L’inquiétude. Ce n’était pourtant pas le genre de Neige de ressentir cet odieux sentiment mais elle ne pouvait pas s’empêcher… alors qu’elle était en pleine passation de pouvoir en compagnie du conservateur du musée partant en retraite à la fin du mois, elle n’avait de cesse de passer par le bureau de Mylo sans n’y voir la moindre vie. Pire, personne ne semblait avoir croisé l’historien depuis une bonne semaine. Finalement, c’est à la fin de son énième jour à travailler avec son prédécesseur que, n’y tenant plus, elle prit le volant de sa voiture pour se rendre à son appartement. Neige était échevelée à cause du vent mais son tailleur lui allait à ravir et lui avait d’ailleurs valut de nombreux compliments. Mais ceux-ci l’avaient laissée complètement froide. Rien ne semblait calmer la haute culpabilité qu’elle ressentait vis-à-vis de son refus… il l’avait demandée en mariage et elle avait fait quarante pas en arrière, afin de ne pas perdre ce qu’ils avaient gagné lors de ce moment parfait. Mylo était bien le premier à l’avoir réellement compris et à avoir cherché à l’apprivoiser, mais elle l’avait découragé en cherchant pourtant à le préserver. Elle savait à quel point elle n’était pas un cadeau quand elle s’y mettait… « Mylo je t’en prie ouvre-moi !! C’est Neige !! OUVRE OU JE DÉFONCE LA PORTE ! » D’accord, ses nerfs étaient cruellement à vif et qu’elle avait du mal à se maîtriser alors que cela faisait des nuits qu’elle ne dormait plus, repassant en boucle la demande en mariage de Mylo, revoyant cette espèce d’air ravi qui s’était brusquement fermé à elle… et finalement, quand il lui ouvrit enfin, elle poussa un pénible soupir, ayant l’impression de respirer après des jours d’apnée. « Mais qu’est-ce que tu fichais ?! »

Neige explosa littéralement. Elle se fraya un passage à l’intérieur de son appartement tout en refermant la porte du pied, le fusillant du regard sans pour autant le toucher. Sa colère était toujours froide… jamais explosive. « Tu sais à quel point je me suis inquiétée pour toi ?! J’ai essayé de t’appeler des centaines de fois, personne ne savait où tu étais !! ÉGOÏSTE ! T’ES MONSTRUEUX !! Je pensais qu’il t’était arrivé quelque chose et j’étais prête à appeler les pompiers tellement j’étais folle d’inquiétude, et de culpabilité ! Mais tu as perdu la tête ma parole !! Tu voulais me faire payer la chose ou quoi ?! » Les yeux de Neige était humides à cause de la colère et de l’inquiétude, sentiments qui se calmèrent alors que son regard était attiré par une pile impressionnante de bouquin à l’eau de rose de la collection Harlequin, ainsi que de comédies romantiques en DVD sans oublier un CD qui lui arracha un petit sourire : « devenez l’homme idéal en quarante leçons ». « Mais qu’est-ce que c’est que tout ça ? » Dans ses mains, elle avait pris sa pile de dessins tous représentant Mylo. Elle ne savait pas pourquoi elle les avaient amenés, bien qu’ils soient fabuleux… simplement pour les lui offrir, sans doute.

Neige était littéralement prête à l’étrangler tellement il l’avait rendue folle d’inquiétude et le pire, c’est que l’accueil qu’il lui réserva ne put atténuer la colère qu’elle ressentait. Sans doute s’était-il senti atrocement blessé par son refus, mais n’avait-il pas compris qu’il s’agissait surtout qu’une crise de panique ? Mylo n’avait pas le même vécu qu’elle en la matière, alors pour une fois qu’elle avait l’impression d’être enfin en symbiose avec quelqu’un, il était normal qu’elle ait voulu en profiter, tout simplement. Apparemment, c’était bien plus inconcevable que ce qu’elle ne pensait puisqu’il s’était mis en tête d’apprendre la notion de romantisme. Cette idée amoindrit considérablement sa colère alors qu’un sourire amusé prit place sur les traits inquiets de la jolie allemande. Diable, il allait vraiment causer sa perte à force… « Tu veux apprendre le romantisme ? » répéta-t-elle, incrédule. Neige ne savait pas si elle devait le prendre comme quelque chose d’adorable et d’encourageant ou plutôt comme un message consistant à lui dire qu’elle y avait été trop fort… pour l’instant, sans doute que de simples excuses s’imposaient. « Écoute… je ne voulais pas te faire de mal. Parfois je suis plus insensible que toi je crois ! Je te demande pardon mais Mylo, c’était inattendu, j’avais le droit de paniquer, non ? C’était vraiment la première fois que je sentais une telle… symbiose avec quelqu’un et je voulais en profiter, la voir s’épanouir, ne pas la perdre. J’ai été tellement souvent trahie dans mon existence que tous mes souvenirs m’ont sauté à la gorge et j’ai cru, très certainement à tort bien sûr, que tu finirais par de même parce que je pense que je suis… incapable d’être quelqu’un de doux, d’avenant. Ce n’est pas mon genre mais je peux apprendre si tu me laisses du temps ? J’ai paniqué au point de pallier à mon hypoglycémie, chose dont je ne me préoccupe jamais d’habitude, c’est te dire si c’était violent… je me sens coupable et ça me tue que du coup tu sois aussi distant avec moi ! »

