Edwin avait pour principe de ne jamais délaisser un ami. Et, bien que la soirée où il avait porté secours à Théodora s'était montrée quelque peu étrange vis-à-vis de ce qu'il s'était produit, il n'avait pas manqué à ses engagements envers elle, et ce dans le plus grand des respects qui soit. Ayant passé la nuit chez elle, à dormir dans la pièce à côté -ou du moins à somnoler-, afin de veiller sur elle et de s'assurer qu'elle allait bien, il avait ensuite passé la majeure partie de son temps libre avec elle, pour lui changer les idées. Lui n'avait pas eu cette chance après avoir perdu celle qu'il avait considéré comme la femme de sa vie : délaissé par la plupart de ses frères et soeurs, ses meilleurs amis se trouvant tous dans d'autres pays, il avait dû se battre seul et avait fini par tenter de mettre fin à ses jours. La solitude s'était montrée pesante, et il refusait catégoriquement que l'océanienne vive la même chose que lui. De ce fait, il faisait tout son possible pour lui éviter la solitude que lui-même avait connu. Débarquant parfois à l'improviste, il l'emmenait souvent avec lui, que cela soi pour une simple ballade lors d'un jour ensoleillé, pour aller faire les magasins ou pour aller manger un morceau. Et, à son plus grand bonheur, cela semblait fonctionner ! Petit à petit, la Théodora perdue, désespérée et abattue qu'il avait retrouvée quelques semaines plus tôt chez elle, en proie à une tentation destructrice portée sur les médicaments de son défunt mari, semblait n'être qu'un souvenir très lointain. À présent, elle souriait et semblait reprendre progressivement goût à la vie, et il n'y avait pas plus grande satisfaction pour le londonien qui continuait avec plaisir à lui tenir compagnie dans son quotidien. Bien entendu, c'était un rapprochement à double tranchant : s'il était heureux de la voir sourire à nouveau, il n'en restait pas moins inquiet au plus profond de lui-même, pour une toute autre chose. Plus il passait de temps à ses côtés, plus ils se rapprochaient et plus il sentait le besoin constant de l'avoir près de lui. Edwin n'était pas né de la dernière pluie et, pour avoir déjà été très attaché à une fille au point d'en tomber amoureux, il savait pertinemment sur quel chemin il déambulait. Alors, il tentait de garder un minimum ses distances tout en restant présent pour elle, afin de se préserver lui-même. Il avait bien trop peur de faire le pas de trop, de tout faire basculer. Mais combien de temps allait-il tenir encore ?

Ce jour là n'avait pas manqué de les réunir une fois de plus. Edwin ayant passé tout son lundi à l'université, à suivre ses cours et à rattraper son retard sur le reste, le jeune anglais avait jugé bon de proposer à son amie en milieu d'après-midi de se retrouver pour un cinéma durant la soirée. Elle avait accepté avec joie et tous les deux s'étaient donc rejoints pour aller voir Breaking Dawn, le dernier volet de la saga à succès de Twilight. Théodora avait immédiatement proposé ce film, précisant qu'elle trépignait d'impatience de découvrir la trame finale de cette histoire d'amour où se mêlent humains, vampires et loups-garous. L'étudiant n'était pas le plus grand fan des histoires à l'eau de rose entre cette jeune femme et ce suceur de sang tombeur, mais il accepta immédiatement, dans le simple but de faire plaisir à la brunette. Il passa cependant un très bon moment, rigolant facilement quant aux réactions parfois excessives de Théodora. Attendri par la captivation qui semblait la prendre vis-à-vis du film, il lui était arrivé à plusieurs reprises de la fixer elle plutôt que l'écran mais, heureusement pour lui, elle ne semblait pas l'avoir remarqué. Soit, le film terminé, tous les deux s'éclipsèrent de la salle et Théodora attrapa immédiatement le bras du jeune britannique pour marcher à ses côtés afin de sortir du cinéma et de rejoindre la voiture d'Edwin garée dans le parking. « Franchement... je sais pas ce que vous lui trouvez à cet Edward Cullen qui brille au soleil. » la taquina-t-il gentiment alors qu'ils arrivaient près de la voiture. C'est vrai, qu'avaient toutes ces filles à défaillir devant un Robert Pattinson scintillant à la lumière du jour ? Comme tous les garçons, il peinait parfois à comprendre la gente féminine. Mais qu'importe. Déverrouillant sa voiture, il ouvrit la porte passager pour laisser Théodora s'installer, puis il referma la portière avant de contourner le véhicule pour prendre place derrière le volant et démarrer, s'avançant à