C'était une journée tout à fait banale pour Kate. Ce matin, elle s'était réveillée à huit heures et s'était préparée pour ensuite aller à son cabinet d'architecture. Cela ne faisait que deux jours qu'elle avait la clé des locaux et elle avait déjà bien avancé dans l'ameublement des bureaux et le sien étant déjà à peu près fini, aujourd'hui elle avait pu faire passer quelques entretiens pour les associés qu'elle souhaitait prendre. Il y avait plusieurs curriculums intéressants, bien fournis et appartenant à des architectes avec déjà une bonne expérience. Cependant, la jeune femme cherchait également de jeunes personnes afin de leur donner leur chance comme on lui avait donné une chance incroyable alors qu'elle sortait tout juste de la fac. Si elle n'avait pas été major de sa promotion, elle n'aurait jamais pu être engagée pour la construction d'un aéroport. C'est pourquoi elle n'avait pas peur de prendre d'excellents élèves sous son aile.
Kate était donc heureuse que son projet prenne forme car c'était un défi de plus, et pas des moindres. Il avançait relativement vite et la brunette avait intérêt à rapidement démarrer car il faudrait encore plusieurs semaines pour faire du chiffre d'affaire et pendant ce temps, il fallait qu'elle vive avec les quelques milliers de dollars qu'elle gardait disponibles sur son compte. Lorsqu'on parlait de plusieurs dizaines de milliers de dollars, on pouvait penser que c'était une somme importante mais ça ne l'était plus quand on songeait aux salaires qui devaient être versés même sans faire de chiffre, à l'assurance de l'entreprise, aux factures et à toutes les dépenses annexes. Kate avait donc tendance à être un peu sur les nerfs en ce moment.
Autant dire qu'elle n'avait pas besoin d'une mauvaise nouvelle comme celle annoncée la veille par un agent du FBI. Le chef du réseau de trafic d'armes dont son père avait aidé à démanteler une grande partie avait enfin été attrapé. Jusque là, c'était plutôt une bonne nouvelle mais la suite était moins réjouissante. Par peur des représailles des quelques trafiquants encore en cavale, les fédéraux avaient décidé de mettre la jeune Evans sous protection rapprochée, d'abord pour trois jours. Autrement dit, un agent allait devoir la suivre comme son ombre. Ses protestations n'avaient pas été utiles et l'homme qui l'avait appelé lui avait presque raccroché au nez en lui disant qu'elle n'avait pas le choix alors autant qu'elle s'y fasse.
Kate avait déjà assez souffert de cette affaire et ne voulait plus en entendre parler. Elle avait du quitté Seattle, la ville où elle était née et où elle avait passé la plus grande partie de son enfance et de son adolescence pour aller sur une île paumée dans l'océan Pacifique, maintenant elle voulait qu'on lui lâche la grappe.

Après être revenue de son cabinet, aux alentours de midi, la brune avait enfilé un pantalon de jogging et un débardeur basique auxquels elle ne tenait pas trop pour faire de la peinture. Les murs avaient déjà été repeints en blanc avant son arrivée mais les encadrements de portes avaient été oubliés. Armée d'un pinceau et d'un petit pot de peinture blanche, Kate s'attacha les cheveux et commença. Mais n'ayant pas d'escabeau elle dut grimper sur une chaise. Le problème était que les plafonds étaient hauts et par conséquent, les encadrements aussi. Il lui manquait donc quelques petits centimètres pour attendre les plaintes supérieures et elle dut les laisser telles qu'elles étaient en attendant de trouver quelque chose sur quoi monter qui serait plus haut qu'une chaise. Ce n'était pas le moment de jouer les équilibristes et se casser une jambe.
Elle alla rincer son pinceau et se lava les mains. Ses vêtements en étaient sortis indemnes mais il lui restait encore de la peinture sous les ongles. Afin de faire disparaître l'odeur de peinture fraîche, elle alla ouvrir la baie vitrée de son salon et sortit sur le balcon, histoire de s'aérer un peu. C'est à ce moment là qu'elle remarqua un homme sur le trottoir d'en face. Six ans plus tôt elle avait assez vu d'agents du FBI pour reconnaître celui qui était chargé de veiller sur elle.
Kate sortit de chez elle et descendit les marches de l'escalier de son immeuble à une vitesse qui montrait bien qu'elle n'allait pas perdre de temps à lui dire de foutre le camp et qu'elle n'allait pas non plus prendre de gants avec lui. S'il avait étudié son dossier il devait savoir où elle était née, où elle avait vécu, les études qu'elle avait faites, qui était son père bref, de quoi lui donner l'impression de la connaître. Mais il ne savait rien de son caractère et allait en avoir un aperçu.
La jeune femme sortit de son immeuble, traversa la route et se planta devant lui:

- Spacey c'est bien ça? Je sais bien qu'on vous a demandé de garder un œil sur moi mais vous allez finir par faire peur à mes voisins! Alors maintenant que vous avez vu que je vais bien, j'aimerais que vous vous en alliez. Je n'ai reçu aucune menace et je n'en recevrai sans doute aucune mais puisque vous semblez penser que cela va se produire, j'aimerais vivre mes derniers jours en paix!

Six ans plus tôt, Kate avait effectivement reçu des menaces de mort après que son père ait décidé de ne pas prêter attention aux siennes en maintenant son témoignage. Mais depuis l'arrestation du chef du réseau de trafic d'armes, elle n'en avait reçu aucune et puisque son père n'avait a priori plus à intervenir dans cette affaire, il était peu probable qu'elle en reçoive de nouveau.

