Enfin le week-end était arrivé ! J'avais bien cru ne jamais en finir de cette semaine laborieuse et compliquée ! Entre les sujets pointus réclamés par la rédaction, les collaborateurs peu enclins au travail et les rencontres imprévues avec des indésirables, autant dire que j'aurais bien aimé pouvoir hiberner toute la semaine ! Ou encore me servir de ma sœur jumelle pour me remplacer dans ces tâches ingrates ! En rentrant ce soir-là, j'avais décidé de ne pas mettre le pied dehors du week-end, de me couper du monde et de me détendre au maximum.

Une fois mes affaires rangées, l'ordinateur caché sous une pile de documents histoire de ne pas être tentée de lui rendre une petite visite, je m'étais préparée un café et avait commandé une pizza. Au programme ? Lecture sur la terrasse et visionnage d'un DVD dans la soirée, tout ce que j'aimais ! Contrairement aux autres week-ends, je n'étais pas passée voir mes parents, je m'étais uniquement contentée de leur passer un coup de fil express. Plusieurs fois dans la semaine aussi j'avais tenté de joindre mon frère, en vain, seule la messagerie me répondait. Il devait avoir beaucoup de travail, je ne me faisais pas trop de souci pour lui. Mais sans nouvelle de lui d'ici la fin du week-end, je me permettrais de passer dans son garage en début de semaine. C'est que sa compagnie me manquait ! Autant dire sincèrement que je me sentais plus proche de lui, mon frère adoptif, que de ma sœur jumelle. La nature est bizarrement faite des fois !

C'est donc ravie du programme de mon week-end que je m'installais sur ma terrasse, un café brûlant devant moi. J'avais la chance de vivre dans un quartier calme, comme en pleine campagne, un luxe auquel je n'aurais pas pensé avoir le droit en m'installant à New-York ! Ici tout était paisible, comme coupé du monde, un endroit parfait pour la relaxation après de longues journées de labeur. Après avoir regardé quelques instants mon matou grimper dans un arbre chassant un pigeon, je me penchais pleinement sur mon livre et me plongeais dans la lecture. Dans cette situation, seule la tombée du soleil ou l'arrivée du livreur de pizza mettrait fin à mon activité... A moins que..

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J'ignorais tout des sentiments de Jackson à mon égard. Pour moi il était et resterait toujours mon grand frère. Même si nous n'avions pas le même sang, peu importait, je le connaissais depuis toujours et je l'aimais tendrement. Il y avait d'ailleurs de très nombreuses années que j'avais supprimé le mot "adoptif" pour le désigner... Si j'avais eu connaissance de ses sentiments réels, j'ignore de quelle manière j'aurais pu réagir. Très certainement la surprise se serait emparée de moi dans un premier temps mais après, je ne sais quel comportement j'aurais adopté... Promixité... Fuite... Je ne m'étais jamais posé la question alors la réponse restait un parfait mystère, et pourtant, un jour, je serais amenée à la formuler...

La confiance aveugle que j'avais en Jackson me faisait passer à côté de détails qui, si je les avais pris en compte, m'auraient peut-être guidée et permis de connaître la vérité, aussi bien pour ses sentiments que pour sa maladie. Pour celle-ci, même sans le savoir amoureux de moi, j'aurais tout fait pour l'aider à lutter, parce que je tenais à lui, que je n'aurais pas voulu le perdre ni le voir souffrir. Là encore, ses secrets le blessaient plus qu'ils ne l'auraient dû. Comme quoi la confiance peut ne plus s'allier à l'amour, quelle que soit la forme de celui-ci...

Son arrivée éclair fut pour moi une excellente surprise. En entendant la porte s'ouvrir, je sus immédiatement qu'il s'agissait de lui, il n'y en avait qu'un pour prendre de pareils aises avec moi. Mais il est vrai que je ne m'attendais pas à le voir arriver à cet instant. Finalement, ma soirée allait peut-être prendre une autre tournure, tout aussi agréable cependant...

«Salut toi !» Mon visage s'était comme éclairé avec son arrivée... Je répondis alors à son baiser par un joyeux sourire sans le quitter du regard. Délaissant mon livre et l'abandonnant sur la table, j'approchai ma chaise davantage. «Je suis contente que tu sois venu... Je t'ai appelé plusieurs fois cette semaine, j'ai compris que tu avais pas mal de boulot...»

A mes yeux, Jackson était un véritable modèle de courage, toujours souriant, présent, ne se plaignant jamais de quoi que ce soit... Il aurait pu pourtant... Nos parents nous avaient raconté, à Kaliska et moi, ce qui avait été sa vie avant qu'il ne nous rejoigne. Quand j'y pensais, j'en avais encore le cœur gros, il n'avait pas mérité de vivre ça... Mais dans le fond, cela avait été une chance, puisque j'avais pu le connaître...

