Les cours venaient tout juste de se terminer. Et je sautais aussitôt dans le premier bus qui soit, afin de gagner Manhattan. Il fallait que j’aille voir Serena. Rien d’urgent, certes, mais j’avais décidé de profiter du peu de cours que j’avais ce jour là pour passer à son bureau. C’était l’occasion pour moi de la revoir, et surtout, de décliner son invitation. Elle m’avait invité, quelques jours auparavant, à venir dîner chez elle le week end prochain. Oh, l’idée en elle-même n’était pas déplaisante. Enfin, s’il n’y avait pas eu Vitaly. Le voilà le problème ! Je savais qu’en allant là-bas, je le verrais. C’était évident et logique. Et je ne voulais pas. Il fallait que l’on apprenne à se séparer et à évoluer l’un sans l’autre. Et pour limiter les problèmes, il était bien plus prudent d’éviter de se voir. Même lors de repas ou occasions particulières. Ainsi, après avoir longuement cherché une excuse ces derniers temps, j’avais fini par trouver. Lawrence. La voilà mon excuse ! Enfin, cela n’en était pas vraiment une… Etant devenue bénévole dans une association d’aide à la personne, j’avais eu à ma charge un jeune homme, Lawrence. Le hasard faisait parfois bien les choses puisqu’il ne s’agissait pas d’un parfait inconnu mais de mon ancien maître de stage… Du coup, je passais la quasi-totalité de mon temps libre chez lui, afin de l’aider un maximum. Je n’aurais donc qu’à dire que je m’étais engagée auprès de lui ce jour là et le tour serait joué ! Car ma sœur ne pourrait pas me reprocher de venir en aide aux autres… Ainsi, je pourrais assez facilement échapper à ce repas et ainsi rester loin de Vitaly autant que possible… Du moins, je l’espérais.

Arrivant devant les bureaux où travaillait Serena, j’entrais finalement et me hâtais pour rejoindre son bureau. Elle n’était pas au courant que je devais venir. Cela s’était décidé un peu au dernier moment… Et puis, je n’avais pas l’intention de rester bien longtemps. Comme tous les soirs, je devais passer chez Lawrence pour lui préparer son repas. Ainsi, je n’étais censée que passer lui faire un petit coucou et lui expliquer que je ne pourrais pas manger chez elle. Je toquais alors rapidement à sa porte avant de l’entrouvrir doucement, après m’être assurée auprès d’une secrétaire qu’elle n’avait aucun rendez-vous important à ce moment là. « Salut ! Je… » Après avoir entrouvert la porte, je me stoppais dans mon élan. Vitaly. Il était là. Merde ! « Je dérange ? » demandais-je alors, espérant que ce serait le cas, et que je pourrais repartir aussitôt. Je faisais tout pour l’éviter, à commencer par le repas de ce week end, alors le croiser là, si proche de l’ascenseur où nous avions récemment fauté, ne m’arrangeait pas vraiment. Mon regard passait alors de Serena à Vitaly, puis de Vitaly à Serena et ainsi de suite. Avant de finalement se poser sur le ventre arrondi de ma sœur. Histoire de bien retourner le couteau dans la plaie… Je soupirais vaguement, songeant que j’avais vraiment le chic de me mettre dans des situations délicates et faisant souffrir. Et cela avait tendance à véritablement m’exaspérer.

Cela faisait un bon moment que je n’avais pas vu Serena. En partie à cause de mes études, de mon actuel bénévolat, et de son emploi du temps à elle aussi. Et puis, il fallait bien l’avouer, je ne faisais pas trop d’efforts pour la voir. Pourtant, elle me manquait. Mais je me sentais vraiment mal d’avoir recouché avec Vitaly, alors qu’ils venaient de se remettre ensemble. Et puis, j’avais un peu peur de la voir. Peur de faire une gaffe qui lui laisserait comprendre que son mari et moi avions eu une liaison. Ou encore, peur de la voir heureuse et enceinte. J’étais sa petite sœur, sa confidente de toujours, et il semblait évident qu’elle allait me confier tout ça. Or, je n’étais pas sûre d’être prête à tout entendre. Surtout si elle commençait à évoquer son  bonheur avec Vitaly ou leurs projets de fonder une famille. Car même si, il n’y a pas si longtemps que ça, cette idée effrayait le trentenaire, il semblait désormais plus partant pour cela, pour mon plus grand désespoir. Ainsi, même si elle me manquait, je préférais éviter de la voir. Cela ne me faisait que plus souffrir. D’autant plus qu’elle n’avait de cesse de se montrer attentionnée et adorable envers moi, sans se douter une seule seconde de ce que j’avais pu faire dans son dos. Et je culpabilisais sacrément lorsque j’étais avec elle. Mais soit, je ne pouvais pas rester éternellement loin d’elle. Et je ne le souhaitais pas… « Hey ma puce, entre !! Tu ne nous déranges absolument pas mon cœur. » Vitaly. Serena. Son ventre arrondi. Tous les éléments étaient regroupés pour me compliquer les choses. Mais le pire était clairement la présence de Vitaly. Pour Serena, j’avais pu me préparer à voir son ventre arrondi, alors que Vit… Je n’avais absolument pas prévu de le voir.

