Assis à la terrasse d’un café, une cigarette à la main et mes deux chiens couchés sous la table – leur place habituelle lorsque je sortais à l’extérieur – je jetais des petits coups d’œil agité derrière moi. Oui, il était bien là, et n’avait toujours pas bougé d’un pouce. Mon regard anxieux passait de Mylo, un de mes meilleurs amis, à cet inconnu assis à la table derrière la notre. Il nous suivait, je le savais, je le sentais. Même qu’il ressemblait au criminel d’un épisode de FBI : portés disparus. Il était même exactement pareil : un grand brun, plutôt maigre et pâle de peau. Oui, j’avais ce mauvais pressentiment : il était là pour nous et allait nous enlever puis nous découper en petits morceaux, avant de nous manger ; comme dans l’épisode. Oh mon Dieu, et mes chiens, qu’est-ce qui se passerait pour eux ? Il allait les épargner quand même ? Après tout, un cannibale n’est intéressé que par les humains non ? S’il voulait manger du chien, il n’avait qu’à aller en Chine … Il faudra bien que je pense à leur demander de courir, lorsqu’il viendra vers nous pour nous planter. Bon, je savais bien qu’ils me défendraient envers et contre tout, mais j’espérais qu’ils fuiraient si l’homme était armé … « On fait quoi ? » demandais-je, un peu essoufflé à cause le stress, à mon ami. « Je propose qu’on reste ici pour le moment, il y a trop monde pour qu’il tente quoique ce soit non ? Et puis, je vais quand même composer le 911 pour pouvoir les appeler directement au cas où. » terminais-je dans un souffle.

Ma cigarette à peine écrasée dans le cendrier, j’en allumais une autre, inspirant longuement une bouffée, pour tenter de me calmer et de réussir à réfléchir correctement. Il nous suivait, c’était maintenant quasiment certain. Après tout, il nous avait suivis jusqu’ici non ? Et puis, il nous regardait depuis tout à l’heure. Je jetais à nouveau un petit coup d’œil à son égard, comme pour vérifier mes dires : oui, il nous regardait bien. Et je devais bien avouer que le fait qu’il ressemblait comme deux gouttes d’eau au cannibale d’un des épisodes de FBI : portés disparus, ne faisait qu’augmenter mes craintes. Et attention, je n’étais pas une personne parano ou qui confondait la réalité avec la fiction hein ! Je n’y étais pour rien si on me suivait régulièrement. Bien sûr, ce n’était jamais les mêmes personnes – sinon, la personne en charge saurait que je me douterais de quelque chose – et à chaque fois, elles finissaient par arrêter – en même temps, je ne me laissais pas faire, et me mettais tout simplement à courir et donc probablement à les semer. « Oui, mais si on se lève et qu’on va dans un endroit où il y a moins de monde, il pourra alors s’en prendre à nous. Alors que là, il y a beaucoup de monde, donc je ne pense pas qu’il tentera quelque chose pour le moment. Là, il doit probablement être en train de penser à ce qu’il va bien pouvoir faire pour s’en prendre à nous devant tant de témoins, justement. Ça explique d’ailleurs pourquoi il n’arrête pas de nous regarder. » répondais-je, prenant régulièrement des bouffées, toujours pour tenter de me calme. Je regardais deux longues secondes mon meilleur ami, un peu confus – bien qu’habitué – par ses questions. « Mylo, je suis plus que millionnaire, comment veux-tu que j’ai des dettes de jeux ? » lui demandais-je, sérieux. « Et non, je n’ai jamais payé pour du sexe. Enfin, j’ai déjà appelé une prostituée, très charmante et gentille d’ailleurs, et je l’ai payée, mais on a seulement regardé un film et dîné … »

