Comme tous les matins Victoria devait appeler sa fille trois fois avant qu’elle ne daigne se lever de son lit. Elle avait cinq ans d’accord, mais elle allait à l’école et Victoria était toujours prête pour aider sa fille à se laver et s’habiller avant qu’elle ne prenne son petit déjeuner. Quand tout cela fut fait, elle alla la déposer à l’école. Là-bas, la maîtresse lui rappela la sortie prévue la semaine suivante. Elle avait bien fait, ça lui était complètement sorti de la tête. Du coup, elle prit son agenda dans son sac à main et nota dessus de revoir avec sa fille la sortie. Elle avait tous les papiers à la maison, il fallait qu’elle les relise. Allant ensuite au travail, elle commença par son boulot au cabinet. Trois patients plus tard, elle partait pour l’hôpital. Là-bas, elle s’occupait de patients et également d’anciens militaires. Ces derniers avaient besoin de rééducation et Victoria était là pour ça. Elle ne travaillait là que depuis janvier, mais elle avait déjà eu de bon rapport avec certains militaires. Allant au carré des infirmières, elle demanda les dossiers de ses patients et partit avec dans les vestiaires. Tout en lisant le premier dossier, elle mit sa blouse et prit le tas de dossier, tout en continuant la lecture. Elle ne vit donc pas Sullivan qui était à quelques centimètres de lui rouler dessus. Fermant vivement le dossier, elle regarda le jeune homme, tout en l’écoutant. Elle avait vu dans son dossier les propos du psy et du médecin qui s’était occupé de lui après son accident. Elle savait donc qu’il n’était pas des plus souriants. Seulement, ce dernier enchaina tellement vite paroles et actions qu’elle fronça les sourcils.

Oh très bien Monsieur Novak. Vous pouvez y aller, continuez comme ça. Je suis sûr que votre psy, votre mère et votre médecin seront content de savoir que vous ne venez pas aux séances.

Elle avait un ton calme, mais ferme. Du coup, elle tourna les talons et fit quelques pas avant de se retourner.

Je n’ai pas pour habitude de forcer mes patients à venir aux séances de rééducation. Seulement votre dossier médical, qui est riche en commentaires, de la part de mes confrères et supérieurs me fait penser que vous n’aimez pas qu’on vous contredise.

Allant vers le jeune homme, elle mit les dossiers sous son bras gauche et attrapa les poignées du fauteuil, le faisant faire demi-tour, ayant fait attention à ce que ses mains ne soient pas sur les roues.

Je suis là pour être votre médecin Monsieur Novak et vous allez venir à cette séance. Maintenant que vous êtes là, ça serait dommage d’être venu pour rien.

Continuant de marcher, elle le fit entrer dans une pièce qui était simple. Une table au milieu, le long du mur, une armoire avec de dans tout le matériel nécessaire pour les séances qu’elle donnait.

Je dois aller vérifier une chose avec une infirmière. Pendant ce temps, je vous laisse monter sur la table.

Elle avait bien comprit qu’il ne voudrait pas d’aide. Elle le laisserait donc faire, se demandant s’il y parviendrait seul ou s’il allait ravaler sa fierté pour qu’elle puisse l’aider.

Avec le temps, prendre le dessus et mettre de côté l’es envies de ses patients était ce qui aidait Victoria à pouvoir mieux les aider. Avec Sullivan, elle savait qu’elle ne devait pas être une petite chose fragile. Elle devait se montrer ferme et en même temps, chercher à être subtile. Sinon, elle ne parviendrait à rien avec lui. Elle avait lu les différentes remarques des autres médecins qu’il avait vus depuis son accident et elle savait qu’elle allait devoir sortir les griffes pour se faire respecter. Seulement, elle devait faire attention et ne pas foncer tête baissée. Du coup, elle décida d’abord de prendre son fauteuil en main et donc de le conduire vers la salle qui leur servirait pour leur séance. Une fois dans la pièce, elle expliqua qu’il devait monter sur la table et qu’elle revenait. Elle devait déposer les dossiers qu’elle avait avec elle dans son bureau. Comme elle ne travaillait pas là à plein temps, elle partageait son bureau, mais ça ne l’a dérangeait pas plus que ça. Y allant donc, elle posa les dossiers sur le bureau, vérifiant à nouveau celui du jeune homme. Air professionnelle et elle fila jusqu’à la salle, y entrant et fermant la porte derrière elle tout en écoutant ce que disait le jeune homme. Il était décidé à ne pas la laisser faire facilement apparemment. Le regardant, elle fut donc très attentive et hocha la tête.

Ca fait longtemps que je n’ai pas été au théâtre, alors vos scènes de vierge effarouchée m’intéressent beaucoup. Après tout, je n’ai encore eu jamais de patients qui soient allé aussi loin. Toutes nouvelles expériences est bonne à prendre.

Elle disait cela sérieusement. Victoria ne comptait pas se laisser faire et si Sullivan devait crier, qu’il le fasse, parce qu’elle ne laisserait pas tomber aussi facilement. Du coup, elle se tourna, pour aller nettoyer ses mains dans le petit évier qu’il y avait dans le coin de la pièce. Elle l’écouta à nouveau parler et eut un sourire, mais comme elle était dos à lui, il ne pouvait pas le voir. Sur le moment, elle en fut contente. Reprenant donc un air sérieux, elle prit de quoi s’essuyer les mains, avant de mettre les morceaux dans la poubelle.

Je suis mieux que mes collègues ? Absolument pas. Chacun à sa façon de faire et son domaine. Pour ma part je suis là pour masser vos jambes et faire en sorte que vos muscles soient toujours stimulés pour que vous n’ayez pas à resté dans un lit jusqu’à la fin de vos jours.

