Le soleil inondait le Starbuck Coffee, baignant le café d’une douce et agréable lumière. Malgré tout, j’avais cessé d’admirer le soleil depuis un bout de temps. Que faisait-elle, enfin ? J’avais été claire non ? « Rendez-vous à 16h45 au Starbuck ». Difficile d’être plus simple et claire. En soupirant, je recommençai à tourner mon café, qui devait être froid depuis un certain temps déjà. Malgré tout, je refusais d’en boire une gorgée tant qu’Omisha ne serait pas là. Par principe, sûrement. Une voiture se gara de l’autre côté de la route, et j’observai les manœuvres avec ennui. J’avais appris l’existence d’Omisha à force de persévérance. Oui, on pouvait vraiment dire que j’avais de l’endurance morale. J’avais passé des jours à tenter d’extorquer la vérité sur la mort d’Isis à ma tante. Rien à faire, elle était une vraie tombe. J’avais finis par emprunter un chemin alterne, et m’étais remise à harceler ma propre mère, qui finit par craquer. Il aurait été tellement plus simple pour ma tante de dire tout bonnement ce qu’elle trouvait, à tords, honteux ! Mais non. Dans cette famille, tout devait rester secret. Comme s’il était normal de cacher tout et n’importe quoi à ses proches ! Toutes ces simagrées m’avaient mise en rogne. Sans compter Elias qui, lui, avait carrément été trop loin. Naturellement, je ne pouvais pas faire comme si la mort d’Isis n’était rien de plus que celle d’un hamster. Elle avait été ma meilleure amie, ma sœur pendant des années. Et, aujourd’hui encore, j’étais convaincue qu’elle veillait sur moi de là où elle était. J’étais donc resté quinze jours de plus au Caire, simplement car je n’avais pas le courage de rentrer à New York. Elias ne m’aurait pas comprise, il ne connaissait pas Isis. Seule ma mère pouvait me comprendre… J’avais été tellement surprise de retrouver ce besoin d’elle, ce besoin qui m’avait quittée depuis que j’avais posé le pied sur le sol américain. Et mon mari, mon mari, qui n’avait pas même daigné m’accompagner en Egypte, avait semble-t-il mis un point d’honneur à me harceler de coups de fil pour savoir quand je rentrais et qu’avec le nouveau numéro, une tonne de travail m’attendait, et que donc il fallait que je ramène mes jolies petites fesses dans mon bureau et fissa. Avant ce dernier appel, reçu très exactement dans un moment de désespoir total en fouillant les photos de mon enfance, j’ai littéralement explosé. Elias, jamais, n’avait vu une furie pareille, j’en étais persuadée.

Je poussai nouveau soupir en regardant ma montre. 17h25. Combien de temps allait-elle me faire encore poireauter ? J’avais horreur d’attendre. Ça me mettait hors de moi. Et même si j’étais absolument résolue à ne pas montrer un seul instant mon impatience ou ma colère à Omisha. Et comment me traitait-elle ? Je ne savais pas très bien. Omisha, dès la minute où j’avais appris son existence, avait compté pour moi comme la nièce que je n’aurais jamais, étant fille unique. J’étais tellement gênée qu’elle se soit retrouvée sans famille, alors même que moi j’avais toujours eu tellement envie d’un enfant, malgré tout ce que j’avais pu jurer à Elias. Elias, toujours Elias. Il n’avait pas été un monstre. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser que notre divorce récent était entièrement sa faute. Et s’il n’y avait pas eu Omisha aux Etats-Unis, je serai restée au Caire, quitte à vivre chez mes parents. J’avais besoin, en cet instant, d’une proximité familiale rassurante, un cocon où me réfugier quand l’envie m’en prendrait. Et dès lors, je n’avais plus qu’une idée en tête : ramener Omisha au Caire, coûte que coûte. J’étais persuadée qu’elle aurait été comme ma nièce si… si Isis n’avait pas… J’inspirai profondément et me forçai à me calmer pour refouler les larmes que m’inspiraient ces pensées. Je voulais lui ouvrir mon cœur. Nous avions besoin de nous connaître. J’espérais secrètement qu’elle ressemble à Isis ? Ce serait tellement bon de retrouver un peu de ma chère cousine dans cette gamine… Ce serait un peu comme si j’avais une seconde chance de vivre heureuse avec elle à mes côtés. Je ne doutais pas un instant qu’elle ne puisse pas être heureuse que quelqu’un de sa famille ait de l’intérêt pour elle. Ma mère m’a dit que sa sœur avait littéralement pété les plombs à la mort de sa fille.

Une jeune fille passa devant le Starbuck. Mon cœur s’accéléra. Elle avait le type égyptien, la peau dorée, les cheveux sombres… Mais elle ne s’arrêta pas, et poursuivit son chemin. Je m’effondrai sur ma chaise en poussant un long soupir. Combien de temps cette gamine allait encore me faire poireauter ? C’était un test, c’est ça ? Voir si la cousine chiante résisterait à l’attente ? Eh bien elle se fourrait le doigt dans l’œil, la gamine. J’attendrais jusqu’à ce qu’elle ramène ses steaks ici, sur cette chaise en face de moi, et ne partirait pas avant de lui avoir parlé autre que par répondeurs interposés. Même si mon portable n’arrêtait pas de vibrer à cause des appels incessants de l’assistante d’Elias, Jenn, qui s’efforçait de me rappeler que nous avions un boulot monstre pour le prochain numéro. Et qu’il serait bien que je cesse de faire passer ma vie familiale avant ma vie professionnelle. Je finis par décrocher mon téléphone. « Jenn, dis à Elias que je l’EMMERDE, vu ? Je m’en fou de son putain de nouveau numéro ! Il n’a pas d’ordre à me donner. Et n’envisagez même pas de me virer ou je vais balancer tout le programme du prochain mag aux concurrents ! », hurlai-je, folle de rage, alors que les clients se retournaient et que la porte s’ouvrait.