Neige reposa le DVD qu’elle avait pris en main, ainsi que les dessins qu’elle avait fait de lui et qu’elle avait embarqués sans vraiment trop s’en rendre compte. Pour sûr, elle avait été excessivement perturbée par son départ précipité et son absence d’une longue et pénible semaine. Absence qui ne risquait pas de s’arranger puisqu’il lui balançait déjà qu’il se considérait en congés. « Arrête Mylo, je ne suis pas ta patronne, pas ici. » Neige soupira avant de faire quelques pas pour s’asseoir contre la fenêtre, machinalement. « Le romantisme ce n’est pas une valeur que l’on peut quantifier, analyser… c’est avant tout une histoire de moment. Dans les bouquins, le moment est toujours parfait, mais c’est surréaliste. Il ne peut pas neiger à chaque demande en mariage ou même pleuvoir pour accentuer le côté à la fois tragique et merveilleux de la chose. Mais en général, les déclarations d’amour, elles, sonnent juste. Elles n’ont pas besoin d’être entourées de moments précis, ou de se dérouler dans un cadre spécifique… » Neige se releva afin de prendre les deux mains de Mylo dans les siennes, faisant en sorte qu’il la regarde bien dans les yeux alors qu’elle s’apprêtait à faire une chose qu’en temps normal elle jugeait ridicule… mais qui l’éclairerait peut-être. « Ce qui compte ce n’est pas toujours l’intention, c’est le message qu’il y a derrière. Je peux te regarder dans les yeux et voir que tu me renvoies un reflet de mon âme qui est moins sombre, plus clément, plus… vrai. Ce que l’on partage est vrai, inaltérable. On pourra s’opposer des heures durant, je sais que cette étincelle perdure et que tu la ressens comme moi. Je sais aussi que nous sommes de deux continents différents et nos passés s’entrechoquent… mais nos cœurs, eux, battent à l’unisson. » Neige s’apprêtait à relâcher les mains du jeune homme tant elle avait pris un risque qu’elle ne se sentait pas nécessairement prête à prendre. Il fallait qu’elle évite sa cruelle panique, cette fois.

Neige n’avait encore rien répondu mais sûrement était-ce parce qu’elle se retenait. Elle se retenait de bien des choses… de lui cracher à la figure, notamment, bien qu’elle préfère mettre ce détail dans un coin de son esprit afin de ne surtout pas passer pour la dernière des folles. Mylo mettait son cœur au supplice et le pire, c’est qu’il ne semblait même pas s’en rendre compte. Il était devenu comme un livre fermé impossible à ouvrir, dont personne ne connaissait plus la combinaison et qui ne voulait surtout pas être découvert. Cette pensée lui lacéra littéralement le cœur. Diable, mais qu’avait-elle donc fait pour mériter ça ? « J’aurais bien aimé te connaître avant que tu ne tournes en véritable bouquin impossible à ouvrir et qui ne veut surtout pas être sondé. » Neige s’était exprimé froidement tandis qu’elle esquissait un mouvement de recul. Venait-il de se venger bassement ? Cela ne semblait pas être son genre, du moins espérait-elle que ce ne soit pas le cas. La jolie allemande fit quelques pas dans l’appartement, assommée par la réaction de Mylo alors qu’à son tour, elle avait pris un risque n’étant pas des moindres. A croire qu’ils soient définitivement peu doués pour s’accorder… « C’est ainsi la seule réponse que je vais revenir alors que tu fais si peu d’efforts pour être aimable ? Tu veux que je te dise ? Je n’attends rien. Et je n’aurais jamais dû rien attendre. Merde, je ne suis pas parfaite, j’ai des faiblesses et des dizaines de raisons d’avoir agit comme je l’ai fais mais je ne t’ai pas dit NON Mylo ! Tu es parti en rompant toute communication alors que tout ce que j’espérais, c’est que tu me dises que tu me voulais, moi, personne d’autre. C’était tout ce dont j’avais besoin. Mais manifestement c’était trop demander. » Neige essuya ses larmes tout en ricanant de façon extrêmement moqueuse envers sa propre connerie : on ne l’y reprendrait plus. « Quant à mon diabète, je te remercie, je ne m’en suis jamais préoccupée avant et ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer. J’ai bien pris notre que tu profitais de tes vacances mais ce n’est pas la peine d’apprendre quoi que ce soit ayant un rapport avec du romantisme. Puisque manifestement je suis surtout douée à te faire du mal, alors je te laisse en paix. »

