Ces derniers temps, l’esprit de Caleb n’avait été occupé que par une seule et même chose. Ou plutôt, une seule et même personne. Une fois n’étant pas coutume, celle qui occupait les pensées du militaire nuit et jour n’était autre que Loan. Pour sa défense, le jeune homme était passé par tout un panel d’émotions bien différentes, et ce en un temps record. Il y a quelques semaines à peine, elle avait fait irruption chez lui, et avait même passé la nuit à ses côtés. D’ailleurs, un rapprochement aussi inattendu qu’agréable s’était opéré entre eux, les poussant même à finir la nuit dans le même lit après avoir échangé quelques baisers. Caleb avait bien sûr mit tout ça sur le compte de la peur et de son retour d’Afghanistan mais quoi qu’il en soit, ces baisers ne l’avaient pas laissé totalement indifférent. Comment aurait-il pu l’être d’ailleurs ? Loan était et resterait la première femme qu’il avait vraiment aimée, et avec laquelle il s’était projeté dans un avenir qui aurait pu être rose si elle n’avait pas tout gâché. Seulement voilà, comme si le bonheur leur avait été interdit pour toujours, tout finissait par s‘envenimer à chaque fois, et chacune de leurs entrevues ou presque se terminaient en éclats de voix. Pour Caleb, la dernière désillusion en date avait été l’annonce faite par Loan… et quelle annonce ! Elle avait voulu être sincère comme il le lui demandait et pourtant, la vérité les avait une fois de plus séparés. Savoir qu’elle était enceinte d’un autre qui n’était même plus avec elle, et qu’elle comptait garder l’enfant {Oui du coup, il sait pas que c’est des jumelles lui } contrairement à ce qu’elle avait pu faire avec leurs fils avait quelque chose d’insupportable pour le militaire. Alors sans réfléchir aux conséquences que cela pourrait avoir, Caleb s’était emporté, et avait bien malgré lui poussé Loan à quitter son appartement sans plus d’explications.

Depuis cette altercation, le jeune homme n’avait eu de cesse de repenser à Loan, et de se maudire intérieurement pour avoir agit de la sorte. La seule chose dont elle devait avoir besoin était du soutien, et même si c’était difficile à gérer pour lui, Caleb avait plus que tout envie d’être à ses côtés. Alors il avait prit sur lui, et avait engagé lui-même une conversation qui, par SMS interposés lui assurait au moins de ne pas tout gâcher au premier essai. Mais le but final de la manœuvre était bel et bien de la voir, et de pouvoir s’expliquer face-à-face, comme deux adultes responsables. En arrivant devant chez Loan, le militaire ressentit une pointe d’appréhension, mais il se remotiva bien vite en se rappelant que cette rencontre ressemblait fort à une dernière chance. Une dernière chance pour eux de ne plus faire semblant devant Nolan, de ne plus faire comme si tout allait bien alors que l’amertume se lisait dans chacun de leurs regards. Cette fois, et qu’importe le temps et l’énergie que cela prendrait, Caleb était bien décidé à tout arranger. C’est donc d’un pas décidé qu’il s’approcha de la porte, en tenant dans sa main deux sacs contenant un repas qu’il avait prit soin d’acheter avant de venir. Il prit une profonde inspiration, et sonna sans plus attendre, en tenant de ne pas écouter les battements de son cœur qui paraissaient résonner dans tout son corps.

Sa carte bancaire n'avait eu de cesse de chauffer ces derniers mois. Les divers vêtements qu'elle avait pu avoir en sa possession suite à sa première grossesse n'avaient pas tardé à devenir bien trop petits pour son ventre qui n'avait cessé de prendre de l'ampleur. Cette seconde grossesse - en plus d'être particulièrement fatigante pour la philippine - lui apportait également un tas de kilos en plus à cette vingt-huitième semaine de grossesse, ce qui équivalait à près de sept mois de grossesse. Néanmoins, Loan avait eu le temps de s'habituer. Enfermée dans son appartement la plus grande partie du temps, la jeune femme se préparait tant bien que mal à son futur accouchement et à la future venue des jumelles, venue qui la faisait angoisser bien plus qu'elle ne voulait bien l'avouer. S'étant promis de ne pas faire la même erreur qu'avec son petit garçon, elle s'était résolue à garder les deux enfants qu'elle portait et toutes les responsabilités que cela impliquaient éveillaient en elle comme un vent de panique. Souvent, Loan venait à se demander si elle serait capable de gérer deux enfants en même temps en vivant seule dans son petit appartement et régulièrement elle finissait par se dire que sa résolution n'était peut-être pas si bonne que ça. Cependant, ce jour-là la jeune femme s'était réveillée avec la sensation qu'il s'agissait d'un bon jour.

Hormis le fait d'avoir de plus en plus de mal à se déplacer ou à faire certains mouvements, Loan était de bonne humeur bien qu'elle passa sa matinée à grignoter devant sa télévision, changeant de chaîne à chaque fois que l'émission qu'elle regardait se terminait avant de prendre la direction de la salle de bain. Une fois sa douche prise et de retour dans sa chambre, Loan enfila un jean droit denim légèrement délavé et ne put s'empêcher de sourire en parvenant à le fermer, bénissant le fait d'avoir craqué sur plusieurs vêtements de grossesse lorsqu'elle était sortie de chez elle la dernière fois. Un top corail et gris mis, Loan attacha ses cheveux bruns à la va-vite et retourna dans son salon pour se laisser à nouveau tomber sur le canapé et n'être qu'une loque, ce qu'elle était souvent dernièrement. Pourtant, bien que son regard fixait les images qui défilaient sous ses yeux, la philippine n'était pas concentrée sur l'émission qu'elle "regardait". En réalité, la jeune femme ne faisait que penser à une seule et même personne dernièrement. La dernière conversation qu'elle avait pu avoir avec Caleb - bien qu'elle fut par le biais de SMS - ne cessait de lui revenir à l'esprit. A chaque message de l'américain, elle avait ressenti une légère bouffée de joie l'envahir, ressentant la sensation que, peut-être, ils pourraient enfin tenter de reprendre tout à zéro.

Le militaire lui avait même demandé de la revoir - sans Nolan - et la jeune femme avait accepté même si elle n'avait pas la moindre idée de ce à quoi elle devait s'attendre, mais elle était prête à tout si cela leur permettait d'améliorer leur relation puisqu'elle le désirait sincèrement. La sonnerie de son appartement qui raisonna dans toutes les pièces de ce dernier fut ce qui sortit Loan de sa léthargie. La télécommande toujours en main, elle baissa le volume de la télévision, tourna la tête en direction de la porte d'entrée avant de trouver le courage de littéralement traîner des pieds jusqu'à cette dernière. Même si elle n'avait pas oublié le fait que Caleb devait passer la voir, elle n'avait pas réalisé que c'était ce jour-là que l'américain devait venir d'où la surprise qui se lut dans son regard lorsqu'elle ouvrit la porte. « Caleb ... Entre. » Loan se décala comme elle put sur le côté et ouvrit la porte de sorte à le laisser entrer avant de refermer derrière le jeune homme, son regard allant ensuite se poser sur les poches qu'il tenait dans les mains. « Oh ... tu es un génie ! Je pensais justement au fait que je commençais à avoir faim. » Déclara-t-elle tandis qu'un léger sourire étirait doucement le coin de ses lèvres. En réalité, elle n'y avait pas fait attention bien trop accaparée par ses pensées qui tournaient autour de Caleb, mais elle se passa bien de l'avouer.

Sans forcément s’être mis la pression pour cette entrevue, Caleb y avait néanmoins beaucoup réfléchi. Si bien qu’en arrivant chez Loan, le jeune homme savait exactement de quoi il voulait lui parler. Bien décidé à ne pas s’emporter ni élever la voix contre elle, il comptait enfin arranger les choses entre eux. Et il espérait que, malgré les sautes d’humeur que devaient certainement lui procurer ses hormones de femme enceinte, Loan ait prit les même résolutions que lui. Plus confiant que jamais, c’est donc armé d’un bon repas que Caleb se présenta devant l’appartement de la jeune femme. Et au moment où cette dernière lui ouvrit la porte, le militaire ne put s’empêcher de porter son regard presque immédiatement sur son ventre. Cela ne faisait que quelques semaines qu’il ne l’avait pas revue et pourtant, le changement était quasi-spectaculaire. « Wow ! » lâcha-t-il avec un grand sourire aux lèvres. « Tu es… magnifique ! » Caleb aurait voulu s’y prendre autrement mais aucun autre adjectif ne lui était venu à l’esprit. Et puis de toute manière, force était de constater que ce qu’il disait était vrai ! Alors sans hésiter, le jeune homme entra dans l’appartement après y avoir été invité par Loan, qui accueillit avec enthousiasme l’initiative qu’il avait eue en emmenant de quoi dîner. Plutôt fier de lui, il lui tendit les deux sachets afin de libérer ses mains et d’enlever son manteau pour se mettre à l’aise.

