Si Leo avait choisi New-York comme point de chute lorsqu’il avait quitté l’Italie, c’est parce que le premier vol qu’il avait trouvé s’envolait quelques minutes plus tard direction les Etats-Unis. Mais il avait surtout opté pour la Grosse Pomme parce qu’il savait qu’a priori, il ne connaissait personne là-bas. Certes, il se doutait que de par son statut, quelques personnes devaient le connaître au moins de nom, mais il misait sur la taille impressionnante de cette ville pour s’y cacher sans trop de difficultés. Leo partait du principe qu’en évitant de trainer trop près de Little Italy, tout se passerait bien pour lui.

Et pourtant, tout avait été remis en question le jour où il avait croisé Ashton. Ashton, cette fille qu’il avait rencontrée lorsqu’il était encore sous les ordres de son père qui l’avait envoyé « s’occuper » d’un de ses ennemis en Afghanistan. Cette militaire américaine avec qui il avait passé une nuit des plus torrides, mais qui avait rapidement prit la fuite en apprenant les raisons de sa venue. Elle n’était qu’une conquête parmi d’autres pour le jeune homme et pourtant, il se souvenait parfaitement bien d’elle. Surtout de ses grands yeux clairs en fait. Et ce pour une seule et unique raison : c’est grâce à ces yeux qu’il l’avait remarquée la première fois, parce que son regard lui rappelait celui d’Elena. Seulement voilà, sans en connaître les détails exacts, Ashton savait ce que Leo faisait de sa vie, elle connaissait une part de son passé qu’il tentait d’oublier tout en sachant que c’était impossible, et l’optique de la côtoyer à nouveau avait quelque chose d’étrange. Alors, depuis des mois, il se contentait de l’observer de loin, sans jamais se montrer. Le jeune homme n’allait pas jusqu’à dire qu’il la suivait, mais sa présence de plus en plus fréquente dans Greenwich Village était néanmoins liée. A chaque fois qu’il l’apercevait, Leo prenait bien soin de se cacher histoire de pouvoir l’observer tranquille. C’est d’ailleurs comme ça qu’il avait appris qu’elle avait désormais un enfant. Ashton devait certainement avoir une belle petite famille, comme on en voit dans les séries américaines et quelque part, Leo l’enviait.

Le jeune homme était donc posté à l’angle d’une rue, partagé entre l’envie indéniable d’aller voir Ashton qui se trouvait à quelques mètres de lui, et la retenue qui lui dictait de rester à sa place. C’est alors que son téléphone portable se mit à vibrer, faisant par la même occasion sursauter un Leo totalement aspiré par la contemplation de la jeune femme. Il s’empressa de sortir l’objet de la poche de son jean, et se mit à pianoter histoire de prendre connaissance du SMS qu’il venait de recevoir. La curiosité détourna donc son attention d’Ashton, et il s’appuya un peu plus confortablement contre le mur pour répondre à son collègue de travail qui se plaignait une fois de plus des débordements de leur patron.

Trevor ne savait pas vraiment à quoi attribuer cette manie qu’il avait prise d’observer Ashton de la sorte. Après tout, il ne l’avait vue qu’une seule fois auparavant, et elle était partie dans des conditions qu’il aurait préféré éviter. Mais pourtant, dès l’instant où il avait réalisé qu’elle était bien là, à New-York, dans la même ville que lui, il avait ressenti le besoin de l’approcher. Mais tout ce qu’elle savait sur lui, tout ce qui le raccrochait à son passé érigeait comme une immense barrière entre eux. Sans pouvoir s’expliquer pourquoi, Trevor avait l’impression de prendre des risques en se rapprochant d’elle. Dans son esprit, le fait de la fréquenter à nouveau signifiait qu’il mettait en danger son secret, le fait qu’il soit réfugié dans la Grosse Pomme pour fuir son destin, et surtout la sanction qui tomberait inévitablement le jour où les hommes de son père le retrouveraient. Après tout, et même s’il en avait l’impression, il ne connaissait pas cette fille et ne savait même pas de quoi elle était capable. Alors, un peu à la manière d’un enfant qui admirerait un objet inaccessible, le jeune homme se contentait « d’espionner » Ashton sans se montrer.

