Pour l'instant, Kate voyait plus en Dominic le petit garçon timide que l'agent fédéral sur de lui. En même temps, la jeune femme ne faisait pas beaucoup d'effort pour que l'homme se sente à l'aise. Mais elle l'avait assez cerné pour voir qu'il était aussi capable de prendre les devants et de se défendre. Il n'avait pas l'air très bavard malgré le fait qu'il essaye de faire la conversation et ce n'était pas plus mal puisque sa protégée n'avait rien à lui dire. Toutefois, elle n'était pas un ours et savait faire preuve de politesse. Elle voulait bien lui parler de la pluie et du beau temps si cela lui évitait des questions personnelles.
Mieux que la météo comme sujet de conversation, Kate avait l'occasion d'en savoir un peu plus sur Dominic. Elle ne tenait pas absolument à connaître sa vie privée en détail mais elle devait bien avouer qu'elle était curieuse de savoir à quoi pouvait ressembler la vie d'un agent du FBI. Quand elle avait été longuement interrogée six ans plus tôt, elle avait vu des tas d'agents mais le contexte ne se prêtait pas à un brin de causette. Alors elle n'avait aucune idée de la façon dont ils pouvaient concilier leur travail et leur vie privée suivant leurs grades, leurs horaires ou la nature de leurs missions. D'ailleurs, elle ne savait même pas quel était le grade officiel de Dominic.

La discussion semblant une meilleure option que le silence, Kate préférait parler avec le jeune homme plutôt que de se taire. Elle ne répondit pas tout de suite à sa première réplique et attendit son verdict sur le plat après la première bouchée. Lorsqu'un sourire naquit sur ses lèvres, la brunette sourit également. Elle était bien meilleure pâtissière que cuisinière et n'était pas certaine d'avoir bien réussi son hachis parmentier. Le sourire et la réflexion de son "invité" la rassurèrent. A son tour elle le goûta et se rendit compte d'elle même que c'était plutôt bon.
Enfin, elle se décida à poser une question à Dominic:

- Vous avez des enfants?

C'était une interrogation tout à fait banale qui n'était pas trop personnelle et qui restait donc raisonnable comme l'avait demandé l'agent. Kate n'avait qu'une vague hypothèse sur la réponse. Elle imaginait l'homme en couple et elle supposait qu'avec son métier, il était difficile de fonder une famille. Mais d'un autre coté, il avait l'air de quelqu'un de patient et de doux, ce qu'il laissait penser qu'il pourrait être le genre de papa gâteau.
Kate était architecte, pas profiler et bien qu'elle soit plutôt dans le vrai en pensant Dominic en couple sans enfants, elle ne pourrait pas en dire plus si l'intéressé ne s'exprimait pas de lui même.

Vu le corps de Dominic, on imaginait forcément qu'il avait une hygiène de vie parfaite et pas qu'il manquait de sommeil et qu'il ne mangeait pas de façon équilibrée. Une chose était sûre et certaine: il faisait du sport. Une carrure comme la sienne ne s'entretenait pas toute seule. Il était encore très loin d'être obèse mais vu la réputation tout à fait justifiée des Etats Unis d'Amérique en ce qui concernait le surpoids, il était normal de tenir à garder un beau corps.
De son coté, Kate avait une bonne hygiène de vie, elle veillait à garder une alimentation saine, achetait du bio, ne fumait pas et depuis qu'elle était entrée dans la vie active elle buvait moins d'alcool en soirée que lorsqu'elle était étudiante.
Même sans ça, elle restait mince ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle n'avait pas à monter sur la balance tous les jours pour surveiller son poids ou même compter les calories et se mettre au régime. Mais si elle était en surpoids, il est clair qu'elle ferait tout ce qui était possible pour y remédier. Lorsqu'on voyait le nombre d'obèses, on se disait que beaucoup de gens se complaisaient dans cet état. Il n'y avait qu'à voir ceux qui mordaient dans d'énormes hamburgers pleins de sauces. Plus étonnant encore: à l'entrée des centres commerciaux, les fauteuils électriques mis à disposition de ceux qui avaient la flemme de se déplacer à pieds dans les galeries. C'était du grand n'importe quoi! Le summum de la fainéantise.