La jolie allemande ne savait pas comment réagir et machinalement, elle libérait autrui de sa présence, tout bonnement. D’ordinaire ce n’était pas exactement sa façon d’agir mais là, elle n’avait pas le choix… comment ne pas se sentir de trop de cette façon ? Et le pire, c’est qu’à peine avait-elle passé le pas de sa propre porte qu’une nouvelle des plus alarmantes lui tombait dessus. Son père. Les quelques jours qui suivirent furent aux abonnés absents pour Neige, la demoiselle n’ayant expliqué la situation qu’au conservateur en passe de partir en retraite et à son adjoint chargé de faire tourner le musée en son absence. De toute évidence, elle n’était pas capable de penser à autre chose qu’au fait que son père risquait de mourir. Elle l’avait veillé des heures durant sans prendre une pose, allant jusqu’à prier à son chevet pour qu’il ne lui pas ôté à son tour et il ne fallut pas moins de cinq infirmiers et deux médecins pour la pousser à rentrer chez elle afin de prendre un peu de repos. Mais Neige serait de retour dès le lendemain à l’aube, incapable qu’elle était de se concentrer sur autre chose… « Je peux savoir pourquoi tu es ici ? » lança-t-elle d’une voix plus à bout de forces qu’autre chose, alors que ses yeux étaient particulièrement rougis par les larmes n’ayant cessé de couler étant à l’hôpital. Pourtant, à côté de la porte de son appartement, il était là. Neige ne savait pas comment interpréter sa venue, mais il était là.

Autant dire que les reproches qu’elle crut entendre dans la voix de Mylo déplurent aussitôt à Neige. « Jusqu’à preuve du contraire je suis majeure et vaccinée, je n’ai pas besoin de ton aval pour faire et dire ce que bon me semble ! » maugréa-t-elle, la peine et le manque de sommeil pesant soudainement plus lourd sur ses réactions. « D’autant que tu es gonflé… qui a fait preuve d’une parfaite indifférence alors que j’ai cherché à le joindre pendant une semaine ? J’ai prévenu de mon absence, on savait où j’étais. » Mais Neige ne l’avait pas prévenu lui. Cette affaire était personnelle et le nombre de détails qu’elle avait donné à ce sujet s’était révélé extrêmement restreints. Après tout, il s’agissait de son père, de la dernière personne vivante de sa famille et sa douleur lui déchiquetait littéralement le cœur. La jolie allemande ne savait pas du tout pourquoi on s’acharnait tant à lui mettre des bâtons dans les roues alors qu’elle souhaitait juste aider son père… il l’aurait fait mille fois de son côté, si seulement il avait été en mesure de le faire ! Neige était prête à lui donner son rein dans une opération extrêmement dangereuse pour peu que cela lui sauve la vie… sans son aide, son père allait mourir, tout bonnement, puisque aucun médecin digne de ce nom ne mettrait un autiste condamné sur la liste des demandeurs de greffes… « T’excuser ? Mais t’excuser de quoi exactement Mylo, j’aurais besoin que tu m’éclaires ! Nous savons tous les deux que tu as pensé chaque mot que tu as dit. Non seulement tu ne crois qu’en des faits inébranlables et indiscutables mais tu ne laisses en prime personne t’atteindre. Ou alors j’ai clairement manqué un épisode… seulement voilà, l’amour ne se quantifie pas, il ne s’explique pas, il se vit. Je ne suis pas sûre que tu sois en mesure de le comprendre et je n’ai plus l’énergie pour te l’expliquer alors je voudrais juste que tu me laisses passer pour que je puisse rentrer chez moi. Si j’ai accepté de quitter l’hôpital c’est pour dormir et dès que ce sera fait, je compte bien repartir et ce n’est pas toi qui m’en empêcheras ! »

