« Je ne saurais vous dire, je ne côtoie pas exactement la « bourgeoisie » en ces termes, je ne fais que vous parler de ce que je connais, et je ne suis partisane d’aucun trafic mais vous n’avez pas de soucis à vous faire avec moi, je n’aime pas particulièrement le pays dans lequel j’ai grandi » fit-elle avec prudence, les grands débats au sujet de la cruauté des états la mettant toujours aussi mal à l’aise. Ce n’était pas forcément le genre de C’ian que de prendre parti, elle avait décidément du mal. Il faut dire à sa décharge qu’on l’avait si souvent enfermée dans un carcan bien soigneusement clos qu’elle ne pouvait pas se prétendre amatrice de grands choses et encore moins défenderesse de grandes causes. D’autant qu’elle ne voulait donner à raisons à personne : pas sans avoir plus de cartes en main que cela. « Mon père s’appelle Leonard Weatherfield. Il est capitaine à la brigade criminelle de la NYPD si mes recherches sont exactes bien évidemment, ce qui peut être soumis à controverse. » Mais la suite de la discussion lui fit pencher la tête sur le côté dans un élan de tendresse, alors qu’elle caressait à son tour le dos de la main d’Ashley. C’était… touchant, vraiment. « Justement Ashley… si je peux me permettre, peut-être est-ce maintenant que votre fils a le plus besoin de vous. Si vous ne lui tendez pas la main, vous le regretterez forcément à un moment donné et si par le plus grand malheur il vient à ne pas survivre… il partira le cœur léger d’avoir eu son papa près de lui. »

« J’ai réellement envie de croire que justement, s’il a choisi ce métier, c’est qu’il aime aider son prochain et qu’il voudra sûrement m’aider moi… après tout, il peut y avoir des dizaines et des dizaines de raisons valables qui pourraient expliquer la raison pour laquelle je me suis retrouvée adoptée et non pas à vivre avec lui, dans sa famille. Je crois qu’il fait partie d’une famille extrêmement riche, avec ses codes de conduite même si je n’ai pas eu beaucoup d’informations en la matière. J’espère qu’il acceptera de m’en dire plus même si ce n’est pas ce que j’attends en premier de sa part. Je veux juste qu’il veuille bien me parler, ne serait-ce que cinq minutes, cela me suffira. » C’ian soupira doucement, se rendant compte qu’elle attendait énormément de cette rencontre et qu’elle pouvait très bien aller au devant de la plus grande déception de sa vie. Tant pis, ce serait quitte ou double, ce n’est pas comme s’il lui restait grand-chose à perdre. En tout cas elle refusait de risquer de mourir sans avoir au moins vu, ne serait-ce que de loin, son père biologique en vrai. C’était diablement important pour elle il ne fallait pas croire. « Vous savez, l’argent ça ne fait pas tout… votre simple présence pourrait peut-être lui suffire ? Vous pourriez passer un peu de temps avec lui dans un premier temps, lui apprendre des choses sur les animaux, lui parler de votre passion comme vous l’avez fait avec moi, qui n’ait pourtant aucun lien avec vous. Même si vous n’êtes pas expansif, il ne s’en faut pas forcément de grand-chose… peut-être qu’il n’attend que ça, et vous aurez sûrement des regrets si vous restez et que vous ne tentez rien. Croyez-moi, j’en ai énormément, je sais ce que ça fait. »

« Vous n’êtes au courant que depuis une dizaine de jours ? Effectivement c’est très, très récent… mais vous avez peut-être raison, l’histoire peut très bien être semblable. Ceci étant, je n’ai rien trouvé sur ma mère biologique et pour cause, je suis née sous X. Je ne pourrais pas vous dire comment elle s’appelle ni même entamer des recherches à proprement parler, c’est impossible. La seule personne qui pourrait me renseigner, c’est mon père biologique. Il n’a pas l’air d’être un homme à femmes, surtout pas en ayant été marié à une femme pendant aussi longtemps… d’ailleurs, si je ne fais pas d’erreur, j’ai une sœur et un frère. Enfin bref ce n’est pas très important je ne vois pas pourquoi je vous dis tout ça… à vrai dire je ne cherche pas les raisons de mon abandon, car je pense que cela ne pourrait que me faire souffrir, ce que je veux c’est avant tout faire la connaissance de mon père et qui sait, peut-être d’avoir un semblant de famille ? » C’ian poussa subitement un pénible soupir. Ce n’était pas tant qu’elle soit mal à l’aise vis-à-vis de cette discussion, au contraire cela lui faisait même du bien de libérer tout ce qui pesait si lourdement sur ses frêles épaules mais d’un autre côté, son tempérament altruiste la poussait à tourner légèrement le projecteur sur Ashley en s’inquiétant de son bien-être plutôt que de se préoccuper du sien en priorité. Question de caractère, à vrai dire… « La mère de votre enfant c’est autre chose, mais peut-être que vous pourriez tenter une approche quand même ? Je sais, ce n’est pas vraiment dans vos réflexes habituels mais imaginez, vous ne seriez plus seuls… ce petit bout pourrait et vous surprendre bien au-delà de tout ce que vous pourriez penser, et vous ressembler même peut-être ? On dit « qui se ressemble s’assemble ». Je suis sûre que vous avez plus à y gagner qu’à y perdre. Après tout, un enfant ne peut pas être après votre aisance financière, pas à cet âge… et puis un père, on en n’a qu’un. Je pense qu’il faut savoir s’en souvenir quand on le peut… »

