Kiara-Luka n'avait que vingt-quatre ans et pourtant, elle n'avait pas été sur les bancs d'une université depuis des années. Lorsqu'elle avait quitté le MIT, deux ans auparavant, la jeune femme était entrée dans les annales et avait immédiatement pu faire un choix entre une multitude d'appels d'offres : si elle avait choisi New York, c'était parce qu'il abritait l'un des centres pour autistes les plus qualifiés du pays et que, si elle savait parfaitement vivre avec son petit frère de dix-neuf ans, Connor, elle avait sa charge et devait le savoir en parfaite sécurité lors de ses heures de travail. Ce travail, d'ailleurs, était ce qui la menait précisément sur les marches de Columbia, en ce début de journée ensoleillée. Se fondant dans la masse des étudiants, la brune avait rapidement trouvé le chemin du département des sciences et de celui de la bibliothèque. A vrai dire, la jeune femme pouvait facilement passer pour une étudiante : avec sa robe blanche à pois bleus qu'elle réservait aux meilleurs jours du printemps, ses ballerines d'un bleu profond et sa veste en cuir usé autour du bras, elle était loin de l'image de la chercheuse en astronomie qu'on imaginait aux premiers abords.

La jeune femme avait donc passé toute la matinée à la bibliothèque, réapprenant à utiliser les bibliographies de chacun des ouvrages et souriant avec amusement lorsqu'elle tomba sur sa propre thèse de fin d'études. Et malgré toute sa volonté, elle n'était arrivée à rien : son cas était trop particulier, il lui fallait un spécialiste, pas un bouquin. Rendant les armes vers treize heures, la jeune femme sortit manger un morceau mais n'abandonna pas son objectif pour autant : elle trouverait la solution à son problème, rien n'était insolvable. Après un rapide sandwich pris sur le pouce dans le parc bordant l'université, la chercheuse y pénétra de nouveau et parcourut les couloirs du département de physique à la recherche du nom d'un professeur qui lui rappellerait quelque chose - elle lisait tellement de thèses et d'articles que même son esprit de génie en faisait parfois des overdoses - et arriva finalement près des salles de classe et des amphithéâtres. De plus en plus sceptique quant au fait qu'elle trouverait sa réponse, elle avait décidé de retrouver le chemin de la sortie au bout du couloir mais, en passant devant la double-porte entrouverte d'un amphithéâtre, la jeune femme fut stoppée par un cours qui attira son attention. Faisant quelques pas en arrière pour jeter un oeil à la salle, la jeune femme ne tarda pas à tendre l'oreille en ouvrant un peu plus la porte.

Apparemment, c'était un cours de physique plutôt avancé. Le cours du professeur qui parlait lui rappelait d'ailleurs le discours de l'un de ses propres enseignants du MIT et, convaincue, la jeune femme se faufila dans la salle pour se glisser sur un siège du dernier rang. Attentive, la jeune femme écouta le cours en commentant intérieurement les commentaires du professeur, se permettant de le détailler rapidement du regard. Jetant un regard sur le fascicule de sa voisine, elle capta son nom : Covington... le nom ne lui disait rien, mais elle aimait ses idées et son cours, bien qu'avancé, semblait vraiment en passionner quelques-uns. Elle ne fut d'ailleurs pas étonnée de voir que les filles étaient des auditrices particulièrement attentives. Elle ne pouvait pas les en blâmer, d'où elle était elle devinait assez bien le charme du professeur et après tout, ses propres parents s'étaient rencontrés alors qu'il était professeur au MIT et que sa mère était sa plus fervente étudiante. Bien vite, le chapitre qu'aborda l'homme interpella de nouveau Kiara-Luka et elle fronça les sourcils, agréablement surprise : le plasma, exactement la raison de sa venue.

La fin du cours sonna bien assez vite et, alors que la majorité des élèves trouvaient au plus vite le chemin de la sortie, Kiara-Luka resta un moment à sa place avant de descendre lentement les marches de l'amphithéâtre, laissant aux étudiants le temps de se disperser avant d'arriver près du bureau du, donc, professeur Covington. Sûre d'elle, la jeune femme s'approcha finalement avant de prendre spontanément la parole. « Votre introduction sur le plasma a été plutôt surprenante. J'aurais pensé que vous commenceriez par parler des travaux de Langmuir, mais le parallèle avec les éclairs est plus pédagogique. » déclara-t-elle comme si elle prenait la conversation en cours de route, interpellant le professeur avec un sourire poli et charmant : se pourrait-il bien qu'elle ai enfin une piste pour répondre à ses questions avec ce professeur ?

