Lyanna ne savait pas pourquoi, au juste, son coach avait décidé qu’elle participerait à un petit concours de danse dans un simple bar de jazz mais elle se trouvait pourtant armée de son masque, en tenue de danse qui avait connu bien des trophées Blackpool et autres Taittinger… une fois encore, la demoiselle avait eut le goût de changer de partenaire, mais il le fallait. Elle ne pouvait pas se permettre de s’attacher à qui que ce soit, surtout pas pour que l’on balance la photo de son véritable visage sur les tabloïds. La soirée battit son plein dès lors que Lyanna eut posé un pied à l’intérieur du club, brillant de prestance alors que seul son regard aussi sombre que pénétrant pouvait être vu au travers de son masque travaillé et magnifique. Dès lors que la musique eut démarré, elle démontra sa maîtrise de toutes les danses de salon, ne s’offrant aucun répit jusqu’à ce que les juges du concours ne se retirent pour délibérer et qu’elle n’ait le goût de délaisser ce partenaire qui lui paraissait d’ors et déjà insipide. Pour son plus grand malheur, l’un des musiciens était parvenu au miracle de retenir son attention, à un point tel que la danseuse de renommée internationale eut l’audace de lui emporter un scotch directement sur la scène. Pourquoi était-il encore là alors que ses comparses étaient partis prendre l’air ou se trouvaient au bar ? Mystère et balle de golf. « Je pense pas que le vin vous aille alors je pense pour scotch. Ecossais, non ? Vos camarades sont éparpillés et vous restez en solo, en retrait… c’est bizarre. »

Le mystère s’était imposé dans la vie de Lyanna de façon somme toute naturelle, non pas parce qu’elle avait honte de son talent en tant que danseuse mais plutôt parce qu’elle appréciait ne pas faire d’amalgame. Elle n’était pas la même femme qui occupait la place de médecin légiste le jour et qui était danseuse la nuit. A croire qu’elle soit victime d’un dédoublement de la personnalité alors qu’en vérité, il n’en n’était rien. Certaines choses dans son passé faisaient qu’elle préférait mille fois porter un masque et ne surtout pas être connue de qui que ce soit… pas même de ses fans. « Je crois que je n’ai pas de mérité, j’ai juste remarqué votre accent tout à l’heure » poursuivit-elle tout en sirotant son verre de vin en balayant la salle du regard, accoudée contre le piano de ce presque inconnu. Lyanna se surprenait elle-même à faire preuve d’audace alors qu’elle portait son masque et qu’il était un danger pour elle, d’une certaine façon. Mais ce qui la surprenait plus encore, c’est qu’elle soit capable de se dominer pour ne surtout pas jurer comme un charretier, comme elle le faisait si bien d’ordinaire. Ca ne la rendait que plus mystérieuse et plus classieuse. « Passionné au point de vous entourer de solitude ? Dommage. Je vous avoue qu’en théorie ce genre d’endroit jazz n’est pas mon endroit de prédilection pour me donner en représentation, même si cela a du charme. Quant à mon mystère… ah, qui sait ? Tchintchin » énonça Lyanna avec un très léger sourire contre ses lèvres tandis qu’elle s’éloignait du piano armée de sa démarche chaloupée. Cela ne prendrait pas longtemps avant qu’elle n’ait les résultats du concours : autant prendre son mal en patience ailleurs, où elle n’aurait pas à se mettre en danger.