Totalement absorbé par le message qu’il venait de recevoir, et sur le point de se mettre à écrire une réponse, Trevor ne remarqua même pas qu’une poussette faisait irruption au coin de la rue. Ce n’est que lorsqu’elle heurta violemment ses tibias qu’il sursauta en retenant un hoquet de surprise. Mais à peine eut-il relevé les yeux que l’italien se pétrifia, littéralement. Elle était là, en face de lui, sans même l’avoir remarqué puisqu’elle s’assurait que le bébé qu’elle promenait n’avait rien. Le petit bonhomme qui trônait dans sa poussette braquait d’ailleurs un regard éberlué sur Trevor qui était bien incapable de prononcer le moindre mot. Au lieu de ça, il attendit qu’elle réagisse avec une appréhension à peine dissimulée. « Leo... » souffla-t-elle en croisant son regard. Et instantanément, Trevor sentit les battements de son cœur accélérer dans sa poitrine. Dans un réflexe pas vraiment contrôlé, il s’approcha brusquement d’elle et leva la main, stoppant son geste au dernier moment pour murmurer : « Chut ! Chut… pas si fort ! » Personne ici ne connaissait son identité et donc son vrai prénom, et il ne tenait pas spécialement à ce que cela s’ébruite.

Le regard de la jeune femme le transperçait, et au moment où elle lui demanda ce qu’il faisait là, Trevor n’eut d’autre choix que de baisser les yeux. Et inévitablement, son regard tomba sur le bébé qui le toisait toujours d’un air quasi-apeuré. Alors une nouvelle fois, l’italien détourna les yeux, préférant finalement se concentrer sur le trottoir pour répondre en murmurant : « Je… je peux pas te dire ça comme ça… Pas ici. » Les passants qui le frôlaient l’oppressaient. Trevor se sentait tout à coup menacé et lançait des regards suspicieux à tous ceux qui osaient s’approcher d’un peu trop près. Alors, comme pour détourner l’attention des potentiels espions qu’il imaginait déjà, Trevor releva les yeux vers Ashton et lui demanda, d’un faux air détaché : « Ca va ? »

L’esprit d’Ashton devait fourmiller de questions et d’incompréhension, et c’était bien légitime. Leo lui-même avait également eu cette réaction le jour où il l’avait aperçue pour la première fois dans la Grosse Pomme. Mais contrairement à elle, l’italien était resté discret et distant, voire même inexistant, de peur d’avoir à se dévoiler un peu plus que de raison. Mais il se trouvait désormais devant le fait accompli, et dans un sens il comprenait parfaitement toutes les interrogations de la jeune femme. Pourtant, il n’était pas en mesure d’y répondre et encore moins de s’expliquer ici, au milieu de la rue et de tous ces gens qu’il voyait définitivement comme autant de menaces potentielles. Alors, histoire de faire bonne figure et de garder un semblant de contenance, Leo retomba sur ses pattes en lui demandant comment elle allait. Comme s’ils ne s’étaient jamais vraiment quittés. Comme si ça ne le bouleversait pas outre mesure d’être ainsi planté en face d’elle après qu’elle l’ait fuit quelques mois plus tôt. Et de par quelques expériences plutôt douloureuse que l’italien avait connues durant sa jeunesse, il pouvait aujourd’hui se targuer d’être un excellent comédien.

Ashton semblait totalement désarçonnée, et Leo ne pouvait qu’être spectateur de tout ça. Il aurait aimé lui en dire plus, lui dire qu’il en avait fini avec ses démons du passé ou plutôt, qu’il y travaillait chaque jour… Mais l’enjeu l’en empêchait et quitte à la décevoir, il préférait garder son image de mafieux accompli que rien n’atteint. Mais il n’avait eu beau la fréquenter que pendant une soirée, Leo savait que la jeune femme était curieuse. C’est d’ailleurs défaut (qui en était un du point de vue du jeune homme) qui l’avait menée à apprendre de quoi était faite la vie de l’italien. Par conséquent, la questionna qu’elle prononça, même à mi-voix, n’étonna pas vraiment l’italien. « Est-ce que... tu as des problèmes ? » Le fait qu’ils parlent presque naturellement comme s’il était tout à fait normal de se croiser ainsi dans la rue l’épatait. Ou plutôt le décontenançait, mais comme à son habitude Trevor n’en laissait rien paraître. Cependant, une chose le contrariait : malgré les recommandations qu’il venait de lui faire, Ashton semblait vouloir insister. Alors, comme pour lui faire comprendre implicitement qu’il ne lui répondrait pas, le jeune homme éluda une nouvelle fois la question en changeant radicalement de sujet. Ses yeux se posèrent sur la chevelure d’Ashton dont il avait gardé un souvenir quelque peu… différent. Lorsqu’il l’avait connue, elle arborait des cheveux d’un roux flamboyant et le fait de la retrouver aujourd’hui en blonde était relativement perturbant. « Tes cheveux… ! » continua-t-il en toute innocence, un léger sourire au coin des lèvres. « Ils ont changé ! »

