnant de lui avoir caché une telle chose. Ashton s’était tendue, et le jeune homme avait clairement pu voir sa mine se déconfire pendant quelques instants. Alors c’était vrai…. Il n’avait même pas besoin d’ouvrir l’enveloppe qui contenait les résultats de son test pour être persuadé qu’elle lui avait menti. Le fait qu’elle n’ait pas reprit contact avec lui en apprenant qu’il l’avait mise enceinte ne le perturbait pas outre mesure. Après tout, ils ne s’étaient croisés qu’une seule fois, et même en voulant le retrouver Leo ne doutait pas que la jeune femme aurait eu du mal à remettre la main sur lui. En effet, il était rentré en Italie quelques jours seulement après leur entrevue, et avait ensuite énormément voyagé au gré des missions que lui confiait son père. Mais ce qui chiffonnait le plus Leo, c’était bel et bien qu’elle ne lui ait rien dit malgré tout le temps qu’ils avaient pu passer ensemble depuis son arrivée à New-York. Pourtant, l’occasion avait bien du se présenter à plusieurs reprises ! Lors de leurs longues après-midi passés autour d’un café par exemple, ou encore durant leur séjour en Angleterre où ils s’étaient retrouvés loin de tout, et loin de tous les tracas qui occupaient d’ordinaire leurs conversations. Mais Ashton avait visiblement choisi de lui cacher sa paternité, sans se douter qu’il finirait par recoller les morceaux du puzzle tout seul.

Partagé entre la déception et la colère, Trevor arborait une mine des plus fermées, serrant les dents pour ne pas exploser alors que sa main chiffonnait de nouveau l’enveloppe dont il n’avait finalement plus besoin. « Je voulais te le dire... » souffla-t-elle. « … mais avec les circonstances, je pouvais pas le mettre plus en danger qu'il ne l'est déjà... » souffla-t-elle finalement alors qu’elle ne semblait plus être en mesure de soutenir le regard de l’italien qui était indéniablement resté figé sur elle. « Comment tu as pu… Comment t’as pu me cacher ça ?! » cracha alors Leo en élevant la voix sans pouvoir s’en empêcher. « Tu croyais pouvoir tenir encore longtemps comme ça ? Tu espérais peut-être que j’allais être trop stupide pour m’en apercevoir un jour hm ? » presque essoufflé par la colère qui l’étreignait, l’italien envoya valser son enveloppe à travers le couloir, en s’empressant de saisir le portefeuille qu’il gardait dans la poche de son jean. Les mains tremblantes, il attrapa la photo qui avait éveillé ses doutes quelques semaines auparavant sans décolérer. « Hé bien non, et tu sais pourquoi ? » Sans rien ajouter de plus, il se contenta de brandir ladite photo sous les yeux d’Ashton en la fusillant du regard. « T’étais la seule personne ici à qui je faisais confiance. J’aurai pas du. » termina-t-il, amer et totalement remonté contre elle.

En apprenant cette paternité dont il se doutait depuis plusieurs semaines maintenant, Trevor avait totalement perdu les pédales. Il s’était emporté contre Ashton, la confrontant brusquement au mensonge qu’elle lui avait offert depuis leurs retrouvailles. Le jeune homme tenait énormément à elle, et il était prêt à tout pour la protéger mais ce soir, il éprouvait envers elle un sentiment qu’il n’avait jamais connu auparavant. Du moins jamais dirigé vers Ashton. La rage était montée si rapidement en lui qu’il avait haussé le ton sans plus se soucier de Shaun qui devait dormir à quelques pas seulement de là où ils se trouvaient. L’italien avait été mené en bateau, il se sentait trahi par la seule personne a qui il avait accordé un tant soit peu de confiance ici à New-York. Et subitement, il s’apercevait qu’il avait commis une grossière erreur en pensant qu’Ashton pouvait constituer un soutien pour lui. A l’inverse, elle lui avait caché l’une des informations les plus importantes de sa vie, et venait tout bonnement de se mettre Trevor à dos pour un bon bout de temps. Car le jeune homme ne connaissait que trop bien le mensonge et la trahison, et c’était précisément tout ce qu’il cherchait à fuir en venant aux Etats-Unis, tout ce qu’il ne pensait pas trouver aux côtés de l’américaine. Sans savoir s’il s’était laissé embobiné par ses belles paroles ou ses jolis yeux, Trevor s’en voulait aujourd’hui énormément d’avoir pu être aussi bête, et de ne s’être dout de rien jusqu’à aujourd’hui.