Heureusement pour elle, l'architecte avait encore beaucoup de marge avant d'en arriver là. Cependant depuis qu'elle avait commencé ses études supérieures, elle avait arrêté de faire du sport hebdomadairement. Quand un ou une amie avait du temps libre en même temps qu'elle, elle faisait parfois une partie de tennis ou un footing et lorsqu'elle était encore sur l'île, elle faisait des longueurs dans la piscine de sa villa pendant une heure, une ou deux fois par semaine. A New York, elle ne pratiquait plus d'activité physique régulière c'est pourquoi elle songeait à se remettre au sport. Son cousin était coach sportif et il trouverait bien un créneau pour elle.

Lorsque l'agent du FBI répondit qu'il n'avait pas d'enfants bien que l'envie ne manquait pas, Kate ne fut pas surprise que son métier soit une contrainte pour fonder une famille. Mais d'un autre coté, la majorité des agents fédéraux avaient une famille et arrivaient à concilier leur vie privée et leur métier. Il n'y avait pas de raison que Dominic n'y arrive pas. Surtout s'il aimait les enfants comme ça semblait être le cas.

- Et qu'en dit votre petite amie?

L'homme devait être proche de la trentaine, il était beau, gentil, souriant et son métier lui donnait forcément une certaine assurance. Il était donc peu probable qu'il soit célibataire. Avec cette question, certes personnelle, Kate pouvait savoir s'il l'était. Elle ne comptait pas lui mettre le grappin dessus mais elle était juste curieuse. Quoi que dans un autre contexte et d'après le peu qu'elle voyait de lui, Dominic aurait pu lui plaire. A première vue, il n'était pas du genre à s'emporter facilement et avait plutôt l'air de quelqu'un de calme.

Dominic était peut-être très doué dans son travail mais cela ne l'empêchait pas d'avoir du mal à s'imposer face à Kate. Cette dernière ne lui facilitait pas la tâche non plus. Elle avait établie une limite bien définie à ne pas franchir si l'homme voulait qu'elle reste courtoise. En même temps, il fallait la comprendre. On lui soutenait qu'elle risquait de recevoir des menaces de morts qui, cette fois, seraient peut-être mises à exécution, on la forçait à supporter une protection rapprochée pendant trois jours et qui allait de toute évidence se poursuivre pendant une période indéterminée, c'est à dire jusqu'à ce qu'un trafiquant se décide à balancer les noms de ses derniers hommes de main. Qui aurait pris cela comme une bonne nouvelle avec le sourire aux lèvres? Personne.
Son éducation faisait qu'elle était polie et avenante, de plus Dominic n'était pas quelqu'un de désagréable. Mais la seule raison pour laquelle il était à la même table qu'elle était qu'il valait mieux qu'il soit chez elle plutôt que devant chez elle, à la vue de tous les voisins qui finiraient par se rendre compte qu'il y avait quelque chose de louche. Il n'était donc pas facile pour le jeune homme de sonder les pensées de sa protégée. Il ne savait plus sur quel pied danser.

Cependant, puisque la conversation s'orientait plus sur lui, cela ne posait aucun problème à Kate, au contraire. Elle préférait largement apprendre à le connaître un peu même si elle ne le reverrait pas après qu'il ait terminé son travail plutôt que de parler d'elle. Dominic avait un métier peu commun et il devait avoir une vie qui allait avec. Quoi que la brunette était pourtant presque certaine que comme la majorité des hommes charismatiques, il avait une petite amie. Le contraire l'étonna. Mais ce qui l'étonna encore plus, c'était la tête qu'il faisait maintenant. Il était tendu et semblait plongé dans ses pensées.
Il se passa plusieurs minutes de silence durant lesquelles la jeune femme jetait de temps à autres des regards à son invité qui ne levait plus les yeux vers elle. Elle était certaine que Dominic pensait à une femme. Après avoir dit qu'il n'avait pas de petite amie, il s'était refermé. C'était plutôt clair, non?
Ce fut l'architecte qui se décida à parler:

- Comment elle s'appelle?

Cela lui était égal de savoir le nom de la femme qui occupait l'esprit de Dominic mais avec cette question, elle lui montrait qu'elle comprenait à peu près ce qui le tourmentait. Elle avait fait assez d'erreurs dans sa vie sentimentale pour ne pas le juger. De toute façon, elle ne portait jamais de jugements hâtifs. Et d'ailleurs, leurs situations n'étaient pas si différentes l'une de l'autre. Lui, il avait quitté la femme qu'il aimait car il ne se sentait pas capable de lui apporter tout ce dont elle avait besoin et qu'il ne voulait pas la faire souffir. Elle, elle avait quitté l'homme qu'elle aimait de peur de ne pas être la hauteur pour le rendre heureux, lui et sa fille.

