Mis à part ses collègues de travail, Trevor n’était censé connaitre absolument personne à New-York, et c’était très bien comme ça. Il n’était pas venu ici pour rencontrer des gens, et encore moins pour se chercher des amis. Au contraire, il était venu ici pour se cacher, pour se couper de tous ceux qu’il avait pu connaitre ou côtoyer auparavant. Mais à sa plus grande surprise, le jeune homme avait retrouvé ici une jeune fille qu’il connaissait, et pas n’importe laquelle ! Ashton, cette fille avec qui il n’avait passé qu’une seule nuit et qui pourtant, n’avait jamais vraiment quitté ses pensées. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, elle avait su le mettre à nu, au sens propre comme au figuré. Il s’était confié à elle comme il ne l’avait jamais fait auparavant, mais s’en était rapidement mordu les doigts. Effrayée par ses aveux, la jeune femme s’était empressée de déguerpir pour disparaitre à jamais… ou presque. A vrai dire, Trevor avait perdu tout espoir de revoir Ashton un jour, jusqu’à ce qu’il la croiser par hasard à New-York. Mais bizarrement, le jeune homme n’avait pas osé initier leur re-rencontre, et c’est un bref moment d’inattention qui lui avait valu une belle collision avec la poussette abritant le fils d’Ashton.

Depuis cet « incident », et c’était un peu un paradoxe, l’ambiance entre les deux jeunes gens était beaucoup plus détendue. Ils avaient même instauré une sorte de petite tradition, qui consistait à se retrouver chaque mercredi dans un petit café où ils avaient désormais leurs habitudes. Et aujourd’hui encore, ils ne comptaient pas déroger à la règle. Installé à la table du fond, la plus éloignée de l’entrée mais aussi la plus à l’abri des regards, Trevor attendait donc la jeune femme en parcourant distraitement les différentes fonctionnalités de son tout nouveau téléphone portable. « Hey... » Pas besoin de lever le nez pour reconnaitre que la voix qui venait de l’interpeller appartenait précisément à celle qu’il attendait. L’italien afficha donc un large sourire, avant de ranger sagement son téléphone dans la poche de son blouson. Mais en relevant finalement les yeux vers Ashton, le jeune homme resta figé quelques instants. Depuis leur première rencontre, c’était la première fois qu’il la voyait dans son uniforme militaire, et cela avait quelque chose d’étrange à ses yeux. Surtout lorsqu’on connaissait son passé, on pouvait aisément concevoir que le fait de se retrouver en face d’un militaire en uniforme soit inhabituel. « Désolée, je suis atrocement en retard... Shaun pleurait tellement, impossible de le laisser, mais il est avec Logan. Thank god, il y a toujours l'illusion d'être avec moi quand il est avec elle, il se rendra compte de la supercherie bien assez tôt... » Oubliant très vite toutes ses considérations précédentes, Trevor ne put s’empêcher de sourire. « T’en fais pas, je ne suis pas là depuis très longtemps ! » répondit-il pour la rassurer. Il la laissa ensuite s’installer en face de lui, et fit signe à un des serveurs qui vint immédiatement prendre leur commande.

Comme à leur habitude, Ashton et Trevor se lancèrent donc dans une longue discussion, parlant de tout et de rien, et c’est précisément cette légèreté que le jeune homme appréciait dans leur relation actuelle. Mais après plusieurs dizaines de minutes de conversation, un grand fracas fit sursauter Trevor. Un rapide coup d’œil en direction de la porte d’entrée lui permit de constater que trois hommes cagoulés et armés venaient de pénétrer dans l’établissement, en braillant des instructions incompréhensibles. Le cœur de l’italien sembla cesser de battre quelques instants. La bouche entrouverte, il resta vissé sur sa chaine sans vraiment réaliser ce qui était en train d’arriver. Puis, instinctivement, il attrapa la main d’Ashton et se précipita vers l’issue de secours qui se trouvait tout près d’eux. En quelques secondes à peine, ils furent à l’extérieur et sans lâcher la jeune femme un seul instant, Trevor se mit à courir comme un dératé pour fuir au plus vite ce qu’il considérait comme un danger pour sa propre vie. Pour lui, ça ne pouvait pas être autre chose. Les hommes de son père l’avaient enfin retrouvé, et ils s’étaient sans aucun doute lancés à sa poursuite dès l’instant où il avait quitté le café. Complètement essoufflé, Trevor arriva dans un cul-de-sac, face à un mur qui lui fit stopper sa course et tourner un regard totalement paniqué vers Ashton. Mais la peur le piqua une nouvelle fois au vif, et sans réfléchir, l’italien grimpa sur la poubelle la plus proche, se hissant ensuite sur le mur en question avant de se retourner pour tendre sa main à Ashton. Une fois passés de l’autre côté, le jeune homme leur fit continuer leur fugue quelques instants avant de bifurquer dans un bâtiment en travaux qui se trouvait sur leur chemin. Montant les marches d’escalier quatre à quatre, Trevor rallia rapidement un des étages supérieurs et se précipita vers l’ouverture symbolisant une future fenêtre pour guetter d’éventuels suiveurs. Mais à la plus grande satisfaction de l’italien, personne ne semblait être en vue. Soulagé, il se laissa glisser le long du mur le plus proche avant d’enfouir son visage entre ses mains en tentant en vain de reprendre son souffle.