Comme elle s’y attendait, Lyanna remporta le prix haut la main, mais le pire dans tout ça, c’est que ça ne lui fit absolument rien. Pas un frisson, pas la plus petite marque de satisfaction, strictement rien. La brunette aurait voulu hurler pour ressentir quelque chose mais il fallait croire que tant qu’elle n’aurait pas trouvé le partenaire idéal, elle serait condamnée à se consumer d’ennui. Triste destinée pour une danseuse de son talent, et c’était sûrement ce qui la poussait en prime à frôler le danger d’aussi près en voulant retourner chez elle à pied. Le fameux pianiste la surprit en lui proposant de la raccompagner à sa voiture et à nouveau, c’est un étonnant sourire qui peupla ses traits de porcelaine recouverts de son masque. Il n’était pas question qu’elle ne l’enlève… mais sans comprendre pourquoi, cet inconnu en face d’elle était le premier à lui en donner presque envie. « J’ai renvoyé ma limousine. L’air est doux, j’avais justement envie de voir si mes pas seraient capable de me mener jusque chez moi. » Que les rues ne soient pas sûres, Lyanna s’en moquait bien : elle n’avait pas une mère agent de la CIA pour rien et connaissait plusieurs prises de défense, au cas où. « Et puis après tout, vous êtes un parfait inconnu également, n’est-ce pas ? Mais voyons si votre côté chevaleresque vous poussera à me raccompagner… même à pied. » Telle une anguille dans un filet de pêche, Lyanna se laissait accoster pour mieux reculer de quelques pas, sans pour autant le lâcher du regard. Elle avait envie qu’il l’accompagne. Follement envie.

« Inconscient, en effet » reprit-elle avec malice, sur le même temps que ce parfait inconnu dont elle ignorait jusqu’au nom et qui lui donnait pour la première fois l’impression de ne pas être qu’un morceau de viande qui sait se tordre dans tous les sens avec souplesse et grâce pour les bonnes grâces de ses fans et autres juges. D’ailleurs, elle n’était pas non plus habituée à ce qu’on ne lui pose une veste sur les épaules et accueillit le geste avec une légère teinte de surprise dans le fond de ses yeux sombres. Pour un peu, elle l’aurait appelé Sherlock pour faire preuve d’autant de justesse à son égard. Effectivement, Lyanna n’avait strictement rien ressenti et le pire, c’est qu’il risquait de la prendre pour une mégère non apprivoisée si elle renchérissait là-dessus… mais l’envie de lui mentir, sur ce point précis en tout cas, ne fut nullement pressante bien au contraire. « Ce n’est pas que je ne sois pas surprise c’est juste que ça ne me fait rien du tout. Vous êtes sans doute un néophyte mais comme tout autre art ou sport, la danse est un dépassement de soi. Et lorsque l’on a gagné les plus beaux trophées, eut les plus beaux partenaires et ressenti ses plus belles émotions… on se dit que tout devient terne après. Que rien ne nous fera plus rien ressentir d’aussi beau, d’aussi unique, d’aussi… extraordinaire. D’où mon manque d’étonnement. Vous devez me prendre pour une femme arrogante et blasée. » Lyanna éclata légèrement de rire alors qu’il lui avouait ne jamais avoir entendu parler d’elle : la chose la fit s’arrêter et, après lui avoir tendu la main, elle énonça… « Je m’appelle Soline. Qu’importent mes trophées puisque Monsieur le gentleman ne s’est même pas présenté à moi. Vous êtes étrange : vous raccompagnez une inconnue et elle ne connait strictement rien de vous hormis le fait que vous êtes écossais. »

Décidément, cet homme pouvait presque être considéré comme parfait puisqu’il refusait de lui trouver des défauts. Mais cela prouvait sans nul doute qu’il ne la connaissait pas, car Lyanna était vraiment quelqu’un de blasé par la force des choses. Même si elle prenait tous les dangers possibles et imaginables sans jamais vouloir se ménager, elle ne parvenait pas à retrouver son adrénaline d’antan. Elle en avait maladivement besoin, pourtant, c’était vital. Et pourtant, face à cet homme, ce Caine qui lui faisait un baisemain au lieu de simplement serrer ses doigts contre les siens, la jeune femme se sentait presque fondre. Un sentiment grisant et dangereux à la fois. « Oh Caine, mais cela ne se fait plus des hommes comme vous ! Chevaleresque, qui sait complimenter une femme… pourtant laissez-moi vous dire un secret : je suis réellement blasée. Et celui qui m’opposera un challenge qui puisse me donner le frisson n’est malheureusement pas né, j’en ai peur ! » Lyanna s’était penchée davantage vers l’écossais comme s’il fallait qu’il soit le seul à pouvoir l’entendre. « Je n’ai pas peur de vous, mon cher écossais. Je vous remercie pour tous vos compliments et si mon accent ne l’a pas encore laissé entendre, Soline, c’est italien. » A vrai dire, Soline n’était autre que le deuxième prénom de l’italienne. Inutile de dire qu’elle n’allait pas lui donner son vrai prénom, Lyanna… « Ah… je vous pardonne la question mais au risque de vous décevoir, vous n’avez pas encore gagné le droit d’obtenir la réponse. Mais je vais vous donner quelque chose pour compenser… fermez les yeux. » La jeune femme attendit patiemment qu’il n’obtempère et leva très légèrement son masque pour s’emparer fougueusement de ses lèvres. Un baiser étonnant, sulfureux, digne de ses plus grands frissons… mais Lyanna eut tôt fait de s’éloigner pour remettre son masque avant même qu’il n’ait ouvert les yeux, pour continuer à marcher. Encore une douce folie qu’elle risquait de regretter.