Eh oui, les femmes étaient bien souvent plus observatrices que les hommes. Il n’y avait sûrement aucune explication scientifique à ça mais ce n’était plus à prouver. C’était peut-être du à la place qui avait longtemps été attribuée à la femme et qui l’était encore aujourd’hui dans la plupart des sociétés: se taire et laisser les hommes décider. Du coup, à force d’observations, elles avaient fini par développer une sorte de sixième sens, une grande perspicacité. C’était une théorie un peu bancale mais Kate n’en voyait pas d’autre plus crédible. Quoi qu’il en soit, les faits étaient là.

Kate n’avait pas l’impression d’avoir fait preuve de beaucoup d’observation en remarquant le malaise de Dominic et en devinant vaguement quelle en était la raison. Elle l’avait repéré sans mal et trouvait que n’importe qui aurait pu le voir. Apparemment, le jeune homme réduisait ce n’importe qui à la gente féminine puisqu’il admit sonder les pensées des hommes. De toute évidence, la brune avait visé juste. La remarque lui arracha un grand sourire et un petit rire. Dominic n’essayait même pas de nier, sa réponse était on ne peut plus claire. Lorsqu’il évoqua une certaine Isis, sa voix devint plus douce et plus triste à la fois. Leur histoire était terminée mais à le voir, on avait l’impression qu’il était dur pour lui de tirer définitivement un trait dessus. Peut-être même qu’il n’avait jamais vraiment tenté de le faire, Kate n’en savait rien. Elle avait beau avoir une bonne capacité à la déduction, elle n’était pas devin.
En disant que «de toute façon, c’était trop compliqué», Dominic donnait l’impression de se convaincre qu’il avait pris la bonne décision, exactement comme l’avait fait Kate après avoir quitté Mark.

- J’aime bien qu’on me raconte des histoires compliquées...

Ainsi, elle invitait son interlocuteur à en dire un peu plus s’il avait envie de se libérer un peu du poids qu’il semblait avoir sur le cœur. Kate n’aimait pas entendre le récit des malheurs des autres, c’était même un peu déprimant mais elle ne voyait pas d’inconvénient à ce que l’agent s’exprime sur ses déboires amoureux. Il fallait être réaliste, il n’était pas le seul à en subir. Quelqu’un qui dit avoir une vie parfaite est quelqu’un qui ment. Personne ne pouvait prétendre n’avoir aucun problème. La vie n’était pas un long fleuve tranquille et encore heureux. S’il n’y avait pas de moments difficiles, on ne pourrait pas apprécier et profiter des bons moments. Dans n’importe quel aspect de la vie, que ce soit professionnellement ou sentimentalement, il y avait toujours des hauts et des bas et il fallait faire avec.

Le revers de la médaille quand on avait une petite amie dont on était amoureux, c’est qu’il fallait faire des concessions. Beaucoup de femmes, et Kate en faisait partie, aimaient mener leur barque, prendre les décisions, décider du programme du week-end, des sorties, des endroits où se rendre, du lieu de vacances. Et elles finissaient par faire des projets sur le long terme. Alors forcément, si Dominic avait tendance à devoir prendre la tangente pour le travail dans des moments comme ceux-là et donc à être dans l’incapacité de faire des concessions, il était compréhensible que la fameuse Isis le vive mal. Il était difficile d’imaginer un avenir dans ces conditions.
Lorsqu’elle était en couple avec Mark et qu’il répondait au téléphone au beau milieu d’un repas, cela avait le don d’exaspérer Kate. Alors elle comprenait bien ce qu’Isis pouvait ressentir lorsqu’elle se faisait plantée au restaurant.

Sur le coup, elle ne répondit rien à l’explication de Dominic. Elle ne savait pas s’il attendait une quelconque réponse ou même s’il en admettrait une. Après un bref silence, elle se leva et dit:

- J’ai oublié l’eau.