«Tu veux boire quelque chose ?» Je me redressai sur mon siège, déjà prête à me lever. «Tu peux même rester manger avec moi si tu veux, j'ai commandé une pizza, ce serait plus sympa de la partager !»

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Chez mon frère, tout était normal en apparence ; d'ailleurs, avec lui, c'était toujours comme ça, simple. Mais seulement sur le moment présent. J'en avais ainsi eu un aperçu lorsqu'il s'était marié. Je le croyais heureux, il en avait tout l'air, et pourtant si j'avais su... Le divorce était d'ailleurs venu peu de temps après exprimer la vérité... Mais malgré tout, j'avais une confiance aveugle en Jackson, si il se portait bien, je ne cherchais pas à savoir si cela ne cachait pas quelque chose. Et pourtant, si je l'avais fait, la vie aurait été encore plus agréable pour nous deux à ce moment présent... Nous n'aurions pas perdu de temps dans des relations faussées, il n'aurait pas risqué sa vie pour rien... Si seulement j'avais su...

«Je vais te préparer ça tout de suite alors !» Je me levai immédiatement en direction de la cuisine. Sans me poser de questions, je lui servis le même café que pour moi, c'est à dire... très fort, pas vraiment conseillé dans son cas... «Même si je te dis non tu vas le faire quand même, je me trompe ?» Jackson était un gros fumeur et plusieurs fois déjà cela avait été un sujet de dispute entre nous deux, je faisais en effet partie de ceux qui craignent le tabac comme la peste. Mais que voulez-vous, il était assez grand pour prendre les décisions qu'il jugeait bonnes pour lui...

Je revins quelques instants plus tard et déposai la tasse devant lui avant de reprendre place sur ma chaise. «Alors, qu'est-ce que tu me racontes de beau ? Mis à part le travail...» Dans le fond, Jackson restait pour moi une énigme, il ne me racontait que très peu de choses sur lui, me donnait souvent des nouvelles évasives. Si je m'étais réellement posé la question, j'aurais été incapable de savoir pourquoi il avait divorcé. De même, je ne connaissais pas son ressenti sur un certain nombre de choses comme son enfance, son avis par rapport aux distances que notre sœur mettait entre elle et le reste de la famille... Pourtant, j'aurais bien aimé savoir tout ça... Qui sait, peut-être cela aurait-il pu me faire comprendre d'autres choses nous concernant tous les deux...

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Avec un peu de recul, si il m'avait fallu résumer ma relation avec Jackson en un seul mot, j'aurais dit complexe. Je l'adorais mais dans le fond je ne le connaissais pas autant que je l'aurais pu. Il m'aimait aussi et me cachait le moindre des soucis le concernant. C'était illogique mais tellement compréhensible dans le fond... Je ne me posais pas de question parce que j'avais confiance en lui, je croyais qu'il ne me cacherait rien... De son côté, il gardait ses secrets pour ne pas me faire de peine ou de souci... Un psy aurait très certainement dit que nous étions tous les deux liés par le même sentiment mais pas prêts pour le vivre ou en tout cas pas suffisamment éclairés pour nous jeter à corps perdu. Mais qu'il soit mon frère ou mon compagnon, j'aurais aimé que Jackson me dise tout, surtout lorsque sa vie était en jeu. A ma manière, j'aurais pu l'aider... Dans un premier temps, je l'aurais forcé à suivre son traitement à la lettre, et si la situation avait évolué dans le mauvais sens, il aurait pu compter sur moi pour être soutenu psychologiquement. Jamais je n'aurais pris pitié de lui, car, c'était à mes yeux un sentiment qui ne menait nulle part. Seul mon amour, qu'il soit fraternel ou autre, aurait parlé, se traduisant par une protection sans limite, des attentions continues... Avec un peu de chance, peut-être que les choses changeraient et qu'il ne serait pas trop tard pour que je l'aide à rattraper le temps perdu...

J'ignorais jusqu'aux petits défauts, pourtant d'importance, qui caractérisaient mon frère. Sa dépendance à la caféine, au tabac, je n'en étais pas pleinement consciente. Certes je le voyais toujours fumer, il buvait souvent du café en ma compagnie mais je ne restais pas suffisamment de temps avec lui pour me rendre compte de l'omniprésence de ces substances dans son quotidien. Si je l'avais vu se détruire à petit feu de la sorte, je ne l'aurais pas laisser faire, au nom de l'amour fraternel que je lui portais, et peut-être que je serais parvenue à limiter les dégâts, aidée par l'affection qu'il me démontrait lui aussi... Les choses sont bien compliquées, même quand elles n'en ont pas l'air... «Oh, rien de bien spécial de mon côté non plus... Entre prises de tête avec les PDG des grandes boîtes et recherche perpétuelle de nouveaux sujets, c'est toujours la même chose...» Il est vrai que pour le coup, je n'avais pas grand chose à lui dire moi non plus, mais au moins, je ne lui cachai rien ! Je buvais le contenu de ma propre tasse lorsque la sonnette tinta, très certainement le livreur. «Je crois que le dîner est servi !» Toute heureuse, je quittai à nouveau mon siège en direction de la porte d'entrée. Je ne m'étais pas trompée en effet, c'était bel et bien le livreur. Je le laissai rapidement repartir une fois le produit payé, et repris la direction de la terrasse les bras chargés.