Tout en parlant, elle alla chercher une crème qu’elle voulait mettre sur les jambes du jeune homme. Elle ne commencerait pas tout de suite avec, d’abord un massage pour voir comment étaient ses jambes sous ses mains et donc sentir les endroits qui devaient être plus stimulés par les massages. Attrapant également deux serviettes, elle se retourna pour reprendre la parole.

Je suis professionnel Monsieur Novak. Je suis là pour vous aider. Maintenant si vous voulez crier, c’est votre droit. Je suis sûr qu’en quelques secondes des gens vont ouvrir la porte pour voir ce qui se passe. Alors, pour faire plus simple, on va laisser la porte ouverte.

Déposant une serviette assez longue sur la table à côté de la tête du jeune homme, elle alla vers la porte et l’ouvrit en grand. D’habitude, elle fermait, pour que les patients ne soient pas gênés et elle se demandait si ça serait le cas pour le jeune homme. Puis, elle prit le tabouret qui n’était pas loin et l’amena près de la table et regarda le jeune homme.

Le plus facile soyez que vous enleviez votre pantalon. Je vais donc attendre que ça soit le cas et la serviette vous aidera à cacher votre entre jambe si vous préférez ça, en plus de votre sous-vêtement.

Elle se retourna, dos à lui, vérifiant certaines choses, pour qu’il enlève son pantalon tout seul. S’il avait besoin d’aide, elle le ferait, mais comme pour pouvoir monter sur la table, elle doutait qu’il accepte, donc elle attendit patiemment qu’il enlève son pantalon.

Elle ne pû s’empêcher de sourire à ses paroles. Elle voyait bien qu’il était plus qu’ennuyer d’être ici, mais ça l’a faisait sourire. Les médecins qui avaient mit des commentaires dans son dossier médical, étaient loin de la vérité à propos de ce patient. Restant malgré tout professionnelle, elle lui demanda d’enlever son pantalon, pour pouvoir le masser. Se mettant de dos, elle voulait le laisser faire seul. Cependant, elle fut surprise quand il refusa. Il était bien monté sur la table seul, alors, il pouvait bien enlever son pantalon seul, non ? Seulement, elle percuta sur ses paroles. Levant les yeux au ciel, elle soupira, mais ne dit rien. Comment lui faire comprendre qu’il devait enlever son pantalon, sans qu’il en face tout un plat ? Tout en réfléchissant à une façon de faire, elle l’écoutait parler. A sa dernière remarque, elle se tourna vers lui, les sourcils haussés.

Donc, vous baissez les bras ?

Croisant les siens sur sa poitrine, elle fronça les sourcils en le regardant.

Avant tout, laissez-moi vous répondre.

Elle était bien décidée à le faire. Se postant au bout de la table, les bras toujours croisés, elle inspira et expira avant de prendre la parole.

Cette fameuse liste de personnes qui vous emmerdent, va rester ainsi tant que vous n’aurez pas coopéré. Ses mêmes personnes sont là pour vous aider. Oui, vous avez perdu l’usage de vos jambes pour vous déplacer et oui c’est une chose qui ne devrait jamais arriver, à personne. Seulement, ça vous est arrivé à vous. Aujourd’hui, vous devez faire face à cet état, qui vous force à vous déplacer dans un fauteuil roulant. Toutes ses personnes, sur cette liste, elles sont là pour vous aider. Moi, mon travail, c’est de vous masser les jambes, pour qu’elles ne soient pas complètement ankylosées. Si elles le deviennent, vous ne pourrez même pas les porter vous-même, pour les mettre dans le fauteuil.

Victoria avait un ton calme, expliquant simplement les choses, pour qu’il les comprenne.

Pour ce qui est de mon professionnalisme, je l’ai avec chaque patient. Que ce dernier soit consentant ou non sur la séance que nous devons avoir. Je suis médecin, pas votre mère. Je me fiche qu’elle prenne soin de vous en temps normal ou qu’elle vous laisse de côté. Je me fiche de votre histoire personnelle, sauf si elle est importante pour votre guérison. Chez vous, ça ne semble pas être le cas, vu qu’aucun médecin n’a mentionné quelque chose à ce sujet. Vous êtes donc là, comme un grand garçon. Vous êtes un adulte Monsieur Novak, alors comportez comme tel et non pas comme un petit garçon de cinq ans qui a peur d’avoir mal, avant même d’avoir essayer quoi que ce soit.

Se rapprochant du jeune homme, elle se mit à la hauteur de ses hanches et le fixa dans les yeux.

Mon professionnalisme est également là quand un patient ou une patiente doit se déshabiller pour que je le ou la masse. Les vêtements m’empêchent de faire mon travail convenablement. Alors, soit vous enlever votre pantalon, soit je me ferai un plaisir d’aller chercher deux infirmiers qui le feront à votre place.

Rester calme et ne pas avoir peur de ce que le jeune homme pourrait dire était les mots d’ordres de leur séance. Victoria avait prit en compte ce que ses collègues avait écrit sur le jeune homme. Aucun n’avait tort, seulement, elle fut surprise par la réaction de son patient. Elle qui pensait pouvoir le faire changer d’avis après son discours, fut bien surprise. Elle voyait que ça n’allait pas. Qu’il n’allait clairement pas bien. Le voyant se tourner et avoir les jambes dans le vide, elle fronça les sourcils. Mais encore plus quand il attrapa son poignet. Devant donc resté près de lui, vu la force qu’il mettait dans sa prise, elle garda les sourcils froncés, tout en le regardant. Elle n’avait pas peur de lui et elle ne comptait pas lui faire le plaisir de se débattre. Attentive à ce qu’il disait, elle trouverait peut-être la faille qui ferait qu’il céderait à un massage. Elle fut percutée de plein fouet par ses paroles. Elle comprenait un peu mieux, mais seulement un peu, ce qu’il voulait dire. Ce qu’il pouvait ressentir, n’était pas ce que tous les médecins avaient écrit sur lui. Ils s’étaient finalement perdu dans des théories physique du jeune homme et pas mental. Elle resta silencieuse, tout en le fixant. Sur ce coup là, elle ne savait pas comment réagir. Cependant, elle savait qu’elle ne pouvait pas rester dans cette situation.