vitesse modérée jusqu'à la route sur laquelle il s'engagea dès qu'il en eut la possibilité. Il roula ensuite tranquillement en direction du quartier de Lenox Hill, afin de ramener l'océanienne, le tout en discutant avec elle, un sourire aux lèvres. Mais, au bout d'un certain temps, il fut aveuglé par les grands fards allumés de la voiture qui le suivait. Plissant les yeux, il leva son regard vers son rétroviseur et constata que le véhicule se rapprochait de lui au point de le serrer. Fronçant les sourcils, il se concentra à nouveau sur la route, jetant des coups d'oeil réguliers dans le rétroviseur. « Bordel, mais il est stressé celui-là... » râla-t-il en enfonçant légèrement son pieds dans l'accélérateur afin de satisfaire le conducteur visiblement énervé qui le suivait toujours de bien près. Puis, au moment de se retrouver sur une route quasiment déserte de l'Upper East Side, la voiture le succédant accéléra brutalement pour le dépasser jusqu'à atteindre sa hauteur. Surpris, Edwin ne sut comment réagir, et, quand bien même il eut le réflexe de planter son pieds contre l'embrayage et le frein de sa voiture, il n'eut pas le temps de sentir son véhicule s'arrêter. Le bolide noir percuta le côté de sa carrosserie dans un bruit de tôle froissée brutal et sa voiture fut emportée dans un violent tonneau qui fut stoppé par un lampadaire. Le choc de l'accident fut énorme, mais la douleur que ressentit soudainement Edwin au niveau de ses jambes et de son torse, bloqué par l'avant de la voiture complètement enfoncée, fut telle qu'il ne parvint même à saisir ce qu'il s'était passé. L'inconscience le gagna presque immédiatement : il eut tout juste le temps de tourner la tête vers Théodora, ne parvenant pas à distinguer l'état dans lequel elle se trouvait. « Théo... » se força-t-il d'appeler. Mais le vrombissement du moteur de la voiture ayant causé l'accident et qui s'enfuyait recouvrit sa voix et il se laissa rapidement plonger dans l'inconscience.

Lorsque les paupières d'Edwin se soulevèrent à nouveau, il dût immédiatement les rabaisser, frappé par la vive lumière qui lui agressa la vue. Grimaçant, son regard se ferma, crispé, et il prenait petit à petit conscience de ce qui l'entourait. L'odeur de désinfectant régnant lui montrait qu'il n'était pas dans un lieu qu'il connaissait. La position couchée qu'il se sentait occuper n'était pas normale et encore moins la douleur qui commençait à se réveiller au niveau de son buste. Soufflant doucement, il rassembla ses forces et lutta pour ouvrir à nouveau ses yeux, papillonnant des cils pour se laisser le temps de s'habituer à la luminosité de la pièce. Quand enfin les contours de ce qui l'entouraient se dessinèrent plus nettement, il se rendit compte qu'il était dans une chambre qui n'était pas la sienne et une chambre bien loin d'être habituelle. Soudainement, un bruit de porte résonna, suivi de pas qui se rapprochaient de lui. Levant le regard vers l'ombre qui se dessinait à sa vision encore légèrement floue, Edwin dut se laisser guider par la voix féminine qui s'adressa à lui. « Prenez votre temps, ça va aller. » De quoi parlait-elle ? Sans comprendre, l'anglais s'autorisa encore quelques secondes, le temps de récupérer la totalité de sa vision, et ce ne fut que lorsqu'il distingua clairement les traits de l'infirmière qu'il comprit qu'il était à l'hôpital. Soudainement, tout lui revint à l'esprit : le cinéma avec Théo, cette voiture qui le collait de près avec ses grands fards avant de le dépasser et de lui rentrer dedans, déclenchant un accident qui aurait bien pu les tuer lui et Théodora. À cette pensée, Edwin sentit son coeur bondir dans sa poitrine et il eut le réflexe de se redresser précipitamment, en s'alarmant « Théo ! » Mais la douleur qui lui déchira le torse l'obligea à se rallonger aussitôt alors que son visage se déforma sous l'effet de la souffrance ressentie. L'infirmière se jeta à ses côtés, portant une main contre son épaule pour le tenir contre le lit. « Hey du calme... vous avez plusieurs côtes endommagées. » Se mordant la lèvre inférieure, Edwin sentit rapidement son regard se saler de larmes. Des larmes de douleur mais aussi de panique. Où était Théo ? Comment allait-elle ? Était-elle en vie ? Autant de questions qui restaient pour l'instant sans réponse et qu'il fut incapable d'articuler, ses lèvres pressées l'une contre l'autre pour retenir les gémissements de douleur qui remontaient sa gorge alors que ses côtes le brûlaient désagréablement.