Nora venait encore de passer un petit-déjeuner le nez dans sa tasse de café. Elle avait soigneusement évité de croiser le regard de son père et avait fait mine de ne pas l’entendre lorsqu’il lui parlait. Ces temps-ci, à chaque fois qu’il lui parlait, c’était pour lui faire un nouveau reproche. « Tu ne fais pas assez d’efforts, Nora. », « Tu ne souris pas assez, Nora. » ou encore « Tu devrais m’être plus reconnaissante pour ce que je fais pour toi. ». Elle l’ignorait ainsi pour ne pas en arriver à le haïr complètement. Tu parles d’un service qu’il lui rendait ! Il n’avait fait que compliquer sa vie. Elle se portait très bien avant ces fiançailles, elle n’avait pas besoin d’un homme dans sa vie, elle n’avait pas besoin de se marier pour estimer avoir réussi sa vie. Elle voulait simplement finir ses études, accomplir les objectifs professionnels qu’elle s’était fixé, et voir plus tard pour trouver un quelqu’un avec qui partager sa vie. Clairement, son père n’avait pas compris ou n’avait pas voulu y prêter attention. Après tout c’était lui le chef de famille, lui qui prenait les décisions pour tout le monde parce qu’évident il ne prenait que les bonnes et ce pour le bien de tout le monde, et personne n’avait son mot à dire. C’était bien ça le problème de la jeune femme. Elle avait été élevée comme ça, elle ne pouvait pas contredire son père. Elle ne pouvait pas refuser de lui obéir même si elle n’approuvait pas ses choix. C’était un problème permanent, elle n’arrivait pas à se le sortir de la tête. Devait-elle arrêter de l’écouter et d’être sa marionnette ? Pouvait-elle seulement le faire ? Elle ne pouvait pas s’y résoudre. Elle l’aimait, il avait toujours beaucoup fait pour elle et leur famille, et cet amour l’aveuglait. Quelque part, quelque chose en elle était convaincue que ce mariage était une bonne chose... Une toute petite part mais assez grande pour qu’elle réussisse à s’exprimer à chaque fois qu’elle remettait le « pouvoir » de son père en cause. Elle finissait toujours par se dire qu’elle avait eu raison d’accepter ces fiançailles même s’il était évident qu’elle et Alec n’étaient pas faits pour être ensemble et ne le seraient sans doute jamais.

Aussi appliquée dans sa tâche qu’elle l’était, Nora avait tout de même entendu quelques-unes des paroles de son père. Une en particulier lui avait fait relever la tête de sa tasse. « Tu sais, je suis allé jeter un coup d’œil à l’appartement dont parlait le père d’Alec, sur Park Avenue. Il avait raison, vous y seriez bien tous les deux. » La jeune femme avait immédiatement regardé son père en fronçant les sourcils. C’était leur dernière trouvaille, ça. Ils ne l’avaient pas dit clairement, mais au cours du dîner l’autre soir, les deux pères avaient sous-entendu qu’ils seraient bien qu’Alec et Nora vivent ensemble. Une autre vaste blague. Elle n’avait rien répondu et était sortie de table tout de suite après. Elle avait pris sa veste, son sac puis était sorti de la maison. Enfin, comme elle avait quelques heures de libre avant son premier cours de la journée, elle avait décidé d’aller voir Alec pour parler du problème qui se faisait de plus en plus important à gérer. Ils ne pouvaient pas accepter ça. La situation serait encore plus invivable, elle et Alec finiraient par ne plus se supporter. Et elle ne voulait pas de ça. La jeune femme entra son souci dans l’immeuble de son « fiancé » et monta les escaliers quatre à quatre. Elle était toujours en colère après son père et elle avait hâte d’en avoir fini avec cette histoire. De plus en plus, elle se disait qu’elle ne pouvait plus support ce cirque et qu’elle devait une bonne fois pour toutes mettre fin à tout ça et annuler les fiançailles. Elle se le représentait très bien, dans sa tête. Il ne lui restait plus qu’à passer à l’acte. Une jeune femme blonde lui ouvrit. Surprise de ne pas tomber sur Alec comme prévu, elle resta interdite quelque secondes puis revint à la réalité lorsque celle-ci lui parla. « Hum bonjour, je peux vous aider ? » Nora la fixa quelques instants. « Vous n’êtes pas Alec. » constata-t-elle un arquant un sourcil. Elle brûlait de lui demander qui elle était et qu’est-ce qu’elle faisait ici à une heure pareille mais il lui vint à l’esprit qu’elle s’était peut-être trompée d’appartement. « Je me suis sans doute trompée d’appartement. » reprit-elle en toute hâte. A sa connaissance, Alec n’avait pas de colocataire blonde.