Vous êtes venu jusqu’ici, alors pourquoi refusez un massage ?

Baissant les yeux sur sa main qui recouvrait son poignet, elle posa sa main libre sur celle du jeune homme.

Si vous ne vouliez pas venir, vous auriez dû rester chez vous.

Levant les yeux vers lui, elle soupira doucement.

Vous me faites perdre mon temps Monsieur Novak. J’ai des patients dans le même état physique que vous ou bien pire, qui eux ont besoin de soins, parce qu’ils savent qu’ils en ont besoin. Ils savent qu’ils ont besoin d’un massage pour que leur corps ne soit pas un légume. Ils savent qu’ils en ont besoin, parce que c’est le seul moment de leur journée, voire même de leur semaine ou ils n’ont pas à s’en faire de leur différence. Je m’occupe de cette différence et ils ont l’esprit libre pour penser à autre chose qu’à leur handicap.

Levant la main, elle retira les doigts du jeune homme de son poignet et elle s’assit à côté de lui sur la table.

Vous pensez sincèrement que je n’ai pas de démon, ni de faiblesse ? On en a tous. Qu’ils soient physiques ou mentaux. Je fais ce métier depuis des années, j’ai rencontré un tas de patients. Je peux vous dire que les enfants que je soigne sont bien plus adultes que vous aujourd’hui. Vous souffrirez toute votre vie de ce handicap, je le sais. Evidemment, je ne sais pas ce que ça fait et même si pendant une journée je me retrouvais dans votre état, ça ne m’aiderait pas plus à le comprendre. Seulement, je suis là pour vous aider, pas pour vous punir. Alors, si vous ne voulez pas de mon aide, rentrez chez vous. Je ne vous retiendrez plus désormais. C’est votre choix.

Elle posa une main sur l’épaule du jeune homme et se leva de la table. Elle alla directement vers tout ce qu’elle avait sortit pour le masser. Elle n’en avait plus besoin, alors autant tout ranger pendant qu’il fuirait la séance.

Victoria & Sullivan ❝ highway to hell ! ❞

Haha, Sullivan s’était attendu à se faire ni plus ni point taper sur les doigts ! Mais être comparé à un simple enfant blessait tout de même son égo. Les enfants ne pouvaient pas être plus adultes que lui, du moins pas à son sens, et pas alors qu’en temps normal, il combattait son handicap avec fière allure. Il n’aimait pas que l’on s’apitoie sur son sort à vrai dire. Cette kiné en avait de la volonté et ne lui envoyait pas dire mais il n’en demeure pas moins que Sullivan commençait à fatiguer à force d’être considéré comme un vulgaire morceau de viande que l’on trimballe, examine et que l’on ne laisse pas s’exprimer. Il n’avait plus de vie à lui ! Chaque moment était vécu au rythme de quelqu’un d’autre, qu’il soit médecin, de sa famille ou encore une vulgaire connaissance souhaitant faire une simple BA dans sa morne existence. En l’occurrence, Sullivan était agacé dès que quelqu’un ouvrait la bouche à proximité de lui. Cela devenait insupportable à la longue, mais ça non plus, Victoria ne pouvait guère le comprendre. « A vrai dire, ce que je condamne ce n’est pas votre acharnement à faire votre boulot –je dois dire que même moi je vous accorderais volontiers un Oscar si j’étais en passe de don– mais plutôt le fait que vous ne voyez pas l’évidence : à quoi ça sert, hein ? A part éviter que mes muscles ne s’atrophient d’accord j’ai compris je ne suis pas sourd et encore moins stupide ! J’ai vu des tonnes de médecins, tous plus diplômés les uns que les autres et au final, toujours la même déception à la longue. Je suis bloqué dans ce putain de fauteuil et ma vie n’est plus à moi. Vous ne pouvez pas saisir le concept, d’accord… mais je pense que ça vous ferait enrager également à ma place. »

Sullivan, contre toute attente, ne bougea pas d’un millimètre. Il ne s’était pas relevé, n’avait pas cherché à regagner seul son seul moyen de transport et réfléchissait simplement en soupirant. Il ne la regardait pas ranger tout son précieux matériel à la noix et poursuivit donc, comme imperturbable : « Donnez-moi une bonne raison de poursuivre puisque vous avez vu des tas de patients et que des gamins en savent sûrement plus que moi ! Voyons si vous aurez aussi réponse à tout pour ce genre de question, doc’. »

Il résistait plus qu’elle ne l’avait imaginé. Seulement, Victoria n’était pas du genre à baisser les bras. Même si l’heure tournait et qu’il n’y aurait certainement pas de séance, vu la façon dont ça se passait, elle décida de parler. Après tout, c’était peut-être ça dont il avait besoin. Elle en doutait, mais elle décida d’être claire de son côté, avant de se mettre sur ses deux pieds pour commencer à ranger les affaires qu’elle avait sortit et qui ne serait plus nécessaire. Cependant Sullivan prit la parole. Se stoppant, elle l’écouta parler. Il avait donc bien besoin d’exprimer ce qu’il ressentait. Il n’était pas du genre à aller chez le psy de son plein gré. Il y avait eu des commentaires de la part d’un psy. Il n’était pas particulièrement positif, mais la jeune femme comprenait alors que le jeune homme baissait les bras. Reprenant ses mouvements, elle rangea tout ce qu’elle avait devant elle, avant de l’écouter parler, mais cette fois-ci, elle continua de bouger. Fermant l’armoire, elle se retourna vers lui.