Lorsque Kiara-Luka avait adressé la parole au professeur, l'homme était occupé à ranger ses affaires. Ca ne l'empêcha pas de lui répondre également spontanément. « …oui je préfère commencer par là et le principe brut de découpage du plasma mais…vous vous êtes déjà penchée sur les travaux de Langmuir ? » Hochant d'abord la tête, la jeune femme hésita à répondre lorsqu'elle vit le professeur avoir apparemment du mal à venir à bout de la fermeture de sa malette. Elle lança un petit regard au sac avant de prendre tout de même la parole. « C'est un classique, ses recherches sont élémentaires, maintenant, mais elles restent passionnantes. » dit-elle avec un sourire poli. A vrai dire, elle avait entendu parler de ce scientifique du début du XXè siècle bien avant son entrée à l'université : petite, elle voyait déjà son nom sur les bouquins de ses parents qu'elle n'arrêtait pas de feuilleter. « Il me semble même d'ailleurs qu'il était diplomé d'ici. » se fit-elle la réflexion pendant que le professeur Covington se débattait avec sa mallette.

La brune semblait percevoir un certain questionnement dans le regard du professeur. Elle n'avait pas vraiment réfléchi à ce à quoi elle pouvait ressembler en venant lui parler, et il devait probablement la prendre pour une étudiante sans réellement situer le moment où il l'avait aperçu dans son amphithéâtre en dehors d'aujourd'hui. Amusée par cette idée - elle était sûre qu'avec un professeur comme lui, elle aurait été beaucoup plus attentive qu'elle n'avait pu l'être pendant certains de ses cours au MIT -, Kiara-Luka fit un pas sur le côté lorsqu'il prit ses affaires en faisant volte face, sans se départir de son sourire. « Auriez-vous des questions sur le cours ? Je peux vous consacrer quelques instants s’il le faut. » reprit-il en lui adressant un sourire poli. Et disponible, en plus de ça ! Que le professeur se propose immédiatement pour répondre à ses questions - bien qu'il ne l'ai pas exactement formulé comme ça, Kiara y voyait une ouverture vers son sujet - était un signe et un grand sourire prit place sur ses lèvres alors qu'elle hochait la tête. « Oui, à vrai dire, j'aurais une question plutôt... précise, sur les propriétés du plasma. » lâcha-t-elle avant de retrouver le silence un instant, se concentrant pour trouver une bonne formulation qui exprimerait ses idées avec autant de rapidité qu'exactitude.

Kiara-Luka était pourtant loin d'être une oratrice : elle n'était pas stressée, non, mais elle n'avait juste aucun talent pour parler à une foule ou même pour expliquer ses pensées à quelqu'un d'autre. Dans son esprit, tout était clair, mais lorsqu'il fallait mettre des mots dessus, c'était une autre affaire ! C'était probablement ce qui avait été le plus dur durant ses études et, depuis qu'elle les avait terminées, dans son travail. Aujourd'hui, elle avait appris quelques astuces mais n'en était pas pour autant claire et limpide : c'est ce qui lui faisait dire qu'elle ne pourrait jamais enseigner à quiconque. Soit elle simplifiait au maximum pour, par exemple, sa cousine lorsqu'elle lui posait des questions, soit elle parlait "brut" avec ses collègues. La, le sujet qui l'amenait était spécifique, et dès qu'elle sut comment formuler sa question, elle rouvrit la bouche et retrouva un contact visuel avec le professeur, comme pour jauger de sa réaction pour obtenir plus vite sa réponse. « A l'échelle de l'univers, je sais que les premiers pulsar détectés laissaient croire à l'existence de planètes et même de "contact" avec une autre forme de vie, pour n'être en fait que des amas de plasma. Mais est-ce que vous pensez qu'il serait possible, dans l'hypothèse d'une planète rattachée un système stellaire, de déterminer l'existence et, si c'est le cas, la quantité de plasma qui pourrait se situer en suspension autour de cette planète, comme notre ionosphère ? » demanda-t-elle finalement en agitant légèrement les mains en même temps qu'elle parlait, terminant sa tirade en adressant un regard brièvement suppliant à l'homme, espérant qu'il avait les réponses qu'elle cherchait désespérément.