Jusque là, Caleb faisait comme si rien de spécial ne s’était passé lors de leur dernière entrevue, comme si celle-ci ne s’était pas mal terminée comme toutes les autres. Ca pouvait paraître un peu surjoué, voire même hypocrite, mais à ses yeux, c’était pourtant le meilleur moyen ne pas casser l’ambiance alors qu’il venait à peine d’arriver. Et puis quoi qu’il en dise, le fait de revoir Loan, de voir qu’elle allait bien et que sa grossesse se déroulait apparemment pour le mieux, lui faisait le plus grand bien. « On ne devrait pas trop tarder, ça risque d’être froid ! » lança-t-il en se dirigeant de lui-même vers le salon, où il s’installa un peu comme s’il avait été chez lui. Caleb ne voulait pas s’imposer, mais il connaissait assez Loan pour ne pas avoir à se gêner en sa présence. Il la laissa donc s’installer elle aussi, avant d’adopter un air un peu plus sérieux. Malgré la satisfaction de la retrouver, le militaire n’en oubliait pas pour autant ce pourquoi il était venu jusqu’ici. Alors, il posa son regard sur Loan et enchaina directement : « Ok, je… j’aimerai qu’on parle calmement de… tout ça. Je crois qu’on en a besoin tous les deux. Je sais qu’on n’y est jamais vraiment arrivés avant, mais… je pense que c’est le moment. J’ai envie qu’on mette les choses à plat une bonne fois pour toute. »

Loan avait bien plus l'impression de se traîner que de marcher et elle n'aurait pas même été surprise de se mettre à rouler avec le poids qu'elle avait pris. Le simple fait de faire un pas, de mettre un pied devant l'autre l'épuisait comme jamais, elle qui pourtant avait toujours été une grande sportive et qui avait bénéficié d'un sacré entraînement au sein de l'armée. A présent elle était essoufflée pour un rien, elle peinait à dormir correctement et le rythme accéléré de son cœur la fatiguait beaucoup. En somme, elle attendait avec impatience la fin de cette grossesse même si elle doutait de pouvoir plus se reposer une fois les jumelles venues au monde. Toutefois, même si Loan y pensait déjà beaucoup ce n'était pas la pensée qui avait la priorité dans son esprit. Depuis qu'elle avait reçu le message de Caleb, depuis qu'il lui avait fait part de son envie de la voir pour discuter - de préférence sans Nolan - la philippine ne cessait d'y penser jour et nuit. Elle avait une petite idée de sur quoi allait être basée cette conversation et elle ne savait pas si elle devait prendre peur ou non. Cependant, elle s'était rapidement fait la promesse de rester aussi calme que possible et de ne pas se laisser submerger par les émotions aussi simplement qu'elle pouvait le faire dernièrement. La preuve en était que le simple fait d'avoir regardé un téléfilm mielleux l'avait fait pleurer comme jamais, d'autant plus pour une jeune femme qui retenait bien souvent ses larmes, même lorsqu'elle était extrêmement blessée par quelque chose ou par quelqu'un.

Oui, Loan avait tendance à beaucoup penser dernièrement et perdre les fils de ces dernières comme en se rendant à la porte de son appartement qui pourtant n'était pas bien loin de son salon. Le fait de se retrouver face à Caleb la fit immédiatement sourire quand bien même sentait-elle une pointe d'angoisse la gagner. « Wow ! Tu es… magnifique ! » Presque immédiatement, la jeune femme posa l'une de ses mains sur son imposant ventre tout en sentant ses joues se mettre à chauffer alors qu'elle évitait de croiser le regard de Caleb comme si éviter tout contact visuel empêcherait l'américain de voir ses joues s'empourprer. « Merci. » Lâcha-t-elle finalement avant de se racler la gorge pour tenter de faire disparaitre la sensation de malaise qui s'était emparée d'elle. Elle avait bien plus l'habitude des prises de tête avec lui - et au vu de leur passé commun ce n'était pas surprenant - au point d'être toujours un peu gênée lorsqu'il lui faisait un quelconque compliment. Sur ces mots, elle le laissa entrer dans son appartement et attrapa les poches qu'il lui tendait afin qu'il puisse se débarrasser de son manteau. « On ne devrait pas trop tarder, ça risque d’être froid ! » Opinant du chef, la philippine le suivit tant bien que mal en direction du salon où elle se laissa tomber sur le canapé en poussant un soupire de bien-être ... être debout plus de deux minutes était un vrai supplice pour elle.

Tâchant toujours d’éviter tout contact visuel avec le jeune homme, elle posa les deux sachets sur le table basse avant de lever la tête vers Caleb après avoir senti son regard sur elle ... et quel regard ! Il était difficile de ne pas voir qu'il était plus sérieux que jamais ce qui fit d'autant plus paniquer Loan qui désormais craignait la discussion qu'ils allaient entamer. « Ok, je… j’aimerai qu’on parle calmement de… tout ça. Je crois qu’on en a besoin tous les deux. Je sais qu’on n’y est jamais vraiment arrivés avant, mais… je pense que c’est le moment. J’ai envie qu’on mette les choses à plat une bonne fois pour toute. » Doucement, les sourcils de la jeune femme se froncèrent. Elle se redressa afin de s'enfoncer un peu plus contre le dossier du canapé, croisant ses bras sur son ventre tandis que son regard ne lâchait plus celui du militaire. « Très bien ... Hm, tu veux qu'on commence par quoi ? » Demanda-t-elle sans parvenir à cacher le tremblement dans sa voix. La liste de leurs problèmes était longue ou tout du moins sur cette liste se trouvait un énorme problème duquel en avait découlé pas mal d'autres. « Je te promets d'être sincère et de ne pas m'emporter, du moins je vais essayer. » Une légère grimace déforma son visage. La philippine était prête à faire un énorme travail sur elle pour que cette conversation se déroule aussi calmement que possible mais elle ne pouvait rien garantir, pas avec sa fatigue et ses hormones cumulées.

Une fois installés dans le salon de la jeune femme, Caleb crut bon d’initier la conversation pour laquelle il était venu jusqu’ici. S’il tardait trop à le faire, le militaire avait peur de ne plus en avoir le courage. Il craignait même qu’un évènement ne survienne entre temps, et les emporte une énième fois dans un élan de colère et des éclats de voix. Mais ce qu’il était venu chercher ici, c’était tout le contraire. Alors, il devait mettre les choses au clair au plus vite, pour montrer à Loan qu’il leur était possible de repartir du bon pied tous les deux. Bien sûr, il n’allait pas aborder le sujet de la relation qu’ils avaient eue ; il n‘était pas là pour reconquérir sa petite amie même si plus il la regardait, plus il comprenait pourquoi il l’avait tant aimée. Avant de se laisser embarquer sur un terrain des plus glissants, Caleb préféra donc lancer ce qui, pour une fois, ne devait absolument rien avoir à voir avec des « hostilités ». Loan y avait été préparée par leur récente conversation SMS, et c’est donc sans rechigner qu’elle accepta. Néanmoins, Caleb pu clairement percevoir que sa voix tremblait, et il s’efforça de porter un regard rassurant sur elle. « Je te promets d'être sincère et de ne pas m'emporter, du moins je vais essayer. » D’un air satisfait, il hocha la tête en précisant : « Je te fais confiance, et… t’en fais pas, ça va bien se passer » ajouta-t-il finalement en référence à sa voix toujours aussi tremblotante.

Comme pour se mettre dans les meilleures conditions possibles, l’américain se redressa et s’installa face à Loan. Il voulait la regarder, capter chacune de ses réactions et chacune de ses mimiques. De cette manière, il pourrait savoir s’il allait trop loin ou non, si leur conversation risquait de mal tourner ou si au contraire ils étaient sur la bonne voie. Prenant une grande inspiration, il finit donc par se lancer : « Ok… Je… Je voulais que tu saches que… même si je n’oublierai jamais ce que tu as pu faire, vis-à-vis de ma mère, et que je ne pourrai certainement jamais te pardonner pour ça, je suis prêt à tirer un trait là-dessus… Je suis prêt à le faire pour Nolan, et aussi pour nous. Je vois bien que tu te donnes du mal pour changer et… tu n’es déjà plus celle que j’ai connue il y a quelques années alors… J’imagine que ça ne sert à rien de s’attarder sur le passé comme ça. » Caleb avait tout lâché d’une seule traite, préférant ne pas laisser de blanc entre ses phrases. Il avait tenté de trouver les mots justes pour ne pas être trop agressif, et lui montrer qu’il était sincère, mais n’était pas encore certain d’être parvenu à le faire. Il guetta alors avec une pointe d’appréhension le regard de Loan, tentant d’y déceler ne serait-ce qu’une bribe de réponse ou de réaction, qui pourrait l’aiguiller sur la marche à suivre ensuite. Car même s’il venait de lui dire ce qui lui pesait le plus, leur conversation était loin d’être terminée.