Seuls les gazouillis du bébé qui se trouvait dans la poussette parvinrent à détourner l’attention de Leo qui baissa la tête, constatant avec surprise que le petit bonhomme tendait les bras vers lui. Son premier réflexe, aussi malheureux soit-il, fut de froncer les sourcils. Mais lorsqu’il remarqua la lueur d’inquiétude dans le regard du bébé, Leo s’efforça de radoucir son expression. En vérité, il n’aimait pas particulièrement les enfants, et encore moins les bébés. Surtout quand ceux-ci avaient l’air de l’apprécier. L’italien pouvait faire face à la pire des brutes sans ciller et sans même afficher la moindre crainte, mais lorsqu’il se retrouvait en face d’un bébé, c’était une toute autre histoire. Ce petit le mettait définitivement mal à l’aise, et Leo ne savait même pas qui il était. Ashton faisait-elle du baby-sitting ici ? Avait-elle une sœur, une amie qui lui confierait son fils de temps en temps ? Le jeune homme n’en avait pas la moindre idée, et releva donc un regard interrogateur en direction d’Ashton, dans l’espoir d’obtenir un peu plus d’informations ou mieux, qu’elle passe carrément aux « présentations ».

Quoi qu’il en dise ou qu’il veuille bien en montrer, le fait de croiser Ashton en ville le perturbait au plus haut point. Ou plus précisément, c’était le fait de pouvoir lui parler qui lui faisait bizarre. Car sans qu’elle ne le sache, cela faisait désormais plusieurs mois que Leo la croisait régulièrement. Mais, bien trop craintif pour sa propre sécurité, l’italien n’avait jamais osé faire le premier pas vers elle. Et c’est finalement Ashton qui l’avait fait. Accidentellement, certes, mais les conséquences étaient bel et bien là. D’ailleurs, Leo ne savait pas s’il devait se sentir soulagé que leurs « retrouvailles » se soient passées comme ça, ou s’il aurait préféré attendre encore un peu. Attendre quoi ? Il n’en avait pas la moindre idée. Mais son expérience lui avait prouvé que les femmes qui en savaient un peu trop sur lui ne lui attiraient que des ennuis. Alors même devant Ashton qu’il était pourtant ravi de retrouver au fond, l’italien ne pouvait s’empêcher de se montrer méfiant.

Devant l’insistance du petit bonhomme qui gigotait dans sa poussette, Leo n’eut d’autre choix que de baisser les yeux vers lui. Le jeune homme se demandait d’ailleurs comment il était possible d’être aussi mal à l’aise devant un bébé, alors qu’il avait su faire face sans broncher à des véritables brutes. Le regard plein de questions que Leo dirigea vers Ashton sembla suffire à lui faire comprendre ce qu’il voulait, et après quelques instants d’hésitation la jeune femme avoua : « C'est Shaun... mon fils. » L’italien marqua un temps d’arrêt tout en fixant Ashton sans vraiment le vouloir. Bien sûr, il avait imaginé cette hypothèse mais le fait qu’elle la lui confirme le surprenait. Contre toute attente, le jeune homme ressentit une pointe de déception… qu’il masqua bien vite derrière un sourire. « Oh… D’accord. C’est… super ! » lança-t-il finalement en détournant les yeux vers le bébé. Il aurait bien voulu mettre plus d’entrain dans son discours, mais aucune formulation plus appropriée n’était arrivée jusqu’à ses lèvres. Et il avait beau chercher autre chose à dire, le jeune homme ne parvint qu’à instaurer un silence des plus oppressants… au terme duquel Ashton sembla baisser les bras pour pouvoir enfin fuir.