Je vais vous en donner plusieurs.

Se rapprochant du jeune homme, elle avança son fauteuil roulant vers lui.

Il faudrait que vous reveniez là-dedans.

Comme il ne bougeait pas, elle soupira, levant les yeux au ciel et elle essaya de le porter, mais elle n’y parvenait pas. Pourtant, elle arrivait en général, mais elle comprit qu’il n’allait pas lui faciliter la tache. Du coup, elle se redressa, les joues un peu rouge sous l’effort et elle croisa les bras sur sa poitrine.

Sérieusement ? Vous jouez les poids morts juste pour m’ennuyer ?

Secouant la tête, elle leva à nouveau les yeux en ciel en décroisant les bras.

Dans ce cas, ne bougez pas d’ici, je reviens avec mes bonnes raisons.

Sortant de la pièce, elle laissa la porte ouverte et partit vers les ascenseurs. Allant trois étages au-dessus, elle alla chercher deux patients. Descendant ensuite de deux étages, elle demanda à une jeune fille de venir avec elle et finalement tout les quatre, ils allèrent voir Sullivan. Les laissant entrer d’abord, elle savait que le jeune homme allait les voir en premier et que c’était le mieux.

Monsieur Novak, je vous présente Carrie, Jesse et Robert.

Chacun leva la main quand son prénom fut prononcé. Fermant la porte derrière elle, elle ne voulait pas que tout le monde voit et entente ce qui se passait ici. Ils étaient tous les trois en fauteuil roulant, comme son patient. De son côté, elle prit place sur un tabouret et regarda Sullivan.

Carrie est malade depuis plusieurs années maintenant. Elle souffre d’une maladie appelée la maladie de Lyme.

Ca veut dire que je serai toujours comme ça. C’est à cause de l'arthrite de Lyme que je suis dans cet état. Chez moi, ce sont les genoux, hanches, coudes, chevilles et poignets qui sont touchés. Toutes mes articulations, mêmes les toutes petites me font un mal de chien. Etre en fauteuil, ça m’aide à ne pas avoir mal tout le temps. Dès que je marche ça me fait mal, même parfois devoir tourner les roues du fauteuil, ça fait mal. Mais au moins, ça m’aide à rester active.

Tu as quel âge Carrie ?

12 ans.

Tournant la tête vers Sullivan, elle savait parfaitement qu’il risquait de ne pas apprécier ce qu’elle faisait, mais au moins, il pourrait comprendre ce qu’elle voulait lui dire.

Robert lui a des problèmes avec son système immunitaire. Il souffre de la maladie de Charcot-Marie-Tooth.

L’homme plus âgé de la pièce enleva ses chaussures et monta ses pieds à Sullivan. Ses pieds étaient déformés, n’étant plus plats. Ils avaient une forme que seule cette maladie donnait.

Pour moi, ça a commencé par une faiblesse musculaire touchant les extrémités de mes membres. Après ça, j’ai eu une atrophie musculaire qui a déformés mes pieds et mes mains.

Il montra ces dernières, cachées par des gants.

Aujourd’hui, j’en suis au stade de la perte de sensibilité. Ca ne m’empêche pas pour autant d’avoir une vie de famille. Ma femme et mes enfants s’y sont fait et savent que je ne peux plus faire ce que je faisais avant, mais la vie continue. Oh et j’ai 57 ans.

Victoria sourit à l’homme, sachant qu’il avait bien comprit pourquoi elle demandait les âges.

Jesse, lui, a ce qu’on appelle une myosite.

Salut. Ouais, moi je suis un cas rare, en tout cas, dans ma famille. Je suis un peu dans le même cas que Carrie. Seulement, moi c’est une maladie génétique, seulement, je suis le premier cas dans ma famille. Personne n’a eu cette maladie. Selon les statistiques, cette maladie touche environ 2500 personnes dans le monde, soit un cas sur 2 millions de naissances. J’en fais partit et c’est pas de chance.

Jesse haussa les épaules. Il avait cette facilité à parler de sa maladie sans aucun souci. Au début, il avait pleuré très souvent, mais il avait prit le taureau par les cornes et il avait décidé de ne pas se laisser faire.

Au début, c’est mon orteil qui avait une drôle de forme. On m’a dit que c’était une malformation. Forcément, mes parents ont flippés tout de suite et m’ont amenés à l’hôpital. C’est là qu’on m’a dit que j’étais malade. Après on m’a dit que mes muscles allaient avoir des mouvements involontaires, que j’allais avoir une fabrication de tissu osseux à l’intérieur d’un muscle, dans les tendons et les protections de mes muscles. Sue ça viendrait petit à petit et j’ai tout ça aujourd’hui. Seulement, y a un truc positif. C a un nom super cool. La myosite ossifiante, autrement appelé la fibrodysplasia ossificans progressiva.

Jesse se mit à sourire et tout le monde aussi. Jesse était un garçon plein de vie et il aimait beaucoup s’amuser du nom de sa maladie.

Moi, j’ai 20 ans.

Tout le monde regarda alors Sullivan et c’est Carrie qui prit la parole.

Le Docteur González ne nous a pas dit ce que tu avais. Ca t’est arrivé comment ?

Victoria regarda alors son patient, attendant qu’il prenne la parole et réponde à la question par lui-même. Sur ce coup là, elle ne comptait pas lui facilité la tâches.

Oh et tu peux nous poser toutes les questions que tu veux.

Une nouvelle fois Jesse semblait très enthousiaste à l’idée de discuter avec un nouveau venu.