La course effrénée qu’il venait de vivre rappelait à Trevor tout un tas de souvenirs qu’il aurait préféré oublier. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison qu’il avait quitté Milan et qu’il était venu s’installer dans la Grosse Pomme. Mais comme si son destin avait décidé de le poursuivre partout où il irait, le jeune homme ne semblait pas pouvoir se débarrasser de ses vieux démons aussi facilement. Lorsque ces hommes cagoulés étaient entrés dans le café, il n’avait pas hésité une seule seconde et avait prit ses jambes à son cou, entrainant Ashton dans sa fuite sans même lui demander son avis. Car il était parti du principe que si lui-même était en danger, toute personne qui le fréquentait de près ou de loin le serait aussi. Trevor ne le savait que trop bien, puisque son père s’était personnellement occupé du sort de sa petite amie quelques années auparavant. Depuis ce jour, le jeune homme s’était donc isolé, préférant être le seul concerné par toutes ces magouilles et ne risquant de mettre aucune vie supplémentaire en danger. Seulement ici tout était différent. Il était venu pour changer de vie, pour se reconstruire et partir sur de nouvelles bases, et Ashton faisait aujourd’hui partie de son quotidien ou presque. Leurs petits rendez-vous hebdomadaires étaient devenues, bien plus qu’une habitude, un véritable besoin. Comme une bouffée d’air sans laquelle Trevor se sentait qu’il manquait quelque chose à sa vie. Il ne savait pas vraiment s’il pouvait considérer la jeune femme comme une amie, mais à ses yeux, elle représentait bien plus que ça. Ce fut donc dans l’optique de la sauver qu’il ne lâcha pas sa main une seule seconde durant leur fuite, mis à part pour l’aider à passer un mur qui s’était dressé en forme d’obstacle devant eux.

A bout de souffle mais rassuré d’avoir trouvé un endroit où se cacher, Trevor se laissa donc tomber au sol en prenant son visage entre ses mains. A priori plus personne ne les suivait, et ils étaient tirés d’affaire… pour le moment. Ce n’est que la voix d’Ashton qui lui fit relever la tête et qui l’extirpa brutalement de ses pensées. « Tu peux m'expliquer ce qu'il vient de se passer, là ? » s’exclama-t-elle, non sans avoir bafouillé un peu avant. Evidemment, la jeune femme allait lui réclamer des explications, et c’était bien légitime. Mais pour Trevor, cela signifiait aussi qu’il devait lui raconter la vérité et tous les détails de ce qui était arrivé depuis leur toute première rencontre. Autant dire que l’italien n’avait pas spécialement prévu ce genre de choses dans ses plans, mais il se retrouvait désormais au pied du mur. « C’est… c’est pas ce que tu crois ! » articula-t-il encore particulièrement essoufflé en se redressant. Par simple mesure de précaution, il jeta de nouveau un coup d’œil vers l’extérieur par l’ouverture de la fenêtre, puis se retourna vers la jeune femme. Elle avait l’air sonnée, au moins autant que lui, et tout dans ses yeux disaient qu’elle crevait d’envie d’en savoir plus. C’est la raison pour laquelle l’italien poussa un long soupir avant de fermer les yeux quelques instants… puis de les rouvrir en les braquant sur ceux d’Ashton. « Je… je suis désolé que tu aies assisté à ça, je voulais pas… ça n’aurait jamais du se passer comme ça. Si j’avais su qu’ils me retrouveraient si vite… j’aurai pas prit le risque de te revoir… »