Lorsque l'agent se présenta et affirma qu'il était ravi de faire sa connaissance, Kate ne répondit rien à cela et lui coupa presque la parole. Elle n'était pas disposée à faire un brin de causette avec lui et espérait qu'en montrant qu'elle était agacée, il allait au moins accepter d'aller faire un tour et qu'il ne resterait plus planté devant son immeuble. Il y avait aussi une forte probabilité qu'il refuse de s'en aller mais dans ce cas là, Kate s'attendait à ce qu'il se contente d'une courte phrase du genre "non, je reste" et qu'il ne lui adresse pas un mot de plus. Les fédéraux prenaient leur travail au sérieux et étaient très professionnels. Du coup, ils avaient tendance à se montrer froids pendant leurs heures de service. C'est pour cela que la jeune femme fut un peu étonnée de sa réponse. Il lui dit aimablement et sincèrement qu'il préfèrerait être ailleurs en ce moment et bien évidemment, qu'il ne bougerait pas. Il restait calme, ce qui laissait penser qu'il était compréhensif. Il devait probablement se mettre à la place de Kate et se rendre compte que ce n'était pas drôle de se voir imposer un garde du corps.
Bien qu'étant une forte tête, l'architecte savait quand il était utile ou non d'insister. Et là, c'était inutile. L'homme obéissait à l'ordre de son supérieur et n'avait pas d'autre choix que de rester à proximité d'elle. La brunette soupira et se retourna vers son immeuble. Un voisin au troisième étage se croyait discret en les observant derrière son store vénitien et devait se dire qu'il y avait quelque chose de louche pour qu'un homme monté comme une armoire à glace soit là depuis plusieurs heures à noter de temps à autres quelque chose sur un carnet. Maintenant qu'il avait vu sa nouvelle voisine sortir pour lui parler, il allait se faire des films sur elle et penser qu'elle cachait quelque chose. Sans demander son avis à l'agent qui avait sans doute remarqué lui aussi qu'ils étaient épiés, elle le prit par le bras et traversa la rue avec lui afin qu'ils puissent parler sous le perron de son immeuble, là où le voisin curieux ne pourrait les voir qu'en se penchant par la fenêtre, ce qu'il n'oserait pas faire.
Kate regarda son interlocuteur quelques secondes sans rien dire. Elle se demandait s'il n'y avait pas un moyen pour qu'il s'en aille mais comme elle connaissait déjà la réponse, elle se dit qu'il n'était pas nécessaire de s'en prendre à lui alors qu'il n'avait pas demandé à être là. Calmement, elle lui répondit:

- Écoutez, toute cette histoire c'est du passé moi et je ne veux plus en entendre parler. On m'a dit que vous ne resteriez que trois jours pour le moment mais vous savez aussi bien que moi que tant qu'il n'aura pas avoué et donné les noms des autres dirigeants de son réseau, vous resterez chargé de me suivre. Alors si vous pouviez insister auprès de vos supérieurs pour me laisser tranquille, ça nous arrangerait tous les deux.

Dominic savait de qui elle parlait quand elle disait "il". Cet homme avait beau être "le cerveau" du trafic, une hiérarchie était tout de même établie. D'autres hommes étaient donc capables de continuer leur activité sans lui. Tant qu'ils n'étaient pas mis derrière les barreaux, le FBI n'abandonnerait pas l'affaire. Mais Kate ne voyait vraiment pas pourquoi on avait encore peur pour elle. Si elle recevait des menaces, ce ne serait que par pur esprit de vengeance et elle voyait mal des trafiquants perdre du temps à se venger contre son père en la menaçant de nouveau de la tuer. L'homme d'affaire avait "seulement" fait arrêter une dizaine de mafieux et même si ça avait été l'élément déclencheur de l'affaire, cela s'était passé il y a six longues année. L'architecte avait avancé cet argument auprès l'agent qui lui avait annoncé qu'elle serait sous protection rapprochée mais il lui avait répondu que le FBI ne voulait prendre aucun risque.

La jeune femme n'avait pas d'autre choix que de prendre son mal en patiente. Dans le meilleur des cas, elle n'aurait qu'à supporter un garde du corps trois jours seulement. Lorsqu'elle était enfant et qu'elle partait avec son père dans un pays au gouvernement instable et donc dangereux, l'ambassade leur fournissait toujours toute une escorte et la jeune Evans s'y était vite habituée. Elle n'aurait sans doute pas trop de mal à mener sa petite vie tranquille sans avoir perpétuellement en tête l'idée qu'un homme restait toujours à quelques mètres d'elle pour veiller sur elle.
Que Dominic ne s'y trompe pas, la sympathie dont il faisait preuve n'enlevait rien au fait que Kate était contrariée. Après qu'il lui ait expliqué que les ordres qu'il avait reçus seraient maintenu, il suggéra de monter avec elle. Elle eut un petit rire en songeant qu'il ne perdait pas de temps pour faire intrusion dans sa vie mais puisqu'elle n'était pas une sauvage et qu'il avait raison sur un point, cela ferait taire les mauvaises langues, elle lui dit:

- Suivez moi.

Elle entra dans le bâtiment et retint la porte pour que l'agent y entre à son tour. Vu ce qu'il était arrivé la dernière fois qu'elle avait pris l'ascenseur, elle préféra emprunter l'escalier. Elle habitait au cinquième étage et était assez endurante pour y monter à pieds. La carrure de Dominic laissait penser que ce n'était pas difficile pour lui non plus. Arrivée sur son palier, elle ouvrit la porte, invita le jeune homme à entrer et referma la porte derrière lui. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle pensa que l'agent risquait d'être surpris de la voir habiter dans un appartement comme celui-là. Le duplex était magnifique et tous les new yorkais ne pouvaient pas se l'offrir mais c'était encore loin de l'habitation qu'on pouvait imaginer pour une jeune femme dont le père est millionnaire. Mais quand Kate avait décidé de changer vie, elle n'avait pas voulu le faire à moitié. Au moins, Dominic pourrait se rendre compte par lui-même qu'elle n'aspirait qu'à se fondre dans la masse.
L'odeur de peinture était encore présente et l'appartement impeccablement en ordre ne montrait pas que sa propriétaire était une maniaque du rangement et de la propreté -quoi que...- mais qu'elle n'avait pas encore totalement pris ses marques et donc que cela ne faisait pas longtemps qu'elle y habitait. Elle n'avait pas encore pris de mauvaises habitudes comme laisser son ordinateur portable sur la table basse du salon ou poser son sac sur un fauteuil.
Le chien, curieux de la venue d'un nouvel arrivant, vint jusqu'à lui pour lui renifler les jambes. Sa maîtresse l'attrapa par le collier et l'écarta doucement. L'animal comprit qu'il devait s'écarter et ne revint pas importuner Dominic. Kate eut alors une idée. Elle adressa un sourire à son invité et lui demanda:

- Vous savez tenir un pinceau?