Désolée c'est pas top >< et j'ai probablement raconté n'importe quoi sur la fin *_*

Apparemment, Kiara-Luka avait perturbé le professeur, qui lui adressa un regard désolé lorsqu'elle releva les yeux vers lui. « Attendez je ; attendez. » lui dit-il d'abord simplement, l'interrompant dans son explication et lui faisant retrouver le silence. Était-elle allée trop vite ? N'avait-elle pas donné assez de détails ? Elle avait l'impression de tourner et retourner son problème dans sa tête depuis tellement longtemps qu'elle n'était plus sûre de ce qu'elle mentionnait et ce qu'elle oubliait. Passant devant lui à son invitation pour sortir de l'amphithéâtre, elle laissa un petit sourire satisfait prendre place sur ses lèvres : et gentleman, avec ça ! « Je ne sais pas si vous pouvez dès à présent mais il va falloir que l’on trouve un peu de temps pour discuter plus au calme de tout ça. Si vous tenez toujours à ce que j’apporte un début de réponse à votre question. » reprit bien vite le professeur. Kiara-Luka haussa brièvement un sourcil avant de hocher doucement la tête, sentant son sourire s'élargir. S'il lui proposait d'en discuter, c'était qu'il avait tout de même plus ou moins compris ce qui l'amenait à lui poser ces questions, c'était déjà ça. Elle jeta un regard à sa montre et releva les yeux vers Covington pour lui répondre. Elle avait même quelques heures avant qu'elle ne doive aller récupérer son petit frère au centre pour le ramener chez eux. « Ce serait avec plaisir, j'ai vraiment besoin d'éclaircissements sur ce point. Un café vous irait ? » lui demanda-t-elle avec un sourire avenant : rien ne l'engageait à accepter, même si c'était lui qui l'avait proposé, mais il fallait avouer que maintenant que Kiara avait trouvé un spécialiste - charmant, en plus de ça -, elle n'était pas prête à tout reprendre de zéro.

Le professeur serra la main à un de ses collègues et, par respect, Kiara-Luka resta en retrait. Lorsqu'il reprit la parole, cependant, elle se plaça bien vite près de lui pour avancer tout en pouvant toujours lui parler. « Vos interrogations sont précises en tout cas…En quelle année êtes vous ? » Cette fois-ci, la jeune femme resta un instant interdite et lâcha un léger rire nerveux : captée. Il fallait avouer aussi qu'elle n'avait pas choisi de couverture avant de s'incruster comme ça à un cours ! Mais si elle avouait au professeur Covington qu'elle ne faisait partie ni de sa promo, ni même de son université, accepterait-il tout de même de l'aider ? Elle commença d'abord par bégayer. « Euhm, eh bien, je, en fait... » avant de se mordre la lèvre inférieure et de fermer rapidement les yeux, un sourire vaincu sur les lèvres. Lorsqu'elle se tourna de nouveau vers son interlocuteur, elle avait presque l'attitude d'un élève qui suppliait de ne pas être dénoncée. « Je suis pas vraiment inscrite à Columbia, j'étais juste venue faire des recherches à la bibliothèque quand je suis tombée sur votre cours. » expliqua-t-elle pour se justifier avant d'adopter une nouvelle posture. « J'ai passé toutes les convenances. Kiara-Luka Jones, enchantée. » déclara-t-elle finalement avec un sourire avenant : il pouvait bien la connaître, ou pas du tout, peu importait. C'était la moindre des choses de se présenter, et elle ne pouvait de toute façon pas prétendre être élève à Columbia.