Oh ! C'est tout petit

La philippine faisait de son mieux pour canaliser son angoisse et surtout pour la cacher. Malheureusement, il y avait toujours une petite chose pour la trahir et si le plus souvent il s'agissait de son regard, cette fois sa voix s'y mettait également. Elle n'arrivait pas à calmer les tremblements de cette dernière et laissait apparaître que cette conversation - dont ils avaient pourtant grand besoin - la terrorisait sans doute bien plus que la perspective de devoir repartir en Afghanistan. Seulement, elle s'était fait la promesse de tenter de réparer les choses entre eux et si jamais plus rien n'était possible, elle se satisferait du fait d'être en bon terme avec le père de son fils même si tout ce qu'elle avait pu lui faire ne risquait pas d'être oublié si facilement. Alors, elle allait rester calmer quoi qu'il en coûte. Elle allait mettre sa fierté de côté pendant un petit moment et tâcher de l'écouter sans laisser ne serait-ce qu'une petite chance à l'agacement ou à la colère de l'envahir, après tout elle lui devait bien ça. Assise sur le canapé, face à Caleb, la jeune femme faisait de son mieux pour ne pas trop se laisser à penser à toutes ces choses qui lui faisaient peur. Elle savait qu'elle risquait de ne pas aimer tout ce que le militaire avait à lui dire, mais ce qu'il allait lui dévoiler c'était uniquement de sa faute s'il avait à le lui dire. C'était elle qui avait joué avec le feu par le passé, elle qui s'était servie de lui et elle qui lui avait fait du mal, elle n'avait pas le droit de s'emporter ou de ne pas l'écouter.

Son regard cessa une bonne fois pour toute de chercher un autre endroit où se poser. Il resta fixé sur Caleb alors qu'il hochait la tête après que la jeune femme lui ait promis d'essayer de se tenir correctement. « Je te fais confiance, et… t’en fais pas, ça va bien se passer » Loan plissa doucement les yeux. Si elle avait espéré qu'il ne remarque pas le tremblement de sa voix elle s'était trompée et elle n'eut aucun mal à deviner que ces dernières paroles étaient à ce sujet, qu'il avait dit cela pour tenter de la rassurer. Silencieuse, elle ne le quitta pas des yeux tandis qu'elle sentait l'angoisse lui tordre de plus en plus l'estomac, faisant disparaître pour un petit moment cette faim dont, pourtant, elle ne s'était rendue compte qu’en voyant le repas que Caleb avait apporté avec lui. « Ok… Je… Je voulais que tu saches que… même si je n’oublierai jamais ce que tu as pu faire, vis-à-vis de ma mère, et que je ne pourrai certainement jamais te pardonner pour ça, je suis prêt à tirer un trait là-dessus… Je suis prêt à le faire pour Nolan, et aussi pour nous. Je vois bien que tu te donnes du mal pour changer et… tu n’es déjà plus celle que j’ai connue il y a quelques années alors… J’imagine que ça ne sert à rien de s’attarder sur le passé comme ça. » Dans un premier temps, la mâchoire de Loan se crispa. Elle savait qu'il allait être sujet de ce qu'elle avait pu lui faire et même si elle s'en était doutée ce n'était pas pour autant que ça lui permettait de digérer les choses plus facilement.

Elle s'en était voulu dès qu'elle avait commencé, mais trop poussée par sa colère elle n'avait rien arrêté et la philippine n'était pas prête de se pardonner elle-même non plus. Elle humecta ensuite timidement ses lèvres et se redressa alors qu'elle n'avait pas bougé d'un centimètre, c'était uniquement pour faire quelque chose, pour bouger alors qu'elle se sentait mal à l'aise. « J'étais stupide et en colère. J'avais l'impression d'être encore plus invisible pour mon père et Dieu sait que j'aurais été capable de tout pour qu'il fasse attention à moi. » Commença-t-elle avec une petite voix. Elle n'aimait pas spécialement se rappeler combien elle pouvait être inexistante pour son propre père, mais il fallait bien qu'elle commence quelque part. « Mais ça n'excuse pas ce que j'ai fait. Je n'aurais pas dû et j'aurais vraiment aimé m'en rendre compte. Seulement, je crois qu'une part de moi avait peur de te perdre et une autre savait que quoi que je fasse ce serait le cas. » Loan baissa les yeux pour les poser sur la table basse uniquement pour ne pas avoir à croiser le regard de Caleb se sentant bien assez mal comme ça. « Je ne cherche pas à me faire pardonner, je ne le mérite pas, cependant je manquais cruellement de l'affection de mon père, ma mère n'était pas là et avouons que la tienne ne m'a jamais porté dans son cœur. » Un soupire lui échappa. Elle passa nerveusement sa main sur son front et redressa finalement la tête pour poser les yeux sur Caleb. Loan était étonnée du calme avec lequel elle parvenait à en parler alors qu'habituellement le simple fait de penser à ce sujet la mettait hors d'elle.

Caleb s’était enfin lancé. Il était venu pour ça, certes, mais il avait tout de même ressenti une certaine appréhension à l’idée de mettre tout ce qui les tracassait depuis des années sur la table comme ça. Et pour ne rien arranger, il avait tenu à commencer par le pire problème de leur existence. Le tout premier dérapage qui avait entrainé tous les autres, la faute qui avait signé la fin de leur couple et le début de la zizanie dans laquelle ils se trouvaient aujourd’hui. Mais malgré tout ce que cela avait bien pu lui couter, Caleb était désormais près à passer à autre chose. Même s’il avait toujours été rancunier, il avait cette fois trouvé en lui la force de tirer un trait sur les erreurs passées de Loan, définitivement. Rien n’avait été facile, et il ne promettait pas de ne plus jamais y repenser, mais pour le bien de Nolan et pour leur bien à tous les deux, le militaire voulait repartir à zéro. C’est donc d’une voix des plus posées que le jeune homme exposa ses idées, constatant avec bonheur que sa voisine restait elle aussi étonnamment calme. « J'étais stupide et en colère. J'avais l'impression d'être encore plus invisible pour mon père et Dieu sait que j'aurais été capable de tout pour qu'il fasse attention à moi. » commença-t-elle alors pour expliquer son geste. En voyant que le fait d’en reparler était assez pénible pour elle, Caleb la laissa continuer sans l’interrompre, jusqu’au moment où elle évoque sa propre mère. Là, une petite grimace vint déformer son visage, mais force état de constater qu’elle avait raison. Alors il prit sur lui pour ne rien dire, et se contenta de répondre : « Tu sais, le plus important aujourd’hui c’est que tu t’aperçoives de tout ça… Et que tu ne refasses pas les mêmes erreurs ! C’est de cette manière là que tout finira par s’arranger, quel que soit le temps que ça prenne… » Cette fois, Cale parlait autant en son nom qu’en celui du reste de la famille qui lui avait depuis longtemps tourné le dos. « Si on arrive enfin à se parler calmement, et à se comporter comme deux adultes normaux… je serai là pour te soutenir. Auprès de tout le monde ! Moi j’ai compris que tu voulais changer et que tu allais finir par y arriver, maintenant il reste à convaincre les autres… »

Mais même si ce point-là était de loin le plus important et le plus épineux, le militaire n’était pas venu que pour ça. Car dernièrement, Loan était venue ajouter un « problème » supplémentaire à la donne. En fait, il ne s’agissait pas vraiment d’un problème à proprement parler mais Caleb l’avait immédiatement interprété en tant que tel. Sans réfléchir, il s’était totalement emporté lorsque Loan lui avait avoué sa grossesse, et ce alors qu’elle revenait à peine d’Afghanistan. Dans un sens, il y avait de quoi s’emporter ! Elle avait fait preuve d’une imprudence rare en partant au front alors qu’elle se savait déjà enceinte. Mais Caleb avait réalisé qu’il s’était énervé pour les mauvaises raisons. Il avait vu dans cet aveu une scène qu’ils avaient vécue quelques années plus tôt, et avait imaginé pour cet enfant le même sort que pour son propre fils. Et comme le père en question n’était visiblement plus là, la chose n’en devenait que plus compliquée à gérer. Mais avec le recul, Caleb avait réalisé que Loan avait bien plus besoin de son soutien que de ses critiques et de ses doutes concernant sa capacité à élever son enfant. Pour ça comme pour le reste, elle avait assez fait d’erreurs par le passé pour ne pas les réitérer aujourd’hui. « Est-ce qu’on peut parler de… toi ? Enfin je veux dire… Comment tu te sens ? » ajouta-t-il en posant son regard sur son énorme ventre.