Eh oui, elle avait l'intention de lui proposer de faire le haut des encadrements étant donné qu'il était bien assez grand pour les atteindre debout sur une chaise. Mais où était passée sa bonne résolution de se débrouiller toute seule? Pour le moment, Kate la laissait de coté. En fait, elle avait la flemme de partir à la recherche d'un escabeau et l'agent Spacey était la solution la plus pratique qu'elle avait sous la main. Et franchement, à part elle qui pourrait se venter d'avoir des encadrements de portes peints par un agent du gouvernement?

Bon c'est vrai, il fallait un certain culot pour demander à un inconnu de faire du bricolage dans son nouvel appartement. Ça passait pour un caprice de petite princesse pas fichue de le faire elle même. Ce n'était pas du tout le cas. Kate avait toujours été débrouillarde et aimait faire tout ce qu'elle pouvait faire sans l'aide de personne mais cette fois, c'était sa taille trop petite malgré son bon mètre soixante-dix qui l'empêchait de terminer seule. Elle n'aimait pas commencer quelque chose sans le terminer et puisqu'avec Dominic elle avait l'occasion de ne pas avoir à reporter ce détail à un autre jour, elle l'avait proposé au jeune homme. Apparemment pas sûr d'avoir bien entendu la première fois, il lui demanda de répéter. Oui, elle lui suggérait bien de lui donner un coup de main. Elle répéta la même question mot pour mot, avec un fin sourire provoqué par la surprise de l'agent fédéral face à cette proposition. Il lui répondit que la peinture n'était pas son truc, qu'il était là pour la protéger et pas pour faire l'esclave. Le sourire de la brune s'élargit. Effectivement elle aurait préféré continuer sa routine plutôt que de le voir faire intrusion dans son quotidien mais elle ne comptait pas non plus faire de lui son esclave. Même s'il était en fonction et donc un agent avant tout, il était aussi un être humain et Kate allait tout de même le traiter avec respect. Surtout que jusque là, il avait été agréable et ne méritait pas qu'elle le méprise.

- Mais je compte vous payer. Pas avec de l'argent parce qu'en ce moment je suis fauchée comme les blés mais par exemple en vous cuisinant ce que vous voudrez. Vous n'avez pas encore déjeuné?

Elle n'en avait pas l'air comme ça, mais l'architecte était un fin cordon bleu. Elle aimait cuisiner et puisqu'il n'était que midi et demi et qu'elle n'avait pas encore mangé il fallait qu'elle prépare le repas. Alors autant faire quelque chose que Dominic aimait. Encore faudrait-il qu'il n'est pas encore mangé, d'où la question sa protégée. S'il mettait de la bonne volonté à l'ouvrage, il aurait même le droit au dessert de son choix, dans la mesure du possible étant donné que certains demandaient des heures de repos au réfrigérateur avant de pouvoir être dégustés. Les pâtisseries étaient ce que Kate faisait le mieux en cuisine. Elle était une pâtissière hors paire et pouvait tout à fait envisager une reconversion dans ce domaine. S'afférer en cuisine était étrangement le meilleur moyen qu'elle avait trouvé pour se détendre. La plupart des gens remédiait au stress en prenant un bon bain chaud, en allant au spa en encore dans une salle de sport pour se défouler mais pour elle, il n'y avait rien de mieux que de battre des œufs au fouet pour évacuer le stress d'une dure journée. Il lui était même arrivé plusieurs fois de les monter en neige à la main dans ce but.
C'est sûr, si Dominic acceptait, il n'allait pas le regretter. La demoiselle lui adressa un sourire, le genre de sourire dont on a du mal à résister quand il vient d'une jolie fille.

- Vous êtes ici pour veiller à ma sécurité, que dirait votre patron si vous me laissiez me casser quelque chose? Et puis si vous ne savez pas peindre, raison de plus pour le faire! Je vous montrerai, c'est très facile.

Le premier argument était tout à fait bidon mais c'était juste pour faire de l'humour qu'elle l'avait évoqué. Par contre, le deuxième était sérieux. C'est vrai, s'il n'avait jamais appris à faire de la peinture dans une habitation, c'était le moment de le faire.

Dominic et Kate avaient au moins une chose en commun, ils avaient grandi sans père. Quoi que la situation de la jeune femme était tout de même préférable. Au moins son père ne la traitait pas comme le père de Dominic l'avait fait avec son fils. Monsieur Evans se contentait tout simplement d'ignorer sa fille. Il demandait à sa secrétaire de lui choisir un cadeau pour son anniversaire quand il ne confiait pas à sa fille une de ses cardes de crédit pour qu'elle s'achète ce qu'elle voulait. Lorsqu'il partait parfois un mois en déplacement, elle avait de la chance si elle recevait plus de deux appels de sa part. Il n'était pas le père idéal mais il ne rabaissait pas son enfant plus bas que terre, même si parfois il s'était injustement montré déçu. C'est d'ailleurs ce qui était arrivé quelques jours plus tôt et il ne voulait plus adresser la parole à sa fille unique mais ça, c'était une autre histoire.
Kate n'était pas profiler et malgré le fait qu'en général elle avait une bonne intuition pour juger les gens, elle était loin d'imaginer ce qu'avait pu être l'enfance de Dominic et sa vie jusqu'à ce qu'il intègre le FBI.
Quand il expliqua qu'en ce moment, il ne mangeait que des sandwichs, la jeune femme en déduit qu'il travaillait trop pour avoir le temps de se nourrir correctement. C'était un des inconvénients du métier. A la demande d'un hachis parmentier, la demoiselle laissa la surprise s'afficher sur son visage. L'homme avait l'occasion de manger un plat particulier et élaboré et tout ce qu'il voulait, c'était manger du hachis parmentier? D'accord. Il fit remarquer à Kate qu'il espérait qu'elle était une bonne cuisinière, ce à quoi elle répondit:

- Je vous laisserai juger par vous-même.