« Mais qu'est-ce que tu voulais que je fasse ?! T'as débarqué de nulle part, Leo ! » répliqua la jeune femme comme une pauvre défense, qui n’en était pas vraiment une aux yeux de l’italien qui s’autorisa même à sourire amèrement. « Je voulais te le dire, vraiment ! Quand on était en Angleterre, que je vous voyais si proches, je voulais te le dire. Mais tu m'as parlé de ton ex, et... » Les mâchoires de Leo se serrèrent en entendant la jeune femme évoquer Elena. Là encore, il lui avait fait assez confiance pour lui faire part de cet épisode plutôt sombre de sa vie, et il s’en mordait désormais les doigts. Décidément, il avait vraiment eu tout faux avec Ashton. Il était clairement allé à l’encontre de tous ses principes de méfiance et de distance, et avait désormais la certitude qu’il ne le ferait plus, quelle que soit la personne qui se trouverait en face de lui. « Il a à peine un an, et t'as la mort à tes trousses... Te le dire, c'était mettre une cible droit sur le bout de son nez. » termina finalement la jeune femme sans le lâcher du regard. Excédé, Leo leva les yeux au ciel puis secoua la tête en riant de nouveau d’un air des plus amers. « Ne dis pas n’importe quoi ! Tu sais très bien que si je ne l’avais pas découvert, tu ne m’aurais jamais rien dit ! Et je ne vois pas en quoi le fait de me le dire à moi, et rien qu’à moi, aurait attiré plus de danger sur Shaun ! » cracha-t-il en rangeant en vrac sa photo dans la poche arrière de son jean. « J’avais quand même le droit de savoir non ?! Je suis son père bordel, SON PERE ! » Brusquement, Leo recula et ferma les yeux en inspirant profondément pour tenter de contenir sa colère. Puis, sans même prendre la peine de regarder Ashton, il continua les dents serrées : « Et j’imagine que tout le monde pense que ton ex est le père de Shaun hm ? Que tout le monde pense qu’il n’a plus de père ?! J’arrive pas à croire que tu aies fait ça, que tu aies menti à tout le monde et que tu continues à le faire comme si c’était normal. Je me suis bien planté à ton sujet en fin de compte. »

Dans un sens, Leo s’était attendu à une telle annonce et pourtant, il ne s’y était pas particulièrement préparé… d’où la claque énorme qu’il était en train de recevoir en pleine figure. Outre le fait de se découvrir père alors qu’il avait ignoré depuis ces longs mois, l’italien se retrouvait également face à une Ashton qu’il avait l’impression de ne plus reconnaître. La jeune fille douce et toujours enthousiaste qu’il avait rencontrée la première fois, puis retrouvée à New-York, avait laissé place à une toute autre personne. Extrêmement méfiante mais aussi habitée par une sorte de rage inexplicable, Ashton s’emporta en même temps que Leo en lui demandant s’il savait ce qu’impliquait le fait d’être père. Levant les yeux au ciel avec dédain, le jeune homme secoua la tête d’un air totalement dépité avant de reprendre tout aussi férocement : « Comment est-ce que je pourrai savoir, tu ne m’as même pas laissé l’occasion d’essayer… »