Ses yeux la brûlaient tant ils étaient secs, dépourvus de toute larme supplémentaire. Pourtant, le cœur de Neige était au supplice et elle ne savait pas du tout comment elle allait se débrouiller pour continuer à vivre si elle échouait à sauver son père. « Je ne suis pas fragile je suis déterminée mais qu’est-ce que ça peut te faire tout ça, hein ? A t’entendre la dernière fois j’étais juste une crétine congénitale qui a brisé ton cœur. Écoute je suis ravie que mes dessins te plaisent et crois-moi ça venait du fond du cœur mais tu ne peux rien pour moi, d’accord ? Je gère. J’avais tort de penser que je pourrais faire du bien à quelqu’un, c’est tout. Je n’ai besoin de la pitié de personne et… tu ne dois pas me materner. Occupe-toi de toi. » Disons que Neige avait peur d’être redevable vis-à-vis de quelqu’un, surtout qu’il avait repoussée sa déclaration comme s’il s’agissait d’une vengeance possible –du moins l’avait-elle pris de cette manière– et qu’il avait sûrement bien mieux à faire que de veiller sur elle. Etre un boulet ? Jamais ! « Si je te donne d’autres dessins, tu me laisses rentrer chez moi ? »

La colère de Neige était en train de s’amoindrir d’autant que le peu d’énergie lui restant encore s’évanouissait dans les méandres de la nuit. C’est à peine si elle avait la force de l’écouter lui parler encore à vrai dire. Mais comme toujours, Mylo savait capter son attention là où bien d’autres l’auraient déjà lassée depuis des lustres. Ses mots l’atteignaient plus sûrement que toute autre chose et la jolie allemande sentit à nouveau les larmes perler à ses yeux. Il était venu, avait attendu et cherchait à se couper en quatre pour elle, malgré son manque d’habitude flagrant vis-à-vis des relations sociales et bien que le mot « amour » ne puisse même pas être prononcé par sa personne. Neige le regardait avec attention, laissant couler ses larmes sans même le retenir –alors que d’ordinaire elle aurait viré n’importe qui avec pertes et fracas pour pleurer dans l’anonymat le plus total–, comme pour lui montrer que d’une certaine façon, elle lui faisait confiance et lui permettait de connaître une part plus fragile, plus sombre de son existence. « Nous sommes liés mais tu as repoussé ma déclaration ! » déclara-t-elle avec davantage de froideur qu’elle ne le voulait de prime abord. La demoiselle était indécrottable : mais à sa décharge, ils avaient un grave problème de communication qu’ils peinaient à régler la majeure partie du temps. Sauf que cette fois… l’un et l’autre semblaient vouloir faire un effort. « Il est hors de question que tu donnes ton rein, que tu passes sur le billard et que tu risques une bricole, Mylo Anderson ! » maugréa-t-elle sans l’ombre d’une douceur avant de se saisir néanmoins de sa main pour le faire pénétrer à l’intérieur de son immense appartement. « Mais ça veut dire que tu m’aimes ? »

Neige alluma une simple lampe de chevet pour baigner l’atmosphère dans une lumière qui ne serait pas trop agressive pour les yeux, et qui dévoilait ainsi la colossale bibliothèque constituant chaque mur de l’immense salon. Autant dire que la jolie allemande était une femme de goût… car la décoration était absolument exquise, au même titre que sa collection d’ouvrages était gargantuesque. Ce qui le fut tout autant, c’est qu’elle se laisse aller à pleurer en déposant doucement son visage contre le torse de Mylo, incapable de se calmer, incapable de faire semblant qu’elle allait dormir paisiblement cette nuit tout en sachant que le dernier membre de sa famille risquait de mourir à tout instant. « Pitié, dors avec moi cette nuit… »

Un problème de communication… tiens, voilà bien une chose qui ne surprenait plus Neige, avec le recul. Elle n’avait pas besoin que Mylo le lui répète pour en avoir conscience et pourtant, dernièrement, elle avait compris qu’elle n’avait fait aucun effort. Seul son père avait compté dans la balance de son existence et le fait même d’appeler le jeune homme pour le prévenir du lieu où elle se trouvait ne lui avait pas franchement traversé l’esprit. La raison ? Elle ne souhaitait pas qu’il la voit aussi faible, démunie. Il n’y avait bien qu’en face de son père qu’elle redevenait cette enfant perdue, sans protection, sans espoir d’avenir. Il ne restait plus rien de la Neige battante, tantôt impitoyable, tantôt seulement déraisonnable qui avait manifestement bouleversé la vie de l’historien… du moins assez pour qu’il ne se permette de répondre à sa question capitale par la positive, lui arrachant d’un même temps un sourire ému ; sourire qu’il ne vit pas tant il semblait plongé par l’adoration du décorum environnant. Mais cette fois, loin d’elle l’envie de lui en faire la réflexion : ils avaient déjà fait un pas colossal l’un vers l’autre et pour être honnête, Neige avait d’autres chats à fouetter… comment allait-t-elle pouvoir le remercier alors qu’il donnait un rein pour sauver son père ? « Romantique, ce n’est pas vraiment le mot. J’aimerais simplement retrouver ce moment que l’on a eut dans mon bureau cette nuit là, où il n’y avait ni faux semblants, ni masques, ni rien du tout. On était bien, libres… c’est plutôt à moi de te demander pardon pour avoir gâché tout ça. » Du moins en avait-elle l’impression…