Elle avait tous les ingrédients sauf la viande. Elle allait donc devoir descendre en acheter. Pour sa recette, pas besoin d'ail et d'oignons. Elle détestait ça et les remplaçait par des épices comme le cumin qu'elle ajoutait à la purée. Dominic allait pouvoir goûter le résultat. Mais pour l'instant, il voulait les instructions pour la peinture. Kate alla chercher un pinceau, le pot de peinture, le rouleau d'adhésif et après être montée sur la chaise elle invita le jeune homme à y monter également. A deux sur une si petite surface, ils étaient un peu à l'étroit mais c'était provisoire. La propriétaire des lieux commença donc ses instructions:

- Peindre un encadrement, c'est beaucoup plus facile que de peindre un mur. Pas besoin de reboucher les trous avec un enduit ou de poncer les surépaisseurs. Il faut juste dépoussiérer mais ça, je l'ai déjà fait. Donc la première chose à faire, c'est de mettre l'adhésif tout autour de la zone à peindre pour éviter les bavures. Je vous laisse le faire parce que je suis trop petite pour atteindre la plinthe du haut. Ensuite vous prenez votre pinceau, vous vous assurez qu'il n'y ait pas trop de peinture dessus et vous appliquez avec un geste long. N'attendez pas que ce soit sec pour enlever l'adhésif sinon la peinture risque de s'écailler.

C'est tout ce qu'il y avait à faire. Ce n'était donc pas compliqué. Kate adressa un nouveau sourire à l'homme debout à coté d'elle et ajouta:

- Vous voulez une autre chemise? Ça vous évitera de tacher la vôtre.

Kate dormait principalement avec des chemises d'hommes trop grandes pour elle alors elle en trouverait sûrement une qui conviendrait à Dominic.

Depuis déjà quelques années, en fait depuis qu'elle avait commencé à cuisiner pour sa filleule lorsqu'elle lui rendait visite, Kate avait pris l'habitude d'une alimentation équilibrée et quasi-irréprochable. Elle achetait des légumes bio, faisait elle même les purées, les compotes, les confitures bref, tout ce dont la petite Alyssa se régalait quand elle était chez sa marraine. Mais depuis qu'elle était à New York et qu'elle ne faisait que la cuisine pour elle même, il y avait un peu de relâchement. Cependant, elle faisait toujours attention de ne pas avoir la main lourde sur le sel et les matières grasses et n'en utilisait qu'en très petite quantité. En même temps, à la voir on se doutait bien que ce n'était pas le genre de personne à raffoler des hamburgers gras et des frites huileuses.

Elle préférait que Dominic lui dise franchement ce qu'il pensait de sa cuisine plutôt qu'il fasse semblant d'avoir devant lui un plat parfait. C'est avec les remarques constructives que l'on s'améliorait. La jeune femme cuisinait selon ses goûts et ils ne correspondaient pas forcément à la grande majorité. Par exemple, ce qu'elle préférait dans une tarte aux pommes, ce n'était pas la pomme mais la pâte, surtout lorsque c'était une pâte brisée juste dorée. Alors si elle s'écoutait, elle en mettrait deux sur lesquelles elle ne déposerait qu'une seule pomme et cela ne plairait pas à grand monde. Bref, elle allait faire son hachis parmentier à Dominic et elle verrait bien ce que ça donnerait.

A deux sur une chaise, il fallait faire preuve d'une certaine agilité pour ne pas tomber et Kate comprit bien que c'était pour qu'elle ne perde pas l'équilibre que le jeune homme avait posé une main sur sa hanche. A le regarder écouter ses explications, il avait l'air d'être attentif et consciencieux. Vu qu'il semblait loin d'être empoté, la brune avait à peu près confiance en lui pour la mission qu'elle lui avait confié. Et puis au pire des cas s'il laissait de gros pâtés de peinture elle n'aurait qu'à poncer et repeindre plus tard. Il n'avait jamais fait ça avant alors elle lui laissait le droit à l'erreur.

Quand elle lui proposa une chemise, l'agent en déduit qu'elle avait un homme à la maison et retira sa main, en répondant qu'il ne voudrait pas tâcher une chemise de son mari ou de son petit ami. Dominic cacha plutôt bien sa gêne mais Kate la devina tout de même. Elle se mit à rire et descendit de la chaise:

- Je n'ai ni mari ni petit ami mais j'ai toute une étagère remplie de chemise pour hommes qui me servent de pyjama. Je vais vous en prêter une et vous pourrez y faire toutes les tâches que vous voudrez.

Kate ne dormait qu'avec des chemises dans lesquelles on aurait pu en rentrer deux comme elle. Elle n'avait pas le moindre réel pyjama et les deux seules nuisettes qu'elle avait, elle ne les mettait jamais. Etant donné qu'elle avait tendance à pas mal gigoter la nuit, il lui fallait quelque chose de ample pour ne pas gêner ses mouvements et les chemises XL ou XXL étaient parfaites pour ça.
La maîtresse des lieux monta les escaliers pour aller dans sa chambre. Une fois à l'intérieur, elle se dirigea vers sa penderie à la recherche d'une de ses plus grandes chemises. Elle en sortit une d'un gris anthracite et redescendit avec. Elle la tendit à Dominic et en profita pour lui demander:

- Vous voulez quelque chose à boire?

S'il poirotait devant chez elle depuis plusieurs heures, il devait certainement avoir soif.

En revenant de sa chambre, Kate avait retrouvé un Dominic torse nu. Ne soupçonnant pas un tel corps sous sa chemise, elle fut un peu surprise. L'homme regardait ailleurs alors elle profita de ces quelques secondes pour attarder son regard sur lui. Déjà habillé, il était imposant mais là... on avait vraiment pas envie de se battre avec lui, sous peine de se prendre une bonne raclée. Avec un physique pareil, il n'aurait aucun mal à dissuader n'importe quel taré d'approcher Kate tant qu'il serait là. Après tout, c'était un outil de travail comme un autre.
La jeune femme ne remarqua pas qu'il avait fermé sa chemise en décalant d'un bouton mais en tout cas, le vêtement lui allait bien, c'était sa taille. Elle alla lui chercher un grand verre d'eau fraîche dans la cuisine et le lui tendit. Pendant qu'il buvait, elle leva la tête pour regarder le travail qu'il avait commencé à faire:

- Vous vous en sortez bien.

Elle lui adressa un sourire. Vu la façon dont il sifflait gaiement, il avait l'air d'y prendre goût. Maintenant qu'il avait les explications nécessaires pour peindre, une chemise qui ne craignait rien et un verre d'eau, la brune n'avait plus qu'à aller chercher l'ingrédient qui lui manquait pour le plat qu'elle allait cuisiner. Elle alla donc prendre son sac dans l'entrée et revint lui dire:

- Je descends chercher ce qu'il me manque pour le repas, je reviens dans cinq minutes.