Je n’eus toutefois pas vraiment le temps de réfléchir que ma sœur me prit avec douceur dans ses bras. Je resserrais alors lentement mes bras autour d’elle, souriant vaguement. J’étais contente de la revoir, vraiment. Mais cela me gênait un peu que cette scène se déroule devant Vitaly. Sa femme et son ancienne maîtresse réunis et s’enlaçant… « Je suis contente de te voir. Tu m’as manqué.» Elle serait beaucoup moins contente de me voir, si elle apprenait ce que j’avais pu faire avec son mari entre temps… Ou tout simplement les pensées que sa simple vision faisait naître en moi. « Toi aussi, tu m’as manqué… » soufflais-je alors avant de doucement me détacher de son étreinte. « Alors, comment vas-tu ? » demandais-je, tout particulièrement en référence à sa grossesse. Par politesse, je me dirigeais alors vers Vitaly pour lui faire la bise. « Salut Vitaly. » Un léger sourire au bout des lèvres, je ne m’attardais pas de son côté. Autant éviter toute tentation et toute difficulté supplémentaire. Je retournais alors vers ma sœur, posant un regard attendri sur elle. « En tout cas, tu es splendide ! » la complimentais-je alors, constatant que la grossesse lui allait à ravir.

J’avais déjà merdé face à Serena en apprenant sa grossesse. Oui, tellement surprise et anéantie, je n’avais pas su faire part de l’enthousiasme auquel on pouvait s’attendre de la part de la future tante. J’avais pourtant tenté… Mais Serena me connaissait beaucoup trop bien et avait bien vu que quelque chose n’allait pas, même si elle était loin de se douter de l’origine du problème. Et justement, pour qu’elle ne se doute de rien, j’avais tout intérêt à être meilleure comédienne cette fois-ci. J’avais eu le temps de me faire à l’idée qu’elle attendait un enfant. Malgré tout, voir son ventre soudainement rond m’avait provoqué un léger pincement au cœur. Mais cette-fois, je n’en montrais rien et m’empressais de la complimenter. Puis, c’était sincère. Elle était vraiment magnifique. Cela sautait aux yeux qu’elle était heureuse… Et c’était l’essentiel. Car si Vitaly et moi nous étions séparés, c’était justement pour lui permettre de retourner définitivement avec ma sœur et qu’ils parviennent ainsi à être heureux ensemble. « Oh c’est adorable, je te remercie ma puce… Pour répondre à ta question, je me porte parfaitement bien. Enfin … si on oublie les nausées quasi-permanentes et les envies bizarres qui m’assaillent environ toutes les nuits. » Envies bizarres ? Quelles envies bizarres ??? Ah, envies de nourriture, sans doute… Oui, c’était connu, les femmes enceintes avaient toujours des envies improbables… Et il valait mieux qu’il s’agisse de nourriture. Du moins, je ne voulais pas m’imaginer d’autres… envies. J’affichais alors naturellement un petit sourire. Même si le fait que Vitaly soit le père me faisait mal, je ne pouvais pas nier que je n’avais jamais vu ma sœur aussi heureuse. Et ça, je ne le regrettais pas. Je savais à quel point elle voulait fonder une famille avec lui… Et j’étais sincèrement heureuse pour elle. Même s’il y avait toujours une petite partie de moi qui souffrait de tout cela.