Voilà comment passer du coq à l’âne. Mais c’était vrai, la brune venait de remarquer qu’elle n’avait servi ni l’eau ni les verres. Elle alla donc dans la cuisine et en sortit deux. Pendant qu’elle prenait une bouteille d’eau dans le réfrigérateur, elle resta quelques secondes immobile, en pleine réflexion. En fait, elle avait très envie de répondre quelque chose à Dominic pour le secouer un peu. Son histoire était complètement différente de celle qu’elle avait vécu avec Mark et pourtant, elle s’y retrouvait.
Si elle l’avait quitté, c’était essentiellement à cause des nouvelles responsabilités qui l’attendaient. Il y avait surtout le fait qu’une fois à New York, elle aurait entièrement joué le rôle de mère pour Alyssa et bien qu’elle ait vu grandir et à moitié élevé la fillette, cette fois la responsabilité aurait été plus grande. Brooke, la mère d’Alyssa, prenait évidemment toutes les décisions majeures et c’était elle qui aidait l’enfant à se construire. Ensuite, quand la garde lui avait été retirée, c’était Mark qui avait repris ce rôle et dans les deux cas, Kate avait toujours minimisé le sien. De ce fait, elle n’avait jamais ressenti l’éducation de sa filleule comme un poids sur les épaules, cette pression faisant partie du rôle de parent.
Mais lorsqu’elle avait réalisé qu’avec son nouveau travail –qu’elle avait quitté depuis- il serait encore plus difficile de maintenir l’équilibre de la petite fille et de la rendre pleinement heureuse, elle avait préféré partir seule. Alors au final, le résultat était le même que pour Dominic. Ni lui ni elle n’avaient voulu s’engager dans des promesses qu’ils n’étaient pas sûrs de pouvoir tenir. Sauf que l’architecte se rendait compte de son erreur, c’est pourquoi elle avait envie que son garde du corps ouvre lui aussi les yeux, et ce avant qu’il ne soit trop tard.

De retour dans la salle à manger, elle remplit les deux verres et en tendit un à son invité. Au bout de deux minutes à se demander si elle pouvait se permettre d’ajouter quelque chose, elle se lança :

- Vous dites que votre travail, c’est toute votre vie, comme si c’était votre priorité. Mais vous vous rendez compte que vous vous privez de tout le reste pour ça? D’ailleurs si vous voulez mon avis, c’est idiot. Il y a des fédéraux qui sont des maris, des femmes et des parents exemplaires.

Kate marqua une courte pause et avant que Dominic ait pu reprendre la parole, elle poursuivit:

- Il y aura toujours des gens pour faire votre job mais il n’y aura qu’un seul Dominic Spacey pour Isis.

Parfois, il fallait savoir être un peu égoïste et penser à soi. Si l’homme décidait de travailler moins, quelqu’en soit la façon, il y aurait toujours quelqu’un pour arrêter les psychopathes. Et s’il était réellement amoureux d’Isis, ce dont Kate ne pouvait pas être absolument certaine, il gâchait peut-être sa plus belle chance d’être heureux.
D'un autre coté, elle ne voulait pas donner de conseils et ne faisait qu'exposer les faits comme elle les voyait. Et si cela permettait à Dominic d'y voir plus clair, tant mieux.

Dominic avait tout à fait raison, Kate voyait son histoire de l’extérieur. Une heure plus tôt, elle ne connaissait que le nom et le prénom de l’agent qui devait veiller à sa sécurité alors elle ne prétendait pas pouvoir comprendre sa vie privée. Non elle n’était pas du métier et oui, c’était bien triste pour ce Aaron de voir les premiers pas de son enfant sur un écran de téléphone mais personne ne l’avait forcé à faire ce métier. De même, personne n’avait obligé Dominic à devenir profiler, personne ne lui avait mis un revolver sur la tempe pour qu’il accepte. Il l’avait choisi et en décidant d’intégrer le FBI il devait bien se douter de ce qui l’attendait. Si son métier était sa priorité numéro une, sa bouée de sauvetage, si c’était ce qui le faisait vivre alors qu’il ne change rien dans sa vie. Si vraiment il aimait trop son boulot pour l’abandonner alors il ne devait pas regretter d’être privé d’une famille. Comme on dit, on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière.

Le stéréotype de l’homme américain qui retrouve sa famille après une journée au bureau, qui donne le bain à ses enfants, qui les aide à faire leur devoir pendant que la femme s’affère en cuisine, c’était une connerie monumentale pour la plupart des gens. La vie n’était pas parfaite et on était forcément confronté à des choix, parfois durs.