Alors qu'elle s'apprêtait à partir, elle remarqua l'insigne de l'agent. Elle se demanda où était son arme et lorsqu'elle la vit, elle se dirigea vers elle et la sortit de son étui, sans même demander la permission à Dominic. D'un geste sûr, elle appuya sur le bouton sur la crosse qui servait à éjecter le magasin puis tira sur la partie supérieure de l'arme afin de faire tomber la balle située dans la chambre.

- Pas d'armes chargées sous mon toit.

Voilà la seule explication qu'elle donna. C'était une question de principe plus que de sécurité. Le cran de sécurité servait justement à ça. Même si elle était habile avec une arme, elle n'aimait pas savoir qu'un objet qui pouvait si vite enlever une vie soit chargé chez elle.
Elle reprit le chemin de la sortie et en passant devant l'agent du FBI elle lui adressa un regard qui laissait comprendre qu'il n'y avait pas de mais. C'était comme ça et pas autrement. Une fois dehors, elle prit la direction du commerce le plus près de chez elle. Dominic n'était encore qu'un inconnu et elle n'avait pas confiance en lui. Même si elle n'avait rien à cacher, elle ne voulait pas le laisser trop longtemps seul chez elle. D'ailleurs, elle se demandait comment elle avait bien pu se laisser convaincre de le laisser entrer chez elle. Elle lui avait demandé de ne plus rester devant son immeuble et cinq minutes plus tard, il se retrouvait dans son duplex. S'il n'y avait pas eu ce foutu voisin qui se mêlait de ce qui ne le regardait pas, elle n'aurait pas eu à faire ça. Au moins Dominic avait le mérite d'être sympathique, du moins au premier abord. Kate ne pouvait pas se faire une idée de sa personnalité en si peu de temps. Quoi qu'il en soit, elle était bien contente d'avoir pu sortir sans l'avoir sur le dos.
A aller faire une course pour préparer le repas à un homme qui bricolait à la maison, elle avait l'impression d'être la parfaite petite ménagère américaine. Depuis longtemps, en fait depuis qu'elle avait seize ans et qu'on avait commencé à lui suggérait que tel ou tel garçon ferait un bon parti potentiel pour elle, elle s'était juré de ne jamais tomber dans ce stéréotype. Pour l'instant, elle en était encore très loin puisqu'elle était encore célibataire et sans enfants. Et heureusement... Son mode de vie lui convenait très bien et elle n'était pas prête à se mettre concrètement avec un homme, à vivre avec lui et à partager sa vie. Alors pour ce qui était du mariage, ce n'était même pas envisageable.

A peine dix minutes après son départ, l'architecte revint chez elle. Par méfiance, elle jeta un rapide coup d'oeil autour d'elle pour voir si quelque chose avait bougé. Tout était en place, Dominic n'avait pas fouillé dans ses affaires. Pourtant, quelque chose l'intrigua: Il n'avait pas encore terminé le premier encadrement. Soit il était minutieux et donc lent, soit il avait fait autre chose pendant son absence.

Il est vrai que lorsqu’on voit une personne que l’on connaît à peine qui se saisit de votre arme, enlève le magasin et relève le chien pour faire tomber la balle placée dans la chambre, vous vous demandez forcément où elle a appris à manier une arme à feu. Non, elle n’était pas impliquée dans le trafic d’arme. Son père était en fait un grand collectionneur et il aimait se rendre dans un stand de tir ou même tirer dans sa vaste propriété à ses heures perdues. Et de temps en temps, sa fille venait avec lui. A l’inverse de la très grande majorité des gens, les bruits que faisait une arme lorsqu’on la chargeait ou la déchargeait la rassuraient. C’était un enchaînement de parfaits emboîtements qui se faisaient de plus en plus aisément avec l’habitude. C’est à peu près à l’âge de douze ans que la jeune Evans avait tiré sa première balle. C’était dans le tronc d’un érable. Pendant plusieurs mois, l’impact avait été visible mais au fur et à mesure l’arbre avait grandi et la balle restait encore aujourd’hui incrustée.
Ce n’est pas pour autant qu’une fois adulte, Kate avait fait l’acquisition d’une arme à feu. Elle voyait le tir comme un loisir comme un autre et n’était pas dans la psychose que poussaient trop d’américains à s’armer jusqu’aux dents sous prétexte qu’ils protégeaient leurs familles. Au contraire, avoir de tels objets dans une maison était plus dangereux qu’autre chose, surtout pour les enfants. Dans la résidence Evans, il y avait une pièce toujours fermée à clé où l’homme d’affaire entreposait sa collection et sa fille n’y avait jamais eu accès sans sa surveillance.

Si la jeune femme avait su que l’agent du FBI la soupçonnerait en la voyant manier son arme de service avec dextérité, elle lui aurait expliqué le pourquoi du comment mais elle n’en fit rien. Elle ne lui avait même pas répondu lorsqu’il lui fit remarquer qu’il ne savait pas qu’elle maîtrisait aussi bien les armes. Heureusement qu’elle ne lui avait pas répondu qu’il n’avait pas encore vu quelle redoutable tireuse elle faisait, sinon il aurait un peu plus douté encore de son implication dans le trafic.
Quoi qu’il en soit, il verrait vite par lui-même que cela n’avait aucun sens. Pourquoi s’adresser elle-même des menaces de mort? Cela l’avait obligé à déménager et à changer de vie, sacrifice qu’elle n’avait évidemment pas aimé faire. Qui se serait infligé ça de son propre chef? C'était absurde.

Quand elle fut de retour chez elle, Kate ne remarqua pas que Dominic l’avait suivi. Et encore heureux pour lui car les tensions qui s’apaisaient peu à peu seraient réapparue à la seconde où elle aurait remarqué sa filature. Selon elle, aller jusqu’à ne pas la lâcher pendant dix minutes tenait de la paranoïa. Elle espérait que le supérieur de l’agent Spacey qui l’avait appelé accepterait de la laisser sans surveillance au bout des trois jours même si l’homme à la tête du réseau n’avouait pas. En tant que citoyenne respectable, elle se disait qu’elle trouverait bien une loi dont elle pourrait se servir, même de façon détournée, pour ne pas avoir quelqu’un sur son dos vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais au fond, elle doutait qu’il existe une loi qui puisse empêcher des agents fédéraux, autrement dit le gouvernement américain, de la surveiller. Pour en avoir le cœur net, il faudrait qu’elle se renseigne auprès d’un avocat. Mais elle n’en était pas encore là. Seul le temps serait en mesure de dire ce qui allait se passer.