D’aussi loin qu’elle puisse s’en souvenir, jamais elle n’avait réellement parlé de ce qu’elle avait pu ressentir enfant et adolescente. Bien trop fière pour ça, elle avait toujours eu un don particulier pour enfouir ses sentiments au plus profond de son être et se transformer en véritable peste sans que qui que ce soit en comprenne les raisons. Pourtant, certaines personnes de son entourage – sa mère et ses grands-parents principalement – avaient essayé de faire parler la jeune fille. Ils n’étaient pas dupes et surtout ils avaient vu l’enfant grandir pendant dix ans ce qui était largement assez pour la connaître par cœur. Toutefois, elle avait toujours refusé de s’ouvrir, elle avait toujours refusé de se montrer faible et elle avait gardé la tête haute, quoi qu’il en coûte. Néanmoins, parler lui aurait sans doute fait le plus grand bien et lui aurait permis de ne pas commettre les erreurs qu’elle avait pu faire par la suite. Il était difficile pour elle de grandir sans père, de remarquer que ce dernier portait bien plus d’intérêt à sa jumelle ou un fils qui n’était pas réellement le sien. Elle avait beau avoir tout essayé pour captiver son attention, force était de constater que cela ne servait strictement à rien, mais elle n’avait jamais baissé les bras pour autant. Seulement, le départ forcé de Palapag, loin de ses racines, loin de ses habitudes pour vivre avec une femme qui ne l’aimait pas le moins du monde ainsi qu’avec des petits frères insupportables et un aîné qu’elle refusait d’aimer avait été la goutte d’eau pour elle. Elle avait ensuite agit que sous la colère et tout avait été bon pour se venger même si aujourd’hui elle continuait de payer douloureusement les conséquences, mais elle était celle qui les avait cherché après tout.

Mais de tout ça, elle n’en avait jamais parlé à qui que ce soit. Elle était persuadée que certains secrets devaient le rester, que c’était bien mieux ainsi quitte à souffrir en silence, ce qu’elle avait fait en gardant la tête haute et en montrant tout le contraire. Si pendant ces trois dernières années – un peu plus désormais – elle avait laissé croire qu’elle se moquait éperdument des conséquences de ses actes, ce n’était pas le cas mais la philippine pouvait se montrer extrêmement douée dans l’art du mensonge. Lorsqu’il fut question de la mère de Caleb, lorsqu’elle reparla de la personne qui était de loin celle qu’elle détestait le plus au monde encore aujourd’hui, pas un seul instant elle avait pensé à les replonger dans le passé, mais c’était pourtant ce qu’ils faisaient. Ils en avaient probablement besoin pour réussir à mettre réellement les choses à plats, pour parvenir à repartir à zéro ce qu’ils désiraient l’un comme l’autre. Parler d’elle était un moyen comme un autre de tenter de s’expliquer vis-à-vis des choses dont elle n’avait jamais parlé. Elle avait éprouvé de la haine envers cette femme qui était une nouvelle personne qui lui volait l’attention de son père. Elle avait détesté la mère de Caleb pour les années d’enfer qu’elle avait pu lui faire vivre, mais aussi parce que quelque part elle avait sans doute souhaité qu’elle lui donne autant d’amour que ce qu’elle pouvait donner à ses propres enfants sans jamais voir ce souhait se réaliser. Mais, malgré la colère que la philippine pouvait continuer de ressentir pour cette femme elle resta très calme, plus calme que jamais pour tout dire. Loan n’avait pas envie de hausser le ton.

S’énerver la fatiguait et elle l’était déjà assez avec sa grossesse bien avancée désormais, d’autant qu’elle tenait sincèrement à arranger les choses avec le militaire. Alors, elle fut sereine, s’exprimant aussi sincèrement qu’elle le put même si la nervosité restait toujours présente, quelque part en elle. « Tu sais, le plus important aujourd’hui c’est que tu t’aperçoives de tout ça… Et que tu ne refasses pas les mêmes erreurs ! C’est de cette manière là que tout finira par s’arranger, quel que soit le temps que ça prenne… » Un très léger sourire timide étira un coin de ses lèvres, créant une petite fossette au creux de sa joue. Elle disait vouloir grandir depuis son retour d’Afghanistan et elle réussissait, certes doucement, mais elle réussissait. La philippine avait commencé par accepter de reconnaître ses tords, un effort quasi surhumain pour elle et désormais elle acceptait toutes les critiques, bonnes comme mauvaises, en évitant de s’emporter. Elle relayait sa fierté dans un coin de sa tête du mieux qu’elle le pouvait et elle devait bien avouer que c’était bien plus agréable ainsi. Son regard resta accroché à celui de Caleb, en silence. Elle voulait croire que tout allait s’arranger, même si ça n’allait pas être facile et rapide comme il venait de le souligner lui-même, mais l’important était qu’elle voulait y croire. « Si on arrive enfin à se parler calmement, et à se comporter comme deux adultes normaux… je serai là pour te soutenir. Auprès de tout le monde ! Moi j’ai compris que tu voulais changer et que tu allais finir par y arriver, maintenant il reste à convaincre les autres… » Loan se mordilla la lèvre inférieure. Elle était sincèrement touchée par les paroles de l’américain, bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer.

Qu’il lui apporte son soutien était la dernière chose à laquelle elle pouvait s’attendre après tout ce qu’elle avait pu lui faire subir, mais malgré ça il semblait vouloir réellement l’aider à changer et à s’améliorer et la philippine n’aurait pas été capable de trouver les mots justes pour le remercier si bien qu’elle resta silencieuse une fois de plus, se contentant d’un petit sourire en guise de remerciement. « Est-ce qu’on peut parler de… toi ? Enfin je veux dire… Comment tu te sens ? » Le regard toujours posé sur Caleb, elle le vit sans mal dévier les yeux vers son ventre après avoir posé sa question. Elle-même baissa la tête quelques secondes pour regarder ses formes bien rebondies de femme enceinte, puis elle redressa la tête en l’agitant tout doucement pour tout début de réponse. « Je vais bien. C’est un peu plus éprouvant que pour celle de Nolan, mais ça va. » Répondit-elle doucement sans que son petit sourire ne vienne à disparaître de sur ses lèvres. Elle se souvenait encore de la réaction qu’il avait eu lorsqu’elle lui avait annoncé cette grossesse et pourtant elle ne lui en voulait pas le moins du monde consciente d’avoir mérité ce qu’il avait dit pour avoir été plus que stupide de partir au front en connaissance de cause. Mais ce qu’elle savait également était que depuis ce jour elle n’avait pas reparlé à Caleb de tout ça, encore moins du fait que désormais elle savait à quoi s’attendre quand viendrait le jour J. Loan se racla la gorge comme si elle allait trouver dans ce geste le courage dont elle avait besoin alors que, déjà, son regard déviait. « Ce sont des filles … » Bien que sa voix fut tremblotante, la philippine était parvenue à s’exprimer sans trahir l’angoisse qui la gagnait. Sa main se posa de nouveau sur son ventre et elle trouva dans ce geste la force de reporter son attention sur Caleb.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Caleb se sentait soulagé, comme libéré d’un poids qu’il portait depuis bien trop longtemps. Pourtant, en ce qui concernait leur passé commun, il n’avait grand-chose à se reprocher. Le militaire avait toujours été sincère avec Loan, et il avait même fait face à ses responsabilités en reconnaissant leur fils alors qu’elle ne voulait même plus entendre parler de lui. Cependant, la jeune femme était loin d’être la seule fautive dans l’histoire. S’il avait fait ce qu’il fallait les premiers temps, Caleb avait un peu flanché par la suite. Il avait été incapable de garder son calme, incapable de pardonner à Loan ce qu’elle lui avait fait. Mais désormais, il était prêt, et le fait de le lui avoir bien fait comprendre était une sorte de libération pour lui. Le sourire que le militaire discerna sur le visage de Loan fut d’ailleurs la meilleure des récompenses, bien plus parlante que tous les mots qu’elle aurait pu trouver pour lui répondre. Tout à coup, l’ambiance entre eux était plus détendue, bien loin de leurs engueulades qui étaient devenues un véritable rituel ces derniers temps, et ça faisait un bien fou. C’est d’ailleurs ce moment que Caleb choisit pour aborder un tout autre sujet, celui de la grossesse de Loan. Et contrairement à la dernière fois qu’ils en avaient parlé ensemble, le militaire porta un regard plutôt chaleureux et même bienveillant sur la jeune femme.