Il était plus sécurisant pour Leo de la voir partir et pourtant, un réflexe qu’il ne contrôla pas le poussa à agripper le bras de la jeune femme qui partait déjà. Il comprenait parfaitement où elle voulait en venir en évoquant Shaun ainsi que son propre passé. Mais quoi qu’il en soit, l’italien ne pouvait pas se résoudre à la laisser filer maintenant, sans lui avoir laissé sous-entendre qu’il n’était plus vraiment le même qu’à l’époque où ils s’étaient connus. Suite à son geste compulsif, Leo se retrouva une nouvelle fois nez-à-nez avec la jeune femme, les yeux figés dans les siens, sans savoir ce qu’il devait dire ou faire pour se justifier. Mais, soucieux de ne pas laisser passer sa chance, il enchaina : « Non… non, au contraire. Beaucoup de choses ont changées… » Dans ce cas précis, ne pas pouvoir parler librement était une sorte de torture pour Leo. Lentement, il relâcha son emprise sur le bras d’Ashton mais ne baissa pas pour autant les yeux. « On peut peut-être… aller boire un verre ou… je sais pas. » déclara-t-i finalement en haussant les épaules, visiblement déçu de son incapacité à trouver plus d’arguments pour la faire rester.

Ashton avait donc un fils… Trevor avait l’impression de l’avoir quittée il n’y avait pas si longtemps que ça et pourtant, la vie de la jeune femme semblait avoir radicalement changé. Forcément, elle n’allait pas l’attendre et encore moins lui demander son avis à lui après ce qu’il s’était passé entre eux mais tout de même… Trevor était victime de tout un tas de sentiments qu’il n’aurait pas du ressentir, et l’état dans lequel ce bébé le mettait était plus que perturbant. Totalement mal à l’aise, l’italien ne savait pas s’il devait soutenir le regard d’Ashton, celui de son fils, laisser la jeune femme partir sans rien dire, ou prendre lui-même ses jambes à son cou. Mais devant la perspective de la voir s’éloigner et de ne peut-être jamais la recroiser, Trevor opta pour une autre option. N’écoutant que son réflexe, il agrippa le bras de la jeune femme qui se retourna brusquement en plantant ses yeux dans ceux de l’italien. Ce regard le déstabilisa un instant, mais il réussit à se reprendre assez rapidement pour lui assurer qu’il avait changé, et tenter de la convaincre de rester un peu plus longtemps en sa compagnie.

« … D'accord. Je connais un endroit, juste à côté. » Son délai de réponse avait été si bref que Trevor ne put s’empêcher d’arquer un sourcil surpris. A vrai dire, il ne s’attendait même pas à ce qu’elle accepte son offre, alors le fait qu’elle prenne les devants de cette façon était tout bonnement inespéré. Mais, sautant sur l’occasion avant qu’elle ne s’envole, le jeune homme hocha frénétiquement la tête avant de se mettre à suivre Ashton en silence. Trevor apprécia fortement le fait qu’elle choisisse un endroit apparemment calme et peu fréquenté, et approuva timidement lorsqu’elle lui lança un regard interrogateur. En bon gentleman, le jeune homme se précipita vers la porte pour aider Ashton à acheminer sa poussette jusqu’à l’intérieur de l’établissement qui lui parut résolument adéquat pour la conversation qui, il s’en doutait, allait suivre. Et à peine furent-ils installés dans le coin le plus à l’abri des regards, que la jeune femme lança les « hostilités » en tentant de masquer ce que Trevor interpréta comme une sorte d’angoisse. « Alors ? Tu vas me dire ce que tu fais à New York ? » Lâchant un soupir mi-déçu mi-amusé, l’italien baissa la tête en articulant : « Je ne sais pas si c’est une bonne idée mais… je… avant tout, je dois te demander une faveur. » annonça-t-il d’un air grave. Il releva alors les yeux vers Ashton pour qu’elle capte le sérieux de la situation, et continua en murmurant d’une voix quasi-inaudible. « Ne m’appelle plus… Leo. Je… quand je te dis que les choses ont changé, c’est qu’elles ont vraiment changé… Je ne suis plus celui que tu as rencontré là-bas d’accord ? Je suis… Trevor. » Tout en sachant que c’était impossible, le jeune homme espérait au plus profond de lui qu’elle ne pose pas de questions supplémentaires. Mais même s’il ne connaissait pas extrêmement bien Ashton, il savait que c’était peine perdue. L’italien allait donc se lancer dans de plus amples explications, mais en voyant un serveur s’approcher, il referma immédiatement la bouche. Attendant que ce dernier daigne s’approcher d’eux, Trevor laissa son regard dévier vers le bébé qui gazouillait dans sa poussette et l’observa un moment… jusqu’à ce que le serveur vienne brusquement l’extirper de ses pensées. « Euh… un café, je vais prendre un café… s’il-vous-plait. » Leo se racla ensuite la gorge pour se redonner un semblant de contenance, et reprit la parole comme si de rien n’était. « Alors, euh… Shaun c’est ça ? Quel âge a-t-il ? »