« Peut-être parce que vous êtes un faux serial killer qui n’avez que dix dollars dans votre portefeuille ? » ironisa-t-elle parce que dans le fond, Lyanna était bien incapable de lui donner une raison valable. Elle avait suivi son instinct, comme souvent, quitte à éprouver ensuite des regrets. Cela dit, pour l’heure, c’était davantage l’envie de recommencer qui frappait dans ses veines plutôt que l’envie de le fuir, lui et cette attirance maudite qu’il lui inspirait. « Pourquoi, vous n’avez jamais de femme vous trouvant tellement séduisant qu’elle vous embrasse sans avoir forcément de raison ? Non, je n’y crois pas ! » Lyanna ne s’était pas arrêtée cette fois, se tournant simplement vers lui pour lui lancer un sourire à la fois dérouté et moqueur. « Je ne peux pas vous donner de raison, Caine. Je n’en n’ai aucune qui puisse vous satisfaire et disons simplement que j’ai suivi un instinct quelconque. Cela m’a parut être une bonne idée, sur le moment ! Je ne m’embarrasse pas des conséquences d’ordinaire parce que ma vie n’est pas ordinaire. Je ne vous demande pas de comprendre puisque vous ne me connaitrez jamais. Sûrement est-ce ce qui m’a poussé à vous embrasser en dernier, d’ailleurs… le fait que vous ne connaissiez rien de moi et que cela ne changera jamais. Sûrement est-ce mieux ainsi, d’ailleurs. Je ne suis pas la fréquentation idéale, vous savez. J’ai renvoyé mon partenaire alors que j’ai tout de même remporté le prix de ce soir. » Lyanna avait fait un pas vers Caine, et désormais, elle cherchait à le dégoûter à vrai dire. Il ne fallait pas qu’il la suive, pas qu’il cherche à la connaître davantage. « En fait vous cherchiez uniquement une raison de ne pas me dire que cela ne vous a pas plu, pas vrai ? »

« Si je ne vous ai pas encore dégoûté c’est parce que vous êtes sûrement fou à lier, Caine » reprit Lyanna avec un certain aplomb car avec ce qu’elle avait pu lui offrir comme paroles précédentes, impossible pour un homme normalement constitué que d’apprécier. Ou alors, c’est qu’il sentait qu’il n’y avait pas là toute la vérité et dans ce cas là, la brunette avait plutôt intérêt à changer son fusil d’épaule… il ne semblait pas être de ces hommes que l’on dégoûte si aisément. « Qui vous dit que je suis friande de passions sans lendemain ? Ainsi, sans connaître le monde dans lequel je suis et surtout sans me connaître moi, vous pensez que je prends et que je jette comme ça, du jour au lendemain ? Ce n’est ni chevaleresque ni romantique comme supposition… autant me considérer comme une prostitué, ça ira plus vite, ou à tout le moins une fille facile. Je ne suis pas si sûre que vous soyez une espèce en voie de disparition si vous vous comportez comme un mufle avec les femmes qui vous portent simplement de l’intérêt. D’autant plus que si j’avais voulu vous poignarder, pas au sens propre du terme bien sûr, ce serait déjà fait. Je ne remets pas à plus tard ce que je peux faire tout de suite. » Le regard de Lyanna s’était subitement mis à briller mais non point de colère, plutôt de surprise. Il venait de la blesser et le pire, c’est qu’elle n’en comprenait pas la raison. Peut-être parce que dans le fond, il la repoussait ? C’était douloureux. Bien trop douloureux pour en être supportable. « Ne me raccompagnez pas. Vous avez raison, je n’ai aucune raison de partager mes secrets avec vous et… c’est sans doute mieux ainsi. C’est un adieu, Monsieur Caine l’écossais. » Lyanna avait bien le tempérament flamboyant des italiennes, et c’est la raison pour laquelle elle alla jusqu’à lui serrer la main, lui rendre sa veste et presser le pas dans la nuit. Il n’y avait rien d’autre à dire, pas vrai ?