« Je vais bien. C’est un peu plus éprouvant que pour celle de Nolan, mais ça va. » concéda alors Loan, sans pour autant perdre le petit sourire qui ornait le coin de ses lèvres. En effet, Caleb n’avait eu aucun mal à déceler l’état de fatigue dans lequel elle se trouvait, et il ne put qu’acquiescer en esquissant une minuscule grimace à peine visible. Mais bizarrement, le jeune homme sentit qu’elle voulait ajouter quelque chose… Loan se racla la gorge, et tout en portant une de ses mains vers son ventre, elle murmura : « Ce sont des filles … » Sous le coup de la surprise, Caleb entrouvrit la bouche. Ses yeux écarquillés plus que d’ordinaire étaient rivés dans ceux de la jeune femme, et il resta d’ailleurs interdit pendant quelques secondes de flottement. Puis, comme s’il relâchait la pression d’un coup, un large sourire vint prendre place sur son visage, suivi d’un éclat de rire. A bien y réfléchir, le fait qu’elle attende des jumelles était parfaitement normal ! La famille Duke comptait un bon nombre de jumeaux, et Loan devant donc porter ça dans ses gènes. Caleb était heureux pour elle, mais s’imaginait également toute l’anxiété et l’inquiétude qui devaient habiter la future maman. Deux bébés d’un coup, ce n’était pas rien ! Et le militaire savait de quoi il parlait… « Hé, mais c’est super ! Euh… félicitations ! » ajouta-t-il un peu timidement. « Tu… tu es contente ? » De toutes ses forces, Caleb essayait d’oublier l’existence du père biologique de ces enfants, pour se concentrer uniquement sur Loan et ce qu’elle pouvait ressentir à ce moment précis. Pour garder son calme, c’était d’ailleurs la seule solution qu’il avait trouvé. « Et euh… c’est prévu pour quand ? »

OMG bah du coup, ma réponse est ridicule à côté de la tienne
Et elle ne fait pas avancer grand chose non plus mais... soit.

Ils avaient eu des conversations posées par le passé, des moments de complicité qui avaient surpris bien des personnes, elle la première. Elle avait passé un grand nombre d’années à le détester ou tout du moins à essayer de le faire et de le montrer. Elle avait été exécrable avec lui dès que leurs parents respectifs avaient décidé de se mettre ensemble puis de se marier. Elle l’avait haït pour des raisons pour lesquelles il n’avait pas été fautif, mais elle avait été incapable de réellement détester son père qui était pourtant le principal fautif dans toute cette histoire. C’était de sa faute. C’était à cause du manque d’intérêt qu’il avait pu lui porter qu’elle avait ainsi tourné, ça et le fait qu’elle n’avait jamais supporté la sensation de déracinement lorsqu’elle n’avait pas eu d’autres choix que de quitter Palapag. Longtemps, elle était restée camper dans l’idée que c’était aux Philippines que sa vie se trouvait, qu’il n’y avait que là-bas qu’elle pouvait réellement vivre étant donné que le manque d’intérêt de son géniteur ne la touchait pas lorsqu’elle se trouvait dans ce pays qui l’avait vu naître, elle et sa jumelle. La philippine avait mis un temps considérable à s’en remettre et à accepter le fait que, de toute manière, sa mère n’aurait pas été capable de la nourrir plus longtemps même si pour l’enfant ça n’avait pas la moindre importance. La fierté était de famille, car même si sa mère aurait très bien pu demander de l’aide à ses propres parents, elle n’en avait rien fait et s’était débrouillée par elle-même pour remonter la pente, ses enfants loin d’elle.

En réalité, il y avait bien de choses pour expliquer le comportement de l’enfant et de l’adolescente qu’elle avait été. Elle était bien plus fragile que ce que bon nombre de personnes pouvaient imaginer et elle apprenait à se défendre contre les attaques du monde comme elle le pouvait, avec les moyens du bord ce qui expliquait sans le moindre mal toutes les erreurs qu’elle avait pu commettre. Mais, s’il y en avait bien une que la jeune femme qu’elle était aujourd’hui regrettait c’était bien évidemment celle qu’elle avait pu commettre avec Caleb et tout ce qui en avait découlé. Lorsqu’elle avait mis son plan à exécution et qu’elle avait laissé un tant soit peu son véritable visage être visible aux yeux de l’américain pour donner le change, jamais elle ne s’était imaginée se prendre à son propre jeu. Elle avait commencé à ressentir une réelle affection pour lui, à se sentir bien en sa présence et épanouie dans ses bras, mais la vérité l’avait rattrapé et cette dernière avait été une violente claque pour tout le monde, y compris pour elle. A présent, ils avaient l’occasion de tenter d’améliorer cette relation qui restait cher au cœur de la philippine, ils le pouvaient et elle savait qu’ils feraient tout pour y parvenir, pas uniquement pour leur fils, mais aussi pour eux deux parce qu’il était clair qu’au fond d’eux ils en mourraient d’envie.

Loan avait très mal prit le brusque retour du militaire dans sa vie, elle s’était braquée comme elle avait tant l’habitude de le faire, mais force était de remarquer que désormais elle se sentait bien incapable de continuer sans lui quand bien même avaient-ils passé une grande partie de leur temps à se disputer pour rien, une habitude qu’ils semblaient avoir depuis des années désormais. Elle ne pouvait qu’apprécier les efforts qu’ils étaient en train de faire pour se parler calmement et Loan devait bien avouer que c’était agréable de ne pas s’emporter et de faire l’effort de se parler comme deux adultes civilisés et malgré l’appréhension qu’ils ressentaient l’un comme l’autre, elle ne pouvait pas s’empêcher de repenser aux rares moments qu’elle avait pu avoir avec Caleb et au cours desquels elle s’était ouverte à lui le plus naturellement du monde. La philippine n’aurait su dire pourquoi, mais l’intérêt qu’il lui portait – ou tout du moins à sa santé – faisait battre son cœur plus rapidement, comme si ce dernier semblait reprendre vie subitement. Son petit sourire refusait de disparaitre de sur ses lèvres et il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi bien, aussi sereine, loin de la Loan qui avait été au bord du gouffre durant une longue période. Lui annoncer qu’elle attendait des jumelles – et ainsi avouer le sexe des enfants qu’elle allait avoir – lui semblait normal, après tout ils avaient un passé ensemble et elle ne voyait pas l’intérêt de le lui cacher. « Hé, mais c’est super ! Euh… félicitations ! » Son sourire, bien que encore et toujours présent, se fit toutefois plus timide et le remerciait pour ces félicitations.

« Tu… tu es contente ? Et euh… c’est prévu pour quand ? » De nouveau, Loan se redressa. Elle détestait le fait d’avoir l’air totalement avachi sur son canapé – d’autant plus que cette position lui donnait l’impression que son dos était à deux doigts de se briser – mais elle ne cessait de glisser et se devait de se redresser presque toutes les deux minutes. Sans oublier la question de Caleb, elle reposa son regard sur lui et fit une légère moue. « C’est prévu pour mi-avril. Et je suis contente … et totalement paniquée. J’ai jamais été douée pour grand-chose à part me créer des problèmes – pour ça j’ai un don apparemment – mais je ne suis sûre de rien. » Lâcha-t-elle d’une voix toujours légèrement tremblante. Loan passa nerveusement le bout de sa langue sur ses lèvres afin de les humecter et détourna son regard. « Je veux me prouver que j’en suis capable. Je ne veux pas commettre la même erreur qu’avec Nolan, je l’ai beaucoup trop regretté mais … j’ai peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être une bonne mère pour elles. J’ai toujours été une catastrophe, presqu’une bombe à retardement et j’ai peur de pas mériter mes propres enfants. » Et cette fois sa voix s’étrangla sur la fin. Elle était devenue bien plus émotive que par le passé ou tout du moins Loan peinait à cacher ses émotions désormais. Elle détestait se sentir aussi faible, pas alors qu’elle avait passé des années à se forger une carapace qui laissait seulement voir une femme fière, bien trop fière et voilà qu’à présent elle parlait de ses peurs ou tout du moins de l’une d’entre elles et elle n’était pas même capable de croiser à nouveau le regard de Caleb.

Quoi qu’il en dise, Caleb était heureux pour Loan et au fond de lui, il savait pertinemment qu’elle serait capable de gérer cette toute nouvelle maternité. Certes, elle n’avait pas su le faire avec Nolan, mais à cette époque-là elle était bien plus jeune et pas encore prête à assumer toutes ses responsabilités. Aujourd’hui, le militaire voyait qu’elle voulait changer, qu’elle avait muri et qu’elle saurait être une mère parfaite, comme elle était en train de le devenir auprès de leur fils. Alors même s’il avait fallu venir la chercher et la bousculer un peu, Caleb ne regrettait en rien sa décision et l’insistance dont il avait pu faire preuve pour lui faire comprendre que Nolan avait besoin d’elle. La première fois qu’elle lui avait annoncé être de nouveau enceinte, le jeune homme avait plutôt mal prit la nouvelle. Mais avec un peu de recul, il ne pouvait décemment pas lui en vouloir. Au contraire, il devait mettre un point d’honneur à être pour elle, pour l’aider et la soutenir. Après tout, des jumelles, ce n’était pas rien ! Surtout si elles venaient à avoir le même tempérament que leur mère ! Le sourire de Loan se fit soudain plus timide et Caleb se surprit une fois de plus à être totalement attendri. Peu à peu, il avait l’impression de retrouver celle qu’il avait aimée, celle avec qui il avait passé des moments inoubliables et qu’il n’avait d’ailleurs jamais pu retrouver avec personne d’autre. Et même si cette sensation était troublante, Caleb semblait vouloir s’en délecter et en apprécier tous les moindres détails.