« Ah, les joies de la grossesse ! Enfin, tant que ce n’est que ça… Et puis, ce n’est qu’une toute petite contrepartie face à tout le bonheur que ça va t’apporter… » Certaines grossesses se passaient mal. Alors tant qu’il ne s’agissait que de nausées et d’envies nocturnes, il n’y avait pas vraiment de quoi se plaindre… Et puis, je savais qu'elle attendait tellement cet enfant, que les nausées et inconvénients de la grossesse devaient lui paraître bien moindres. « Et toi mon cœur, comment vas-tu ? J’espère que tu ne m’en veux pas trop, j’étais tellement débordée ces derniers temps que je n’ai pas eu l’occasion de passer vous voir. D’ailleurs, maman n’arrête pas de me le reprocher. » Je soupirais vaguement en esquissant un vague sourire. « Juste elle qui te reproche ça… C’est l’hôpital qui se fout de la charité… »  Même si je m’entendais très bien avec ma mère, elle était très souvent absente, prise par son travail. C’était donc plutôt drôle de la voir reprocher à Serena l’attitude qu’elle-même avait depuis des années. « Mais sinon tout va bien pour moi aussi… Et ne t’inquiètes pas, je ne t’en veux pas ! J’étais moi aussi assez occupée ces derniers temps donc tu n’es pas la seule fautive… » Occupée ? Un peu. Mais c’était surtout que j’avais eu besoin de temps pour accepter la situation, sa grossesse, etc… Et je n’avais pas été de suite prête à la revoir. Du moins, sans être certaine de pouvoir faire comme si de rien n’était… « Tu viens à la maison ce week-end ? Il faut absolument que tu la voies !! On vient à peine de terminer la décoration du salon et de notre chambre. On a l’intention de s’attaquer à celle du bébé dans la semaine. Quand tu es arrivée, nous étions justement en train de chiner quelques petites choses sur internet. Les sites de déco regorgent d’idées fabuleuses. Hum, je suis convaincue que ce sera une fille mais Vitaly a du mal à croire ma théorie.» Je jetais un bref regard à Vitaly, visiblement en pleine recherche d’idée déco. Ou simplement en train de m’éviter un maximum. Et c’était préférable. Je plantais alors mon regard dans celui de ma sœur et esquissais une légère moue en haussant les épaules. «Eh bien… J’aurais adoré venir mais… ça risque d’être compliqué. Maintenant que je suis bénévole dans l’asso’ dont je t’ai parlé, je passe quasiment tout mon temps libre à aider Lawrence… Et je ne peux pas tout laisser tomber maintenant ! Je suis désolée… Une prochaine fois, hein ? Dès que j’arrive à me libérer je passerais histoire de visiter la maison… D’ici là, la chambre sera sans doute terminée… » J’esquissais alors un doux sourire en me souvenant que sa prochaine échographie était pour bientôt. « Puis, fille ou garçon, peu importe, non ? Ceci dit, vous allez bientôt le savoir si mes souvenirs sont bons… »  

Si j’avais su que Vitaly était là, pour sûr, j’aurais reporté ma venue au bureau de Serena. Or, je ne le savais pas. Et en même temps, c’était plutôt délicat de demander, par avance, à ma sœur quand Vitaly serait auprès d’elle. Ce serait sacrément suspect même ! Toutefois, le revoir là me confortait dans mon idée de décliner son invitation. J’avais constaté qu’il me plaisait toujours autant et qu’il serait, par conséquent, sans doute difficile de gérer cela pendant tout un repas. Voire plus. Car connaissant Serena, elle était bien capable d’insister pour que je passe le week end avec eux. Pourtant, pour une fois, l’excuse que je donnais était vraie. « Oh … et bien une autre fois dans ce cas. Mais ne compte pas sur moi pour t’envoyer un carton d’invitation car la règle n’a pas changé : tu peux passer quand tu veux. Tu es toujours la bienvenue. » Je lui adressais alors un doux sourire en guise de réponse, acquiesçant vaguement. Je savais que j’étais bien évidemment la bienvenue chez eux. Enfin, pour Serena. Je doutais qu’il en soit de même pour Vitaly, qui n’était désormais plus qu’à quelques petits mètres de moi, tenant dans ses bras ma sœur. Quelle vision… destructrice. « Je sais ma belle… Et je te promets d’essayer de passer dès que j’aurais un peu plus de temps libre ! » Bien sûr, je souhaitais vraiment leur rendre visite et ainsi découvrir leur nouvelle maison… Mais pas de suite. Quand les choses se seront tassées. Et que je me sentirais vraiment prête à cotoyer à nouveau Vitaly en tant que « beau-frère ». Malgré tout, je savais que je ne pouvais pas repousser indéfiniment ce moment là. J’avais déjà prit beaucoup de distances envers ma sœur et ne souhaitais pas qu’elle se pose trop de questions à mon sujet. Enfin, tant qu’elle ne soupçonnait rien entre son mari et moi, c’était l’essentiel.