Mais l’heure n’était plus uniquement à ce genre d’explication car il l’aidait à se déchausser et à se déshabiller sommairement afin qu’elle puisse s’allonger. Contre toute attente, Mylo l’accueillit effectivement dans ses bras, lui offrant cette protection indispensable dont elle avait maladivement besoin en cet instant, alors qu’elle se contentait de laisser ses doigts caresser tout doucement son torse. C’était à peine si Neige osait bouger par peur de lui faire mal, pourtant… « Je ne voulais pas repousser ta demande qui n’était pas en soi une déclaration si on joue réellement sur les mots mais plutôt une proposition. Tu veux savoir pourquoi ? » La jolie allemande prit une grande inspiration, tandis qu’elle fermait les yeux, soupirant d’aise, bien qu’incapable de dormir. « Parce que je t’aime. » Mettez cela sur le compte de la fatigue, de la peur, de tout ce que vous voulez… mais Neige le pensait. Elle n’avait même pas arrêté de le penser durant cette petite séparation physique avec Mylo.

Mais Neige ne vit pas arriver la chute de son propre cœur, emporté dans les méandres d’un doute absolument insupportable. Le silence. La jolie allemande l’avait longtemps détesté avant de se rendre compte qu’en fait, il était confortable. Paisible, moins douloureux. Dès lors qu’elle avait le malheur d’ouvrir la bouche, cela se transformait en catastrophe intersidérale et il ne fallait pas sortir d’une grande université pour se rendre compte de la chose. Mais si le baiser de Mylo avait été un baume sur son âme tourmentée, esseulée, blessée, le reste de ses paroles n’eurent strictement aucun effet si ce n’est creuser plus encore le gouffre de souffrance qui entourait littéralement son existence. Neige souffrait. Elle avait même envie de hurler face à la solitude qu’on lui imposait malgré tous les efforts qu’elle faisait. Manifestement, d’après ce qu’elle venait de comprendre ce soir, tous les efforts du monde ne seraient jamais suffisants et sans doute ne serait-elle jamais armée pour faire face à ce genre de chose. Alors, fatalement, elle se releva, sortant du lit sans l’ombre d’un état d’âme, sa fatigue reléguée aux tréfonds de son être comme si elle n’avait plus aucune espèce d’importance de façon aussi soudaine qu’inattendue. « Laisse tomber » murmura-t-elle alors qu’elle s’emparait du premier et seul objet capable de calmer les battements douloureusement effrénés de son cœur : sa guitare. Diable, il y avait un lustre qu’elle n’en n’avait plus joué et peut-être était-ce tout bonnement de circonstance. « A vrai dire, je ne sais pas si c’est un état naturel chez toi de te transformer en véritable glaçon à chaque fois que j’essaye de tenter un rapprochement ou si tu as simplement envie d’être sadique et de me faire payer l’erreur que j’ai commise mais c’est un fait : si les femmes t’ont blessé par le passé alors je ne suis pas elles, je n’estime pas avoir à payer quoi que ce soit et par conséquent, même si j’ai eu une crise de panique lors de ta demande en mariage je pense que j’ai largement payé la chose. J’en ai marre de te répéter que ce n’était pas un non, que j’avais juste besoin que tu me rassures ou même de te faire comprendre que putain, je ne crains même pas le terme ! Tu veux que je te le répète pour voir ? Demande en mariage, demande en mariage, demande en mariage ! Tu penses que tu as été humilié ce jour là mais merde… combien de fois tu m’as humiliée, moi ? Fais le compte puisque visible, il s’agit de ça ! »