« C’est prévu pour mi-avril. Et je suis contente … et totalement paniquée. J’ai jamais été douée pour grand-chose à part me créer des problèmes – pour ça j’ai un don apparemment – mais je ne suis sûre de rien. » Sa voix tremblante et son manque d’assurance évident firent grimacer Caleb. Pour la énième fois, il aurait voulu lui dire qu’elle faisait fausse route, qu’elle n’était pas seulement douée pour s’attirer des ennuis et que ce n’était certainement pas grâce à cette « qualité » qu’il était tombé amoureux d’elle la première fois Mais il n’eut rien le temps d’ajouter que déjà, la jeune femme reprenait : « Je veux me prouver que j’en suis capable. Je ne veux pas commettre la même erreur qu’avec Nolan, je l’ai beaucoup trop regretté mais … j’ai peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être une bonne mère pour elles. J’ai toujours été une catastrophe, presqu’une bombe à retardement et j’ai peur de pas mériter mes propres enfants. » Loan ne parvint pas à ajouter quoi que ce soit tant l’émotion lui nouait la gorge. Elle ne voulait rien montrer, comme d’habitude, mais Caleb la connaissait assez pour savoir précisément ce qu’elle ressentait. Et en omettant le fait qu’elle ne puisse même plus le regarder dans les yeux, le jeune homme glissa sur le canapé pour se retrouver juste à côté d’elle et passer son bras autour de ses épaules. « Hey, tu n’as pas le droit de parler de toi comme ça, d’accord ? Tu as vu comment tu agis avec Nolan depuis quelques temps ? Tu as vu à que point il t’adore ? Il n’arrête pas de parler de toi, il languit de te voir tous les jours… Ca prouve bien que tu en es capable. Tu peux être une bonne mère, et tu l’es déjà avec Nolan. » Sans vraiment lui laisser le choix, le militaire resserra son étreinte, la forçant presque à se blottir contre lui en ajoutant : « Tu as fait beaucoup d’efforts Loan, et je peux te dire que tu les mérites vraiment. » Sentant l’émotion de la jeune femme et une certaine fragilité, Caleb laissa glisser une de ses mains jusqu’au visage de Loan et lui caressa tendrement la joue.

Elle était une épave, détail qu’elle avait toujours su au fond d’elle ou tout du moins ce qu’elle avait réalisé un peu après ses dix ans. Elle avait été une épave dès qu’elle s’était vue obligée de quitter Palapag car, contrairement à sa jumelle, elle n’était pas si douée que ça pour s’adapter à de nouveaux environnements à l’époque et elle était bien moins heureuse que sa sœur à l’idée de vivre avec leur père. En réalité, elle ne s’était jamais réellement battue pour garder la tête hors de l’eau, toutefois elle n’en avait pas eu conscience, pas pendant une longue période du moins. Elle avait été joviale par le passé, douce, aimante et incroyablement altruiste, cependant c’était comme si tous les bons côtés de sa personnalité avaient fini dans l’ombre des mauvais côtés lorsqu’elle avait foulé le sol américain pour y vivre. Elle avait laissé la peste qui sommeillait en elle prendre le dessus, comme toutes ces fois où sa petite sœur et jumelle avait été sujette des moqueries de leurs camarades. Derrière l’enfant qu’elle avait pu être aux Philippines avait toujours sommeillé un dragon qui attendait patiemment de sortir de l’ombre et cracher du feu sur toute personne qui l’agacerait ne serait-ce qu’un peu. Malheureusement, c’était le côté dragon de sa personnalité qui avait bien trop longtemps régné, qui avait fait sa loi et surtout qui l’avait plongé dans la situation dans laquelle elle se trouvait désormais.

Longtemps, elle avait pensé être incapable de s’en sortir, elle s’était contentée d’aller de l’avant sans pour autant essayer de réparer ses erreurs, sans pour autant chercher à s’améliorer, bien trop fière pour avouer que le problème venait avant tout d’elle. Elle avait mis plusieurs années à s’en rendre compte. Même après le fiasco qu’avait pu être sa relation avec Caleb, même lorsque sa famille avait découvert le pot aux roses, elle n’avait pas voulu s’avouer que s’il y avait un problème il venait d’elle. Non, pour ça elle avait eu besoin d’être au bord du gouffre et réellement à deux doigts de faire le grand saut pour comprendre qu’il était temps pour elle de se prendre en main, de grandir, de mûrir, d’assumer les conséquences de ses actes et d’essayer un tant soit peu de réparer ses erreurs. C’était ce qu’elle faisait depuis quelques mois, ça avait commencé lorsque Caleb était revenu dans sa vie, lorsqu’il avait exprimé son souhait de la voir entrer dans la vie de leur fils car, après tout, elle était sa mère quoi qu’elle puisse dire. Elijah avait été ce qui l’avait définitivement poussé à réagir. Même si elle le détestait plus que n’importe quelle autre personne sur cette planète – même plus que son ex belle-mère, c’était dire – elle ne pouvait pas nier le fait que sans lui elle aurait continué de s’enfoncer plus bas que terre. S’il avait fait en sorte de lui faire regarder la vérité en face de façon violente, ce qui s’était passé entre eux avait également quelque peu panser ses blessures même si désormais elle le détestait pour l’avoir abandonner comme pratiquement tout le monde l’avait fait avec elle.

Mais aujourd’hui elle se reprenait doucement même si durant son déploiement en Afghanistan elle avait espéré ne jamais rentrer, chose dont seul Caleb était au courant tout simplement parce que ça lui avait échappé au cours de l’une de leurs nombreuses disputes. Elle agissait au mieux avec leur fils et ne refusait jamais de passer un moment avec lui. Loan avait appris à connaître son petit garçon et à agir un tant soit peu comme la mère qu’elle était supposée être bien que ce soit nouveau pour elle. Elle adorait voir Nolan sourire lorsqu’elle arrivait, elle aimait l’aider à dessiner même si par moment elle se demandait si son fils n’était pas plus doué qu’elle pour cet art. Elle aimait lui raconter des histoires et voir à quel point il pouvait être autant passionné par le conte de Peter Pan ou celui du Roi Lion qu’elle. À présent, c’était auprès de sa famille qu’elle voulait améliorer les choses – et surtout avec Caleb – mais dans sa famille allait bientôt se rajouter deux petites filles qu’elle allait devoir élever seule et Loan n’était pas certaine d’être à la hauteur et encore moins de mériter d’avoir sans doute deux petites princesses alors qu’elle avait été un démon pendant si longtemps. Cet aveu auprès du militaire la força presque à pleurer, cependant la philippine lutta autant que possible pour ne pas paraître faible, comme quoi sa fierté était toujours dans les parages, prête à sortir de l’ombre pour venir l’aider à tenir le coup et à ne pas se montrer trop humaine – elle ne faisait que citer ce qu’on avait pu lui dire auparavant.

Mais, lorsque Caleb se glissa à ses côtés sur le canapé et l’amena contre lui, Loan cru être à deux doigts de craquer si bien qu’elle mordit si férocement l’intérieur de sa joue que, en plus de ravaler ses larmes, elle sentit le goût du sang sur sa langue. « Hey, tu n’as pas le droit de parler de toi comme ça, d’accord ? Tu as vu comment tu agis avec Nolan depuis quelques temps ? Tu as vu à que point il t’adore ? Il n’arrête pas de parler de toi, il languit de te voir tous les jours… Ca prouve bien que tu en es capable. Tu peux être une bonne mère, et tu l’es déjà avec Nolan. » La philippine sentit son menton trembler. Elle cala sa tête contre l’épaule de Caleb et parvint de cette manière à faire cesser les tremblements tandis qu’elle fermait les yeux. Cette proximité avec lui, il y avait bien trop longtemps qu’elle n’y avait pas eu le droit même si à son retour d’Afghanistan les choses avaient quelque peu dérapé entre eux. Seulement, cette fois-ci elle sentait une nette différence. Il n’y avait pas de secrets entre eux, tout du moins pas venant d’elle, et c’était probablement ce qui lui permettait d’apprécier ce rapprochement à sa juste valeur bien qu’elle due se retenir de ne pas s’agripper à lui. « Tu as fait beaucoup d’efforts Loan, et je peux te dire que tu les mérites vraiment. » Elle n’eut guère le temps de répondre quoi que ce soit que déjà le militaire la forçait doucement à lever la tête vers lui simplement en posant la main sur sa joue. Loan leva les yeux vers son visage et ancra son regard dans celui de Caleb en pinçant nerveusement ses lèvres.

