Les rues étaient noires et désertes, les lampadaires de la ville éclairant juste la chaussée. C'était une belle soirée, puisque Primrose et Alexandre fêtaient la Saint Valentin. L'affaire était donc bien rodée : ils iraient tous les deux s'acharner à travailler : l'une enchaînerait rythme endiablé, étirements et pas chorégraphique pendant que l'une essaierait à travers un casting de trouver une perle rare digne de devenir la future coqueluche de la grosse pomme. Alexandre adorait ces moments là, c'était un boulot compliqué, même si cela n'y paraissait pas. Car quoiqu'en pense les personnes extérieures au monde particulier du cinéma, juger des acteurs sur leur jeu lors d'un casting n'a rien de facile. Il s'agit d'être à même de décider, objectivement, si oui ou non, la personne qui joue en face de vous sa carrière a des épaules assez larges pour endosser le rôle pour lequel elle a postulé. Peu aisée était la chose, mais cela plaisait fortement au beau brun.
Enchaînant ainsi les postulants, il finit par poser son engouement sur une jeune femme qui ne faisait pas l'unanimité ; elle était drôle et touchante, mais certains voyaient en elle trop de doutes, d'incertitudes. C'est à ce moment que le statut de réalisateur prend toute son ampleur : il imposerait son choix et miserait sur sa chevelure rousse, comme au poker, en espérant qu'il ait une bonne main.
Satisfait de son choix, Alexandre acheva sa journée de travail et quitta le studio en direction d'un fleuriste de Manhattan, sans doute le meilleur, après en avoir écumé des tonnes et des tonnes. Éternel romantique, Alexandre ramenait régulièrement des petits cadeaux à l'attention de son épouse.. bien que le mariage soit monté de toute pièce et qu'il s'agisse à l'origine de sa meilleure amie. " À l'origine " puisque depuis quelques mois, le bel homme semblait ressentir bien plus qu'une simple amitié pour la jolie Américaine qui n'avait pas hésité à lui tendre la main dès son arrivée à New York. Elle avait toujours été là pour lui, était devenue son pilier et même la personne à qui il avait dit le fameux "oui, je le veux". Une déclaration qui n'était désormais plus qu'une simple formalité, mais qui commençait à prendre tout son sens. Mais comment lui avouer ? Comment oser prendre le risque de l'apeurer et de la perdre ? C'était impensable, inimaginable. Au lieu de ça, il se contenterait donc de lui offrir un magnifique bouquet de fleurs, qui ne serait pas démesuré et exagéré, mais simple et pure, à l'image de son dévouement pour sa douce. « Merci beaucoup, elle en sera ravie je pense. » dit-il simplement au vendeur qui venait de lui adresser un grand sourire, accompagné du bouquet floral.
Une fois rentré chez lui, il fit fièrement trôner le bouquet de fleurs au milieu de la table du salon, simplement pour avoir le temps d'aller se préparer. Ni une, ni deux, il grimpa les escaliers en vitesse et farfouilla dans leur dressing, dans le but de trouver un bel ensemble digne du thème de la soirée. C'est donc avec plaisir qu'il enfila, après une bonne douche, un costume noir d'une grande marque de couture, sur une chemise blanche. Dans la sobriété et la simplicité, ce qu'aimait Primrose. Il jeta un oeil à sa montre et constata qu'il était déjà l'heure qu'elle rentre. Dans un vif soupir de surprise, Alexandre dévala de nouveau ses escaliers et alluma quelques bougies. La scène était romantique, mais une chose manquait à l'appel. Le dîner ; aucun repas ne cuisait dans le four, ni même n'était prêt pour un buffet froid. Rien, si ce n'est une bouteille de champagne et quelques fraises, qu'ils boiraient ensemble dans un bain mousseux, plus tard dans la soirée. Mais avant cela, il avait tout prévu : rien n'avait été omis, comme le laissait présager la scène en entrant dans un appartement où les seules senteurs étaient celles des bougies parfumées. Au milieu de quelques boutons de rose, Alexandre avait pris le soin de glisser un petit mot : « Bon pour le meilleur restau de Brooklyn. » Il avait effectivement réservé une table dans un restaurant gastronomique de renommée internationale, pour marquer le coup - et sans doute aussi pour tenter de lui faire prendre conscience des sentiments qu'il éprouve pour elle. Dans ses pensées, il en fut tiré lorsqu'il entendit un bruit de moteur. C'était la voiture de sa femme, qui rentrait tout juste du boulot. Alexandre prit le bouquet de fleurs fraîches et attendit dans le hall d'entrée, jusqu'à ce que la porte s'ouvre enfin. D'un sourire des plus charmeurs, Alexandre lui tendit le bouquet en lui souhaitant : « Joyeuse Saint Valentin. » avant de l'embrasser tendrement sur le front. Elle semblait heureuse, et il fallait qu'elle trouve vite le petit mot dans le bouquet sans quoi, il serait en retard au restaurant dans lequel il avait réservé pour 20h pile.