Neige serrait le manche de son instrument aussi fort qu’elle le pouvait dans sa main, incapable de réagir avec discernement tant la fatigue, le doute et la souffrance martelaient son âme sans jamais lui offrir la moindre paix. S’il fallait lui mettre les points sur les i ici et maintenant, elle se faisait forte de le faire plutôt deux fois qu’une. « Je ne veux pas faire de jeux de rôles. Je ne sais pas si tu te rends compte mais tu prends absolument tout le monde de haut et tu es incapable de faire le moindre foutu geste qui pourrait passer pour un geste tendre ! Peut-être que tu attends de trouver une femme supra extraordinaire déjà telle qu’elle est que tu n’aurais pas à la fondre dans ton moule… désolée mais je ne suis pas celle-ci alors. Poser des questions sur ton passé ne m’intéresse pas, ce n’est pas ce que je voulais faire valoir. Plutôt que sûrement, au milieu de tes souffrances, tu as été aimé et aimé en retour et que manifestement, quelque chose s’est brisé en toi… mais peut-être que j’aurais juste rêvé avoir ce que moi personnellement je n’ai pas eu, à savoir de l’amour. Il n’y a rien intéressant à savoir d’autres quand tu sais déjà ça. Surtout que je te pense tout à fait capable de faire une fantastique pirouette sur des détails de merde pour continuer à te mettre des fantastiques œillères et éviter surtout d’être perturbé dans ton petit quotidien si tranquille et confortable ! Désolée de vouloir prendre des risques et de vouloir que ça marche… mais manifestement, ce n’est pas utile puisque tu ne veux pas. C’est ça le truc. Je ne vais même pas te faire l’affront de te demander pourquoi tu es en couple avec moi parce que je sais par avance que je risque de ne pas aimer la réponse ! Tu te rends compte que tu es prêt à donner ton rein mais que tu considères ma crise de panique comme une humiliation ? Pour enfoncer une porte ouverte, TU t’es braqué. TU es parti sans me laisser la possibilité d’ajouter quoi que ce soit. Alors tu veux que je te dise ? Je n’ai pas d’énergie. Je n’ai plus d’énergie pour me battre contre des gens qui estiment que rien ne peut changer dans leur quotidien. Tu sais pourquoi je suis prête à donner un de mes reins à mon père, même si je sais très bien que je peux rester sur la table d’opération ? L’amour. Je sais que mon père aurait fait exactement la même chose pour moi et que s’il y a une bonne chose que je puisse faire sur cette foutue planète, alors ce sera ça. Tu me regretterais si je partais, franchement ? Techniquement, là, j’en doute. »

Et Neige sortit de sa propre chambre en ouvrant la porte à la volée. Elle ne savait même pas pourquoi elle s’était lancée dans une telle diatribe mais disons qu’aujourd’hui, spécifiquement aujourd’hui, ce n’était pas le moment de se taire face à sa déclaration… peut-être avait-elle tout simplement besoin qu’on l’aime, et qu’on le lui montre, ne serait-ce qu’une journée. Mais sur son balcon, à se heurter au froid ambiant, les mains tremblantes, elle fut incapable de jouer. Elle détestait passer pour une pleurnicheuse mais là… elle en avait maladivement besoin. Mais le pire dans tout ça, c’est qu’elle aurait rêvé pouvoir se consoler dans les bras de Mylo, qu’il arrête de se fermer à elle et qu’elle puisse lui parler d’absolument tout ce qui caractérisait sa façon de pensée actuelle ! Allait-il fuir à nouveau cette fois ou, à son tour, prendre les multiples risques que la jolie allemande avait elle aussi pris pour eux ?