Nora se sentait stupide. Se tromper d’appartement ne lui était jamais arrivé et c’était une position assez désagréable. Elle venait de déranger cette fille pour absolument aucune raison et elle n’aimait pas ça. Surtout qu’à présent elle ne savait pas quoi lui dire. Bien sûr, elle avait besoin d’aide, mais pouvait-elle la déranger un peu plus ? Pour sa défense, c’était la première fois qu’elle venait voir Alec ici. Il était donc logique qu’elle soit trompée d’étage ou d’appartement. Ca arrivait à tout le monde après tout. Ça ne l’empêchait pas d’être gênée. Réalisant qu’il ne s’agissait pas d’Alec, la jeune femme fit une remarque très perspicace. Un silence s’installa ensuite entre elles et elle se sentit observée. Elle observa donc à son tour la belle blonde qui se tenait en face d’elle. Elle était magnifique. Vraiment. Nora se sentait quelconque face à elle. En plus de ça, elle ne portait aucun maquillage, aucun artifice. Simplement vêtue d’une chemise d’homme, elle rendrait sexy n’importe quoi, même un sac poubelle. La brune allait s’excuser et partir lorsqu’elle fut coupée. « Non à vrai dire vous êtes au bon endroit. » Nora la fixa, bouche bée, quelques instants. Elle ne s’était pas trompée alors ? Cette magnifique blonde vivait avec Alec ? A en juger par la chemise qu’elle portait qui appartenait surement à Alec, elle ne devait pas être une simple colocataire. Il avait donc une petite amie. Elle n’avait rien contre cette idée, après tout, ils avaient beau être fiancés, ils n’avaient rien d’un couple. Ils n’auraient même jamais rien d’un couple. Mais ça aurait pu éviter des situations embarrassantes comme celle-ci. Surtout que si cette fille, cette supposée petite-amie n’était pas au courant de leur situation, elle n’allait surement pas comprendre pour une fille se pointait chez son copain à une heure si matinale. Nora déglutit puis hocha la tête. C’était vraiment gênant et finalement elle aurait préféré s’être trompée d’appartement. Elle se sentit observée à nouveau. « Il n’est pas là pour le moment. » Parfait, c’était parfait. Ça lui donnait une bonne excuse pour s’enfuir. « Oh, d’accord. Je repasserais plus tard alors, désolée pour le dérangement. Si j’avais su qu’Alec n’était pas seul je serais venue à un autre moment. » Plusieurs longues secondes passèrent durant lesquelles Nora attendait que la jeune femme lui réponde. Ce n’était pas vraiment poli de s’en aller comme ça. « Je m’appelle Azylis. Vous êtes ? » Azylis. Non, vraiment, Alec ne lui avait jamais parlé d’elle. En même temps, ils ne se disaient pas grand-chose de personnel. Cette fille l’impressionnait un peu, même si elle se montrait détachée et indifférente. S’il s’avérait qu’elle était sa petite amie, elle s’imaginait finir la tête arrachée. Enfin peut-être pas mais ça n’allait surement pas être jolie quand elle saurait qui elle était. « Nora… Je suis… » Elle hésita. Elle ne pouvait pas se présenter comme étant la fiancée d’Alec. Pas là. Dans certaines situations ça aurait pu l’aider mais là elle avait le sentiment que ce ne serait pas le cas. Surtout qu’elle n’en était pas vraiment contente de ce lien qui les unissait. « Une amie d’Alec. » finit-elle par dire. « Vous savez quand il rentre ? » Le problème qu’ils avaient était quand même assez important pour qu’ils en parlent. Seulement, elle ne savait pas si ça valait le coup de l’attendre et de louper ses cours. « Vous pourrez lui dire que j’ai besoin de lui parler et que c’est très urgent ? S’il vous plait ? »