Depuis des mois entiers, Trevor essayait de se reconstruire, de tirer un trait sur son passé, même s’il savait que cela ne pouvait pas être définitif. Néanmoins, il espérait que les hommes qui étaient certainement à ses trousses lui laisseraient un peu de répit, au moins quelques années pour qu’il puisse gouter à une vie nouvelle, une vraie vie. Mais ce qu’il venait de se passer était là pour lui rappeler qu’il devait rester vigilant. Tous ses espoirs s’écroulaient, et même s’il était encore un peu sonné par la course folle qu’il venait de faire, l’italien était abattu. Peut-être avait-il été trop ambitieux en quittant Naples ? Pendant un temps, il s’était cru plus fort que la mafia, mais il réalisait aujourd’hui que son idée de fuite avait été une grossière erreur. En prenant la place de son père à la tête de la mafia milanaise, Trevor n’avait aucun droit de lâcher l’affaire et encore moins disparaitre du jour au lendemain sans laisser de trace. Et pourtant, c’est précisément ce qu’il avait fait en croyant pouvoir échapper à son destin… en vain. Mais à ses yeux, le pire dans cette histoire était d’entrainer Ashton avec lui. Elle avait un fils et une vie ici. Et Trevor, en arrivant comme une fleur, risquait de tout faire basculer dans un cauchemar impensable. Alors si l’italien avait peur aujourd’hui, ce n’était pas pour lui. Toutes ses inquiétudes portaient sur Ashton et sur tous les ennuis qu’il était en train de lui attirer.

« Mais de quoi est-ce que tu parles, c'était qui ces mecs ? » lâcha-t-elle finalement, non sans vérifier à son tour que personne n’était en train de les poursuivre. « Je… j’en sais rien… » Trevor était honteux et tellement désolé de ne pas pouvoir lui apporter plus d’informations… Mais la réalité était là, et l’italien n’avait même pas prit la peine de vérifier qui était venu le chercher jusqu’ici. Tout ce qui avait compté lorsque ces hommes étaient entrés dans le café avait été de sauver sa peau, mais aussi et surtout celle d’Ashton. « Je croyais que tu... enfin, que tu faisais plus... ça. » Le regard du jeune homme croisa celui d’Ashton, et l’expression qu’il put y lire lui brisa le cœur. Elle avait accepté de lui faire confiance et de le revoir alors qu’il n’avait rien voulu lui expliquer quand à son changement soudain, et aujourd’hui, il avait l’impression de la trahir en la mettant dans de sales draps. Le visage de l’italien se fit alors quasiment suppliant, et c’est d’une voix faible qu’il articula : « C’est le cas Ashton, j’ai vraiment arrêté ! Mais… » Trevor laissa échapper un long soupir, et après avoir vérifié une dernière fois que le bâtiment était désert, il s’approcha de la jeune femme en lui attrapant instinctivement les mains. « Ecoute, je crois que… enfin, j’étais pas vraiment censé quitter Milan comme je l’ai fait. C’était plus… une fuite qu’autre chose. Et du coup, j’ai peur que… que des hommes de mon père soient en train de me chercher. » avoua-t-il finalement en baissant les yeux, sans pour autant lâcher les mains d’Ashton. « Je… c’est un peu pour ça que j’avais pas osé t’aborder avant… je ne voulais pas te mêler à tout ça sans être sûr que c’était bel et bien fini, surtout avec ton fils… Je suis désolé Ashton. C’était sûrement pas une bonne idée de se revoir comme ça… »

Trevor se sentait totalement piégé. D’une part parce qu’il était persuadé que les hommes de son père venaient de remettre la main sur lui. Mais aussi et surtout parce qu’Ashton lui réclamait les explications qui s’imposaient, et qu’il ne pouvait pas se défiler. Aujourd’hui, elle était plus ou moins impliquée dans tout ça, et après la course folle à travers les rues de New-York qu’il venait de lui « offrir », il ne pouvait pas faire autrement : il se devait de lui dire la vérité. Mais pour Trevor qui s’était évertué à cacher son passé depuis qu’il avait mis les pieds ici, ce n’était pas une chose facile. Alors, comme pour se donner un peu de courage, l’italien se saisit des mains d’Ashton avant de se lancer, et de lui expliquer le plus clairement possible la situation dans laquelle il se trouvait. Mais les choses n’étaient pas vraiment simples, et ne sachant par quel bout commencer, il lui livra les informations un peu comme elles lui venaient. Cependant, Trevor fut assez lucide pour s’excuser, et tenter de faire comprendre à la jeune femme qu’il n’avait jamais voulu l’embarquer là-dedans. « Non, je... t'en fais pas, c'est pas grave. Mais merci de penser à Shaun et à moi... » souffla-t-elle à la plus grande surprise de l’italien. Lui qui pensait qu’elle allait s’emporter, à juste titre, et qu’elle allait s’enfuir… Il fut pour le coup un peu décontenancé, et se contenta de lui adresser un maigre sourire sans âme.