Victoria & Sullivan ❝ highway to hell ! ❞

Sullivan soupira au début d’avoir à faire à plusieurs patients de cette kiné à qui il n’avait pourtant rien demandé. Il joua les poids morts effectivement pour l’emmerder, afin qu’elle sente son peu de motivation considérable pour l’exercice auquel elle comptait le soumettre, mais il dû bien admettre que chaque discours de chaque patient le toucha légèrement plus que ce à quoi il s’était attendu. Sans se laisser dégonfler, il écouta avec patience, accordant même un regard à chacun de ses interlocuteurs lorsque celui-ci prenait la parole. Les âges étaient différents, de même que les pathologies ou les histoires. Il ne se sentait plus exactement seul bien que la plupart soient victimes de maladie et non d’un accident comme c’était le cas pour lui. Ce qui le surprit le plus, c’est que le fameux Jesse se mette à le considérer comme un membre à part entière de ce club, l’incluant aussitôt avec toute la chaleur dont il était capable… c’était déroutant. Sullivan n’y était aucunement habitué, à part lorsqu’il se trouvait encore dans l’armée de terre et que ses frères d’armes étaient pour lui des compagnons plus sûrs que toutes ces personnes côtoyées jusqu’à lors. « Je m’appelle Sullivan et j’ai vingt-six ans » précisa-t-il en premier lieu, comme si n’importe qui dans l’assemblée actuelle pouvait être intéressée par l’information. En soi, c’était déjà un effort et Victoria ne pouvait pas lui lancer la pierre maintenant qu’il avait fait un premier pas… façon de parler.

« Personnellement ce n’est ni une maladie génétique, ni un truc que j’ai chopé ni rien de tout ces trucs glauques… j’étais passager dans une voiture, ma sœur aînée avait bu et c’est emplafonné quelqu’un d’autre. J’ai traversé le pare brise et le choc a écrasé plusieurs de mes vertèbres. En théorie, c’est inopérable, du moins pas sans de gros risques. Et le plus ironique, c’est que l’accident est arrivé le jour où je rentrais d’Afghanistan sans une seule égratignure, pour ma première vraie permission en tant que soldat. » Sullivan ne savait même pas pourquoi il racontait tout ça. Peut-être parce que ce n’était pas écrit dans son dossier ni marqué sur sa figure… peut-être aussi parce que l’assemblée actuelle pouvait sûrement comprendre mieux que Victoria ce qu’il était en train de vivre. Ou peut-être simplement parce qu’il était fatigué de porter ce lourd fardeau tout seul…

Amener des patients pourrait jouer en défaveur, elle le savait parfaitement. Seulement, elle voulait prouver à Sullivan qu’il n’était pas seul. Oui son corps l’avait lâché. Oui, il était cloué dans un fauteuil roulant. Malgré tout, il y avait de l’espoir. Il ne pouvait pas baisser les bras comme ça. Avec trois patients, il décida de les laisser raconter leurs histoires. Des maladies, pas d’accident. S’il en voulait, il pourrait y en avoir. Encore plus au centre où elle travaille également. Quand Sullivan se présenta, la jeune femme en fut soulagée. Il parlait. Peu pour l’instant, mais il le faisait. Elle était contente. C’était un début, en tout cas, ça l’était pour elle. Du coup, elle ne bougea pas d’un pouce, écoutant le jeune homme prendre la parole. L’entendre parler de son accident était pour la jeune femme une étape importante. Elle ne dit rien, le laissant parler et elle jeta un œil aux trois autres personnes qui écoutaient tout aussi attentivement.

Tu es de quelle branche de l’armée ?

C’était Robert qui venait de poser la question, tout en baissant le haut de son tee-shirt qui dévoilait un tatouage. Etait écrit deux dates, 1992 et 1995.

J’étais en Bosnie pendant la guerre.

Victoria n’avait jamais osé lui demander à quoi ses dates correspondaient. Si elle se souvenait bien de ses cours d’histoire, ça correspondait à la guerre de Bosnie-Herzégovine. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui y avait été.

Cool le tatouage.

Amusée par la réflexion de Jesse, elle eut un sourire amusée et vit le regard de Carrie sur Sullivan.

Tu en veux à ta sœur ? Enfin je veux dire, elle n’était pas dans son état normal, mais tu l’as quand même laissé prendre le volant au lieu de le faire.

La kiné sentit non pas de l’accusation dans le ton de la jeune fille, mais plutôt de l’interrogation. Pourquoi laisser quelqu’un d’ivre prendre le volant en sachant que ça peut mal finir.

C’est parce que t’en veux à ta sœur que tu veux pas qu’elle s’occupe de toi ?

Jesse venait de faire un signe de tête vers Victoria. Cette dernière resta silencieuse, ne disant toujours rien. C’était leur conversation, pas la leur pour le moment.