Si Lyanna avait forcé l’allure histoire de rentrer chez elle plus vite et fuir ainsi l’affront, elle ralentit aussitôt en entendant les paroles de Caine. Se pouvait-il qu’il ait si peu confiance en lui ? Diable, son ex-femme devait lui en avoir fait du mal pour qu’un simple baiser le fasse baliser de cette manière. « Votre réaction prouve que vous doutez atrocement de vous et c’est dommage, car je pense qu’il y a mille et une bonnes raisons de vous côtoyer » reprit-elle avec un sérieux permettant de ne surtout pas remettre en cause la sincérité de ses paroles. Elle n’avait presque pas envie de rentrer chez elle et pourtant, une telle chose était difficile à retransmettre dans un simple baiser. Il allait falloir qu’elle accompagne les paroles au geste… « Je vois deux solutions à votre réaction : soit vous sortez d’un divorce difficile et vous aimez toujours votre ex-femme, ce qui vous pousse à me rejeter effectivement, ou bien vous ne l’aimez plus mais elle vous a tellement rabaissé que vous doutez de plaire. Dans le premier cas je m’incline mais dans le deuxième… » Lyanna laissa soigneusement sa phrase en suspend tandis qu’elle s’apercevait qu’il avait manqué de lui dévoiler ce qu’il voulait. Sa curiosité fut tellement piquée au vif qu’elle ne donna pas le deuxième cas, se reconcentrant sur ce qu’il avait dit lui… « Que vouliez-vous ? Il n’y a aucune honte à avoir en développant ses envies vous savez. Je vous ai embrassé la première, vous pouvez bien me dire ce que vous souhaiteriez je crois. »

Pourquoi diable Lyanna était-elle soulagée que Caine ne soit plus amoureux de sa femme ? Rhaaa cela ne lui ressemblait pas le moins du monde ! D’autant que l’intégralité de sa vie était presque fondée sur un mensonge par nécessité. Elle ne pouvait pas lui dire pourquoi elle mettait un masque, ni même le faire réellement entrer dans sa vie… bien que ce ne soit pas l’envie qui lui manque. « Et qu’est-ce qui vous en empêche ? » osa-t-elle demander non sans connaître déjà la réponse. Sans doute fut-ce pourquoi elle plaça délicatement ses doigts contre les lèvres de Caine, afin qu’il ne prononce pas des mots qu’elle n’avait pas envie d’entendre. « Vous semblez être du genre à vivre passionnément vos histoires et si je le pouvais, croyez bien que j’en ferai de même. Mais je ne peux ni enlever mon masque, ni vous donner les informations qui vous pousseraient à faire ce pas vers moi… je ne le peux pas, c’est trop dangereux pour moi et même si j’en ai follement envie, ce n’est pas envisageable. Ne le prenez pas pour vous Caine, il n’y a aucune raison. Dites-vous simplement que ma vie est… compliquée. Peut-être qu’un jour je pourrais vous dire toutes ces choses mais au jour d’aujourd’hui je ne le peux pas. Il me faudra simplement me contenter de cette douce folie. » Lyanna ôta sa main et s’écarta de quelques pas, créant une distance physique qu’elle trouvait presque confortable. « Vous êtes un fruit défendu, Caine. »