Dominic demanda si elle avait trouvé ce qu’elle cherchait, comme s’il n’avait pas vu par lui-même ce qu’elle avait acheté. Tout en se dirigeant vers la cuisine, elle lui répondit:

- Oui, j’ai tout ce qu’il faut.

Il lui fallut un bon quart d’heure de préparation avant de mettre le plat au four. Mais avant la cuisson, elle avait usé d’une petite astuce pour rendre l’aspect plus appétissant. Il suffisait d’enduire le tout avec du jaune d’œuf pour lui donner une couleur dorée. Le goût pouvait être influencé par l’aspect visuel du plat, comme le montrait l’expérience du sirop de menthe: Un verre de grenadine aillant une couleur verte donnait l’impression de boire un sirop de menthe.
C’était tout aussi valable avec le solide.

Alors que la cuisson commençait, Kate sortit de sa cuisine et se dirigea vers son canapé sur lequel elle s’affala. Elle posa son regard sur Dominic et lui demanda:

- Pourquoi vous m’avez demandé un hachis parmentier? C’est votre plat préféré?

Pendant la construction de l'aéroport de l'île, l'architecte avait eu tellement de travail qu'elle rentrait parfois au beau milieu de la nuit, se dirigeait directement vers son canapé et s'y installait en se disant qu'elle n'y resterait que quelques instants, avant d'aller prendre une douche et se coucher. Mais au bout d'une minute, elle s'endormait et ne se réveillait que quelques heures plus tard dans la matinée. En arrivant à New York, elle avait occupé un poste dans l'entreprise de son paternel et bien que là aussi elle avait eu beaucoup de travail, elle avait pu retrouver des horaires fixes.
En ce moment, elle avait souvent l'occasion de s'affaler sur son canapé. Elle y avait lu des annonces pour les locaux de son cabinet d'architecture, y avait lu et rempli de la paperasse, fait des recherches internet pour les curriculum vitae d'éventuels employés et associés et maintenant, son canapé lui servait de point de chute entre deux rendez-vous.

Kate aimait beaucoup sortir, surtout dans la grosse pomme où on n'avait jamais tout vu. Pourtant, elle aimait aussi se retrouver seule chez elle, au calme. Elle avait un petit coté solitaire qui n'avait rien d'incompatible avec son caractère sociable. Le moment qu'elle préférait dans la journée, c'était le début de soirée. Elle appréciait le fait de rentrer dans son petit nid, d'y allumer quelques bougies et de mettre de la bonne musique tout en se préparant à manger. Ou bien en jouer. La brune avait la chance de pouvoir jouer du piano à n'importe quelle heure de la journée. L'instrument était dans le salon et l'étage appartenant au duplex, les voisins du dessus n'étaient pas dérangés. La voisine du dessous était une petite vieille sourde comme un pot et à en juger par le volume de sa télévision lorsqu'elle regardait son soap préféré, elle n'entendrait même pas si son voisin de palier faisait répéter un groupe de death metal chez lui. Quant au voisin d'à coté, c'était un artiste peintre qui aimait le piano. La dernière fois qu'il avait croisé Kate dans l'escalier, il l'avait même complimenté sur son jeu.
Elle pouvait donc jouer comme bon lui semblait, à l'heure qu'elle voulait.

Dominic et Kate avaient deux vies bien différentes l'une de l'autre. On pouvait le constater rien qu'en regardant leurs appartements respectifs ou simplement en jetant un coup d'oeil à leurs cuisines. Si le jeune homme se contentait d'un réfrigérateur, d'un congélateur et d'un micro-onde, la jeune Evans avait une cuisine équipée dont elle ne pourrait pas se passer. C'est bien connu, les hommes ont tendance à être plus négligents que les femmes en ce qui concerne l'aménagement et la gestion de leurs intérieurs.
Kate avait toujours eu une femme de ménage qui s'occupait de l'entretien mais maintenant qu'elle n'avait plus d'employés de maison, elle devait tout faire elle même. Elle s'y était vite habituée et lorsqu'elle faisait le ménage à fond, le duplex avait des allures de maison témoin tant il était impeccable.
Si elle arrivait si bien à maintenir l'ordre dans son logement, c'était sûrement parce qu'elle était perfectionniste et qu'elle aimait l'ordre en général.

A sa question, l'agent du FBI répondit que le hachis parmentier était le seul plat que sa mère savait faire correctement et même qu'il n'en avait jamais mangé un aussi bon que le sien. Avant que Kate ait pu répondre, il lui demanda de lui parler un peu d'elle car il aimerait bien la connaître mieux. La jeune femme fut étonnée par cette demande mais après quelques secondes de réflexion, elle répondit:

- Si vous avez lu mon dossier, vous savez qui sont mes parents, où je suis née et où j'ai vécu, les pays que j'ai visités, quelles études j'ai faites et où, mon numéro de téléphone, ma plaque d'immatriculation... Vous en savez plus sur moi que la plupart des gens qui me côtoient. Et d'ailleurs, je ne sais pas grand chose de vous non plus. Tout ce que je connais de vous, c'est votre nom, que vous ne saviez pas peindre avant de monter chez moi et que vous aimez le hachis parmentier de votre mère. Et je peux vous dire d'avance que vous n'allez pas autant aimer le mien. Quoi que j'aie pu mettre dedans, il ne fera jamais le poids contre celui qu'une maman a préparé avec amour.