Clairement, Neige ne s’attendait pas à le voir rappliquer et surtout pas au fait qu’il se lance dans une véritable diatribe contenant des mots qui lui faisaient du bien comme d’autres lui faisant diablement du mal. A vrai dire, elle se concentra surtout sur le fait qu’il ait prononcé les trois fameux mots qu’elle pensait ne jamais entendre de sa bouche, et qui expliquaient fondamentalement le reste… ce fut sans doute ce qui l’incita plus encore à conserver ses lèvres closes, malgré toutes les répliques pouvant bien défiler dans le fond de son esprit. Neige s’emmura temporairement dans un silence parfait, y compris lorsqu’il s’empara de son instrument, puisqu’elle se contenta de ramener ses genoux vers elle. Le froid ambiant perçait littéralement sa peau mais elle ne voulait pas rentrer à l’intérieur ou même dormir. Pour quoi faire ? Dès qu’elle aurait fermé les yeux, de terribles cauchemars allaient sûrement survenir et pour cela aussi, elle n’avait aucune énergie ou même envie de lutte. La jolie allemande ferma pourtant les yeux en entendant Mylo se mettre à chanter, comme si c’était une évidence, et comme s’ils ne venaient pas de se jeter mutuellement à la figure des tonnes d’horreurs. L’historien avait certes été plus mesuré mais Neige n’avait jamais prétendu savoir toujours se contrôler, hélas… il n’y avait qu’à voir ses sanglots n’ayant de cesse de s’écouler, sans discontinuer, pour s’apercevoir qu’au fond, malgré toute la force dont elle savait si bien faire preuve, la jeune femme restait un colosse aux pieds d’argile. Jusqu’ici, elle avait continué sa bataille seule et aujourd’hui, elle ne pouvait simplement plus supporter tant de choses en solitaire… « Je n’attends que ça ne me contenter de tes actes. Mais tu espérais quoi, Mylo ? Que j’allais sagement te laisser dire que de toute évidence, ce moment purement d’actes que nous avons eu dans mon bureau ne se représenterait jamais ? Peut-être que j’ai juste besoin qu’on me rassure, aussi, d’une manière ou d’une autre. Tu as été blessé par ma réaction mais je ne t’ai pas repoussé, je ne suis donc pas la seule à mal interpréter les propos de l’autre… une fois encore, j’avais juste besoin que l’on en discute ! Je n’avais pas l’intention de blesser la seule personne au monde capable de me supporter sur la durée. Quant aux autres fois… où j’ai pu prendre la poudre d’escampette c’est simplement parce que tu n’as eu aucune réaction quand je me suis déclarée et je ne savais pas du tout comment réagir autrement. Tu l’as dit toi-même : tu as aimé deux fois. Et aussi vrai que je n’ai pas l’intention de te poignarder, de coucher avec un de tes amis ou que sais-je encore, je n’ai pas la moindre expérience dans ce domaine alors si je ne réagis pas comme il faut, j’ai peut-être quelques raisons derrière. »

Son calme lui faisait presque peur. Neige avait l’impression de parler comme si rien n’avait plus d’importance, alors que justement, tout était important, et elle pensait chaque mot prononcé ! « Que mon père soit malade ou pas, qu’il ne continue à ne pas me voir et à ne pas être touché par mes paroles je m’en contrefous… Mylo, s’il disparaît et que tu me laisses, tu peux me dire ce qu’il me restera ? Rien. J’ai besoin de croire en quelque chose, de me dire qu’il existe même un espoir minuscule et complètement taré que mon quotidien ne soit pas parsemé uniquement de nuages mais bien de quelques éclaircies. Depuis mes douze ans je suis toute seule… et je donnerais n’importe quoi pour arrêter de l’être définitivement à toute heure du jour comme de la nuit. » Neige ne lui demandait pas de comprendre, juste d’entendre que ses réactions étaient motivées par des années et des années de difficultés. La jolie allemande s’était construit toute seule, et bien que Jarvis ait toujours été plus ou moins là pour garder un œil sur elle, elle n’avait jamais été la coqueluche de quelques groupes d’étudiants par exemple… « Arrête de me repousser aussi, c’est tout ce que je te demande. Je peux museler tout le reste en ce qui me concerne » souffla-t-elle enfin, balayant ses larmes de plusieurs revers de main alors qu’elle rapprochait plus encore ses genoux contre elle. « Tu chantes et tu joues très bien, tu ne devrais pas arrêter. »

A y regarder de plus près, effectivement, les deux jeunes gens parvinrent à produire une mélodie tout à fait merveilleuse, harmonieuse et même un brin audacieuse. Ce fut la première chose qui fit cesser ses larmes, du moins jusqu’à ce que le discours de Mylo ne réchauffe peu à peu le cœur entouré de glace de la jolie allemande. Elle avait vécu quelques unes des heures les plus éprouvantes de son existence, qu’il s’agisse de son temps passé à l’hôpital ou de sa confrontation avec l’historien, mais ce qu’il lui disait désormais apaisait légèrement le feu qu’avaient fait naître les propos qu’ils s’étaient envoyés en pleine figure. Neige ne le regardait pas encore, de même qu’elle n’osait pas encore s’exprimer, préférant s’imprégner de ce qu’il lui disait comme si ce moment pouvait se briser à tout moment. Pourtant, elle s’y accrochait, poursuivant sa collaboration musicale avec Mylo sans discontinuer ou même éprouver la plus petite hésitation. Pourtant, cela faisait également une éternité qu’elle n’avait plus joué la moindre mélodie à la guitare, délaissant son instrument pour affronter les réalités de son existence. Comme quoi, il n’y avait pas que le jeune homme qui avait vu sa vie être totalement chamboulée par une véritable tornade émotionnelle particulièrement inattendue… « Je crois que nous savons dans quoi nous recycler si nos carrières ne fonctionnent pas » ironisa-t-elle afin de détendre une atmosphère s’étant trouvée précédemment à couteaux tirés. Mais le sourire qu’elle arborait était sincère, bien qu’il soit encore timide et un peu en retrait, celui-ci ne faisait que croître de seconde en seconde tandis qu’elle s’apercevait qu’au final… il y avait beaucoup d’espoir pour eux aussi.