« J’ignore comment tu fais pour avoir autant confiance en moi, du moins à ce sujet et malgré ce qui a pu se passer entre nous. » Souffla-t-elle sans dévier son regard. Lentement, elle posa sa main sur celle de l’américain et la serra doucement. La philippine resta ainsi durant des secondes qui lui semblèrent être une éternité avant qu’elle ne sente une certaine attraction la pousser à rapprocher dangereusement son visage de celui du militaire. Elle avait ressenti la même pulsion lorsqu’ils s’étaient embrassés la dernière fois et comme à ce moment-là elle ignorait si aller au bout de son envie était une excellente idée, mais elle n’écoutait plus la voix de la raison désormais. À quelques centimètres du visage de Caleb, le regard de la jeune femme dévia en direction de ses lèvres, laissant ainsi parfaitement comprendre son intention, toutefois elle ne lui laissa pas le temps de réagir que déjà elle s’emparait de ces dernières, sa main qui était jusqu’à présent posée sur celle de Caleb allant se loger dans sa nuque. C’était à chaque fois la même sensation. Elle avait l’impression que plus rien ne comptait hormis eux deux. Elle faisait abstraction de tout le reste, de tout ce qui l’entourait pour se focaliser uniquement sur lui et sur personne d’autre. C’était exactement ce qu’elle avait ressenti à chaque fois qu’elle avait été avec lui par le passé, à chaque fois qu’il l’avait serré dans ses bras, à chaque fois qu’il l’avait embrassé, à chaque fois qu’il l’avait aimé, tout simplement.

Même si son discours semblait tout droit sorti du scénario d’un film, Caleb était on ne peut plus sincère. Il voulait la rassurer, la persuader qu’il était désormais là pour elle et qu’il avait définitivement tiré un trait sur leur passé. La chose n’avait d’ailleurs pas été facile, mais au bout du compte, l’attachement que le militaire portait à Loan avait prit le dessus. Pour plus de conviction dans son discours, le jeune homme s’était même rapproché d’elle, allant même jusqu’à la prendre dans ses bras. D’un geste à la fois habile et tendre, il l’obligea à le regarder dans les yeux, puis se lança dans son monologue sans la quitter du regard un seul instant. Caleb pouvait très clairement sentir l’émotion qui étreignait Loan, et il remarqua même que son menton se mit à trembler. Comme à son habitude, la jeune femme tentait tant bien que mal de masquer ces « faiblesses », mais c’était peine perdue. Il la connaissait trop bien pour ne rien remarquer, et le lui confirma en la serrant un peu plus contre lui.

« J’ignore comment tu fais pour avoir autant confiance en moi, du moins à ce sujet et malgré ce qui a pu se passer entre nous. » murmura alors la jeune femme qui, contre toute attente, n’avait toujours pas baissé les yeux. A vrai dire, Caleb ignorait lui aussi comment il avait pu passer au-dessus de tout ce qui avait constitué leur passé. Pourtant, il l’avait bel et bien fait et pour l’instant, il n’avait pas encore eu à le regretter. Sa proximité avec Loan était désormais si étroite que le militaire aurait pu prédire ce qui allait suivre. Mais au lieu de ça, il préférait savourer les moindres petites secondes passées à ses côtés. Ces moments où la douceur prenait le pas sur leurs traditionnelles disputes, et rappelaient à Caleb l’époque où ils avaient été heureux tous les deux. Cette époque où tout allait bien et où ils pouvaient s’aimer tranquillement, avant que Caleb ne découvre la vérité sur les premières intentions de sa petite amie.

En un laps de temps qui lui parut durer une éternité et passer très vite à la fois, Caleb vit le regarde de Loan dévier en direction de ses lèvres, avant qu’elle ne rompe d’un coup la distance qui les séparait. Et contrairement à leur dernier baiser en date, le militaire se montra cette fois très détendu. Comme s’il avait attendu cet instant depuis des lustres, son premier réflexe fut de s’approcher de Loan pour approfondir son baiser. Il était bien, et avait le sentiment de pouvoir rester ainsi tout contre elle pendant des heures. Se laissant totalement aller, Caleb pivota légèrement sans interrompre leur baiser, pour se retrouver bien en face de la jeune femme et littéralement fondre sur elle. Lentement, le jeune homme glissa une de ses mains sur le ventre arrondi de Loan alors que son autre main fila se perdre dans sa chevelure. Ils étaient seuls au monde et pour une fois, rien ni personne ne semblait pouvoir venir les déranger ou pire : les séparer.

Peu de personnes dans son entourage avaient eu l’occasion de la voir craquer. Avec le temps elle avait su se forger une carapace si impénétrable qu’elle était presque devenue imperméable aux sentiments. Elle avait agi bien souvent que sur un simple coup de tête persuadée que, de toute manière, elle n’avait plus aucun cœur pour lui dicter sa conduite. Elle n’avait pas toujours été ainsi et malgré tout elle éprouvait de grandes difficultés à renouer avec la personne qu’elle avait pu être autrefois. C’était comme un long voyage en elle-même, un périple qu’elle avait entreprit avant même de savoir qu’elle était enceinte, avant même la conception des jumelles probablement, un voyage qui lui demandait tellement de temps qu’elle s’en était toujours pas sortie et qu’à la place son énergie commençait sincèrement à lui manquer. Celle qu’elle avait pu être, celle qu’elle aurait dû être destinée à devenir se trouvait au plus profond de son être, enchaînée à une pierre qui avait jadis était son cœur et même si elle n’en voyait pas encore réellement le bout, la Philippine parvenait doucement mais sûrement à destination. Elle avait commencé à s’ouvrir un peu plus et à paraître moins dénuée d’humanité que ce qu’elle avait pu être pendant un petit moment. Le retour de Caleb dans sa vie y était pour beaucoup. Jamais la jeune femme ne se serait attendue à ce qu’il débarque du jour au lendemain à New York pour qu’elle assume son rôle de mère auprès de leur fils, mais surtout elle ne se serait jamais imaginée être capable de renouer le contact avec lui, pis encore de laisser les sentiments qu’elle avait refoulés envers lui remonter à la surface. Ce qu’elle avait fait était impardonnable car, même si Caleb parvenait à trouver la force de passer à autre chose, Loan elle en serait à jamais incapable.

C’était cette persuasion qui l’avait poussé à refouler tout ce qu’elle éprouvait pour ne pas avoir à souffrir une nouvelle fois, un peu comme si la Philippine était capable de quelque manière d’éteindre son humanité à sa guise, mais malheureusement faire revenir cette dernière se révélait bien plus ardue. Elle avait été quasiment l’équivalent d’une sirène pendant plusieurs mois, attirant dans ses filets des hommes pour les rejeter – à défaut de les tuer – sans la moindre émotion tout simplement parce que son cœur s’était fermé puisqu’elle ne pouvait pas avoir celui qu’elle considérait comme celui auprès de qui elle voulait terminer sa vie. Il avait néanmoins fallu qu’Elijah vienne tout chambouler, qu’elle aille jusqu’à s’attacher sentimentalement à son ami d’enfance avant que ce dernier – probablement par habitude de blesser les gens – décide de partir du jour au lendemain avant de lui piquer une crise lorsqu’il avait eu vent de sa grossesse alors que Loan avait tenté de la lui cacher. C’était lui aussi qui avait en partie aidé la jeune femme à réaliser ce qu’elle devenait, c’était en partie grâce à lui que désormais la militaire parvenait à se risquer à s’ouvrir de nouveau aux autres mais surtout à Caleb pour qui ses sentiments étaient toujours aussi forts et sincères. Leurs disputes et les tensions qui pouvaient subsister entre eux la rendait malade et l’amenait parfois à regretter de « redevenir humaine », mais les moments comme celui qu’ils étaient en train de vivre lui faisaient comprendre distinctement qu’elle faisait vraiment le bon choix. Il n’y avait qu’ainsi qu’elle pouvait espérer se pardonner elle-même ce qu’elle avait fait puisque que l’Américain semblait déjà enclin à le faire. Il n’y avait que comme ça que Loan pouvait espérer se rattraper et avoir une chance d’être enfin auprès d’un homme qui l’aimait et qu’il la connaissait par cœur.

