Sitôt qu'elle avait sut qu'il y a avait un grand parc dans cette ville qui semblait ne pas vouloir se finir et l'intoxiquer à dose excessive de pollution, Phædra-Irenäus avait décidé d'y faire son quartier général. Malgré l'agitation permanente qui y régnait, elle avait réussi à trouver un espace rien qu'à elle, entre deux arbres, sur l'herbe réchauffée par le soleil qui prenait la place la plus importante dans cette journée. Complètement déphasée par ce nouvel environnement qu'elle tentait de comprendre, en vain, la jeune femme trouvait un peu de réconfort dans cette nature presque naturelle, presque vivante. Presque car elle ressentait la main de l'homme dans tous les endroits où se posaient son regard. Elle ne comprenait pas comment des gens pouvaient graver leurs noms dans un arbre et l'entourer d'un coeur. Pourquoi faisait-il cela ? Pourquoi agresser un arbre et graver un coeur ? Ca voulait dire quoi ? Sa mère avait tenté de lui expliquer les moeurs de ce nouveau pays où elle venait de mettre les pieds. Ca ne faisait que quelques jours et elle n'était pas franchement habituée à tout ce qui se passait. Les gens ne paraissaient pas réagir de la même façon que les moines qu'elle avait côtoyé tous les jours pendant presque 19 ans. Elle n'avait connu que cela et les habitants du petit village où elle avait vécu avec ses parents auparavant de se rendre au Tibet. Ce village chinois était complètement coupé du monde et elle n'y grandi que pendant les deux première années de sa vie et ce n'est pas vraiment le même genre d'éducation que celle qu'avait les jeunes américains de nos jours. Sa mère l'avait forcé à regarder des "classiques" américains selon elle, c'est-à-dire les séries du genre How I Met Your Mother. Elle n'avait pas vraiment tenu longtemps mais avait suffisamment vu de bizarreries pour essayer d'imaginer que ceux qui avait gravé dans l'arbre les coeurs devaient s'aimer. Nouveau mot, nouvelle signification qu'elle ne maitrisait absolument pas. Elle ne connaissait pas et ne pouvait pas parler de ce qu'elle n'avait jamais vécu, jamais ressenti.

Se retournant, détournant les yeux de cet arbre si maltraité par des jeunes détraqués par les séries débiles, Phædra fit courir son regard autour d'elle qui s'arrêta sur un groupe de personnes assises dans l'herbe un peu plus loin. Elle fronça les sourcils avant de distinguer leurs contours et de comprendre de ce qu'ils faisaient. Ils faisaient des mouvements sans réel but, éclatant de rire par malaise toutes les cinq secondes. Ca lui rappelait étrangement le yoga qu'elle pratiquait avec assiduité au Tibet. Au seul détail qu'ils ne la faisaient pas comme ça devrait l'être. Elle s'approcha un peu avant d'aviser la silhouette d'une jeune femme qui marchait dans l'allée. Elle se tourna vers elle, histoire d'être sûre de ce qu'elle pensait, avec sa sincérité naturelle. « Excusez-moi... Est-ce qu'ils essayent de faire du yoga là-bas ? »

Kiara-Luka avait rarement du temps libre, durant la journée : elle voyait rarement la lueur du soleil, à vrai dire, restant enfermée des heures entières à l'observatoire, au laboratoire ou dans n'importe quel coin de son centre à faire des calculs, des expériences, des simulations et des tests. Pas que ça la dérange ! Cette vie, c'était celle qu'elle s'était choisie, et elle n'aurait pas pu être plus heureuse qu'en vivant au milieu de chiffres astronomiques et de débats sur l'antimatière. C'était probablement ce qu'on disait sur le travail : lorsqu'on l'aimait, on n'avait pas l'impression d'être payé pour autre chose que pour prendre du bon temps ; bon, chacun avait ses passions spéciales, mais Kiara-Luka se sentait épanouie grâce à son travail plus qu'elle ne l'avait jamais été alors le soleil pouvait bien attendre qu'elle s'occupe des autres étoiles.

Cet après-midi là, cependant, Kiara-Luka avait du temps à perdre : le laboratoire accueillait des universitaires et la jeune femme avait donc quitté son lieu de travail dans la matinée. Après quelques heures passées chez elle à continuer à jouer avec les chiffres, elle avait cependant craqué : le ciel bleu était une véritable invitation à sortir. Tout autant qu'elle était une surdouée complètement accro à son travail, la brune était également une fille du désert et des grands espaces dans l'âme, elle avait passé son enfance et son adolescence à courir entre les cactus et à se bécoter dans les ravins, survivant des nuits entière dans le froid glacial et surprenant des vallées d'Arizona pour observer les étoiles loin de la pollution urbaine. Alors, elle avait enfilé un bas de survêtement, un haut soutenant sa poitrine et un léger gilet, s'était chaussée de ses baskets, avait lié ses cheveux en une queue de cheval haute et, envoyant balader ses recherches le temps de quelques heures, elle avait filé vers le sud à petites foulées.