L’italien se sentait à la fois déçu et blessé qu’elle retourne la situation au point de rejeter la faute sur lui, alors qu’il n’avait clairement rien demandé à personne, si ce n’est la vérité sur sa paternité. Il ne put d’ailleurs pas s’empêcher de lui balancer toute sa rancœur sans aucun ménagement, mettant encore un peu plus d’huile sur le feu. « Mais qu'est-ce que t'espérais ?! Je pouvais pas vraiment t'envoyer un faire-part à sa naissance, hein ! On était pas censés se revoir, jamais. Et sincèrement, ça m'aurais pas dérangée, si ça veut dire garder Shaun en sécurité. » Le regard noir, Leo serra les poings sans rien dire en encaissant tant bien que mal les coups qu’elle ne cessait de lui asséner. Et malheureusement pour lui, Ashton n’en avait pas fini et ne tarda pas à renchérir en remettant le sujet de l’insécurité qui régnait autour de Leo sur le tapis. Une fois de plus, le jeune homme préféra se taire même s’il bouillait intérieurement. Mais comme pour l’achever, ou lui faire perdre tous ses moyens, son interlocutrice abattit sa dernière carte, qui fut certainement la plus douloureuse de toutes. Selon elle, le mieux était de continuer comme si de rien n’était, chacun de leur côté en faisant comme s’ils ne s’étaient jamais recroisés. Et, comme ultime affront, Ashton assura à l’italien qu’il ne pourrait jamais avoir sa place auprès de Shaun, et qu’il resterait pour toujours ce père biologique sans aucun lien supplémentaire avec son fils. Dans un premier temps, Leo baissa les yeux en serrant la mâchoire, tentant de se contrôler pour ne pas exploser. Mais la charge de méchanceté qu’il venait de subir était bien trop importante pour qu’il se taise. Lâchant tout d’abord un rire des plus amers, l’italien répliqua : « T’as raison, je ne suis QUE son père biologique après tout ! Le jour où il demandera où est son père, ce sera beaucoup plus simple de lui expliquer qu’il est mort ! » Peu à peu, il haussait la voix sans pouvoir se retenir. Puis, d’un geste plein de rage, Leo voulut pointer son index vers la jeune femme mais à peine eut-il relevé le bras qu’une vive douleur se fit sentir dans son épaule. La faute à cette foutue balle qu’il avait reçue en voulant protéger Marley, et dont il n’avait évidemment parlé à personne. Même si un médecin au service du père de Marley était intervenu rapidement pour retirer la balle de son épaule, Leo portait encore en énorme pansement et bien souvent, la douleur venait lui rappeler cet « incident » qui datait de quelques semaines à peine. Décontenancé par cet évènement, l’italien stoppa son geste e grimaça presque imperceptiblement, en s’efforçant de ne rien laisser paraitre. Pour ne pas éveiller les soupçons d’Ashton, il s’empressa de reprendre la parole aussi amèrement qu’auparavant : « Pourquoi tu ne m’as pas jeté directement ? Pourquoi tu m’as laissé approcher et connaître Shaun, si c’est pour me dire ça maintenant ? » lâcha-t-il en tentant de masquer sa douleur, sans s’apercevoir qu’une tâche rouge commençait à se dessiner sur la manche de sa chemise.

Jamais Leo n’aurait imaginé pouvoir parler d’un ton aussi violent à Ashton, et pourtant… En un clin d’œil, son mensonge avait su le mettre hors de lui, et l’italien avait désormais l’impression que sa colère ne pourrait jamais être calmée. Dans un sens, il comprenait qu’Ashton veuille éloigner son fils de lui à tout prix, mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il n’avait rien à voir dans toute cette histoire. Leo avait tout fait pour fuir le monde de la mafia e tous les dangers qui planaient autour de lui depuis l’enfance. La tâche avait bien évidemment été rude, et le jeune homme réalisait aujourd’hui qu’une fois de plus, il payait les conséquences d’un destin pour lequel il n’avait jamais signé. Son esprit fourmillait de questions et de reproches, et sans qu’il ne puisse se retenir, Leo crachait peu à peu toute sa rancœur à la face d’Ashton sans même le regretter. Il avait besoin de ça, de déverser toute sa haine sur celle qui était à l’origine de cette déception monumentale. L’italien avait beau considérer toutes les éventualités qui lui venaient en tête, il ne comprenait pas qu’elle ait pu le laisser approcher, le laisser lier une telle relation avec Shaun alors qu’elle savait au fond d’elle qu’elle finirait par les éloigner l’un de l’autre. Leo avait la désagréable sensation d’avoir été pris pour un imbécile, et autant dire qu’il détestait ça. Il se retrouvait piégé, victime de son passé alors qu’il n’avait rien demandé à personne, et contraint de tirer un trait sur les seules personnes à New-York capables de lui faire oublier son quotidien.  