Depuis qu’il était à New-York, Trevor était constamment sur le qui-vive. Dans chaque situation, chaque geste, il voyait un danger potentiel. Il savait bien quel sorte de danger planait au-dessus de sa tête, et ne parvenait par conséquent pas à se tranquilliser, même en se sachant loin de l’Italie et de son passé. En vérité, le jeune homme avait de quoi s’inquiéter… Le fait de quitter cette branche de la mafia alors qu’il en était devenu le principal acteur constituait de loin le plus gros risque qu’il avait jamais prit. D’ailleurs, Trevor avait été conscient de tout ça dès l’instant où l’idée lui avait traversé l’esprit. Mais pour lui, cette fuite représentait la seule et unique façon d’échapper à son destin et de vivre la vie à laquelle il aspirait, ne serait-ce que pour quelques années. Seulement voilà, le fait de retrouver Ashton ici changeait légèrement la donne. Cette fille en savait beaucoup trop sur lui, et même s’il était ravi de la revoir il ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle représentait un danger considérable pour lui. Pourquoi ne le dénoncerait-elle pas ? Après tout, elle avait toutes les raisons de le trahir après ce qu’il s’était passé entre eux et surtout les circonstances dans lesquelles ils s’étaient quittés ! Mais malgré tout, Trevor n’avait pas résisté à l’envie de retenir Ashton et il se retrouvait désormais en face d’elle et de son fils dans ce café dont il ne connaissait même pas l’existence auparavant.

Tout en restant sur ses gardes, l’italien informa Ashton de son changement d’identité, révélation qui sembla d’ailleurs la surprendre. En même temps, le contraire aurait plutôt étonné Trevor ! « Trevor, hein ? » rétorqua-t-elle en souriant. S’il ne s’était pas agit d’elle, l’italien se serait sans doute vexé mais cette fois, il se contenta de hausser les épaules presque honteusement. Non, il n’avait pas trouvé mieux et en même temps, il n’avait pas spécialement eu beaucoup de temps pour le faire. Trevor passa ensuite commande auprès du serveur, puis enchaina sur un tout autre sujet comme si de rien n’était, comme si Ashton pouvait oubliera aussi facilement qu’ils venaient à peine de se retrouver et qu’elle brûlait d’envie d’en savoir plus sur sa présence ici. C’est donc au hasard de la première question qui lui passa par la tête que le jeune homme apprit que le bébé qui se tenait devant lui était âgé de huit moi. Il aurait d’ailleurs pu faire le lien avec la période à laquelle il avait rencontré Ashton, mais son esprit était bien trop occupé par un tas d’autres choses. Alors Trevor hocha simplement la tête, affichant un léger sourire alors que son regard s’accrochait de nouveau à celui du petit garçon.