« Bah moi j’aime bien fumer, ça me détend … » répondais-je, tout en essayant de faire attention à où ma fumée allait, pour ne pas non plus nuire à sa santé, comme il le disait – bien qu’il fallait avouer que recevoir un peu de fumée des fois de temps en temps, ce n’était pas vraiment nocif pour la santé non plus. « Ce n’est pas moi qui m’occupe des impôts, mes parents s’en occupe. D’ailleurs je ne sais même pas si on en paye, vu qu’on est représentants de l’Australie, donc diplomates … Je ne sais pas vraiment où en est la fiscalité à ce sujet … » lui dis-je, tout en m’interrogeant moi-même. Après tout, serait-ce normal que nous payions des impôts, alors que c’était l’Australie qui nous avait envoyés ici ? Bon, certains diraient qu’il fallait bien aider les plus démunis, mais je préférais choisir à qui donner mon argent, plutôt que ce soit l’Etat qui le choisisse pour moi. Après tout, eux ne le donnerait qu’à des personnes qui, okay, n’avaient pas d’argent, mais y avait-il plus démunis que des animaux que des gens – peut-être les mêmes d’ailleurs, qu’en sais-je ! – considéraient comme des objets et abandonnaient au gré de leurs envies ? Je préférais donc donner mon argent – et mon temps – à ces êtres tant démunis alors qu’ils nous donnaient tout, plutôt qu’à des gens qui avaient peut-être mérités leur situation. « Je m’ennuyais et j’étais seul, donc oui, j’ai fait appel à une prostituée. Quel est le mal ? Il vaut mieux qu’elle soit payée pour me tenir compagnie en regardant un film et en profitant d’un bon dîner plutôt qu’elle soit payée par un pervers voulant profiter d’elle non ? » lui demandais-je, sérieux, avant de reprendre. « Et oui, merci, je sais ce que l’on fait réellement avec une femme. J’ai des exs tu sais ? » Et c’était vrai. Même si je n’en avais pas tant que cela – je n’avais jamais été réellement sociable de toute façon – il ne fallait pas exagérer, je n’étais plus vierge depuis un bon moment maintenant. Oh, j’en étais venu à oublier l’essentiel – et la raison de notre présence ici – le cannibale qui nous avait suivis et cela pour une raison que nous ignorions complètement. « Je ne pense pas qu’il croit que nous soyons des espions. Je pense que c’est tout simplement un psychopathe qui veut nous manger … »

J’inspirais longuement, n’aimant pas qu’on me parle de ma manie de fumer cigarette sur cigarette. Oui, c’était mal et mauvais pour ma santé, et alors ? J’avais bien le droit d’avoir un vice et de ne pas être parfait non ? Après tout, je faisais du sport, ne buvais pas d’alcool, était végétarien – plus pour les animaux que pour ma santé, il fallait bien l’avouer – et mangeais très équilibré, … Alors pourquoi je n’aurais pas le droit de faire ce que je veux aussi ? « Et alors ? Tu crois que manger de la viande est bon pour ton organisme ? Est-ce que je te fais des commentaires moi ? Bah non … » répondais-je, toujours un peu irrité – même si le fait que je connaissais mon meilleur ami me permettait de relativiser. « Bah je trouve ça normal de payer des impôts quand on a de l’argent en même temps. Quoique je préférerais que les personnes qui en payent puissent choisir où va leur argent. Parce que ya des gens qui détestent l’armée par exemple, et leurs impôts servent aussi à payer l’armée. C’est pas normal je trouve … » dis-je, un peu confus. Après tout, je n’avais été confronté aux impôts, et ne connaissais donc pas du tout ce sujet, bien au contraire. « Je continue à penser qu’au moins, pendant une soirée, elle n’aura pas eu à vendre son corps … » Je détestais la prostitution, il fallait bien l’avouer. Pour moi, il n’y avait rien de plus dégradant que de vendre son corps pour de l’argent. Dans quelle situation ces personnes pouvaient-elles bien se trouver pour en arriver là ? Est-ce que le gouvernement ne pouvait pas faire quelque chose à ce sujet, pour éviter que des personnes aient à se retrouver dans cette situation ? On parlait d’impôts un peu plus tôt, est-ce que ceux-ci ne pouvaient pas servir à les protéger ? Un frisson me parcouru tandis qu’il me reparlait du cannibale. « Tu sais, j’ai vu dans FBI : portés disparus un mec du style. Donc ça existe ! » m’exclamais-je, retrouvant ma panique.

« Ça se voit que tu ne lis pas les études toi !  Une étude européenne montre que les personnes qui mangent 160 grammes de viande rouge par jour accroissent d’un tiers le risque de souffrir d’un cancer de l’intestin, par rapport à ceux qui consomment le moins de viande. Une consommation élevée de viande rouge augmenterait également les risques de souffrir d’un cancer de la vessie, de l’estomac et du pancréas. Le cancer du colon est également favorisé par la forte consommation de viande et de charcuteries. Idem pour le cancer colorectal. Et les gros consommateurs auraient plus de 40 % de risque de mourir jeune de maladies cardiovasculaires ! » répondais-je, agacé – bien que toujours relativisant – par sa réponse alors que fumer était quasiment autant toxique pour la santé que de manger de la viande. Et encore, la cigarette n’imposait pas la mort à des animaux innocents – bien qu’il y ait eu, au début de la commercialisation, des tests sur eux, malheureusement. Donc chacun choisissait son cancer, et au moins, le mien ne torturait pas les animaux – après tout, tout le monde savait parfaitement ce qui se passait dans les abattoirs, à savoir que pour garder une bonne productivité – il fallait bien répondre à la demande toujours grandissante – la plupart des animaux étaient mal endormis, et étaient donc réveillés lorsqu’ils étaient égorgés. Il n’y avait qu’à regarder la vidéo sur l’abattoir  de la marque Charal pour s’en rendre compte. « Et tu crois que les fictions s’inspirent de quoi ? Comment penses-tu que les scénaristes trouvent tant d’idées ? En regardant les faits divers ! » m’exclamais-je, ne comprenant pas où mon ami voulait en venir.