« A propos, comment ça se passe à l’association ? Tu arrives à concilier tout cela avec les cours ? Même si j’adhère totalement à ton initiative, j’ose espérer que cela n’empiète pas sur tes études. Ce que tu fais est fabuleux mais il y a tout de même certaines priorités. » Je ne pu retenir un léger soupir en posant sur elle un regard presque réprobateur. Avait-elle déjà oublié que j’avais 18 ans ? Et que je n’avais pas besoin d’elle pour savoir ce qui était bon ou pas ? Je savais bien que cela partait d’un bon sentiment… Mais c’était presque vexant de voir qu’elle pouvait encore douter de moi. Du moins, sur le plan scolaire, elle n’avait rien à me reprocher… « Mais oui Serena ! Tu me connais quand même…. Tu sais bien que j’ai toujours privilégié les cours. Et j’aide l’association uniquement sur mon temps libre, rassures-toi… Mais tout se passe bien. » répondis-je alors en espérant que cela la rassurerait. Même si, évidemment, j’avais beaucoup moins de temps pour moi et un emploi du temps bien plus chargé. Mais je l’avais voulu. Et cela m’empêchait de broyer du noir ou repenser à Vitaly et à notre histoire. « Et Lawrence ? Il n’est pas trop … envahissant ? Je n’ai jamais vraiment aimé ce type, son attitude envers toi n’est pas correcte. Draguer une stagiaire, ce n’est pas un comportement décent. Entre nous, je n’aime pas te savoir constamment chez lui.» Merde !! Je me pinçais vaguement les lèvres et me retenait de réagir davantage. Pourquoi avait-il fallu qu’elle évoque à nouveau Lawrence ? Et surtout, qu’elle reparle de son attitude envers moi ? Devant Vitaly en plus ! En fait, c’était ça le problème… Car il n’était au courant de rien… Jamais, durant l’été, je ne lui avais dit que mon tuteur me draguait. Juste pour lui éviter d’être jaloux… Sauf que tout d’un coup, je regrettais qu’il apprenne cela par ma sœur. De panique, je levais rapidement le regard vers lui, désolée, avant de planter à nouveau mon regard dans celui de ma sœur, faisant comme si de rien n’était. « Non, rassures-toi, tout se passe très bien avec lui. Et il se montre très correct envers moi, tu sais. Puis si je passe mon temps chez lui c’est surtout pour lui faire la cuisine et le ménage. » précisais-je alors, évitant soigneusement le regard de Vitaly et ne relevant pas le fait qu’il m’avait dragué cet été.

« Draguer les stagiaires. En voilà une drôle d'idée. » Parce que coucher avec la petite sœur de sa femme, c’était mieux peut-être ?? Instinctivement, je levais le regard vers lui, avant de le détourner très rapidement et même le fuir. Parce que je me doutais bien qu’il n’était pas vraiment ravi d’apprendre que l’on m’avait dragué, durant deux mois, tandis que nous étions ‘ensemble’ et surtout, que je ne lui avais rien dit. Si j’avais fais cela, c’était tout simplement pour ne pas l’affoler pour rien. Cela aurait été bien inutile de le rendre jaloux en évoquant un homme qui, à l’époque, ne m’intéressait absolument pas. Surtout que cela aurait sans douté été frustrant pour Vitaly, dans la mesure où il n’aurait rien pu faire. Après tout, nous n’étions qu’un couple officieux et il aurait été suspect qu’il vienne soudainement interdire à Lawrence de me draguer comme il avait pu le faire… Je tentais aussitôt de rassurer Serena, lui expliquant que nos relations étaient tout à fait banales et correctes. J’espérais, par la même occasion, rassurer Vitaly à ce sujet. Je me mettais à sa place et il y avait fort à parier qu’il allait finir par se faire des films à propos de ce fameux Lawrence et moi. En tous cas, à sa place, je n’aurais pas vraiment aimé cela et aurais rapidement éprouvé une certaine forme de jalousie… Et même s’il n’y avait plus rien entre nous, je n’avais pas envie de compliquer encore les choses en lui faisant du mal, en le rendant jaloux ou je ne sais quoi du genre…