« Je ne suis pas certaine d’être absolument parfaite pour le rôle mais je te promets au moins d’essayer. Tu sais, j’ai vraiment dû me fermer à de nombreuses choses pour ne pas laisser ce qui m’est arrivé me rendre bonne pour l’asile. Mais quand je suis avec toi… même si l’on a des difficultés, je sais que d’un autre côté tu ne seras jamais là pour me blesser comme beaucoup d’autres ont tenté de le faire. Même si j’ai un caractère difficile et que je me braque beaucoup, je suis la première à reconnaître que tu me fais énormément de bien et que tu es probablement la seule personne au monde à en être capable. A mon tour, j’aimerais beaucoup te montrer que tu as le droit d’être heureux, Mylo. Que je n’ai pas l’intention de partir et que tu es donc parti pour me supporter un long, très long moment. Je ne suis pas sûre que ce soit forcément la meilleure chose de ta vie ! Mais tu pourras toujours compter sur moi pour te montrer que tu mérites aussi ta part et… à l’avenir je vais essayer de comprendre tes silences sans m’enflammer. » Ce fut à ce moment précis que Neige se décida à tourner son visage pour rétablir le contact visuel avec Mylo, juste à l’instant où il se décida à lui faire ce merveilleux compliment qui lui arracha un sourire ému. Pour première réponse, la jolie allemande lia tendrement ses lèvres à celles de l’historien, en un baiser qui prit en profondeur au fil des secondes tandis qu’elle laissait sa main s’échouer contre son cou. Oh bien sûr, elle était toujours aussi peu expansive physiquement, mais sur ce point là également, elle voulait faire des efforts. « Toi tu es mon plan de Da Vinci, Mylo » énonça-t-elle malicieusement alors qu’elle se mit à le serrer contre elle, passant et repassant sa main dans ses cheveux noirs tandis qu’elle reprenait enfin une respiration plus normale. « Tu chanteras à nouveau pour moi ? Et tu étais sérieux en disant que tu voulais… me loger ? »

Bien sûr, Neige aurait pu se voir frustrée car il n’y avait aucune réconciliation sur l’oreiller possible avec Mylo, mais elle ne l’était en aucune façon. Elle préférait même que ce ne soit pas le cas, afin d’avoir l’opportunité de s’habituer à sa présence d’une autre manière et de ne pas avoir à simuler lors de l’acte sexuel, comme elle l’avait fait par le passé avec son fiancé. « Je me fiche qu’il n’y ait pas de réconciliation sur l’oreiller… je ne suis pas douée pour ça et tu sais pourquoi. Mais notre réconciliation musicale, en revanche, je la trouve parfaite ! » Elle qui n’était d’ordinaire guère souriante, ou expansive, voilà que ses moindres barrières se trouvaient réduites à néant par l’historien qu’elle avait longtemps cru parfaitement hermétique à ses charmes. Pire, désintéressé des sentiments qu’elle pouvait bien lui vouer. Quelle gourde avait-elle été ! Il ne savait simplement pas s’exprimer comme tout le monde, et leur communication frôlait parfois le niveau zéro. Mais quelque chose lui disait que désormais, la chose allait être légèrement différente. Maintenant que la jolie allemande avait pris conscience d’un certain nombre de choses, ses humeurs allaient se museler et éviter d’exploser à tout bout de champ en la poussant à la faute… « Si je te fais le ménage moi, avec mes blanches mimines, tu acceptes que je laisse mes sautes d’humeur s’exprimer face à ta femme de ménage ? » avoua-t-elle, sourire carnassier aux lèvres. Ah, Neige ne pouvait rien promettre. Il ne s’agirait bien sûr pas de jalousie à proprement parler, surtout avec la différence d’âge qu’il lui annonçait, mais marquer son territoire en présence d’autres membres de la gent féminine était une histoire d’honneur… sa fierté d’allemande en dépendait, scrogneugneu ! « C’est peut-être toi qui aura des pulsions meurtrières ? Mais plutôt que de choisir un scénario catastrophe… pourquoi ne pas tout simplement essayer ? » Neige allait avoir besoin ne serait-ce que de sa présence dans les semaines à venir. Maladivement besoin.