C'est minuscule *_*

Dès l'instant où elle prononça son nom, Kiara-Luka remarqua que ça avait sonné une cloche dans l'esprit du professeur qui avait immédiatement tendu une main en sa direction. « Oh je... » Ah, il était surpris ! Légèrement amusée par cette réaction qu'elle-même n'attendait pas vraiment, la jeune femme lui adressa un léger sourire entendu en saisissant la main qu'il lui tendait. « Navré, je n’vous ai pas reconnue et ; pourtant je vous connais ! Enfin, de nom bien sur…De nom. J’suis enchanté. » Donc il la connaissait : même si Kiara-Luka y était déjà un peu habituée, ça ne l'empêchait pas d'être particulièrement flattée. Elle, célèbre ? Seulement dans le cercle restreint des scientifiques. Il fallait avouer que son parcours, en plus d'être sans embûches, était particulièrement prestigieux : l'univers, c'était une affaire de familles, et elle était estimée pour ses travaux au même titre que son père l'avait été avant elle, jusqu'à ce qu'il ne se mette à se couper totalement de toute médiatisation pour s'isoler dans sa caravane et chercher des signaux extraterrestres. Seulement, elle n'aurait pas imaginé être vraiment reconnue par un professeur de Columbia, et bien que plutôt fière de son bref commentaire sur le fait qu'il semblait évident qu'il connaissait son nom, elle fit un geste de la main pour effacer ses excuses. « Ça m'a fait du bien d'être de nouveau une étudiante pendant quelques instants, alors je ne peux pas vraiment vous en tenir rigueur. »

Quoiqu'il en soit, il ne pouvait pas échapper à la jeune femme ce soudain changement d'attitude de l'enseignant à son égard : il l'avait vraiment vue comme une élève - comment aurait-il pu en être autrement ? - ces dernières minutes et là, il semblait... Différent, comme si Kiara-Luka était une vraie célébrité & qu'il avait peur de s'être rendu ridicule : d'une certaine façon, c'était plutôt attendrissant de le voir essayer de blaguer pour détendre l'atmosphère qu'il sentait soudainement plus lourde. La jeune femme était tellement loin de ça, cependant ! Tout ce qui l'intéressait, tout ce qui l'avait toujours intéressée, c'était la science, l'univers, l'astronomie, la physique, la logique. Elle récoltait les fruits de son labeur, certes, mais elle était beaucoup plus intéressée à l'idée de savoir la science un peu plus avancée grâce à elle qu'à celle de savoir à quel point sa notoriété allait en être améliorée.

L'enseignant ne tarda pas à lui ouvrir la porte vers l'extérieur, attention de laquelle elle le remercia d'un regard une nouvelle fois flatté, et reprit rapidement. « Vraiment, je ne sais pas si je pourrais vous apporter quelque chose…Je ne voudrais pas vous faire perdre du temps dans vos recherches...Et c’est quand même plus judicieux d'être inscrit dans vos petits papiers ! » Nerveux, le professeur ? Apparemment, oui. C'était vraiment amusant de voir le changement d'attitude de Covington, comme si les paroles scientifiques que Kiara avait prononcées plus tôt prenaient tout leur sens. Laissant échapper un léger rire lorsqu'il prononça sa dernière phrase, elle lui adressa un regard entendu : pour le moment, il était en bonne piste pour être dans ses petits papiers, c'était parfaitement clair. Se tournant finalement vers lui, elle secoua doucement la tête. « Je suis sûre que vous ne me ferez pas perdre mon temps. J'ai écouté la presque totalité de votre cours et j'ai été convaincue, vraiment ! » déclara-t-elle. En plus d'avoir vraiment besoin de réponses pour ses recherches, elle était désormais impatiente d'en savoir plus sur ce professeur qui semblait perturbé de se retrouver en face d'elle, mais qui malgré ce qu'il pouvait bien dire avait une culture et une connaissance physique qui dépassait sûrement celle de la jeune femme. « Deux cafés serrés, alors ? » demanda-t-elle d'office avec un sourire complice, faisant référence à sa blague d'un peu plus tôt.