Si Dominic s’attendait à un conseil plein d’espoir, il faisait erreur. Blasée en ce qui concernait les relations amoureuses et parent enfant, elle aurait plutôt été du genre à lui dire que cette Isis, il ferait mieux de l’oublier s’il ne se sentait pas à la hauteur pour la rendre heureuse. Pour appuyer un peu plus son opinion, elle aurait même pu lui dire que vu ses priorités, il devrait se contenter de tirer un coup par-ci par-là et qu’il ne pourrait avoir une relation longue qu’une fois qu’il serait à la retraite.
Elle trouvait que c’était un terrible gâchis et ne comprenait pas qu’on préfère son métier à quelqu’un qu’on aimait mais après tout, chacun son avis et même si elle n’était pas d’accord avec Dominic, elle n’avait pas envie de le contredire.

Etant donné qu’elle aussi avait eu un père aux abonnés absents, elle comprenait que l’homme ne veuille pas adhérer au club. Pour autant, elle était la preuve qu’on pouvait manquer de repères étant enfant et devenir un adulte équilibré.
Contrairement à Dominic, elle était à peu près certaine qu’il était assez fort pour se détacher de son métier sans craquer. Et puis il ne pourrait pas le savoir s’il n’essayait pas. Mais bon, elle n’était pas dans sa tête.

Son assiette était elle aussi vide, ils pouvaient passer au dessert. Kate regarda l’heure sur sa montre. Elle avait dit à une amie qui habitait à une heure de route qu’elle passerait la voir si elle avait un peu de temps, en début d’après midi. Et comme elle ne comptait pas rester avec Dominic pendant toute la journée, c’était l’excuse toute trouvée pour être un peu tranquille. Une fois le repas fini il allait devoir reprendre son poste. Il allait sans doute la suivre en voiture mais au moins, la jeune femme pourrait avoir l’impression d’être libre comme l’air.

- Vous voulez un dessert? J’ai fait des mousses au chocolat hier soir.

Quelqu'un qui n'aimait pas le chocolat, c'était assez rare. Il y avait tant de recettes à faire avec qu'il semblait impossible de ne pas en aimer une. Kate n'était pas gourmande et elle non plus ne courait pas après les bonbons et autres sucreries mais les desserts qu'elle préférait faire étaient tous à base de chocolat, les charlottes, les éclairs, les brownies et diverses autres recettes qu'elle avait plus ou moins réinventées. Cependant la façon dont elle préférait manger du chocolat, c'était avec une fontaine de chocolat. Quand elle était adolescente elle invitait des amis chez elle pour des soirées entières à glisser des cigares russes sous les cascades de chocolat au lait. Le goût était incomparable. Il suffisait que la jeune femme se rappelle de ses moments pour en sourire. Aujourd'hui la fontaine devait dormir dans un des placards de la cuisine de sa maison à Seattle.

Changer radicalement de sujet en proposant le dessert montrait clairement que la brune ne comptait pas s'engager sur un débat quant à la combinaison d'un emploi prenant et d'une vie de famille. Elle doutait fort que Dominic veuille étaler sa vie privée devant elle et il devait penser qu'il en avait déjà assez dit. Alors avant que la salle à manger ne se transforme en bureau des pleurs, il valait mieux parler d'autre chose.
L'agent ne sembla pas dérouté puisqu'après avoir avoué ne pas être un fan de chocolat, il lui dit qu’il ne serait pas contre un fruit.

Alors qu’elle se levait, il lui demanda ce qu’elle faisait cet après-midi. Kate le regarda dans les yeux et hésita une poignée de secondes. Etait-elle obligée de lui dire où elle allait et ce qu’elle faisait? Puisqu’il était supposé la suivre et que cela n’impliquait normalement aucun échange de paroles: non. Mais la jeune femme n’avait rien à cacher, elle se rendait juste chez une amie.

- Je vais voir une amie qui habite à Keasbey. J’y resterai tout l’après-midi donc puisque vous allez passer plusieurs heures à attendre dans votre voiture, prenez de la lecture. Il a y quelques bons romans dans ma bibliothèque.

Elle lui fit un petit signe de tête en direction du meuble et apporta leurs assiettes vides dans la cuisine. Elle les rangea dans le lave-vaisselle et revint avec une mousse au chocolat pour elle et une pomme qu’elle tendit à Dominic.

- Je n'ai que des pommes, j'espère que ça vous va.