Alors que la mâchoire de Leo se serrait de plus en plus en constatant qu’Ashton ne prenait même plus la peine de lui répondre, la petite voix de Shaun se fit entendre derrière la porte de sa chambre. Evidemment, en haussant le ton comme ils l’avaient fait, ils avaient réussi à le réveiller et le petit garçon pleurait désormais dans son lit. Mais soudain, sous le regard à la fois médusé et triste de Leo, Ashton se plaça entre lui et la porte afin de l’empêcher d’entrer. « Non. » souffla-t-elle d’un ton qui sonna aux oreilles de l’italien comme une nouvelle attaque. Oubliant alors la douleur qui lui tenaillait le bras depuis un moment, Leo s’apprêta à braver l’interdiction d’Ashton mais cette dernière le devança en lâchant : « Leo, tu saignes. »

Le jeune homme se figea immédiatement, pas certain de comprendre de quoi elle parlait tant le changement de sujet était brusque. Mais soudain, la douleur dans son bras le rappela à l’ordre, et lui fit baisser les yeux vers sa blessure qui était visiblement bien loin d’être guerrier. A la place de son pansement, une énorme tâche rouge ornait sa chemise blanche, et trahissait sans mal ce qu’il tentait de cacher depuis des jours et des jours. Comme si la situation n’était pas assez complexe comme ça, Leo allait aussi devoir s’expliquer là-dessus. Et sans même avoir prononcé le moindre mot, il savait que les derniers évènements qu’il avait vécus n’allaient pas vraiment aller dans son sens. Alors, il opta pour un ultime coup de poker en lâchant : « C’est rien » Puis, comme pour prouver que ce qu’il disait était vrai, Leo entreprit de pousser Ashton avec son bras blessé afin de pénétrer dans la chambre. Mais à peine commença-t-il à faire pression sur la jeune femme qu’il dut abandonner en grimaçant, attrapant immédiatement son bras puis fermant les yeux pour tenter d’éviter de tomber dans les pommes comme il l’avait fait juste avant d’être soigné, quelques jours plus tôt.  Leo recula ensuite d’un pas pour s’appuyer contre le mur et reprendre ses esprits, sans rouvrir les yeux, histoire de ne pas croiser le regard de la jeune femme.

Même s’il avait ressenti une douleur anormalement vive dans son bras, jamais Leo n’aurait imaginé que sa blessure puisse le trahir à ce point. Un seul regard à la manche de sa chemise lui suffit à comprendre que les points qu’on lui avait faits venaient de lâcher, et que sa plaie était de nouveau ouverte. Mais malgré cela, le jeune homme n’avait aucune intention de lâcher prise face au drame qui se jouait entre Ashton, Shaun et lui. Il ne comptait pas perdre la face devant la jeune femme, ni même se montrer faible et ainsi lui offrir une occasion rêvée de changer de sujet. Non, l’italien voulait avoir le dernier mot. Il voulait comprendre, il voulait se défendre même si au fond il avait que son cas était quasi-désespéré. Seulement, Ashton avait été sans le savoir sa principale alliée depuis qu’il l’avait retrouvée à New-York. Elle avait été celle qui avait su lui montrer autre chose, embellir un peu son quotidien et chasser ses plus grandes craintes pendant quelques temps. Mais à présent, Ashton se positionnait en véritable tortionnaire, et l’italien avait encore bien du mal à réaliser toute la trahison dont il avait été victime.