« La viande blanche est peut-être moins nocive, mais elle le reste. Et ton exemple avec le lion est stupide. Déjà, le lion est un carnivore, chose que nous ne sommes pas. Les besoins ne sont donc pas les mêmes. En plus, ce n’est pas la loi de la nature, étant donné que le lion tue lui-même sa nourriture, tandis que toi, tu n’as qu’à aller au supermarché te servir ! Et pour cela, des animaux sont mal endormis et donc dépecés vivants. Et tu ne vas pas mourir parce que tu reçois un peu de fumée dans la figure, à la différence de ce que manger de la viande te fera. Donc chacun choisit son cancer, et le mien ne tue pas d’êtres innocents, mais juste moi. Point. » Je décidais de clore la conversation. Nous ne serions de toute façon jamais d’accord et c’était tant pis pour lui. Juste, qu’il ne me fasse pas la morale à propos du fait que je risquais de mourir d’un cancer, puisque cet argument était totalement stupide vu qu’il avait également un style de vie qui risquait de lui faire avoir un cancer aussi. Surtout que je maintenais que ce n’était pas en étant en contact avec un peu de fumée qui lui donnerait un cancer. Il avait bien plus de risques d’en avoir juste avec la pollution s’émanant des pots d’échappement des voitures, choses où nous étions tous deux exposés, sans le vouloir. J’acquiesçais. En effet, peu de cannibales devaient se trouver à New York. Le dépeçage vivant était plus probable – en plus, cela permettrait à mon meilleur ami de comprendre ce que les animaux vivaient avant de se retrouver dans son assiette. Mais bon, je n’avais pas envie que nous mourrions comme des animaux. Après tout, si je défendais leurs droits à la vie – ou au pire, à mourir en tout dignité – ce n’était pas pour que nous mourions de la même façon. Un fan ? Non, c’était trop gros, je n’y croyais pas du tout. Je murmurais à l’oreille de Mylo. « Et si c’était un piège ? Pour qu'on baisse notre garde ... »

« Pardon ? Nous sommes carnivores ? Tu connais un peu le métabolisme humain avant de dire des choses pareilles ? Notre métabolisme ressemble plus à celui des herbivores qu’à celui des carnivores. A la base, nous sommes des herbivores stricts. Notre dentition n’est pas adaptée pour découper des morceaux de viandes durs et difficiles à extraire des animaux. Nos dents, plutôt plates (molaires) et peu tranchante (canines et incisives) ne nous permettent pas de retirer efficacement la viande des cadavres pour la manger. Notre système digestif est également adapté à l’herbivorisme car il est long. Cette longueur permet de digérer l’ensemble des éléments présents dans les végétaux pour en extraire un maximum de nutriments. Chez les carnivores et les omnivores, le tube digestif est plus court pour évacuer plus rapidement la viande qui peut putréfier et macérer. Nous disposons également d’enzymes dans notre salive pour faciliter la digestion des sucres contenus dans les végétaux alors que les carnivores n’en possèderaient aucune. Finalement, même nos ongles révèlent notre nature herbivore car les carnivores possèdent des griffes acérées et tranchantes pour réaliser leurs actes de prédation et découper plus efficacement les morceaux de viandes. Nous sommes donc des herbivores par nature, car nous avons des ongles plats inutiles pour la chasse et ressemblant à ceux des ruminants et autres herbivores … Je décidais de faire un signe de la main, comme pour dire qu’il fallait arrêter la conversation. Il avait tord – les études scientifiques le prouvaient – mais s’il ne voulait pas en entendre parler, tant pis pour lui, ça ne changera pas ma vie. Bien sûr, son choix de vie tuait et torturait des animaux, donc des êtres vivants qui avaient une conscience d’eux-mêmes, de la vie, de la mort. Avec un inconscient et même un sommeil paradoxal. Bref, des êtres vivants comme nous ! Mais bon, maintenant, ça se jouait entre sa conscience et lui-même, et ce n’était plus mon problème à présent. « Oui, je suis rassuré maintenant …» répondais-je en voyant le jeune homme partir. La peur disparaissait enfin, et enfin nous pourrions changer de sujet.