Primrose semblait réellement ravie d'avoir reçu, en guise de pré-cadeau de Saint Valentin, un beau bouquet de fleurs fraîches. Si bien que quand elle aperçut entre quelques pétales le mot surprise, elle laissa d'autant plus sortir sa timide joie en déposant un baiser sur le coin de la lèvre d'Alexandre. Le coeur du bel homme loupa un battement, avant de s'emballer tumultueusement. C'était indéniable, Primrose lui faisait ressentir des choses qu'il n'avait jamais ressenti avec personne d'autre. C'était elle, lui, eux, à jamais. Citation clichée mais pourtant si vraie, à en croire les ondes sensuelles et amoureuses qui planaient au dessus de leurs têtes. Alexandre n'avait qu'une envie : l'embrasser fougueusement. Mais c'était quelque chose qu'ils s'étaient refusé de faire, préférant le garder à la personne dont ils seraient réellement amoureux. Seulement voilà, Alexandre aimait profondément son épouse, d'un amour sincère. Elle était devenue son pilier, celle sans qui il ne pourrait plus respirer, sans qui il ne serait plus le même. C'est donc les yeux brillants qu'il laissa sa compagne aller se préparer en vue de la soirée.
Quand elle revint, environ une vingtaine de minutes plus tard, Alexandre fut ébloui. Elle portait son fourreau de soie bleu qu'elle chérissait tant. C'était dingue comme il pouvait la mettre -encore plus- en valeur ; c'était une véritable princesse de Russie, avec sa chevelure sombre et son teint pâle. « Tu es sublime Prim .. » Il crevait d'envie de lui ôter son fourreau oui. Elle était radieuse, et cela ne faisait qu'attiser davantage son désir pour elle. Mais il fallait se contenir, la réservation du restaurant n'attendrait pas plus longtemps. D'ailleurs, en jetant un coup d'oeil à sa montre, Alexandre se rendit compte qu'ils étaient déjà en retard et que le lieu se trouvait à quelques pâtés de maisons de leur appartement. « Oh, on n'est pas en avance mince ! Faut y aller ! Allez go.. » dit-il en attrapant Primrose par la taille, en la dirigeant vers la sortie. « Et si tu es sage, tu auras peut-être le droit de passer le seuil de la porte de l'appartement dans mes bras, comme de vrais nouveaux mariés ! » Alexandre savait que Primrose avait toujours voulu faire ça. C'était peut-être une sorte de tradition qu'elle rêverait de faire avec son amoureux, en guise de la sincérité de leur union ? Mais cela n'avait pas été possible lorsque son mariage avait eu lieu. Ou plutôt, ils ne l'avaient pas fait parce que c'était plus un arrangement qu'autre chose. Ceci étant, aujourd'hui, la situation était certes ambigüe et si l'un comme l'autre n'osait pas se lancer, ils la détendaient chacun à leur manière, en tournant beaucoup de choses à la dérision. Et c'est comme ça qu'est venue cette idée. Alexandre se disait même qu'à la fin de la soirée, pour que ce quatorze février résonne comme le meilleur de tous les temps, il la porterait en passant le seuil de la porte, lui avouerait ses sentiments et embrasserait enfin ses lèvres fines et d'un rouge intense. Le plan était parfait, mais encore faudrait-il déjà partir. C'est donc dans la foulée que le bel homme attrapa ses clés de voiture, ferma à double tour la porte de l'appartement et rejoignit son épouse dans la voiture. Il lui sourit et mis les clés dans le démarreur. Le moteur ne mit pas longtemps avant de crier un peu, sous l'accélération un peu brusque du conducteur. Alexandre conduisait habituellement mieux que cela, mais il ne fallait pas trainer ou ses chances de s'asseoir à sa table préférée s'amenuiseraient.