« Alors, tu penses que c'était eux, les hommes de ton père ? Enfin, je veux dire, tu pourrais être n'importe où, non ? » Le regard toujours aussi apeuré et désespéré, Trevor hocha la tête et répondit : « Où que je sois ils finiront par me retrouver… J’en suis presque sûr. Ils ont des contacts absolument partout. C’est… c’est plus ou moins ce que j’ai fait pendant des années et crois-moi, j’ai toujours trouvé le personnes que je cherchai… » avoua-t-il en soupirant. Il ne connaissait que trop bien l’efficacité de la mafia milanaise, et c’est précisément pour cela qu’il s’inquiétait tant. En l’observant, l’italien eut l’impression que l’esprit d’Ashton carburait à toute vitesse pour rassembler les pièces du puzzle qu’il venait de lui livrer en vrac. Et il ne fut qu’à moitié surpris lorsqu’elle lui demanda : « Et... Pourquoi tu as fui ? »

Même si elle lui indique qu’il n’était pas obligé de répondre, Trevor relacha les mains de la jeune femme et recula légèrement en soupirant, avant de se relancer dans quelques explications : « Mon père est mort dans un règlement de compte qui a mal tourné et… dans la logique des choses, j’ai du prendre sa place. Je suis devenu… le chef, si on peut dire. Mais c’est pas ça que je voulais, je voulais juste… changer de vie. Alors du jour au lendemain, je suis parti. J’ai pris le premier avion que j’ai trouvé, sans rien dire à personne, sans rien emporter avec moi. Et… c’est comme ça que je me suis retrouvé ici. » Le jeune homme déglutit douloureusement, puis détourna le regard en soupirant. « C’est ce qui me fait dire qu’ils feront tout pour me retrouver… et me faire payer tout ça. » ajouta-t-il d’un air désabusé, histoire d’aller jusqu’au bout de son histoire.

Une fois de plus, et sans vraiment comprendre ce qui le poussait à faire ça, Trevor se confiait à Ashton en toute sincérité. D’aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais été aussi honnête avec qui ce soit, toujours obligé de se protéger, même en présence de gens qu’il appréciait. Et cette propension à se confier à Ashton faisait d’elle la personne qui en savait le plus sur lui à des centaines de kilomètres à la ronde… si on ne comptait pas les hommes qui s’étaient lancés à sa poursuite, évidemment. L’italien aurait pu se sentir percé à jour, fragile et vulnérable après avoir raconté son histoire à la jeune femme et pourtant, il se sentait plutôt libéré. Comme débarrassé d’un poids trop lourd pour lui et qu’il portait depuis bien trop longtemps. D’ailleurs, lorsque sa voisine se permit un petit trait d’humour concernant le pseudonyme qu’il s’était choisi, Trevor se surprit à sourire. Décidément, cette nouvelle identité avait l’air de la perturber au plus haut point, et le jeune homme avait le sentiment qu’elle ne le lâcherait jamais avec ça. Mais c’était tout à fait compréhensible, lui-même avait parfois encore un peu de mal à s’y faire. Renier ses origines n’avait pas été une chose facile et pourtant, il n’avait pas vraiment eu le choix. Il avait voulu commencer une nouvelle vie, et cela passait inévitablement par un changement de nom, de nationalité et tout ce qui s’ensuivait.