Elle ajouta un sourire à sa dernière phrase, tentant habillement de changer de sujet.
Bien qu'elle n'ait jamais ouvert son dossier, Kate savait qu'il y avait une quantité d'informations données sur elle. Celles de son passeport devaient forcément y figurer, donnant ainsi la liste de tous les pays dans lesquels elle s'était rendue et à quels moments. Il y avait son casier judiciaire qui était vierge, son dossier médical qui l'était presque, la liste des établissements scolaires qu'elle avait fréquentés, probablement une photocopie de son permis de conduire, une autre du contrat d'assurance mentionnant jusqu'au modèle de sa voiture...
Kate n'aimait pas parler d'elle et le fait que Dominic puisse en savoir autant sur sa vie avait été une des raisons qui l'avait rendue si froide avec lui. Elle vivait sa protection comme une intrusion dans sa vie privée. Il était à présent chez elle et il serait très difficile pour lui d'être plus proche d'elle qu'il ne l'était déjà. La demoiselle était sur ses gardes et n'avait pas envie d'être plus intime avec lui. Elle n'avait rien contre le fait d'être sympa avec lui mais en aucun cas elle envisageait une amitié. Mais puisque Dominic était là, autant lui faire la conversation et passer un agréable moment. Pour l'instant, elle n'imaginait pas revoir l'homme après qu'il ait fini son boulot.
Et puis s'il voulait vraiment en savoir plus sur elle, il n'avait qu'à regarder autour de lui. Il était profiler et était supposé être très observateur. Kate préférait ne pas trop en dire, n'étant pas particulièrement enchantée à l'idée qu'il puisse déjà analyser ses faits et gestes comme il le ferait avec un psychopathe.
Rien qu'en regardant dans le séjour, il pourrait déjà voir dans la bibliothèque qu'elle avait quelques romans de Mary Higgins Clark, qu'elle avait une quantité impressionnante de cds, un piano, une guitare sèche et plusieurs photos de son groupe d'amis avec dans le fond différents lieux de New York. Rien que ces éléments suffisaient à répondre à ses interrogations. Il pouvait deviner le nom d'un de ses auteurs préférés, sa passion pour la musique et que oui, elle se plaisait ici.

Lorsqu'elle était enfant, Kate n'avait jamais rien volé, pas même le moindre bonbon. C'était toujours valable aujourd'hui. Mais bon, elle n'avait jamais eu besoin de voler pour obtenir quelque chose puisqu'aussi loin qu'elle puisse se souvenir, elle avait eu de l'argent de poche. En fait, on ne pouvait pas vraiment appeler ça de l'argent de poche. Il n'était pas distribué toutes les semaines ou tous les mois comme c'est le cas habituellement. Quand elle demandait, elle recevait un billet. C'était aussi simple que ça.
Il n'y avait donc aucun intérêt pour elle de voler dans les magasins. Quant au fait de voler à une personne, c'était hors de question. Elle se serait sentie trop coupable et puis elle pouvait obtenir ce qu'elle voulait en l'achetant.
C'était encore un aspect qui différenciait l'enfance de Kate de celle de Dominic.
La petite Evans était très rarement punie ou privée de quoi que ce soit. Avec cette description de petite fille à qui on n'enseignait pas la valeur de l'argent et qui n'était presque jamais punie, on pouvait penser qu'elle était la pire des sales gosses, qu'elle était capricieuse et hautaine. Eh bien non. Si son père lui cédait à peu près tout, c'était justement parce qu'elle n'en abusait pas. Elle avait vite constaté qu'il y avait des limites à ne pas dépasser si elle voulait avoir tout ce qu'elle voulait. Elle avait donc très tôt compris l'intérêt qu'elle avait à être une enfant adorable, souriante et polie. Enfin ça, c'était quand son paternel était là. Avec les gouvernantes qu'elle n'aimait pas, c'est à dire presque toutes, elle refusait d'obéir.

A l'école, elle avait toujours eu d'excellentes notes, ce qui faisait évidemment la fierté de monsieur Evans. Kate était d'autant plus déterminée à être la première de sa classe que c'était la seule manière pour qu'il lui montre un peu d'intérêt. Seule ombre au tableau: lorsqu'elle était encore à Seattle, donc jusqu'à ses sept ans, elle était bagarreuse. Ce n'était pas non plus récurrent mais déjà à l'époque, elle n'aimait pas l'injustice. Alors quand les plus petits se faisaient martyriser par les plus grands, elle fonçait dans le tas et donnait de grands coups avec ses petits poings. En général, elle avait gain de cause mais il n'était pas rare qu'elle rentre chez elle avec quelques bleus. Une fois, elle avait même eu un cocard fait par un garçon de trois ans son aîné. Même si c'était elle qui l'avait provoqué, c'est lui qui avait été puni. C'est bien connu, on ne tape pas les filles. Il avait suffit à l'institutrice de voir la bosse violette sur l'arcade de son œil gauche pour la désigner d'office comme la victime. Il faut dire que Kate avait un très joli visage de poupée qui inspirait l'innocence. Comme on dit, on lui aurait donné le bon dieu sans confession. De plus, elle avait sauté une classe, ce qui renforçait cette image.
Elle avait tout de même fini par se calmer. En effet, en second grade elle avait provoqué une bataille de terre. enfin... de boue. Il avait plu toute la nuit et les pluies de Seattle n'étant généralement pas de petites averses, la terre était devenue de la gadoue. Aujourd'hui Kate ne se souvenait plus du motif de la bataille mais elle se rappelait encore très bien s'être cachée derrière un arbre avec quelques camarades pour bombarder d'autres élèves cachés derrière un autre arbre à quelques mètres. Ils n'avaient qu'à se pencher aux pieds de leurs arbres respectifs pour ramasser de grosses boules de terre dégoulinantes et les jeter au groupe adverse. Au bout de quelques minutes, tous les enfants avaient eu les vêtements et le visage tachés de boue. Tandis que les instituteurs se précipitaient pour arrêter le massacre, Kate était penchée en avant pour constituer une boule et en reçu une en plein dans la tête. Un caillou était à l'intérieur et il lui avait ouvert le sommet du crâne. Résultat: trois points de suture. Ce n'était vraiment pas grand chose mais même si elle était revenue à l'école fière de sa "blessure de guerre" qui tint en respect ses camarades, amis comme adversaires, elle se dit qu'il était temps de s'assagir.

A voir Dominic, la brune aurait pensé qu'il était un peu du même genre étant enfant et n'imaginait pas qu'il ait pu être un petit garçon timide et effacé. Il n'y avait qu'à le voir maintenant, avec tous ses muscles et son sourire à faire tomber. Les types hyper-baraqués, ce n'était pas le genre de Kate mais Dominic était musclés sans avoir l'air d'être drogué aux stéroïdes. Dans d'autres circonstances, il aurait pu plaire à la jeune femme, autant par son physique que par sa personnalité. Pour l'instant, elle ne savait quasiment rien de sa personnalité mais jusque là, elle avait l'air plutôt plaisante.