Victoria & Sullivan ❝ highway to hell ! ❞

Sullivan s’ouvrant au monde et parlant de son expérience excessivement personnelle, voilà qui avait de quoi surprendre. Victoria devait être la première à n’en croire ni ses yeux ni ses oreilles, d’ailleurs. Il fallait dire que côté tempérament facile, on pouvait repasser avec le jeune homme. Il détestait s’ouvrir, exécrait que l’on puisse vouloir le connaître et appréciait son caractère d’enfoiré total. C’était pratique et jamais douloureux, il pouvait ainsi vivre comme bon lui semblait sans avoir le moindre compte à rendre à qui que ce soit. Le plus étonnant, c’est qu’il écoutait encore ses interlocuteurs après de longues minutes de discussion ultra personnelle, et s’étonnait à attendre les questions suivantes avec un brin d’impatience. Voilà bien qui ne lui ressemblait pas le moins du monde, et qui allait totalement à l’encontre des très nombreux comptes-rendus que l’on avait pu faire sur son dossier médical. Comme quoi, il n’y a bien que les idiots qui ne changent jamais d’avis… « Armée de terre. Mais j’ai conduit un furtif, j’ai un diplôme de pilote » reprit Sullivan sans se montrer désagréable ou même réticent à répondre à la question du soldat. Mieux, il remonta sa chemise pour dévoiler son avant bras gauche, démontrant lui aussi un tatouage, bien que celui-ci soit totalement différent et constitue une grande épée, une tête de mort, le mot « rangers » inscrit entouré d’un serpent. Un tatouage qu’il ne montrait jamais à personne tant il lui rappelait ce qu’il avait perdu. Il était évident qu’il ne serait plus jamais soldat, et encore moins pilote, alors montrer ce tatouage ne pouvait qu’avoir une connotation spéciale. « Je n’en veux pas à ma sœur. Je sais qu’elle a sacrifié pas mal de choses pour moi-même si sur le moment, j’ai eu des mots horribles pour elle. En fait… je ne pouvais pas conduire à ce moment là, j’étais encore plus alcoolisé qu’elle pour fêter mon retour mais au lieu d’appeler quelqu’un, je l’ai laissée faire vu qu’elle m’avait dit qu’elle pouvait gérer. C’est la vie… » En revanche, la dernière question, il ne s’y attendait clairement pas. Comment faire comprendre à quelqu’un qui n’est pas soi son fonctionnement de pensée… « Peut-être tout simplement parce que contrairement à vous, je n’ai pas de raison d’aller mieux. De toute façon je n’irais pas mieux et je crois que même ma fille de quatre ans ne sera pas plus mal sans moi. »

Restant dans son coin, Victoria ne disait rien. Il y avait une conversation importante. Sullivan se laissait aller à parler. Elle écoutait avec attention également. Après tout, c’était des choses qui n’étaient pas indiqués dans le dossier médical de son patient. Les trois autres malades semblaient apprécier cette discussion. Elle en sourit, contente d’avoir amené ses trois là dans la même pièce. Elle regarda également le tatouage. Même si de là où elle était, elle ne voyait pas grand-chose, elle fixa l’encre avec attention. Bon à vrai dire, ça n’était pas le tatouage qui l’a fit le dévisager ainsi. Elle n’avait pas prit le temps de regarder le jeune homme avant et ses muscles ressortait désormais, chose fort agréable à regarder pour la jeune femme. Se reprenant, elle vérifia que personne ne l’avait vu partir aussi loin. Non, c’est bon, ils continuaient de parler entre eux. Apparemment, il n’en voulait pas à sa sœur pour l’accident. Ni l’un, ni l’autre n’avaient été en état de conduire, mais apparemment, c’était la sœur du jeune homme qui avait prit le volant quand même. Cependant à sa dernière remarque, Victoria se redressa sur son tabouret et fronça les sourcils.

Oh vous avez touché un point sensible chez le doc.

Tout le monde tourna la tête vers la jeune femme qui leva les yeux au ciel avant de se rapprocher des autres en faisant rouler son tabouret.

En effet un point sensible à été soulevé. Celui de votre fille.

Fixant le jeune homme, elle soupira doucement.

Comment pouvez-vous imaginer que votre fille serait mieux sans vous ?

C’est vrai que vous avez Joana. Elle revient quand ?

Je ne sais pas. Je verrai avec elle, pour qu’elle vienne après l’école.

Elle fut amusée par le sourire des trois patients. La fille de Victoria était souvent appréciée, elle était petite, mais avait son franc parlé.

Monsieur Novak, tout enfant a besoin de ses parents. Quand il en manque un, le second ne peut pas abandonner. Oui vous êtes en fauteuil roulant et oui vous ne pouvez plus marcher. Mais vous croyez sincèrement qu’elle préfère être orpheline que de vous avoir dans sa vie ? Vous croyez qu’elle ne sera pas contente de vous avoir à ses côtés lorsqu’elle aura son premier petit copain ? Elle aura besoin de vous quand elle se fera briser le cœur, quand elle recevra son diplôme, quand elle va se marier. Un enfant à toujours besoin de ses parents.

Son ton avait été calme, elle parlait posément et elle espérait que Sullivan comprendrait ce qu’elle voulait dire.

Vous pensez être un fardeau pour elle ?

Victoria & Sullivan ❝ highway to hell ! ❞

Vraiment, cette kiné ne manquait ni de culot ni même d’assurance vis-à-vis de ce qu’elle avançait. Certes, il s’agissait d’une sorte de qualité aux yeux de Sullivan mais il ne pouvait pas s’empêcher également de se dire que quelque part, elle ne connaissait pas du tout le quotidien qu’il pouvait bien vivre, surtout en présence de sa fille. Bien qu’il ait toujours été un battant en toutes circonstances, le soldat devait admettre qu’il était totalement désarmé face à la fragilité de sa fille. Lou mettait souvent sa patience à mal, et pourtant, elle agissait comme un véritable baume sur son âme. Pourtant, elle était à la fois sa merveille et une terrible déchirure. Derrière le visage de sa fille se trouvait également celui de Jane, cette femme qu’il avait aimée comme un fou et qui lui avait pourtant été arrachée un beau matin. Sullivan ne savait pas, somme toute, sur quel pied danser et la petite diatribe de cette femme médecin ne l’aidait pas à avoir nécessairement les idées plus claires, bien qu’il ait fondamentalement compris où elle voulait en venir au juste. « Je suppose que vous basez votre belle théorie parce qu’apparemment vous êtes mère également de votre côté mais franchement, nos deux cas sont très, très différents faites moi confiance. Ce n’est pas seulement mon fauteuil qui pose problème, c’est tout le reste. La stabilité n’est pas ma plus grande qualité et je pense que vous serez la première à confirmer mes dires et même si j’essaye de me couper en quatre pour ma fille, ce n’est manifestement pas encore suffisant. » Somme toute, il mettait en lumière que la volonté seule pouvait ne pas suffire. Il y a toujours un enfoiré pour mettre des bâtons dans les roues, et en l’occurrence, la mère de Sullivan l’enfonçait plus facilement qu’elle ne lui rendait service. « Ma fille ne dort presque jamais chez moi. Ma mère part sûrement du principe que je suis incapable de faire quoi que ce soit de mes dix doigts et vous ne la connaissez pas… pour lui faire changer d’avis à celle là ! J’imagine que les chiens ne font pas des chats. » Sullivan ne s’avouait pas vaincu. La preuve, il avait même trouvé un job d’appoint auprès d’un prof de fac ! Mais sa mère restait campée sur ses positions et malgré toute l’insolence dont il savait si bien faire preuve en temps normal, malheureusement, cela ne faisait pas tout. « Vous êtes contente, vous avez eu votre dose de potins ? »