« Tu dis que les choses ont vraiment changé depuis la dernière fois... dans quelle mesure ? » Revenant brusquement à la réalité, Trevor leva un regard quasi-éberlué en direction de la jeune femme qui revenait à la charge. Puis il baissa la tête en grimaçant, se mordillant la lèvre en pesant le pour et le contre dans sa tête. « Je ne peux pas en parler ici Ashton, je… je pense que je ne peux même pas en parler du tout… » Le jeune homme la sondait du regard, comme pour tester s’il pouvait réellement lui faire confiance ou non. Il aurait tant voulu lui parler, la rassurer sur l’homme qu’il était devenu aujourd’hui et qui tentait tant bien que mal de s’éloigner de ses travers… Mais malheureusement, son extrême méfiance l’en empêchait, pour le moment. « J’aimerai t’expliquer… vraiment. Mais le plus important, c’est que je n’ai plus rien à voir avec… tout ça. Enfin, tu sais de quoi je veux parler… c’est fini. Du moins, j’ai tout fait pour que ce soit fini… Alors je voudrai que… Oublie tout ce que tu sais de moi Ashton, s’il te plait. »

La révélation était faite : Leo ne faisait plus partie de la mafia. Et même s’il n’était pas persuadé d’avoir été très clair, il lui semblait avoir un poids de moins sur les épaules. Pourtant, le simple fait d’avoir dit ça à Ashton ne changeait pas grand-chose pour lui. Les mêmes menaces pesaient toujours sur ses épaules, et sa vie était toujours en sursis, dans l’attente qu’un des hommes de son père finisse par le retrouver. Mais c’était bel et bien la première fois qu’il avouait avoir tout quitté à quelqu’un et dans un sens, ça le soulageait. Décidément, Ashton avait toujours le privilège des premières révélations et Trevor avait bien du mal à comprendre pourquoi. Il ne la connaissait pas vraiment, n’avait passé en tout et pour tout qu’une seule nuit dans ses bras et pourtant, ce minuscule laps de temps avait suffit à ce qu’il lui raconte tout ce qu’il n’avait jamais dit à personne. Et aujourd’hui encore, il venait de se faire avoir. Cette fille semblait avoir un étrange pouvoir sur lui, pouvoir qui l’attirait et l’effrayait à la fois. Bref, Ashton était une véritable énigme aux yeux de Trevor, et il comptait bien la résoudre maintenant qu’il l’avait retrouvée.

Trevor était bien conscient que la faveur qu’il demandait à la jeune femme était impossible à accepter et pourtant elle lui répondit presque immédiatement, non sans avoir posé un bref regard sur son fils au préalable. « D'accord... J'oublie tout. » L’italien se figea quasiment sous le coup de la surprise. Alors c’était tout ? Elle lui assurait qu’elle allait tout oublier sans poser plus de questions ? Même en ne l’ayant croisée qu’une poignée de fois, il l’avait connue bien plus curieuse ! Mais il apprécia tout de même ce qu’il considéra comme un effort de sa part, et lui adressa un sourire rempli de reconnaissance avant de s’emparer de la tasse de café que le serveur venait de déposer devant lui. Ne sachant trop quoi dire, il porta la tasse jusqu’à ses lèvres et comme à chaque fois, pesta contre ce maudit café américain qui tirait plus du verre d’eau que de l’expresso qu’il pouvait consommer en Italie.

« Alors, « Trevor »... Qu'est-ce que tu fais ici ? » relança finalement Ashton pour le plus grand soulagement du jeune homme qui, néanmoins, arqua un sourcil à l’évocation amusée de son nouveau prénom. « Hm… tu te moques là ? J’ai si mal choisi que ça ? » déclara-t-il sur le ton de la plaisanterie qui marqua bien qu’il se sentait grandement soulagé d’avoir en partie lâché le morceau à propos de la mafia. « Et bien… disons que c’est le hasard qui a voulu que j’atterrisse ici… Mais je crois que je me plais bien à New-York ! Je travaille dans un petit restau… rien de bien reluisant. Et toi… tu vis ici avec ton fils c’est ça? » En réalité, Trevor avait déjà sa réponse puisqu’il « suivait » la jeune femme depuis plusieurs semaines déjà. En pensant à ce comportement qu’il avait eu, l’italien baissa d’ailleurs les yeux. Mais très vite, un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres, avant qu’il ne se décide à avouer : « En fait… c’est pas vraiment la première fois que je te croise ici… J’veux dire… je t’avais déjà aperçue dans le coin. » déclara-t-il, lui offrant ainsi une demi-vérité et attendant plutôt curieusement sa réaction.