Car c’était le cas. Caleb la connaissait par cœur puisque même si elle essayait de rester forte face à lui et de ne pas se laisser submerger par ses émotions, lui avait compris qu’elle était sur le point de craquer. La proximité qui s’était installée entre eux était ce dont elle avait besoin. Elle avait besoin d’être prêt de lui, de sentir qu’il tenait toujours à elle et que, vraiment, il voulait tout autant qu’elle arranger les choses entre eux, pour Nolan mais pas uniquement. Quant à la suite, Loan ne sut dire si ce qu’elle faisait était une bonne chose ou non, mais elle s’en moquait, elle se laissait simplement guidée par son envie, son besoin d’être plus proche que jamais de Caleb. La Philippine ne pensa pas un seul instant au fait que le militaire aurait pu la repousser, lui faire comprendre que ce n’était pas encore le bon moment, néanmoins elle sentit un soulagement l’envahir lorsqu’il se tourna de sorte à être totalement face à elle, prolongeant et intensifiant le baiser qu’ils échangeaient. Sentir l’une de ses mains se poser sur son ventre et l’autre dans ses cheveux éveilla un long frisson qui secoua doucement la jeune femme qui ne put s’empêcher de sourire, ses lèvres toujours contre celles de Caleb. Cet instant était parfait. Il était magique et surtout il était tout ce dont elle rêvait ces derniers mois puisque l’Américain était venu hanter un grand nombre de ses rêves et parfois même – bien souvent en réalité – ses pensées. Le baiser qu’ils avaient échangé lors de son retour d’Afghanistan n’avait eu de cesse de lui revenir en mémoire, Loan se surprenant à sourire comme une adolescente à se le remémorant, néanmoins celui qu’ils étaient actuellement en train d’échanger était bien plus parfait encore, bien plus sincère et plus pur.

Une fois de plus, Loan avait prit les devants en étant la première à l’embrasser ais le militaire ne s’en plaignait pas, bien au contraire. De cette manière, il pouvait clairement s’assurer qu’elle était sur la même longueur d’ondes que lui, et que cet « évènement » ne finirait pas en une énième altercation entre eux. Mais fort heureusement, ils semblaient être bien loin de leurs disputes habituelles. Comme si le monde entier s’était arrêté de tourner autour d’eux, Caleb avait l’impression de vivre un instant suspendu dans le temps. Le silence régnant dans l’appartement aidant, le militaire se laissa totalement submergé par ce baiser et par cette atmosphère qui lui avait tant manquée après s’être séparé de Loan quelques années plus tôt. Visiblement, sa technique consistant à mettre les points sur les i, et à parler de tous les sujets qui fâchaient (ou presque) avait porté ses fruits. Même si la tâche ne s’était pas annoncé facile, les deux jeunes gens semblaient avoir effacé leur passé d’un simple revers de la main. Désormais, ils se retrouvaient exactement comme avant, complices et tendres l’un envers l’autre. Caleb réalisa avec surprise qu’il n’avait absolument pas perdu ses vieux réflexes, et il ne tarda d’ailleurs pas à approfondir leur baiser tout en se tournant vers la jeune femme. Le militaire sentit Loan frissonner sous ses caresses, et c’est avec une certaine satisfaction qu’il afficha un petit sourire, répondant ainsi à celui que la jeune femme lui offrait. Pour autant, il ne sépara pas leurs lèvres bien longtemps, et s’approcha de nouveau avec toujours plus de conviction.

Caleb n’avait plus aucune notion du temps, mais il aurait clairement voulu que ce baiser dure éternellement. D’ailleurs, le militaire faisait preuve de plus en plus d’audace tout en ayant la satisfaction de voir que Loan répondait à chacun de ses gestes. Alors, il profita du coussin qui se trouvait dans le dos de la jeune femme pour l’y pousser délicatement. De son coté, il se redressa pour garder son visage à hauteur de celui de Loan et après l’avoir observée d’un regard tendre quelques instants, il repartit à l’assaut de ses lèvres. La température était clairement montée d’un cran entre eux, et Caleb se sentait de moins en moins maître de ses mouvements. Comme si ses sentiments reprenaient enfin le dessus, il lui était impossible de freiner ce désir qu’il éprouvait de nouveau pour elle. A vrai dire, il n’avait jamais cessé de l’aimer. Mais les évènements qui avaient suivi la naissance de Nolan l’avaient poussé à prendre ses distances, et à se persuader qu’il ne retomberait jamais sous son charme… en vain. Aujourd’hui, il abandonnait avec plaisir tous les principes et les objectifs qu’il s’était fixés depuis leur rupture, profitant du fait que leur fils ne soit pas là pour agir en toute liberté.

Leur fils justement… Dans un éclair de lucidité, Caleb leva les yeux en direction de la pendule la plus proche et constata avec surprise que l’heure avait avancé plus vite qu’il ne l’avait cru. Se détachant légèrement de Loan sans pour autant se relever, il grimaça en reprenant son souffle. « Nolan… Il fallait que j’aille chercher Nolan il y a dix minutes… »

La chaleur monta d’un cran, toutefois ça n’avait rien d’étouffant, au contraire c’était même agréable. Elle ne s’était pas sentie aussi bien depuis des années. C’était à croire que plus rien n’avait d’importance désormais. Elle oublia les mauvais moments par lesquels elle était passée encore quelques mois plus tôt. Elle oublia cette période au cours de laquelle elle n’avait plus le goût à quoi que ce soit, pas même à la vie au point qu’elle avait vu en son départ pour l’Afghanistan un moyen de ne probablement jamais revenir parmi les siens, mais en le faisant dignement. Elle oublia les trahisons dont elle avait été victime ainsi que celles qu’elle avait provoquée. Elle oublia la sensation d’abandon qui la poursuivait depuis des années à présent mais qui avait été redoublée avec le passage brusque et rapide d’Elijah dans son existence. En réalité, la Philippine oublia toutes ces petites choses qui la tiraient vers le bas, qui la rendaient malheureuse, pour se concentrer sur l’instant présent, sur cette boule de bien-être qui venait de naître au creux de son estomac et qui, tout doucement, envahissait le reste de son corps. Loan avait oublié ce que c’était. Elle ne se souvenait plus de cette sensation si agréable qui s’emparait d’elle à chaque fois qu’elle était heureuse, une émotion qu’elle avait que très peu ressentie ces derniers temps – et durant plusieurs années d’ailleurs – et dont Caleb avait été le premier à éveiller cette sensation.

L’Américain était, de toute manière, le premier homme que la jeune femme ait réellement aimé, le premier avec qui elle avait été vraie quand bien même s’était-elle servit de lui dans les débuts. Elle n’avait pas été capable de réellement l’oublier, preuve en était les sentiments qu’elle continuait d’avoir pour le militaire, et même si elle avait aimé d’autres hommes après lui, il était de loin celui qu’elle aimait et aimerait toujours, quoi qu’elle en dise. Savoir qu’il en allait de même pour lui était une fierté pour la jeune femme. Malgré ce qu’elle avait pu lui faire, malgré la rancœur qu’il avait pu éprouver à son sujet, les sentiments de Caleb restaient intactes et elle ne pouvait que s’en sentir heureuse puisque c’était réciproque. Ainsi, elle espérait silencieusement que cet instant ne s’arrêterait jamais, que le temps allait cesser de tourner juste pour qu’ils puissent en profiter aussi longtemps que possible, d’autant plus qu’il n’y avait personne pour venir les interrompre – pas même les coups donner par ses filles. Loan le voulait pour elle et pour elle seule. Elle voulait continuer d’éprouver cette sensation de bien-être encore longtemps, pouvoir goûter à ses lèvres tant qu’elle le pouvait encore et le sentir près d’elle. Tout en elle semblait irrévocablement désirer Caleb comme elle avait pu le désirer par le passé, alors que leur histoire était encore intacte et qu’il était son petit ami en plus d’être son frère par alliance.

Oui, elle espérait silencieusement et tous les gestes du militaire lui laissèrent comprendre qu’il en allait de même pour lui, qu’il n’avait pas la moindre envie de s’éloigner d’elle, de lâcher ses lèvres et pourtant ce fut le cas. Son regard avait vu celui de Caleb se diriger ailleurs et lorsqu’il avait séparé leurs lèvres, Loan s’était penchée en arrière pour apercevoir la pendule, objet qu’il avait fixé avant de reposer les yeux sur elle, ce qu’elle fit à son tour sans comprendre. « Nolan… Il fallait que j’aille chercher Nolan il y a dix minutes… » Comment avait-elle pu oublier son propre fils ? Certes elle n’en avait pas la garde – puisqu’elle l’avait laissé à l’adoption dès la naissance – mais tout de même, Nolan lui était totalement sorti de la tête, ce qui avait été aussi le cas pour Caleb, du moins jusqu’à présent. La Philippine se redressa comme elle le put et humidifia ses lèvres soudainement mal à l’aise. « Oh … euh … » Commença-t-elle en tentant de rassembler ses esprits avant de se racler la gorge. « Tu ferais mieux d’y aller … il va s’inquiéter autrement. » Et pourtant elle n’avait pas la moindre envie qu’il parte, pas la moindre envie que ce moment passé avec lui s’arrête pour de bon, mais Nolan était leur fils, leur responsabilité et il passait avant tout. Alors, Loan le laissa repartir à contre cœur, l’accompagnant jusqu’à la porte d’entrée pour un départ légèrement gêné avant qu’elle ne clôture ce moment une bonne fois pour toute en fermant la porte lorsqu’il disparut de son champ de vision.