Keasbey était à une demie heure de route de New York. L'amie que Kate allait voir ce jour là avait toujours vécu dans le New Jersey. Elles faisaient toutes les deux du même groupe d'amis lorsque la brune y venait et bien qu'elles soient très différentes l'une de l'autre elles s'étaient toujours bien entendu. L'une était introvertie, calme, était l'aînée d'une fratrie de 4 enfants et se voyait mère et mariée à trente ans. Quant à l'autre, elle aimait prendre des risques, avait un tempérament de feu, était fille unique et ne comptait pas fonder une famille. Aujourd'hui, la première était bel et bien mariée et avait deux enfants et la deuxième exerçait le métier d'architecte qu'elle avait toujours voulu faire et n'avait ni d'alliance à l'annulaire gauche ni siège auto dans sa voiture.

Il était rare qu'aprochant la trentaine, une personne ait la vie qu'elle s'attendait à mener étant adolescente mais Kate avait exactement la vie qu'elle envisageait lorsqu'elle était au lycée même si à l'époque elle n'avait pas imaginé qu'à vingt sept ans, elle aurait vécu des menaces de mort, un déménagement sur une île dans le Pacifique, la rénovation et la construction d'un aéroport, une tentative de meurtre d'un psycopathe évitée de justesse et une histoire d'amour catastrophique avec un avocat. Hormis le tarée qui était entré chez elle en pleine nuit pour la tuer, l'évènement le plus surprenant pour elle avait été l'histoire qu'elle avait eu avec Mark. Malgré tout le manque de confiance et la méfiance qu'elle avait envers les hommes qui l'empêchaient de baisser sa garde et de tomber amoureuse, l'homme de loi avait fait tomber cette barrière sans même s'en rendre compte.

Au final, la vie de la jeune femme n'était pas si mal que ça. En fait, elle était vraiment sympa. Bien sûr, elle aurait aimé pouvoir changer quelques petites choses, comme avoir le droit de voir Alyssa. Elle aurait aussi aimé pouvoir faire en sorte que son père arrête de lui en vouloir de s'être débarrasser de tout l'argent qu'il lui avait donné. Depuis qu'il l'avait appris l'homme d'affaires ne lui adressait plus la parole et Kate n'avait pas d'autre choix que d'attendre en espérant qu'il veuille bien comprendre son geste. Mais dans l'ensemble, elle n'avait pas à se plaindre et elle savait apprécier tout ce qu'elle avait construit.

Une fois le dessert terminé pour Dominic et Kate, cette dernière se leva. Elle suivit son garde du corps jusque dans la cuisine pour mettre le ramequin de sa mousse au chocolat dans le lave-vaiselle et hocha la tête en signe d'affirmation lorsqu'il lui demanda si la poubelle était sou l'évier. Sûrement par politesse, l'homme indiqua qu'il sortait, ce qui permettait à Kate d'être un peu seule. Elle lui adressa un sourire lorsqu'il passa la porte t monta à l'étage, plus précisement dnas sa chambre. Elle sortit de sa penderie un jean et un tee-shirt et les enfila à la place de son bas de jogging et de son débardeur sur lesquels il y avait quelques traces de peinture. Puisqu'elle n'avait pas prévu d'heure précise pour arriver chez son amie, elle décida de prendre cinq minutes pour se maquiller. Lorsqu'elle se maquillait, c'était toujours discrètement et ça n'arrivait pas tout les jours.
C'est lorsqu'elle était entrée dans la vie active qu'elle avait décidé de faire l'effort d'être plus soignée. Elle avait acheté quelques tailleurs ainsi que des chemisiers en soie, des pulls en cachemire et plusieurs paires de chaussures à talons. Elle en avait déjà mais très peu. Ce genre de vêtements dataient de l'époque où elle était encore à Seattle et où il fallait bien qu'elle soit correctement habillée pour les diverses soirées qu'organisait son père ou bien pour celles auxquelles elle se rendait avec lui. Depuis qu'elle était architecte, elle était bien obligée d'obéir à un certain code vestimentaire et à prendre quelques minutes le matin pour se maquiller, même légèrement.

Suivi de son chien, elle sortit de son appartement puis de son bâtiment. Il ne lui fallut qu'une dizaine de secondes pour repérer Dominic dans sa voiture. Sans prêter plus longtemps attention à lui, elle monta dans son propre véhicule et prit la direction de Keasbey.