L'obtention de son nouvel emploi il y a un mois était une vraie bénédiction pour Heïdi. Monsieur Ballantine avait vraiment été quelqu'un de bien avec elle depuis le début. Il lui avait simplement demandé une petite faveur pour être son assistante néanmoins : être ses yeux et ses oreilles dans l'entreprise. Des cachotteries apparaissaient au sein de l'équipe, la plupart du temps concernant leur patron que les employés trouvaient tyrannique. Pourtant, en Russie tout était comme cela et si on refusait on était viré, alors Orphée était bien compréhensible envers ses employés, du moins c'est ce qu'elle trouvait. Les journées n'étaient pas si longues que cela au bureau, elle triait la paperasse et faisait ses comptes rendus à son grand patron. Elle gagnait bien sa vie et celle-ci était plus ou moins stable, mis à part les douze mails, un par heure, de la part de son ex mari écrit tout en russe pour la supplier de revenir. Chacun d'entre eux était lu attentivement par la brune et elle se faisait à chaque fois un plaisir de cliquer sur l'icone de la corbeille. Il lui tapait sur les nerfs : il n'avait pas été un bon père pour Tia et il la battait et il la trompait certainement, pourquoi s'acharnait-il comme cela à la faire revenir ? Heïdi ne cherchait pas à le savoir. Tout ce qui comptait pour elle était désormais sa fille et son travail, ses uniques raisons de vivre, surtout la seconde option.

Tous les deux jours, la russe devait faire son rapport à Orphée le grand chef. Et c'était aujourd'hui que cela tombait. Elle fit un dernier tour de ses mails, classa quelques papiers qui traînaient sur son bureau et trouva la liste du compte rendu qu'elle avait fait. Tout cela rentrait sur un grand post-it dont elle était très fier. Une chose amusante est qu'elle utilise des post-it pour tout, ce qui fait qu'elle en achète en grande quantité donc la plupart du temps ils changent de couleur tous les deux jours. Morceau de papier rose pour le coup. Elle se rendit dans le bureau de son patron, tailleur parfaitement arrangé, sans aucun pli. Elle toqua et le vit qui magouillait dans son coin. Il fut surpris de la voir, son expression se lut sur son visage mais il retrouva son calme habituel et laissa entrer. « Bonjour monsieur Ballantine ! Comment allez vous ce matin ? J'ai le compte rendu ! », dit la jeune femme en brandissant son morceau de papier coloré, tout sourire.

Orphée maugréait dans son coin avant l’arrivée de Heïdi, plutôt. Son assistant, Grey, avait fait une boulette monumentale en confondant femme et maîtresse d’un client plutôt important de Ballantine’s Publishing, résultat, Orphée avait dû faire des pieds et des mains pour que celui-ci ne soit pas possédé par l’irrépressible envie de foutre le camp à la concurrence. Il n’était donc aucunement en bonne disposition pour être aimable aujourd’hui, et il y avait de grandes chances pour que cela ne dure pendant plusieurs jours… c’est qu’il avait la rancune tenace, le businessman australien. Mais voilà qui allait lui donner une raison supplémentaire pour faire vivre un véritable enfer à son assistant premier du nom : il allait écoper d’une montagne gigantesque de paperasse et ne plus voir le jour pendant un temps tellement considérable qu’il allait finir par réclamer grâce… que son patron n’était pas prêt de lui accorder, c’était une affaire plus qu’entendue. « Tiens, Miss Annevelink ! » énonça-t-il tout en s’efforçant d’être aussi aimable qu’il était en mesure de le faire. La russe avait toujours été privilégiée par rapport à tous ses autres employés. Elle dégageait quelque chose de spécial qui le poussait à prendre toujours des pincettes à chaque fois qu’il s’adressait à elle. Oh, cela ne l’empêchait pas de la rabrouer lorsque la nécessité se faisait sentir, mais il le faisait souvent avec un sens de la justice nettement plus marqué que d’ordinaire. « Il faudra vraiment que vous m’expliquiez comment vous faites pour que votre compte-rendu soit toujours aussi concis et pourtant minuscule… vous pourrez sûrement donner quelques cours à Grey sur comment être efficace ! Cet abruti a manqué de nous faire vivre une véritable catastrophe. Je vous suggère de ne surtout pas lui donner un coup de main quant au travail de classement que je lui ai donné à faire. Cela dit… je vous demanderai de gérer mes rendez-vous pour aujourd’hui. Il ne manquerait plus qu’il s’emmêle les pinceaux en voulant gérer mon agenda et je sens que je vais faire de lui une descente de lit. » Orphée se racla légèrement la gorge tout en observant le compte-rendu minuscule que venait lui donner Heïdi, bien trop conscient du fait qu’elle soit, de très loin, le membre du personnel le plus efficace qu’il ait engagé dans toute sa brève carrière. C’était pourquoi il n’y avait aucune surprise à le voir vouloir bavasser quelques instants en sa compagnie… il posa donc le post-it et, non sans lui avoir sourit de manière brève bien que sincère, il reprit : « et si vous me résumiez tout ça de vive voix ? »