Le fait que le jeune homme s’ouvre, aidait la kiné. Elle comprenait certaines choses et ça détendait légèrement son patient. Seulement, quand elle prit la parole, il se referma aussi vite. Elle en fut déçue, mais fronça les sourcils à ses paroles. Il acceptait de parler, donc elle était attentive à tout ce qu’il disait. Soupirant à sa question, elle leva les yeux au ciel.

Décidément, vous ne comprenez vraiment rien Monsieur Novak.

En effet, elle se fichait des potins comme il disait, elle voulait juste qu’il comprenne certaines choses.

Vous ne m’avez pas laissé le choix. Si ils sont là tout les trois, c’est pour vous prouvez qu’il y a toujours de l’espoir. Oui, vous avez eut un accident et vous en souffrez parce que vous êtes dans un fauteuil roulant. Vous ne voulez pas de mes massages, parce que vous pensez que ça ne sert à rien. Je peux le comprendre, mais c’est mon travail de vous massez. Vous êtes venu jusqu’ici, alors pourquoi refuser d’essayer ? Je croyais que les militaires étaient toujours prêts à aller vers l’ennemi et vu que vous me prenez comme ennemie, vous devriez accepter sans problème un massage.

Fixant le jeune homme, elle restait calme, même si elle avait bien envie de lui crier dessus en cet instant. D’ailleurs, elle sentait que sa voix allait finir par la trahir sur ce point. Du coup, elle se racla la gorge et soupira doucement.

Mon travail est de savoir l’histoire de mon patient. Pas toute l’histoire, au moins celle du pourquoi est-il dans cet état de santé ? Pourquoi a-t-il besoin de moi ? Vous venez d’en dire beaucoup et c’était agréable à entendre. C’était agréable de vous voir lâcher prise et d’être simplement vous-même au lieu d’être acerbe et froid.

Haussant les épaules, elle lui disait vraiment ce qu’elle pensait de ce qui venait d’être dit et comment elle l’avait ressentit.

Pour votre fille, je ne peux pas vous conseiller, car chaque parent réagit différemment avec son enfant. Seulement, vous ne devriez pas vous laisser faire par votre mère. C’est bien qu’elle soit là pour vous, mais vous êtes adulte, c’est à vous de faire des choix. A-t-elle seulement demandé à votre fille si elle voulait vivre avec vous plus qu’avec elle ? Vous pensez qu’en parole vous ne pouvez pas la battre, alors agissez. Parlez avec votre fille, dites à votre mère que vous voulez qu’elle laisse votre fille venir vivre avec vous. Vous avez passé l’âge d’être materné, alors agissez Monsieur Novak.

Sullivan avait la possibilité de faire un tas de choses pour prouver à sa mère qu’elle se trompait sur son compte, alors il devait agir s’il ne voulait pas que la situation reste ainsi.

Maintenant, vous avez le choix. Soit vous acceptez de venir vous faire masser pendant les séances que nous aurons prévues, soit vous partez maintenant et vous n’aurez jamais été mon patient.

Victoria était très sérieuse. Le silence arriva et elle attendait patiemment que le jeune homme réponde, voyant que les trois autres fixaient le militaire.

Victoria & Sullivan ❝ highway to hell ! ❞

Sullivan et le fait de courber l’échine ne rimait pas ensemble. Il ne savait pas dire oui sans avoir une belle arrière pensée et préférait dire « je t’emmerde » à « je t’aime », pour la simple et bonne raison que c’était plus facile. Une fois encore, se heurter à cette jolie kiné pour le plaisir était tentant mais d’un autre côté, il devait admettre dans le tréfonds de son âme qu’elle n’avait pas tort : il restait un adulte parfaitement maître de ses actes et de ses pensées, et ce bien qu’il ait une sainte horreur d’être manipulé comme elle venait justement de le faire. Utiliser d’autres handicapés afin de lui faire entendre raison, c’était aussi bas que révoltant… « Vous êtes douée pour sortir des longues phrases doc’, mais il n’en demeure pas moins que vous avez utilisé trois handicapés pour me faire parler et ça, c’est plutôt révoltant. Si c’est votre façon de travailler je vous suggère sincèrement d’en changer illico presto, parce que ça ne marchera pas deux fois avec moi. » La froideur soudaine de sa voix démontrait par a+b qu’il ne plaisantait pas. A la place des trois autres, il aurait profondément détesté le fait d’être présenté comme une vulgaire bête de foire, un morceau de viande de choix pour une occasion spécifique. D’un côté, Sullivan comprenait le but de la manœuvre, et de l’autre, il condamnait les moyens utilisés. Logique lorsque l’on a été soldat et que les règles dépassaient tout ce que l’on pouvait connaître d’autre. Le dépassement de soi, la franche camaraderie… voilà ce qu’il avait connu et qu’il regrettait ô combien aujourd’hui.