Kiara-Luka, d'habitude, ne marchait pas aux compliments. Pour elle, elle n'avait pas tant de mérite que ça : certes, ses recherches lui appartenaient et elle y avait souvent passé des jours et des nuits pour les peaufiner, mais elle faisait juste son boulot, ce pour quoi elle était passionnée, et elle voyait en général tout ce qui entourait la science pure comme du baratin, de la dorure dont on l'imprégnait alors qu'elle n'en avait pas besoin. Elle voyait tellement de scientifiques complètement imbus d'eux-mêmes ! Ne serais-ce qu'à son travail, l'ambiance devenait parfois étouffante tellement l'égo de certains chercheurs était envahissant. Kiara-Luka n'était pas comme eux, elle ne cherchait les projecteurs ou la renommée, elle n'était animée que par la passion de la science. Seulement, avec Thomas, elle était plus flattée qu'elle aurait pu l'être après les compliments de n'importe quelle personne avec qui elle travaillait. Étais-ce son charme, son sourire, son regard qui étirait ainsi les lèvres de la jeune femme dans une expression flattée et touchée ? Quoiqu'il en soit, la chercheuse n'était pas insensible à l'attitude du professeur qui semblait réellement impressionné par son parcours - qu'il connaissait, ça suffisait seulement à ce que Kiara trouve le jeune homme impressionnant. « Avec joie. » accepta-t-il une fois qu'elle eut insisté, arrachant à la jeune femme un sourire tout à fait satisfait qu'ils partagèrent avant de se mettre en route vers le café.

Durant le chemin, Kiara-Luka fut surprise de toutes les questions que lui posaient Thomas, mais elle n'hésitait pas à lui répondre à chaque fois avec rapidité et précision. Parfois, sa voix se faisait légèrement plus interrogative, lorsqu'elle touchait du doigt ce problème même pour lequel elle s'était rendu à Columbia, mais elle était clairement l'institutrice des deux à ce moment-là. C'était plutôt étrange, mais également plaisant, et la jeune femme dût bientôt détourner les yeux pour ne pas montrer son trouble de voir Thomas si passionné par ses paroles. Il avait l'air de la prendre pour un génie - ce qu'elle était, théoriquement, mais elle ne se sentait pas "génie" au quotidien. C'était un terme, un chiffre sur un papier que des gens avaient sortis d'une expérience logique et statistique. Pour elle, c'était Covington le professeur, elle n'était qu'une chercheuse de 24 ans complètement perdue dans son problème physique et et elle se fit sourire mentalement en se disant qu'elle n'avait pas intérêt à faire d'erreur dans ce qu'elle disait : elle aimait finalement trop constater l'attention de l'enseignant.

Bien vite, les deux scientifiques arrivèrent au café et Kiara-Luka pénétra dans l'enseigne en observant rapidement l'environnement : elle détestait les endroits bondés où on ne s'entendait plus parler, cet endroit était parfait. Elle prit place à la table désignée par le professeur, souriant simplement à la serveuse lorsqu'elle salua ce dernier. « Si je ne peux vous apporter de concrètes solutions je pense néanmoins être capable de vous donner des pistes que vous n’avez pas forcément exploitées… En tout cas c’est fascinant ; vous êtes vraiment brillante. » Sa sincérité, son enthousiasme et son admiration étaient flagrants. Décidément ! Recevant le compliment, Kiara esquissa un large sourire avant de baisser les yeux un instant, déstabilisée. « Merci, je trouve ça plutôt passionnant aussi. Je m'y casse souvent les dents, mais ça en vaut la peine. » répondit-elle en secouant doucement la tête ne serais-ce qu'à se souvenir de ses nuits blanches passées à résoudre des paradoxes. « Mais parlez-moi de vous ! Professeur à Columbia, c'est plutôt prestigieux, quel est votre parcours ? » demanda-t-elle, cédant à sa curiosité : après tout, il en savait beaucoup sur elle mais elle ne connaissait que son nom !