La situation était de plus en plus gênante. Après avoir cru s’être trompée d’appartement, Nora avait appris qu’elle se trouvait en fait bien chez Alec et que c’était sa petite amie visiblement qui se trouvait en face d’elle. Enfin, c’était ce qu’elle en avait déduit vu la tenue que portait la jolie blonde. Elle voyait mal une de ses amies ou une cousine porter, en tout et pour tout, la chemise du jeune au saut du lit. Nora était donc affreusement gênée et regrettait d’être venue voir le jeune homme pour régler leur problème plutôt que de simplement l’appeler. Et une fois de plus, évidemment, elle maudissait la situation, maudissait leurs parents, se maudissait elle-même pour n’être qu’un pantin et ne rien faire pour sortir de ce rôle qu’on lui avait donné. Elle se sentait d’autant plus mal à l’aise qu’Azylis l’observait avec insistance. En même temps, elle non plus ne pouvait pas s’empêcher de l’observer et de la détailler. Elle était vraiment belle… Elle comprenait pourquoi, s’il s’avérait que c’était effectivement le cas, Alec sortait avec elle. Azylis était grande, blonde, magnifique. Le genre mannequin suédois qui rendait fous tous les hommes sur son chemin. Nora ne doutait pas qu’elle avait d’autres qualités en dehors de celles qui étaient purement physiques. Nora se présenta comme une amie du jeune homme. Pas sûr que la demoiselle apprécie si elle se présentait en tant que sa fiancée, d’autant plus si elle n’était pas au courant. « Sa fiancée… » Ah eh bien visiblement, elle était au courant. Nora resta interdite quelques instants, ne sachant pas comment agir. Elle attendait une quelconque réaction de la part d’Azylis, histoire de savoir si elle pouvait rester ou si elle devait partir en courant. La blonde se contenta de la fixer, son faire passer aucune émotion, aucune réaction. Pour éviter qu’un trop grand silence ne s’installe, Nora se décida à demander si elle savait quand il rentrerait. « Franchement, je me posais la même question. Il n’était plus là quand je me suis levée. » Nora se mordit la lèvre, pensivement. Bon comme rien n’était sûr, il valait peut-être mieux qu’elle s’en aille. Elle ne se voyait pas l’attendre à la porte et encore rentrer et rester avec Azylis jusqu’à ce qu’il ne rentre. Plus awkward on ne faisait pas : il y aurait un énorme silence et elles ne feraient que se regarder en chien de faïence. « Hum dans ce cas je pense que je vais rentrer alors. Et je l’appellerais un peu plus tard. C’est que j’aurais dû faire au lieu de venir ici en fait. » Seulement elle n’eut pas le temps de faire volte-face qu’Azylis prit la parole. « Hum bien sûr… Mais vous voulez entrer ? Enfin ce n’est définitivement pas chez moi mais… j’me vois mal vous faire attendre dehors. » Quand la jeune femme lui proposait à voix haute, ce n’était plus pareil. Ce serait surement malpoli de refuser son invitation et Nora préférait passer un mauvais gênant plutôt que d’être désobligeante envers une inconnue. Elle hocha donc la tête et un sourire timide apparut sur ses lèvres. « Hum, oui, merci. » Seulement, au lieu d’entrer, elles passèrent encore un petit moment à s’observer silencieusement. Nora put voir à quel point elle était belle, quelle prestance elle avait. Elle se sentit tout de suite ridicule à côté même si elle avait elle aussi quelques atouts. « Donc euh… On entre ou on l’attend ici ? » Ce n’était pas que cela la dérangeait mais bon c’était suffisamment bizarre comme ça. Azylis l’invita finalement à entrer et elle la suivit jusqu’au salon, découvrant pour la première fois l’appartement de son fiancé. Avant que la blonde ne se mette à parler à nouveau, Nora reprit la parole. « Alors vous êtes euh… La petite amie d’Alec ? Enfin… Ça ne me dérange pas du tout vous savez, c’est juste qu’il ne m’avait jamais parlé de vous alors. » Ce n’était pas forcément délicat de sa part d’aborder un tel sujet tout bien réfléchi. Mais bon c’était ce qu’elle avait trouvé de mieux pour briser la glace. Puis cette question la titillait depuis tout à l’heure. « Enfin excusez-moi ça ne me regarde surement pas. »