En lui livrant tous ces secrets, Trevor s’était éloigné d’Ashton et il avait surtout relâché l’emprise qu’il avait imposée à ses mains. Mais bien vite, la jeune femme se rapprocha de nouveau de lui, et une sorte de frisson le parcourut en sentant une de ses mains se poser sur son épaule. « Hey, ça va aller... regarde, on s'en est sortis cette fois, on s'en sortira les autres fois. » L’italien fronça instantanément les sourcils, en réalisant que quelque chose clochait dans ce qu’elle venait de lui dire. Il posa alors sur elle un regard quasi-indéfinissable, empreint d’inquiétude, de gêne et de douleur. Mais avant même qu’il puisse dire quoi que ce soit, Ashton reprit : « Et il n'y a aucun moyen que tu puisses régler ça une bonne fois pour toutes ? » Trevor baissa de nouveau les yeux en soupirant, et haussa les épaules d’un air désespéré. Bien sûr, un tas d’idées lui avait déjà traversé l’esprit quant à une éventuelle solution définitive, mais à chaque fois, il en revenait à la même conclusion. Il pouvait tuer qui il voulait, il y aurait toujours quelqu’un pour venir le venger. Alors l’italien s’était résigné : il ne pourrait jamais être tranquille. Absolument personne ne pouvait lui venir en aide, et il n’avait d’autre choix que de se débrouiller tout seul, et tenter d’échapper à ceux qui voulaient sa peau le plus longtemps possible. « Non… non, il n’y a vraiment aucun moyen. A part se cacher… Mais… » Trevor dut marquer une pause pour trouver le courage et la formulation adéquate, conscient que ce qu’il s’apprêtait à dire serait particulièrement douloureux, au moins pour lui. « Ashton… je crois que… enfin, il vaut mieux pas… » Désespéré, l’italien lâcha un dernier soupir avant de reprendre : « Il n’y aura plus de « on ». Je ne veux pas que tu trempes là-dedans toi aussi, encore moins avec Shaun. Et s’ils savent qu’on se connait, ils s’en prendront à toi, crois-moi. Alors… je préfère qu’on ne se voit plus. C’est plus prudent pour vous. » L’aveu était douloureux, mais il lui paraissait légitime. Trevor n’avait aucune envie de couper les ponts avec Ashton et pourtant, les fantômes de son passé étaient en train de l’y obliger.

Brusquement, Trevor semblait avoir prit conscience que le fait de vouloir côtoyer de nouveau Ashton avait été une grossière erreur. Jusque là, il s’était raccroché au faux espoir d’être en sécurité ici, que le nombre incalculable de gens qui parcouraient les rues de New-York pouvait brouiller les pistes, et ainsi lui laisser quelques mois, quelques années de répit. Mais la dure réalité venait de le frapper de plein fouet. Et la situation dans laquelle il se trouvait aujourd’hui ne lui rappelait que trop de mauvais souvenirs. Tout allait recommencer, comme à Milan. Peut-être même pire qu’à Milan. Et il était le seul fautif (sans vraiment l’être) ; c’était donc à lui d’en assumer les conséquences. Les conséquences d’être né dans la mauvaise famille, d’être trop honnête et droit pour vouloir suivre ces manigances… C’était totalement injuste, et il était le premier à en être conscient. Mais il n’avait aucun droit d’entrainer d’autres gens avec lui, dans sa chute. Pour le bien d’Ashton et de son fils, il valait mieux qu’il s’en éloigne et qu’il fasse comme s’il ne les avait jamais connus. Alors, il pourrait peut-être berner ceux qui étaient désormais à sa poursuite, et détourner leur attention pour que la jeune femme et sa famille soient en sécurité. Mais curieusement, lorsque Trevor fit ce douloureux aveu, Ashton ne sembla pas du tout partager son point de vue. C’était à peine compréhensible et lui-même, s’il avait été à sa place, aurait certainement profité de l’occasion pour prendre ses jambes à son cou et s’enfuir à toute vitesse. Mais au lieu de ça, la militaire déclara : « Je vais pas te laisser comme ça, Leo... » En entendant son prénom, l’italien serra les dents, sans pour autant reporter son regard sur Ashton qui, devant son silence, se lança dans un long monologue.