« Je suis certain que vous vous en sortez très bien !... » Kiara-Luka ne put pas réagir autrement qu'en lui adressant un sourire mi-vaincu, mi-gêné. Bon, elle ne pouvait pas vraiment nier que ses facilités lui avaient permis d'avoir généralement un plus haut degré de compréhension de ce qu'elle recherchait - même à la fac, elle était toujours intéressée par ce qui était au-dessus de son année d'études, parce que finalement, elle aimait la difficulté aussi. Et elle était fière lorsqu'elle réussissait à l'outrepasser. Seulement, en être complimentée... Elle avait beau y être désormais habituée, c'était toujours aussi difficile de savoir comment agir dans cette situation ! Malgré les années d'entraînement et le temps passé auprès de ses amis, elle avait parfois l'impression d'avoir ce petit côté asocial dont elle avait hérité en contrepoids de son intelligence phénoménale. Alors, pour détourner la conversation, et parce qu'elle était aussi intéressée par le parcours du professeur en face d'elle, elle enchaîna en lui demandant d'où il avait été diplômé. Il sembla perturbé un instant mais se reprit vite : elle avait déjà remarqué cette assurance qui l'habitait, il était... captivant. « J’ai fait mes études en Australie, je suis de Cambera. J’suis arrivé au États-Unis après cinq ans de fac et j’ai terminé les années qu’il me manquait ici à NYC pour enseigner à Columbia. Rien de bien glorieux voyez…j’ai certes fait parler de moi étant élève en gagnant quelques prix concours organisés par l'université mais surtout pour ma participation active aux soirées étudiantes ! » A l'entente de sa dernière phrase, la jeune femme ne put s'empêcher d'éclater de rire. Ah, ça, elle connaissait ! « On a pas fait de vraies études si on a pas participé à de vraies soirées étudiantes ! » Bon, elle avait parfois l'impression aussi qu'elle était toujours une étudiante, avec les soirées auxquelles elle se rendait parfois, mais elle avait eu cette période aux environs de sa troisième année au MIT où elle se souvenait avoir passé plus de temps en soirée qu'en cours, jouant sur le talent pour toute une série de partiels. Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre la parole, la serveuse vint les interrompre pour prendre leur commande et, acceptant la galanterie de Thomas en lui adressant un sourire, elle commanda un café et détourna bien vite son regard de la serveuse une fois que celle-ci eut fait volte-face pour aller préparer leurs boissons.

Australien... Peut-être étais-ce de là que venait son charme, alors ? Juste avant que la serveuse ne vienne prendre leur commande, elle avait senti son regard inquisiteur sur elle : un peu plus, et elle en rougissait. « Vous êtes australien, donc ! Moi aussi, enfin... un quart. Je suis née dans une petite ville du Bush, au centre du pays, mais j'y suis pas restée longtemps. Ca vous manque pas trop ? » avoua-t-elle avec une pointe de regret dans la voix. Avec le recul, elle ne pouvait pas dire ne pas avoir aimé sa vie à Phoenix, mais l'Australie... C'était, aux yeux de Kiara-Luka, l'ancienne vie de ses parents, celle qui la faisait rêver et qui était remplie d'aventures étoilées à bord de la caravane familiale. Finalement, la jeune femme détourna le regard un instant avant de le replanter dans celui de Thomas et de reprendre avec assurance et un peu d'amusement. « Je pense qu'on pourrait se tutoyer, non ? » demanda-t-elle en étirant un sourire qui fit remonter ses pommettes.

Le simple fait de savoir que Thomas n'était pas un simple professeur rigide et sérieux qui ne pensait qu'au travail et se refusait à aller se coucher après vingt-deux heures avait le don de détendre l'atmosphère : Kiara-Luka, malgré son attrait tout particulier pour le travail qu'elle faisait et sa passion pour l'astronomie qu'elle n'avait jamais remise en cause, n'avait tout de même que vingt-quatre ans, et elle profitait pleinement de ses soirées pour se soulager de la pression que son travail mettait sur ses épaules.

La conversation dévia alors sur le pays de naissance que les deux scientifiques partageaient et alors que Kiara-Luka s'était attendu à ce qu'il soit nostalgique de sa vie en Australie, la réponse fut toute autre. « Du tout ! » Surprise, Kiara-Luka haussa les sourcils mais remarqua la tempérance de Thomas, qui lui sourit avant de reprendre. D'abord pas sûre de comprendre ce qui semblait le perturber, la jeune femme lui lança un regard interrogatif l'invitant à développer ou à lui signifier le problème, réponse qui ne tarda pas à suivre. « Enfin je ; si, le pays en lui-même me manque. Bien sur. C’est un beau tableau de paysages différents, charmants. Ça fait peut être trop longtemps que je n’y suis pas allé. » La brune hocha pensivement la tête : elle avait l'impression qu'il y avait plus sous cette histoire qu'il ne voulait bien le dire, mais elle se savait totalement déplacée si elle osait en demander plus. Si elle était d'une nature curieuse pour tout ce qui concernait les sciences, elle savait parfaitement à quel point il pouvait être nécessaire pour quelqu'un de conserver son jardin secret. Kiara-Luka avait peut-être touché un point sensible sans s'en rendre compte, quoiqu'il en soit elle n'irait pas plus loin si ça le plongeait dans une mauvaise nostalgie.