Trevor était bien conscient qu’elle se foutait de lui, mais il le prenait étonnamment bien. A vrai dire, il se demandait même s’il pouvait prendre mal quelque chose qui viendrait d’Ashton. Inconsciemment, il gardait un sourire un peu niais fixé aux lèvres, alors que le regard qu’il portait sur la jeune femme s’apparentait de plus en plus à de la contemplation. Au bout d’un moment, il reconsidéra d’ailleurs leur rencontre en se disant qu’il n’était pas étonnant qu’il ait craqué sur elle. Ses grands yeux et son air espiègle ne pouvaient que le charmer. Après avoir qualifié son pseudonyme « d’original », Ashton éclata d’un rire que Trevor eut un peu de mal à cerner. Etait-il sincère ou gêné ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais décida de ne pas s’attarder sur ces doutes. Au lieu de ça, il continua à lui raconter plus ou moins précisément sa vie ici, et le pourquoi du comment de sa présence à New-York. Evidemment, il ne pouvait pas lui dire grand-chose mais qu’importe, il faisait de son mieux pour lui faire comprendre qu’il mener désormais une vie à peu près normale et bien plus tranquille qu’avant.

Mais au cours de leur conversation, un élément interpella le jeune homme. Alors qu’il lui demandait si elle vivait ici avec son fils, Ashton devint tout à coup pensive. « Yep... Tous les deux. » déclara-t-elle d’un air absent. Immédiatement, Trevor fronça les sourcils avant de s’enquérir : « Tous les deux… Avec son père, n’est-ce pas ? » Mais à peine eut-il posé sa question qu’il se pinça les lèvres un peu honteusement. Pourquoi lui demandait-il ça exactement ? Est-ce que ça avait une espèce d’importance pour lui ? Peut-être bien plus que ce qu’il ne voulait l’avouer… Mais quand bien même, il ne pouvait tout simplement pas lui demander de si gros détails alors que lui-même était incapable de lui en dire plus sur sa propre vie. Nerveusement, l’italien s’empressa de terminer sa tasse de café, non sans grimacer en sentant de nouveau le gout de cet affreux breuvage dans sa gorge.

Même s’il n’était pas particulièrement fier du métier qu’il exerçait aujourd’hui, il constituait néanmoins la planque rêvée pour un gars comme lui. Alors, lorsqu’Ashton déclara qu’elle ne le connaissait pas cuisinier il grimaça de nouveau d’un air gêné. « C’est pas ce que tu imagines… Je ne suis que commis de cuisine, je ne fais pas grand-chose de passionnant tu vois… Mais bon, c’est mieux que rien ! Je ne me plaint pas. » Lorsque le jeune homme se décida enfin à avouer que ce n’était pas la première fois qu’il la croisait, Ashton parut surprise… à juste titre. Mais ce que Trevor n’avait pas prévu, c’était qu’elle lui pose LA question qui le mettrait encore plus mal à l’aise. « Ca fait combien de temps ? » L’italien détourna les yeux queques instants, comme si ça allait pouvoir dissiper la curiosité sans faille d’Ashton, mais fut bien obligé de se reconcentrer sur elle pour s’expliquer. « Hé bin… ça fait… quelques mois ! » déclara-t-il en attendant sa réaction avec appréhension. Mais avant qu’elle n’ait pu réagir, il se précipita pour ajouter maladroitement : « Mais euh… n’aies pas peur hein ! Enfin je veux dire… je me demandai juste si c’était une bonne idée de t’aborder après notre… enfin, tu vois quoi. T’as l’air heureuse ici, avec ta famille, je voulais pas tout gâcher en te montrant que… j’étais là. »