« La cuisine et le ménage ? Vraiment ?» Au ton employé, je devinais bien vite les idées que se faisait ma sœur. Tout ce que je voulais éviter. Je ne pu retenir un bref soupir tandis que je posais sur elle un regard presque accusateur. Oui, la cuisine et le ménage. Vraiment !! Pour qui me prenait elle ? Enfin, elle me connaissait suffisamment pour savoir que je n’étais pas du genre à sauter sur le premier venu. Et puis, Lawrence étant plus âgé que moi, j’étais surprise qu’elle puisse se faire ce genre d’idée sur notre relation. Mais au moins, elle avait vu juste sur un point, les hommes plus âgés m’intéressaient… « Chérie, je ne remets nullement en cause tes intentions initiales qui étaient fort louables mais honnêtement Lindsay !! Ne me dis pas qu’à ton âge, tu n’as toujours pas compris à quel point tu peux être désirable au regard de certains hommes. Tu es jeune, belle, adorable … et Lawrence n’est pas aveugle. Mais si tu veux un bon conseil, tu devrais tout de même faire attention à lui. » Serena était tout aussi têtue que moi. Je ne pouvais pas lutter. Surtout que son raisonnement était justifié et qu’elle n’avait, dans le fond, pas tort. « Je n’suis pas sûre de les intéresser autant que tu le dis… je te rappelle que je suis seule, et ce depuis un bon moment ! » Depuis toujours, à vrai dire. Enfin, pour elle. Car jamais je n’avais eu de petit ami officiel. Juste Vit. Et jamais je n’avais donc pu lui parler de ma vie sentimentale. Elle devait donc vraiment penser que bel et bien célibataire… Et c’était d’ailleurs de nouveau le cas. Mais pour qu’elle ne se doute de rien, je préférais jouer encore sur ce terrain là, faisant mine de ne pas savoir quel pouvoir je pouvais avoir sur les hommes. En fait, à part sur Vitaly, je n’avais jamais vraiment pu constater cela. C’était donc à moitié vrai. « Mais tu as raison. Je vais faire plus attention avec Lawrence… » promis-je alors en faisant mine d’être sincère. Alors que je n’avais pas envie de me méfier de lui… Bien au contraire…

Bien sûr, si je n’avais eu personne officiellement ces derniers mois, c’était justement car je n’avais d’yeux que pour Vitaly. Et à vrai dire, cela ne remontait pas à quelques mois. Depuis qu’il était entré dans ma vie, ne serait-ce qu’en tant que beau-frère, j’avais été attirée par lui. Au point de trouver la plupart des autres hommes et garçons de mon âge totalement inintéressants. Ou du moins, beaucoup moins attrayants que ne pouvait l’être l’époux de ma sœur. Et encore plus ces derniers mois. Le fait que jamais, durant cet été, je ne me sois montrée intéressée par Lawrence en était la preuve. Car il était, d’ordinaire, tout à fait mon type. Et je ne pouvais pas nier qu’il avait un certain charme. Pourtant, il n’avait eu presque aucun effet sur moi à l’époque. Mais les choses n’étaient plus tout à fait les mêmes désormais puisque j’étais à nouveau célibataire. Vraiment célibataire. « Ce n’est pas parce-que tu es seule que tu n’intéresses personne. Et ce n’est pas non plus parce-que tu ne me racontes rien que ta vie sentimentale est creuse. Tu as besoin que je développe un peu plus ? » Je baissais alors légèrement le regard sans répondre. Serena n’était pas dupe et avait bien vu mon changement d’attitude assez récent. Elle avait compris que je n’étais plus tout à fait seule. Et Dieu merci, elle n’avait jamais trop tenté d’en savoir plus ! C’était préférable pour tout le monde…. Et puis, Vitaly non plus n’était pas dupe. Et je vis bien, à son regard, qu’il doutait de la véracité de mes propos quant à ma future méfiance envers Lawrence. En théorie, je ne devrais plus avoir à me soucier de son avis. Nous n’étions plus ensemble et j’étais désormais libre de faire ce que bon me semblait, avec qui je voulais… Mais je n’arrivais pas encore à agir aussi librement et me sentais donc un peu coupable vis à vis de Vitaly lorsque mes pensées dérapaient un peu face à Lawrence.