Sur la route peu éclairée, il dépassait légèrement la limite de vitesse autorisée quand quelque chose attira son attention.

L'ambiance qui régnait dans la voiture était plutôt agréable et promettait une soirée fabuleuse, à l'image de la joie intense qu'ils pouvaient ressentir lorsqu'ils étaient ensemble, rien qu'à deux. Alexandre commençait même à s'assurer intimement qu'il allait tout lui avouer ; qu'il l'aimait à en mourir et que pour lui, ce n'était plus qu'un jeu de "cap ou pas cap de se marier" mais bel et bien des sentiments amoureux et l'envie, le désir de passer sa vie à ses côtés. Mais il ferait sa déclaration en bonne et due forme, certainement après le repas dans ce restaurant gastronomique.

Pour le moment, ils se trouvait là, à côté d'elle qui chantait à tue-tête la chanson qu'elle avait difficilement trouvé sur les canaux de la radio. Il quitta quelques secondes la route des yeux pour poser son regard sur sa belle, qui semblait plus heureuse que jamais. Lorsque soudain, quelque chose attira de nouveau son regard. Tout se passa très vite, extrêmement vite, pour ne pas dire immédiatement. Une lueur surpuissante jaillit jusqu'à eux à une vitesse folle, et Alexandre n'eut à peine le temps de comprendre ce qu'il se passait que Primrose lui hurla : « ALEXANDRE ATTENTION !!!!! » Cette lueur n'était pas divine, n'était pas l'objet d'un jeu entre enfants.. non, c'était une voiture qui leur fonçait dessus ! Elle sortait d'une rue sur la gauche, alors que la voiture d'Alex et de Prim était prioritaire. Le conducteur fou ne s'arrêta pas dans sa course et fonça droit sur eux, avant de fuir de nouveau. Alexandre, quant à lui, ne put faire qu'un geste violent sur le volant, un coup qui ne suffit pas à éviter le véhicule fou, qui lui rentra dedans de plein fouet. La voiture des jeunes mariés fit plusieurs tonneaux sur la large avenue où ils étaient seuls. Les vitres se brisèrent en mille morceaux, les airbags se déclenchèrent, deux des quatres roues continuèrent seules leur course sur le bas côté et enfin, la carrosserie complètement pliée de tous les côtés les empêchaient de bouger. L'accident avait été d'une violence terrible, et le sang coulait déjà sur quelques parties de leur corps quand Alexandre ouvrit difficilement les yeux. Sa première réaction fut immédiatement de regarder Primrose. Elle semblait toujours inconsciente. « PRIMROSE !! PRIIIIMROSEE RÉVEILLE TOI !!! » hurla-t-il paniqué, en tirant de toutes les forces qui lui restaient sur ce qui le bloquait dans la voiture. Il n'arrivait pas à décrocher sa ceinture et ne parvenait donc pas à atteindre son épouse. Alexandre hurlait comme jamais, des larmes commençant même à s'accumuler dans ses yeux, à l'idée que sa Primrose puisse être blessée, ou pire.