A peine eut-il posé la question qui le turlupinait que Trevor eut l’impression d’avoir mis les pieds dans le plat. Sans le vouloir, il avait scruté le visage d’Ashton dans les moindres détails au moment d’attendre sa réponse, et avait donc clairement pu y lire un malaise dont il ne connaissait pas la source. Visiblement, l’italien avait appuyé là où ça faisait mal, et il ne tarda d’ailleurs pas à comprendre pourquoi. « Non, il est... Il est mort il y a un peu plus de trois mois, il était... en mission pour l'Air Force. » Sous le coup de la surprise, Trevor entrouvrit la bouche avant de laisser un regard des plus peinés prendre place sur son visage. Comment avait-il pu être aussi bête, et insister jusqu’à ce qu’elle crache le morceau alors qu’il voyait clairement qu’elle n’en avait pas envie ? Désireux de se rattraper même si c’était peine perdue, le jeune homme adopta une voix étonnamment douce pour s’excuser. « Oh… je suis désolé. Je ne pensai pas que… désolé. » Puis, instinctivement, son regard se tourna vers Shaun et y resta accroché un long moment. Juste assez pour que le petit garçon s’en aperçoive et regarde Trevor à son tour en gazouillant et en gigotant. La mine toujours aussi déconfite, l’italien lui accorda tout de même un sourire qui eut l’air de ravir Shaun puisqu’il se mit à secouer la main de sa mère de plus belle. En songeant que ce petit bonhomme n’avait plus de père, Trevor se prit à penser au sien. Son père, sans lequel sa vie aurait été bien plus facile et paisible, il en était persuadé. Comme quoi, la vie était particulièrement mal faite.

Lorsque Trevor avoua qu’il n’avait pas grand-chose à voir avec un chef cuisinier, Ashton parut tout d’abord être déçue… avant de lui avouer que ce métier était de loin plus rassurant que le précédent. Et curieusement, cette fin de phrase retint l’attention de l’italien. Que voulait-elle dire par là ? Est-ce que ce changement de situation allait suffire à changer le regard qu’elle portait sur lui jusqu’ici ? Est-ce qu’elle allait finir par le voir comme quelqu’un d’autre ? Par effacer le fait qu’il soit lié à la mafia, qu’il le veuille ou non ? Sans vraiment saisir pourquoi, Trevor se prit à espérer et adressa un sourire entendu à la jeune femme. « Oh... je comprends. » déclara-t-elle alors qu’il essayait de se débrouiller pour ne pas l’effrayer avec ses histoires « d’espionnage » depuis plusieurs mois. Cette réaction lui fit d’ailleurs arquer un sourcil de surprise. Ashton lui assurait qu’elle comprenait alors qu’il avait clairement lu la surprise dans ses yeux. Et c’était bien légitime ! A sa place, le jeune homme imaginait assez facilement qu’il aurait paniqué, ou du moins qu’il se serait posé de sérieuses questions quant à la santé mentale de son interlocuteur. Mais au lieu de ça, Ashton finit par plaisanter de la situation en déclarant : « J'imagine que moi te fonçant dedans avec une poussette ne faisait pas vraiment partie de tes plans... » Encore plus surpris qu’auparavant, Trevor balbutia : « Euh… bin… non, pas vraiment… » L’aisance avec laquelle elle répondait le déstabilisait, et il commençait même à regretter de ne pas l’avoir abordée avant. « Mais j’aurai bien fini par venir te voir hein ! » reprit-il précipitamment. « On s’est peut-être croisés qu’une seule fois avant, mais tu es quand même la seule personne que je connaisse ici… » avoua-t-il ensuite en esquissant un nouveau petit sourire. Bien sûr, il avait fait d’autres rencontres depuis son arrivée à New-York, mais sa méfiance lui interdisait de considérer qui que ce soit comme un ami. Alors qu’avec Ashton, tout était différent. Il lui faisait confiance aveuglément et même s’il était conscient de se mettre en danger en agissant de la sorte, il ne semblait pas prêt à changer ça. D’ailleurs, ses yeux braqués vers ceux d’Ashton attestaient de sa sincérité. « J’aurai du venir plus tôt. J’avais juste peur de ta réaction… » finit-il par avouer. Mais en vérité, une toute autre question le taraudait. Maintenant qu’ils s’étaient « retrouvés », et que Trevor faisait tout ce qui étai en son pouvoir pour enfin devenir quelqu’un de bien, qu’allait-il advenir de leur « relation » ? Une fois sortis de ce café, allient-ils chacun reprendre leur chemin comme si rien ne s’était passé ? Continueraient-ils à se voir de temps en temps comme de vrais amis ? Tout cela hantait l’esprit de l’italien qui, même si ce genre de questions n’étaient pas faites pour être posées un jour, décida de tenter sa chance : « Tu crois que… enfin, je ne t’oblige à rien, mais… on pourrait se revoir de temps en temps… non ? »

Il faut vraiment qu'on parle de la suite de ce RP