« Chérie, je me fiche pertinemment de savoir qui tu fréquentes. Je veux juste que tu sois prudente. Je n’ai pas envie que tu te retrouves dans une situation improbable et bien trop difficile à gérer, tu comprends ? Je sais que tu es une adulte responsable mais je te l’ai déjà dit, tu ne pourras jamais m’empêcher de m’inquiéter pour toi. C’est comme ça. » Je me retins d’esquisser un petit sourire ironique. Niveau situation improbable et difficile à gérer, il semblait que j’ai déjà eu de quoi faire. Et il me semblait difficile de faire pire que cela. Jamais, ce que je pourrais vivre comme situation, ne serait aussi compliqué et rocambolesque que ce j’avais pu vivre ces derniers mois avec mon beau-frère. « Je sais bien et j’apprécie que tu te soucis autant de moi et de mon bien-être… Et je compte bien me montrer prudente pour éviter toute situation  improbable et difficile à gérer. » confiais-je alors, sachant très bien que Vitaly pourrait aussi y voir un message. Juste une affirmation de ma part que je comptais bel et bien garder mes distances pour nous éviter de flancher à nouveau. Serena, quant à elle, semblait encore loin de se douter que je m’étais retrouvée dans une situation bien plus improbable et complexe que tout ce qu’elle pouvait imaginer… « Bon et sinon ? Quoi de neuf à part … ça ? » Hum… eh bien, j’ai réussi à rompre avec ton mari ? Ouais, non. Celle-là, on va l’éviter. Sauf qu’hormis cela, je n’avais rien de bien palpitant à raconter… « Oh, ben… rien de particulier, tu sais… la routine ! On a eu des partiels la semaine dernière, ça s’est pas trop mal passé… on verra bien les résultats. Et sinon, à la maison, maman est en train de transformer la chambre d’amis en chambre pour …. Votre enfant. » confiais-je alors en posant le regard sur son ventre, affichant inconsciemment un léger sourire. « D’ailleurs, vous avez des idées de prénoms ? » demandais-je alors.

« Parce qu’elle imagine sans doute que je vais lui confier mon bébé ? Rassure-moi, c’est une blague. » Je trouvais ma sœur parfois un peu dure envers nos parents. Enfin, surtout envers notre mère. Certes, on ne pouvait pas dire que c’était une mère exemplaire. Mais c’était un peu malgré elle. Si elle n’avait pas été présente, du moins, pour moi, c’était car elle était souvent en déplacement professionnel. Et lorsqu’elle rentrait, elle tentait, tant bien que mal, de retrouver son rôle de mère. Mais cela ne semblait pas suffire aux yeux de Serena. Sans doute car c’était elle qui avait du tenir ce rôle de mère durant ces trop nombreuses absences… Ceci dit, je trouvais que cette idée n’était pas mauvaise. Elle espérait peut-être ainsi se rattraper un peu. Et puis, cela partait d’un bon sentiment… « Je sais que ça peut paraître surprenant mais cela part d’une bonne intention… » tentais-je alors dans l’espoir de calmer un peu les choses. Car même si Serena n’était pas spécialement en colère, je savais qu’elle n’appréciait pas cette initiative de notre mère. « Quand tu étais petite, c’est moi qui me levais lorsque tu pleurais la nuit. Maman n’a jamais été dotée d’un mauvais fond, mais elle est davantage préoccupée par sa petite personne que par le bien être des gens qui l’entourent. Une chambre pour le bébé, cela implique tacitement que mon fils ou ma fille devra dormir chez elle. Autrement dit, loin de moi. Et ça, c’est hors de question ! C’est MON bébé. » N’était-ce pas un peu catégorique ? Même si nos parents n’avaient jamais été exemplaires, ils ne méritaient pas de se retrouver traités de la sorte. Du moins, à mon avis. A moins que le problème ne vienne tout simplement du fait que Serena s’inquiète tout simplement à l’idée que son enfant soit loin d’elle, peu importe avec qui.

En tout cas, c’était l’impression que j’avais lorsqu’elle évoquait « son » bébé. Je restais alors légèrement surprise de cette déclaration. Peut-être qu’avec le temps, elle changerait d’opinion. J’osais l’espérer car je savais que ma mère serait certainement attristée si jamais, elle ne pourrait garder, ne serait-ce qu’une nuit, ce bébé. « Serena, je… » Je n’eus pas le temps de prononcer ces mots, que Serena reprit, d’un air désolé. « Je suis désolée Linou, je m’emporte pour un rien en ce moment. Mais vois-tu … Vitaly m’en est témoin, j’ai passé les trois derniers jours à pleurer en pensant que notre fille –car je sais que ce sera une fille – grandira et ira à la fac. Savoir qu’elle sa s’éloigner de nous m’est insupportable. Alors imagine ce que je ressens à l’idée qu’elle dorme chez maman. Je peux pas. » Sans doute car je n’étais pas mère, ni sur le point de le devenir, ce genre de chose me dépassait un peu. Je pouvais comprendre la peine et la peur à l’idée que l’enfant finisse par partir… mais au point de s’en rendre malade ? Non, ça, je ne comprenais pas. N’était-ce pas le cours normal des choses ? De la vie ? « Je suis d'ailleurs toujours certain que d'ici à ce qu'il aille à la fac, tu prieras pour que ce soit au plus vite, tant t'en auras assez de l'adolescent qu'il sera devenu. » Je ne pu retenir un léger rire amusé à cette remarque. Un peu d’humour, après ces légères tensions, ne ferait pas de mal. « Ne t’inquiètes pas, c’est rien… Enfin, je crois que c’est plutôt normal, pour une mère, ce genre de réactions.. Ceci dit, tu as le temps avant qu’il ou elle aille à la fac et « s’éloigne » de vous… Puis ce sera pour son bonheur, tu ne pourras pas l’en empêcher. » répondis-je en espérant la réconforter et ne rien dire qui pourrait la blesser davantage. « Et pour répondre à ta question, nous avons plusieurs idées de prénoms en tête mais rien de définitif. » Je ne pu retenir une petite moue déçue, acquiesçant finalement. Ils allaient bientôt connaitre le sexe, cela leur facilitera déjà un peu les choses… « J’ai hâte de savoir… Tu me diras, quand vous serez fixés ! »