C'est pourquoi la jeune femme changea de conversation et proposa au professeur un tutoiement mutuel. Gagné : en un instant, le jeune homme retrouva son sourire et lorsque leurs cafés furent sur la table, répondit. « Eh bien ; c’est prendre le risque de laisser un fan être familier avec une idole ! » Un nouveau rire traversa les lèvres entrouvertes de Kiara-Luka, qui papillonna des paupières en tentant de masquer le trouble agréable qu'il faisait naître chez elle à force de compliments. « Mais tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même si ça devient problématique. » La brune releva les yeux vers le jeune homme et un éclair traversa son regard avant que son sourire ne s'étire encore. Après un instant de silence, elle s'humecta la lèvre inférieure avant de lui répondre. « Je prends volontiers le risque. »

Elle était beaucoup plus charmée par Thomas qu'elle voulait bien l'admettre, et elle peinait à le masquer : toute flattée qu'elle était du flot de compliments dont il l'avait gâtée, elle mit un bon moment avant de trouver un moyen relancer la conversation, et elle s'autorisa une petite gorgée de café avant de commencer. « Concernant votre aide éventuelle, je voulais préciser que tout ce que vous m'apporterez vous sera crédité, bien sûr. » lâcha-t-elle en se voulant rassurante.

Kiara-Luka ne s'était d'abord pas rendue compte qu'elle avait vouvoyé Thomas et pourtant, un instant après lui avoir demandé le tutoiement, elle remettait le couvert avec un vous distancier et formel qui la surprit elle-même. Pourquoi diable l'avait-elle vouvoyé de la sorte ? Elle semblait rattrapée par son propre jeu, elle se voulait assurée et rassurante mais même si il semblait que Thomas était celui qui était intimidé, il semblerait que ce soit en réalité la chercheuse qui était perturbée par le professeur au charme indéniable. « Ce n’est pas nécessaire, vraiment, c’est avec plaisir si je peux vous…tu…eh ; vous trichez ! Si vous ne me tutoyez pas je ne peux me permettre de le faire. » Il l'avait remarqué lui aussi : Kiara-Luka lui adressa un sourire mi-désolé, mi-amusé, ravie de voir que Thomas ne lui en tenait pas réellement rigueur. « Désolée, c'est... réflexe. » dit-elle d'abord. Elle n'était en réalité tellement pas habituée à mêler travail & intimité ! Elle reprit doucement, sur le ton de la confidence, comme si s'expliquer l'excusait encore. « Tu sais, au boulot, c'est tellement... formel, que c'est parfois difficile d'en sortir. Mais je vais faire un effort, vraiment. » dit-elle en se concentrant pour ne pas faire de nouvelle gaffe. Certes, elle tutoyait des gens au travail : Mina, au mariage duquel elle s'était rendu, ou bien Whiskey qui était sa plus proche collaboratrice, mais c'était... différent. Elle n'était pas physiquement attirée par elles, pas même un peu, alors que Thomas avait cette facilité à mêler son charme et ses connaissances qui le rendaient irrésistible.

« Pour ce qui est de mon aide, encore faut-il que je sois utile avant que nous parlions rente mais sincèrement, c’est déjà m’apporter beaucoup que de pouvoir travailler avec…une chercheuse si renommée. » reprit-il, sans qu'elle ne manque de remarquer avec quelle habileté il avait tourné sa phrase pour pas qu'il n'ai à la nommer. Un fin sourire prit place sur ses lèvres à l'entente de ses paroles et elle papillonna des paupières en s'empêchant de sourire plus et de dévoiler encore une fois à quel point ses paroles la touchaient. La seule chose qui lui permit de se reprendre était le fait qu'elle prenait son travail très au sérieux. « Je suis sûre que tu me seras utile... » dit-elle doucement avant de se reprendre brusquement. « ... pour mes recherches. » Décidément ! Elle avait l'impression d'être une adolescente prise en flagrant délit en train de fantasmer sur son professeur.