Lorsque la demoiselle répondit à son garde du corps qui voulait en savoir un peu plus sur elle, il parut clairement surpris. Il était figé, son pinceau en l'air. Kate haussa les sourcils, elle même étonnée de sa réaction. Elle le fut encore plus lorsqu'il affirma devoir passer un coup de fil après un long silence. Elle ne répondit rien et le regarda sortir de l'appartement. Un sourire s'afficha sur son visage, traduisant son amusement à lui avoir rabattu le caquet sans même le vouloir. Elle n'avait pas eu l'impression de se montrer froide. Du coup, elle se demanda comment il réagirait si elle lui montrait ne serait-ce qu'un dixième de la répartie cinglante dont elle faisait preuve sans mal.
Quelques minutes plus tard, Dominic revint et adressa un regard à Kate. Cette dernière reporta son regard sur lui et attendit de voir s'il allait se décider à reprendre la conversation ou s'il était trop vexé pour ça.

Au moins, Dominic savait à quoi s'en tenir avec sa protégée. Elle voulait bien être aimable, le laisser entrer chez elle et lui faire à manger en échange d'un coup de main en peinture mais elle n'avait pas envie de parler d'elle. Elle était plutôt mystérieuse, même avec ses amis. Alors il n'y avait pas de raison pour qu'il en soit autrement avec un agent fédéral qu'elle ne connaissait que depuis une heure à peine. La jeune femme n'était pas non plus une sauvage. Ses amis savaient quel était son métier, les endroits où elle avait vécu, ses goûts musicaux... bref, tout ce que les amis savent habituellement les uns des autres. En revanche, elle ne se confiait jamais sur ses sentiments profonds, sur les choses qui l'affectaient. Mais à l'inverse, elle était toujours là quand on souhaitait se confier ou qu'on avait besoin d'aide. Elle n'était pas du genre à vouloir prêcher la bonne parole mais elle faisait de son mieux pour donner les bons conseils quand on en attendait.

Tandis que le peintre en herbe terminait sa première œuvre, la brune se leva et alla dans la cuisine pour prendre de quoi mettre la table. En silence, elle disposa deux sets, deux assiettes, deux paires de couverts et deux verres sur la table de la salle à manger. Il était rare qu'elle mange à cette table. Cela n'arrivait que lorsqu'elle recevait des amis car elle préférait se faire des plateaux-télé. C'était même la première fois qu'elle partageait un repas en tête à tête avec un homme dans cet appartement. Il en était de même avec la maison que ses grands parents maternels lui avaient laissée et dans laquelle elle avait habité à son arrivée à New York, jusqu'à ce qu'elle déménage dans ce duplex.
Kate n'invitait jamais ses petits amis chez elle. Ils venaient la chercher mais ne restaient que le temps de prendre un verre. C'était un moyen de préserver son intimité et son indépendance. Mais Dominic n'était pas un petit ami, il n'y avait donc pas d'entorse à la règle.

La table fut prête au moment où l'agent donnait son dernier coup de pinceau. La jeune femme lui adressa un sourire et sortit le plat du four. L'odeur appétissante qui s'en échappait suffisait à annoncer le début du repas. L'homme n'avait plus quà suivre son hôte jusqu'à la table.

En plus d'avoir l'avantage d'être spacieux et lumineux, le duplex était meublé et décoré avec goût. En tant qu'architecture, Kate avait un très bon sens de l'harmonie. Elle savait comment aménager les pièces pour optimiser l'espace. L'appartement n'était pas luxueux en lui-même mais la façon donc il était agencé et décoré donnait une impression de grand confort. Ce n'était pas un logement que pouvait s'offrir la classe moyenne mais il était encore très loin de ce que la jeune femme se serait acheté si elle était encore millionnaire. Mais même si l'immense villa qu'elle avait sur l'île lui manquait, elle aimait beaucoup ce duplex. En fait, il n'y avait pas que sa villa qui lui manquait, l'île entière lui manquait, ses lieux, sa tranquillité, ses habitants...
Il n'y avait pas un endroit plus différent de cette île que New York. Les gens y vivaient à cent à l'heure, le stress et l'agitation faisaient partie du quotidien et la ville était si grande qu'il était rare de croiser une connaissance. Cela n'empêchait pas la jeune femme de s'y plaire. Elle connaissait cette ville depuis qu'elle était enfant et s'y était faite très vite après son arrivée. Elle y avait déjà certaines attaches comme un travail, des amis, des lieux favoris qui lui avaient donné le sentiment d'être chez elle.

Dominic lui demanda où était la salle de bains pour qu'il puisse se laver les mains. Elle posa le plat sur la table et lui répondit:

- Elle est à l'étage, deuxième porte à gauche.

Pendant qu'il se lavait les mains, la jeune femme alla jeter un coup d'œil à son travail. C'était presque parfait, elle n 'aurait pas fait mieux. L'agent avait mis un certain temps à peindre mais au moins il l'avait fait correctement et proprement. Finalement, il était plus doué que ce qu'il pensait. Pour une première fois, c'était très réussi.
Quand il revint dans la salle à manger, Kate était en train de le servir. Sans qu'elle s'y attende, il admit qu'il n'aurait pas du lui demander de parler d'elle. Elle leva alors les yeux vers lui et l'écouta poursuivre. Il dit avoir conscience de faire irruption dans sa vie et qu'elle aurait certainement préféré ne jamais le connaître. A cette déclaration, la concernée n'eut aucune réaction apparente. Elle le regardait d'un air neutre et ce n'est que lorsqu'il se montra peu ravi à l'idée de passer trois jours en silence qu'elle eut un fin sourire. Pour qu'ils communiquent ces trois prochains jours, il faudrait encore qu'elle le laisse à nouveau rentrer chez elle et aujourd'hui faisait figure d'exception. Gardant cette réflexion pour elle, elle lui tendit son assiette et se servit à son tour. Une fois assise, elle lui répondit:

- De toute façon il n'y a rien à savoir sur moi, je suis une fille terriblement banale et ennuyeuse.

C'était faux, Kate avait une vie hors du commun. Mais elle n'avait pas envie de raconter quoi que ce soit sur elle et elle prenait un malin plaisir à donner une mauvaise perspective des jours suivants à Dominic.