« Oui et bien elle est très mauvaise !! » A voir l’emportement de ma sœur, je finissais par me demander s’il n’y avait pas des choses dont je n’étais pas au courant, et qui expliqueraient cette rancœur qu’elle nourrissait envers eux. Car même s’ils n’avaient pas été parfaits, je n’avais pas l’impression qu’ils aient été aussi horribles et méritent autant de reproches. Et lorsque Vitaly tenta un peu d’humour pour apaiser Serena, celle-ci ne semblait pas vraiment partager cela. Les hormones ? Sans doute. Mais clairement, je la trouvais un peu dure. Si c’était cela, d’être enceinte, et bien, cela ne me donnait vraiment pas envie !! « Son bonheur ? Parce-que tu penses peut-être qu’il ne sera pas heureux avec nous ? Que nous serons de mauvais parents ? Que je serai une mauvais mère au point que mon enfant n’aura qu’une hâte : celle de quitter la maison pour partir faire sa vie ailleurs ? » J’écarquillais alors légèrement les yeux, lançant finalement un regard de surprise à Vitaly. Qu’avais-je dis de mal ? En aucun cas, je n’avais voulu dire qu’ils feraient de mauvais parents ou quoi que ce soit du genre… « Serena … Ce n’est absolument pas ce que j’ai voulu dire… Vous ferez d’excellents parents, cela crève les yeux. » répondis-je alors d’un ton doux et calme, ne préférant pas reparler de l’enfant et de son « bonheur ». Parce qu’il me semblait évident qu’elle n’allait pas pouvoir le garder auprès d’elle indéfiniment. Qu’il – ou elle – devra sans doute un jour partir afin de poursuivre des études ou pour l’obtention d’un emploi. C’était ainsi que la vie était faite. Mais vu son état, et la manière qu’elle avait de tout mal prendre, je préférais taire cette idée là. J’en avais déjà trop fait…

« C'est quoi son idée au juste ? Profiter du bébé ou bien que Vitaly fasse le déplacement pour le lui apporter ? » Je fronçais alors vaguement les sourcils , ne voyant pas vraiment le rapport entre notre mère et Vitaly. Certes, elle semblait l’apprécier fortement et même plus qu’avant leur divorce… Mais tout de même ! « Ah oui parce-que puisque tu veux que je te considère comme une grande fille, je peux te dire des choses que tu ignores mon ange: maman a des vues sur mon mari. Ca t'étonne ? Pourtant c'est la vérité. Alors crois-moi, remontée comme je suis à l'encontre de notre magnifique petite famille ô combien parfaite, je préfère te dire que je n'ai aucune hâte que mon bébé ... notre bébé ... rencontre tout ce beau monde. En fait, il n'y a que toi qui est normale dans cette foutue famille. » C’était donc bien ça…. Etant donné l’attitude récente de notre mère, je m’étais posé certaines questions et avais envisagé cette hypothèse là… sans toutefois y croire vraiment. Et pourtant, il fallait croire que c’était bel et bien vrai ! « Quoi ? Elle aussi ?? » m’exclaimais-je lorsqu’il fut question des vues qu’avait notre mère sur Vitaly. Bon sang ! Il fallait croire qu’il avait un pouvoir tout particulier sur les Livingston ! Et j’espérais désormais que le « elle aussi » n’allait pas mettre la puce à l’oreille à Serena. De surprise, je n’avais pas pu contrôler mes paroles… « Pour maman… je ne savais pas et je suis désolée… Mais je comprends mieux ta réaction… » répondis-je alors sur le même ton calme, sans répondre à sa dernière phrase. Moi, la seule personne normale de la famille ? Elle était loin, très loin du compte…