« Ça a pas l'air d'être rien... » déclara la jeune femme lorsque Leo tenta de se défendre, et d’éluder la question de sa blessure en prétextant qu’elle était sans importance. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de protester, Ashton se montra bien plus autoritaire qu’il n’aurait pu l’imaginer et enchaina rapidement : « Et ne commente pas, juste... pause. T'es en train de pisser le sang, let's do something about it. » Pour autant, elle ne bronchait pas d’un pouce, interdisant toujours l’accès de la chambre de Shaun à Leo. Ce dernier restait appuyé contre le mur le plus proche par simple mesure de sécurité, mais s’entêtait tout de même à soutenir le regard de sa voisine pour lui prouver toute sa détermination. « C’est rien je te dis. J’ai déjà été soigné pour ça, tu ne peux rien faire de plus. » articula-t-il dans une énième tentative pour dédramatiser la situation, et revenir au principal sujet de leur querelle. Leo voulait voir Shaun, il voulait voir son fils et il savait qu’il était totalement en droit de le faire. Après tout, Ashton l’avait laissé approcher jusqu’à aujourd’hui ! En y pensant, le fait qu’elle l’empêche de le voir alors qu’il savait désormais quel lien les unissait lui paraissait totalement paradoxal. « Laisse-moi entrer Ashton, je veux le voir. Maintenant » cracha alors l’italien d’un ton des plus agressifs, sans pour autant avoir l’audace de ce décoller du mur qui lui apportait une certaine sécurité et un soutien dont il sentait avoir de plus en plus besoin au fur et à mesure que le sang coulait de sa blessure.

Les négociations semblaient impossibles et pourtant, l’italien persistait. Si Ashton était têtue, Leo l’était peut-être encore plus et il ne comptait pas démordre avant d’avoir eu gain de cause. Seulement voilà, sa maudite blessure vint se mêler à tout cela, rendant la tâche du jeune homme bien moins aisée que ce qu’il l’aurait voulu. « Leo, je t'ai dit non, arrête d'insister. » lâcha Ashton, probablement pour tenter de couper court à leur conversation et aux tentatives désespérées de Leo qui voulait à tout prix voir son fils. Mais alors qu’il s’apprêtait une nouvelle fois à protester, la jeune femme le devançant et reprit : « Et puis, pourquoi ? Pour qu'il te voie tout ensanglanté, blessé ? » Baissant les yeux sur sa chemise complètement souillée, l’italien ne put que constater qu’il n’était effectivement pas très présentable. Certes, Shaun était certainement trop jeune pour comprendre tous les enjeux et les dangers qui se cachaient derrière son père, mais Leo pouvait malheureusement bien concevoir qu’Ashton ne veuille pas qu’il l’approche dans cet état. Tout en lâchant un long soupir empli de désespoir, l’italien ferma les yeux, se contentant d’écouter le discours de la jeune femme sans broncher et sans même tenter d’y répondre. De toute façon, il était à bout de force et la détermination qui l’avait animé jusqu’ici commençait doucement à le quitter. Son bras le faisait de plus en plus souffrir, il ne parvenait pas à faire entendre « raison » à Ashton… bref, Leo avait juste envie de tout envoyer balader et de ne plus jamais entendre parler d’elle.