« Tu veux juste une nouvelle vie, et t'y as droit. Tu peux pas rester comme ça, tout seul, à attendre qu'ils viennent te trouver ! De toute façon, on s'est assez vus ces dernières semaines pour qu'ils sachent qu'on se connaissent de toute façon. Et puis, j'ai l'air inoffensive comme ça, mais je te rappelle que je suis quand même lieutenant à l'armée ! Just saying... » Trevor appréciait son geste et la détermination qu’elle mettait dans ses paroles, mais rien ne pouvait effacer les souvenirs qu’il avait gardé. Cette situation, il avait ‘impression de l’avoir déjà vécu et il savait qu’elle s’était très, très mal terminée. Alors, il secoua doucement la tête en affichant un sourire sans âme. Puis il daigna enfin replonger ses yeux dans ceux d’Ashton pour s’expliquer : « Tu ne comprends pas… » souffla-t-il dans un premier temps avant de soupirer longuement. « Je sais exactement de quoi ils sont capables parce que… parce que j’ai déjà vécu ça. Et je ne veux pas qu’ils te fassent la même chose, je ne veux pas qu’ils te fassent de mal parce que tu n’as rien à voir avec eux ! C’est moi qu’ils cherchent, et ce serait injuste qu’ils s’en prennent à toi gratuitement. Mais c’est pourtant ce qu’ils font, à chaque fois. » Trevor marqua une pause, puis se rapprocha rapidement d’Ashton histoire de pouvoir la regarder en face et lui prouver sa bonne foi, en quelque sorte. « Imagine qu’ils s’en prennent à Shaun… » murmura-t-il avant de déglutir douloureusement, et de laisser une de ses mains effleurer les cheveux de la jeune femme. « J’ai adoré nos petits rendez-vous au café, vraiment ! Mais… S’il-te-plait… Je ne veux pas te laisser prendre ce risque. »

Trevor avait tenté d’être le plus catégorique possible et pourtant, la détresse et la douleur pouvait aisément se lire dan son regard. Le fait de laisser entendre à Ashton que les hommes qui le poursuivaient pourraient un jour s’en prendre à Shaun lui coûtait énormément, mais c’était pourtant bien la triste vérité. Ces hommes-là étaient sans cœur, et même la vie d’un enfant ne semblait avoir aucun prix face à leur désir de vengeance. Leo avait bel et bien expérimenté cette absence de sentiment, et c’était une des raisons pour lesquelles il avait tant voulu fuir le monde de la mafia milanaise. Mais même si le moment était douloureux et teinté de désillusion, l’italien savait au fond de lui qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Aucune autre solution ne pouvait être trouvée, et il avait d’ailleurs été particulièrement stupide de croire qu’il pourrait retrouver une vie normale sans être poursuivi par son destin. Quoi qu’il en soit, le fait de retrouver Ashton ne serait-ce que pendant quelques semaines lui avait fait le plus grand bien. Avec elle, il avait pu parler librement de tout et de rien, il avait ri et avait langui chacun de leur petit rendez-vous. Mais tout cela était trop beau pour durer, et ils devaient aujourd’hui tirer un trait définitif sur cette relation. Tous les deux.

Se faisant plus tendre, peut-être sous le coup de l’émotion qui l’étreignait, Trevor se permit de laisser glisser une de ses mains sur la chevelure d’Ashton qui demanda presque aussitôt : « Mais... Et toi ? » L’italien ferma les yeux en déglutissant douloureusement, bien conscient de ne pas avoir de réponse aux questions qu’elle se posait, et qu’il se posait au moins autant qu’elle. « Qu'est-ce que tu vas faire, où tu vas aller ? » Les murmures d’Ashton ne firent que serrer un peu plus le cœur du jeune homme qui rouvrit les yeux afin de capter le regard de sa voisine. Elle ne pourrait lire en lui que de l’incertitude et même de la peur, mais si c’était la dernière fois qu’il la voyait, Leo voulait au moins garder en mémoire la clarté de son regard. « J’en sais rien, je… je trouverai bien un moyen de me cacher encore un peu… » Encore un peu avant qu’ils ne lui remettent la main dessus, et qu’ils lui fassent subir le triste sort qui lui était promis. Leo le savait, ils ne lui laisseraient pas plusieurs chances. Le jour où les hommes de son père le retrouveraient serait aussi le dernier jour de sa vie. Il en était conscient, et préférait se dire que cela faisait partie du jeu qu’il avait voulu jouer avec eux. En désertant comme il l’avait fait, il avait éveillé leur colère et devait désormais composer avec ça. Il devait assumer, quitte à y perdre la vie. « Et si c’est pas le cas… ajouta-t-il alors en laissant sa phrase en suspens quelques secondes, comme s’il était en train de s’imaginer la scène. « Si c’est pas le cas, j’aurai au moins la satisfaction de ne pas vous avoir impliqué là-dedans, Shaun et toi… » souffla-t-il finalement en s’éloignant lentement d’Ashton. Il aurait voulu la serrer dans ses bras, mais il savait que cela ne rendrait les adieux que plus pénibles. Alors il se contenta de baisser les yeux, et murmura un « Désolé Ashton… » à peine audible, avant de faire volte-face et de disparaitre assez rapidement pour qu’elle ne puisse pas le rattraper.