« Vous savez, vos paroles sont bien belles mais vous ne connaissez pas Miss Novak première du nom. C’est un requin en affaires mais elle traite ses enfants un peu de la même manière, même si elle cherche à les protéger d’une certaine façon. Je sais que ma fille veut vivre avec moi et j’aimerais sincèrement lui apporter ce dont elle a besoin, mais il vous manque beaucoup d’éléments pour parvenir à un jugement qui tienne la route au sujet de ce que je pourrais ou non apporter à ma fille. » Sullivan poussa un pénible soupir. Pourquoi avait –il diablement l’impression de se répéter continuellement en présence de cette femme ? « Si vous pensez faire des miracles, alors ma dernière charade sera celle-ci : devrais-je me rendre à vos massages ou seront-ils inutiles dans le cas où je me ferais opérer ? » Celle-là, si elle parvenait à y trouver une réponse, il promettait de se faire masser sans faire d’histoire comme un bon petit patient obéissant.

Victoria n’aurait vraiment pas dû prendre la parole. En entendant ce que le jeune homme lui disait, elle comprenait qu’avec lui il allait encore plus se braquer. Autant les trois autres patients avaient réussit à le faire parler, autant elle n’arriverait à rien du tout avec lui. Seulement, elle n’eut pas le temps de répondre, parce qu’elle vit le visage de Jesse.

Handicapés ?

Voilà un mot très péjoratif, surtout utilisé de la façon dont Sullivan venait de le faire. En tout cas, le jeune patient l’avait ressentit comme ça. La kiné aurait aimé pouvoir défendre le jeune homme, seulement, le militaire continuait de parler et la jeune femme finit par foncer les sourcils.

Même si vous vous faites opérer, vous aurez besoin d’un kiné. Vos jambes seront peut-être réparées par l’opération, mais vous n’avez pas marchés depuis longtemps et vous n’y parviendrez pas du jour au lendemain. Il vous faudra de l’aide pour réapprendre cette chose basique qu’est la marche. Donc autant vous habituer à être mon patient dès à présent.

Victoria avait haussé le ton cette fois-ci. Le fait que Sullivan joue les malins et voir la déception sur le visage de Jesse lui faisait mal. Ce type était un abruti de première et il blessait verbalement les gens autour de lui.

Je vais les raccompagner dans leurs chambres.

Se levant de son tabouret, elle ouvrit la porte de la salle et laissa les trois patients passer avant elle. Seulement, Jesse se retourna une dernière fois vers Sullivan.

Je comprend pourquoi ta mère veut pas que ta fille vivre avec toi. T’es qu’un pauvre abruti et encore je reste poli.

Le jeune garçon se retourna et fila avec les deux autres patients. Victoria jeta un œil à Sullivan et sortit à son tour de la pièce. Allant les ramener chacun à leurs chambres respectives, Victoria les salua et redescendit pour retrouver Sullivan. Devant la porte fermée de la salle, elle soupira. Il était peut-être partit, au moins ça serait clair. Ouvrant finalement la porte, elle le vit toujours là.

Que faites-vous encore là ? Vous qui êtes un grand garçon, vous n’avez pas besoin de moi, si ?

Elle était décidée à ne plus rien laisser passer. Désormais, elle sortait les griffes et elle ne se laisserait plus faire par les paroles du jeune homme.

Victoria & Sullivan ❝ highway to hell ! ❞

Sullivan les yeux au ciel. Pour une fois qu’il ne disait pas quelque chose avec une arrière pensée mauvaise, voilà qu’on ne le comprenait pas ! A ses yeux, être qualifié d’handicapé n’avait rien de péjoratif, dans le sens où c’était la vérité. C’était peut-être difficile à entendre, mais si quelqu’un d’aussi fier que le néo-zélandais parvenait à additionner a+b dans l’affaire, alors quelqu’un d’autre en serait sûrement capable. Seulement voilà, du coup, la kiné prenait ses vieux airs de vierge effarouchée et le résultat en devenait horripilant à souhait. Sullivan était resté pour voir ce qu’elle pourrait lui apporter, et au lieu d’accueillir son deuxième effort –bien qu’il en ait fait plus que cela dans toute la conversation qu’il avait pu tenir face aux trois autres patients–, celle-ci montrait odieusement les griffes au pire moment qui soit. L’ancien soldat émit un soupir d’agacement avant de serrer légèrement les poings. Non, il n’allait pas frapper ne serait-ce que les ustensiles présents dans cette salle de traitement, mais ce geste l’aidait à se contenir. Ne pas chercher midi à quinze heures trente… il en avait juste besoin. « Que les choses soient clairs : si vos patients sont aveugles au point de prendre mal un simple mot, alors il n’y a rien à faire pour eux, de toute évidence. » Sullivan n’avait pas souhaité se montrer insultant envers eux, c’était la manœuvre de Victoria qu’il condamnait, et il était en droit de le faire à vrai dire. Etre manipulé n’était jamais quelque chose d’agréable, d’autant quand le médecin en face de vous se prendre pour la reine de Sabbat. « Manifestement si j’avais besoin de vous, mes félicitations vous m’avez fait passer toute envie ! De toute évidence je n’ai pas besoin d’une emmerdeuse telle que vous, à peine capable de tenir votre place en outrepassant de très loin votre rôle de médecin. Mais après tout, vous devez probablement crouler sous les demandes de massages alors vous vous démerderez comme la grande fille que vous êtes, moi j’en ai soupé pour les trois cent douze prochaines années de votre jugement façon carambar ! Bye bye, miss je sais tout ! » Nerveusement, Sullivan plaça ses mains contre ses roues pour quitter la pièce, les sourcils froncés, le cœur battant. Vraiment, elle avait réussi à le mettre dans une colère noire, à un point tel qu’il sentait l’intégralité de ses muscles se tendre douloureusement.