« Je ne te laisserais pas approcher de mon fils tant que tu représenteras une menace pour lui. Et je déteste devoir appeler à ça mais, si tu tiens ne serais-ce qu'un peu à lui & à sa vie... tu dois comprendre ça et... t'éloigner. » Affichant un sourire qui traduisait plus le dégout et l’amertume qu’autre chose, Leo secoua la tête avant de répondre avec dédain : « Et d’après toi, à quel moment je ne représenterai plus une menace pour lui, hm ? J’aurai toujours cette épée au-dessus de ma tête, TOUJOURS ! Et je n’y peux rien. Si j’avais pu changer quelque chose à ça, je l’aurai fait il y a longtemps ! » Peu à peu, la fatigue et la douleur semblaient faire perdre toute sa lucidité à Leo, et il s’emporta alors sans pouvoir se retenir d’une quelconque manière que ce soit. Fusillant Ashton du regard, il s’approcha d’elle en serrant la mâchoire, s’arrangeant pour stopper son visage tout près de celui de la jeune femme avant de continuer, toujours plus agressif : « Ca t’amuses de me faire ça ? T’as trouvé ça drôle de me laisser revenir dans ta vie comme ça, pour me demander d’en ressortir maintenant ? Parce que c’est ça que tu me demandes ! Tu veux juste qu’on… qu’on arrête de se voir. » Réalisant en même temps qu’il parlait tout ce qu’impliquait l’éloignement, l’italien se sentit tout à coup profondément triste. Et malgré tous les efforts qu’il mit en œuvre pour le cacher, son regard pourtant si dur quelques secondes plus tôt fit rapidement transparaître cette tristesse. Et en sentant sa gorge se nouer, Leo s’empressa de lâcher un « Tu peux pas me faire ça…. » en forme de dernière chance.

Plus le temps passait et plus Leo perdait espoir. Pourtant, l’un de ses principaux traits de caractère était sa ténacité mais cette fois, il sentait le sujet bien trop épineux. Comme si tout était perdu d’avance, il ne s’était quasiment pas de ce qu’il pouvait qualifier de véritable échec. Ashton étant au moins aussi têtue que lui, il concevait qu’elle veuille protéger son fils et qu’elle n’en démorde sous aucun prétexte. Malheureusement pour lui, et malgré tous les efforts qu’il mettait en œuvre pour arriver à ses fins, l’italien avait fini par se faire une raison. Il devait arrêter de voir Ashton et par conséquent, arrête de fréquenter Shaun, son fils. Leur fils. La décision était d’autant plus douloureuse qu’elle lui était clairement imposée, mais que pouvait-il bien faire d’autre ? Lui-même était conscient du danger qu’il représentait pour le petit garçon et ne tenait pas spécialement à ce que les hommes de son père lui tombent dessus. Alors malgré toute la détermination dont il avait fait preuve jusqu’à maintenant, Leo ne pouvait que se résigner à abandonner.

Ashton avait beau lui dire qu’elle avait essayé de l’aider, le jeune homme restait amer. Quoi qu’elle tente, elle n’aurait de toute façon pas pu le sortir de là. Personne ne le pouvait, même pas lui. Même pas Marley qui avait pourtant prit son cas très à cœur. Au mieux, elle pourrait le protéger pendant un temps mais au fond, Leo savait que ceux qui le cherchaient finiraient toujours par le retrouver. Comme un dernier espoir, l’italien tenta de dissuader la jeune femme mais il était trop tard. Sa décision était prise depuis bien longtemps, et elle ne put d’ailleurs pas soutenir son regard bien longtemps. Sans aucun scrupule, elle acheva Leo en lui balançant son verdict sans appel : la sécurité de Shaun passait et passerait toujours avant le reste. Ce qui signifiait indirectement qu’il n’avait plus sa place ici,  à leurs côtés. Ashton avait gagné, et elle allait très rapidement en avoir la preuve. Sans un mot et sans un seul regard vers elle, Leo fit volte-face. En continuant de maintenir son bras blessé contre lui, il reprit la direction de l’entrée dans laquelle il s‘arrêta quelques instants. Son regard s’attarda sur une photo de Shaun qui trônait sur un meuble et instinctivement, il laissa ses doigts glisser sur l’image, comme s’il s’agissait de la dernière qu’il voulait garder dans sa mémoire. Mais avant de laisser ses sentiments l’envahir et lui faire faire des choses qu’il finirait par regretter, Leo continua son chemin vers l’extérieur et claqua bruyamment la porte au moment où il quitta la maison, balayant du même coup tous ses espoirs d’avoir un jour une vie de famille à peu près normale.