Finalement, au bout de presque une heure de course entrecoupée d'arrêts pour boire un jus de fruits, saluer une connaissance et aider une petite fille à retrouver sa mère, elle avait atteint Central Park [je suis hypra-illogique sur la distance, mais faisons comme si xD] et y avait pénétré éprouvée mais avec un grand sourire ravi. Voir les premières feuilles sur les arbres la rendit euphorique et elle continua ses foulées, ralentissant légèrement pour apprécier le paysage. Elle ne s'arrêta que lorsqu'elle fut interpellée par une jeune femme qu'elle avait remarqué venir à sa rencontre et qui l'avait fait préalablement ralentir. « Excusez-moi... Est-ce qu'ils essayent de faire du yoga là-bas ? » Immédiatement, Kiara-Luka suivit du regard la direction que pointait son interlocutrice et ne put s'empêcher de pouffer en voyant les gestes étranges d'un groupe un peu plus loin. Elle pencha la tête sur le côté un instant comme si ça allait l'aider à mieux comprendre, mais elle finit par secouer la tête, souriant dubitativement. « Il me semble qu'ils essaient, oui... » déclara-t-elle, pensive, avant de reporter son attention sur la jeune femme qui l'avait interpellée. « Si vous cherchez des professionnels, je crois qu'il y a de bons trucs à Chinatown. » continua-t-elle finalement en haussant les épaules.

« Il me semble qu'ils essaient, oui... » Phædra hocha la tête tout en se disant que, même si c'était bien de faire des efforts, ils ne semblaient pas en faire dans la bonne direction. Elle avait eu l'occasion de voir de vrais professionnels faire du yoga et ça ne donnait pas du tout la même chose. Entre ces mal équilibrés et les moines, il y avait un fossé qui lui rappelait encore plus qu'elle n'était plus au Tibet et qu'elle devait s'y faire. Elle ne pensa pourtant pas que c'était la faute de son père, elle avait été élevée dans le respect des gens et ne pouvait décidément pas lui en donner toutes les fautes. Elle était là et elle devait s'y faire. Même avec des gens bizarres qui bougent hors du rythme dans un parc en plein milieu d'une immense ville où elle s'était perdue maintes fois. « Si vous cherchez des professionnels, je crois qu'il y a de bons trucs à Chinatown. » Phædra fronça les sourcils. Chinatown ? What's that ? Fouillant dans ses souvenirs, elle en déduit que ça devait être un quartier de New-York ou bien une ville pas très loin. « Non, non, je n'ai pas besoin de ça. » répondit-elle rapidement.

Puis, se souvenant de ce qu'elle avait dans son sac et ce qu'elle venait faire dans ce parc, Phædra se tourna à nouveau vers son interlocutrice en prenant une inspiration « Mais, peut-être que vous pouvez m'aider... » Elle se mordit la lèvre, se demandant un instant si elle pouvait faire confiance à cette parfaite inconnue. On lui avait trop souvent dit qu'elle ne devait pas faire confiance à toutes les personnes qu'elle croisait. C'était différent bien sûr au Tibet mais elle devait apprendre à changer, dénaturer tout, enlever toutes ses normes et valeurs afin d'en prendre, ne serait-ce qu'un petit bout du mode de vie américain. Elle prouva bien qu'elle n'était pas américaine en enlevant tout de suite cette idée de sa tête. Elle descendit son sac de son épaule, l'ouvrit et en sortit une plante verte en pot. Elle lança un regard à la jeune femme qui se tenait devant elle et lui demanda « Vous ne savez pas où je pourrais trouver de l'eau pour donner un peu à boire à cette plante desséchée ? Je l'ai trouvé agonisante dans la rue... » Elle secoua la tête à ce souvenir avant de rajouter, un peu pour elle-même « Ils l'avaient abandonnée...»

En l'interpellant, Kiara-Luka avait pensé que l'inconnue avait besoin de cours de yoga ; apparemment, ce n'était pas le cas. « Non, non, je n'ai pas besoin de ça. » La brune remarqua bien que son interlocutrice semblait perturbée par ses paroles, bien qu'elle ne sache absolument pas la raison à ça, mais elle se contenta de hausser les épaules. « Mais, peut-être que vous pouvez m'aider... » Retrouvant tout de suite sa concentration, Kiara-Luka fronça les sourcils et resta silencieuse face à la jeune femme qui s'était affairée à sortir quelque chose de son sac.

Il n'était déjà pas commun qu'on lui demande de l'aide, mais lorsque la chercheuse se trouva face à une plante presque morte, elle fut carrément surprise de la démarche de la jeune femme. Celle-ci semblait d'ailleurs trouver ça tout à fait normal et reprit rapidement. « Vous ne savez pas où je pourrais trouver de l'eau pour donner un peu à boire à cette plante desséchée ? Je l'ai trouvé agonisante dans la rue... » Kiara haussa les sourcils avant de les froncer, entrouvrant les lèvres avant de les refermer sans vraiment savoir quoi dire, trop surprise par ce qu'on lui demandait. « Ils l'avaient abandonnée... » Et la jeune femme semblait réellement peinée pour la plante ! Il fallut un long moment à la brune pour reprendre une contenance et elle secoua brusquement la tête. « Euh, oui bien sûr... » s'empressa-t-elle de répondre en posant sa main sur sa taille, où sa bouteille d'eau devait normalement se trouver à chaque fois qu'elle partait courir. Seulement, il lui suffit de la prendre entre ses doigts pour réaliser qu'elle était presque vide. Décontenancée pendant un instant, Kiara-Luka ne se laissa pas pour autant abattre et lança un regard alentours avant d'inviter la jeune femme qui portait toujours la plante à la suivre. « On va sûrement trouver quelque chose près des fontaines. » l'informa-t-elle, toujours aussi surprise de devoir porter secours à une plante.

Après quelques pas, Kiara-Luka avait retrouvé une respiration plus ou moins normale et elle ne put s'empêcher de lancer un regard à la jeune femme avant de prendre de nouveau la parole. « Ca vous arrive souvent, de prendre des plantes sous votre aile ? » lui demanda-t-elle, légèrement amusée, mais consciente que ça semblait vraiment sérieux pour son interlocutrice.