« Tu peux développer davantage ? » Non. Non, non et non ! J’en avais déjà bien trop dit ! Réalisant ma connerie, je tentais aussitôt de ne rien montrer de mon embarras. Et j’évitais aussi soigneusement le regard de Vitaly. Pour sûr, il devait me maudire d’avoir été aussi maladroite… Sauf que cela était sorti tout seul. « La question de savoir quelles sont les femmes qui pourraient, éventuellement, avoir des vues sur moi, n'est pas vraiment intéressante ... » Le pire, c’était que ma remarque n’était pas spécialement due à ma propre situation. Vitaly avait du succès auprès de la gent féminine et je ne pouvais pas nier que découvrir que ma mère était également sous son charme avait tendance à me rendre jalouse… « Je ne vise personne en particulier… C’est juste pas banal que deux personnes de la même famille soient attirées par le même homme. Surtout une mère et sa fille… » répondis-je tout naturellement, comme si ma remarque précédente était simplement due au fait qu’il ait du succès auprès de deux personnes de la même famille. Si elle savait qu’en vérité, ce n’était pas deux, mais trois Livingston qui en pinçaient pour lui… J’avais toutefois voulu préciser la chose. Parce que connaissant Serena, il y avait peur de chances qu’elle ne m’en demande pas plus, même après la remarque de Vitaly. Ainsi, j’espérais que ma réponse lui convienne et qu’elle ne doute de rien… Manquerait plus que ça, tiens ! Surtout maintenant que tout était terminé entre son mari et moi. « Je suis un peu remontée contre elle … pas seulement à cause de Vitaly mais pour un tas d’autres raisons. Je crois que le fait d’être enceinte m’aide à prendre conscience de certaines choses. Devenir mère à mon tour à un impact considérable sur ma vie. Sans parler de mes émotions qui changent de polarité en l’espace d’une seconde et demie. C’est l’horreur. Excuse-moi mon cœur si je t’ai semblé un peu abrupte.» J’affichais aussitôt un doux sourire, ayant déjà oublié ces sautes d’humeur. Et puis, ce n’était pas comme si j’étais en mesure de lui reprocher quoi que ce soit…. « C’est rien, ne t’inquiètes pas pour ça ! Et puis, tu as très certainement de très bonnes raisons de lui en vouloir… » Comme elle en aurait envers moi si elle venait à découvrir ma liaison avec Vit.

Elle prit ensuite place sur les genoux de Vitaly, qui se montrait étonnamment affectueux et tactile envers elle. Et autant dire que je n’aimais pas du tout ça, raison pour laquelle je plantais mon regard dans celui de ma sœur, faisant abstraction de tout le reste. « Un de mes clients m’a offert deux invitations VIP pour un défilé de haute couture la semaine prochaine. Ca te dit ? Ce sera l’occasion de se retrouver un peu entre filles. J’aurais bien aimé te proposer d’aller boire quelque chose mais j’ai une réunion dans moins de dix minutes. Tu es venue comment ? J’espère que tu n’as pas l’intention de rentrer en bus ou en métro. Je n’aime pas ça … » Si, lorsqu’elle évoqua ce défilé haute couture, un large sourire se dessina sur mon visage, il s’estompa légèrement lorsqu’elle évoqua sa réticence à me voir prendre le métro ou bus. Sérieusement ?? Je ne pu m’empêcher de songer à leur enfant, réalisant qu’elle risquait de l’étouffer un peu, si elle demeurait aussi « mère poule » qu’avec moi… « Pour le défile, j’adorerais ! Tu sais très bien que j’ai toujours rêvé d’en voir un, en vrai… Et de toutes façons, il va aussi falloir que j’y aille… je dois passer chez Lawrence… Et si, je comptais y aller en métro… mais ne t’inquiètes pas, j’en ai l’habitude ! » répondis-je alors avant que ma sœur ne reprenne la parole. « Chéri, tu pourrais peut-être la raccompagner, non ?» Merde. Ce n’était franchement pas nécessaire. Et puis, n’était-ce pas nous jeter dans la gueule du loup que d’accepter ? « Mais oui je peux faire ça. Si ça te va ? » Comment pouvais-je décliner cette proposition sans paraître suspecte aux yeux de Serena ? Je ne voyais pas vraiment… « Oui, ça me va… Ceci dit, je veux pas te déranger… Et je peux très bien rentrer en bus ou métro… » soulignais-je à l’attention de ma sœur, doutant malgré tout qu’elle me laisse rentrer seule.