« L’habitude peut venir vite mais je ne vous jette pas la pierre ne prenez surtout pas mal ce que je vous dis : je ne suis pas à votre place donc je ne m’aventurerai surtout pas à dire que je peux vous comprendre sur ce point précis mais… m’est avis que côtoyer votre fils peut vous apporter bien plus de bonnes choses que de mauvaises. Vous savez pourquoi ? Parce que les enfants n’ont pas cette expérience de la manipulation, ou de l’intérêt, ils sont vraiment purs… et je suis sûre que sa mère n’a pas forcément dit grand-chose à votre sujet alors vous ne risquez pas grand-chose en prenant le taureau par les cornes comme on dit et faire votre propre portrait devant votre fils. Au moins, vous lui laissez le choix de revenir vers vous ou de ne rien en faire… mais je n’ose imaginer les regrets qui pourraient vous habiter si d’aventure vous veniez à ne rien tenter. Je me doute que cela doit vous faire peur, et que vous craignez déjà de le perdre parce qu’il est malade mais… la médecine fait sans arrêt des progrès et vous qui possédez une certaine aisance financière, vous avez la possibilité de le conduire chez les meilleurs spécialistes. Vous savez, d’un côté il pourrait être votre chance de vous ouvrir à une personne, et de l’autre, vous pourriez être sa chance également, de survivre et même d’avoir une belle vie. » C’ian se contrôla par la suite, après avoir fait preuve d’une passion indescriptible dans ses précédentes paroles. Elle alla même jusqu’à laisser échapper un petit rire amusé, se demandant bien pourquoi elle faisait preuve d’un tel feu sacré alors que fondamentalement, le problème d’Ashley ne la concernait pas vraiment… « J’ai foi en mon père. Peut-être est-ce stupide de ma part mais j’ai besoin de me dire que tout va rouler comme sur des roulettes et que je vais atteindre le bout du tunnel. Au pire, je serais déçue… mais je vais tenter le tout pour le tout, d’autant plus que je n’ai rien à perdre » conclut-elle d’un air particulièrement décidé.

Voilà bien toute la complexité de C’ian : elle rêvait d’un monde plus beau pour les autres mais se trouvait toujours dans l’incapacité pleine et entière de souhaiter ce qu’il y avait de mieux pour elle-même. « Mais moi ce n’est pas la même chose, j’ai déjà vécu par rapport à votre petit garçon… et puis en toute honnêteté, je n’ai pas grand-chose à perdre. Vous savez, si je peux me permettre un conseil… ne vous attachez pas à moi, je ne suis pas sûre de pouvoir vous apporter quoi que ce soit. En revanche, peut-être que votre garçon pourra vous apporter un espoir nouveau, une vie future plus rayonnante dans laquelle vous serez à l’aise et même proche de lui… » C’ian poussa un petit soupire à cette idée. Oh ce n’était pas faute d’avoir été longtemps considérée comme une égoïste ne voulant pas se soigner, sous le fallacieux prétexte qu’au lieu d’être en colère contre son état elle l’acceptait sans trop de peine… mais là, elle ne voyait singulièrement pas pourquoi elle devrait continuer de se battre contre des moulins à vent. Après tout, nul n’est irremplaçable, et d’après ce qu’elle avait cru comprendre, son père biologique aurait bientôt un nouvel enfant à sa charge avec sa nouvelle fiancée… C’ian ne se voyait pas dans cette équation là, sans même savoir pourquoi. Peut-être était-ce stupide de sa part de continuer à penser ainsi… « Je suis sûre que je vais pouvoir le rencontrer et être sur la même longueur d’ondes que lui au moins une fois mais vous savez, cela fait de nombreuses années que j’ai appris à me construire sans lui. De votre côté, votre fils a réellement besoin de vous. Ne comparez pas sa condition à la mienne… ce serait vous désespérer ou vous donnez des excuses de ne pas aller au fond des choses pour rien. Tentez le coup… vous ne pouvez pas avoir grand-chose à perdre. Faites-le, s’il vous plaît. »