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Plusieurs fois dans notre jeunesse, nos parents nous avaient incitées, ma sœur et moi à faire parler Jackson, non pas pour lui faire du mal, mais au contraire pour qu'il puisse s'ouvrir pleinement à nous, ne pas endurer un poids trop lourd. Pour ma part, je n'avais jamais osé le faire, trop apeurée à l'idée de lui faire du mal. Au contraire de Kaliska qui, elle, avait voulu le faire à plusieurs reprises, mais, à chaque fois, j'étais parvenue à l'en dissuader, elle était trop brusque dans ses paroles pour que cela soit fait sans être trop difficile pour Jackson. A ce sujet, mes parents m'avaient récemment répété de lui parler de son passé, ils avaient en effet tendance à s'inquiéter pour lui depuis son divorce. Je pensais souvent le faire mais j'ignorais si je parviendrais à le faire sans trop de dégâts. Etait-ce vraiment nécessaire de risquer de faire du mal à mon frère ? Je n'en étais pas vraiment convaincue. Je ne pouvais demander de conseils à personne sur ce point, j'avais bien essayé auprès de Kaliska mais elle m'avait rapidement fait comprendre que c'était le cadet de ses soucis. Ca, je le cachais à Jackson depuis un bon bout de temps, mais ma jumelle n'avait pas l'air de vraiment le porter dans son cœur... Pourquoi ? Je l'ignore... A vrai dire cela ne m'étonnais qu'à moitié quand je voyais le peu d'attention qu'elle m'accordait depuis plusieurs années...

En revenant sur la terrasse, j'avoue que la grimace que j'avais vu sur le visage de Jackson m'avait surprise, pas forcément dans le bon sens. Il m'était toujours apparu costaud alors le voir grimacer pour un engourdissement... Je relativisai cependant bien vite, la surprise causée par un engourdissement n'épargnait personne. «Je préfèrerais finir vieille fille plutôt que tomber sur n'importe qui... Et puis j'ai encore le temps devant moi ! Ce n'est pas parce que tu commences à te faire vieux et rhumatisant qu'il doit en être de même pour moi ! » Une petite plaisanterie dite avec le sourire comme il nous arrivait très souvent de nous en lancer ! Je déposai alors les pizze sur la table et repartis immédiatement dans la cuisine pour prendre des couverts et une bière pour Jackson, je savais qu'il en raffolait. Une fois le tout déposé sur la table, je débouchai sa bière et m'assis près de lui. Toujours enjouée, j'étais bien décidée à le taquiner. « Tu veux que je te donne la béquée mon pépère ? Avec une paille pour boire ce serait peut-être mieux ? » Je rigolais de cette situation mais j'aurais plutôt dû m'en inquiéter...

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Si j'avais su qu'en risquant de faire du mal à Jackson j'aurais pu lui sauver la vie, alors je n'aurais pas hésité une seule seconde. J'aurais préféré le voir fondre en larmes devant moi plutôt que de devoir, moi, fondre en larmes en apprenant la terrible nouvelle qui nous guettait si rien était fait pour que la situation change. Si on savait tout à l'avance, c'est bien connu, on agirait différemment... De même, si j'avais su depuis le début ce qu'étaient vraiment les sentiments de mon frère à mon égard, nous n'en serions pas là... Quoi que, si, nous serions peut-être sur cette terrasse mais il ne serait pas anéanti moralement à l'idée de cet amour impossible. Avouons-le, dans le fond, Jackson était tout à fait le type d'homme que je recherchais, c'était en partie pour cela que j'étais si proche de lui et que je ne cherchais pas plus activement à faire ma vie, je l'avais auprès de moi et je m'en contentais parfaitement, sans me poser d'autres questions. J'aurais été prête à faire beaucoup pour lui, même, justement, si je l'avais su, lui donner une partie de moi pour qu'il puisse continuer à vivre. Cela aurait pu être une alliance entre nous en sommes... Une alliance bizarre, certes, mais à mes yeux ô combien plus forte qu'une bague au doigt !

Lui aussi avait le pouvoir de me faire sourire, même dans des situations pour le moins difficiles, et il en avait toujours été ainsi depuis que je le connaissais... «Tu sais, je m'en moque parfaitement de ça, si un jour je trouve un homme bien qui s'avère être éboueur ou même croque-mort, je l'épouserai sans me poser de questions ! Mais encore faut-il qu'un tel homme existe, tu sais que je suis difficile ! Et à mes yeux l'homme parfait, depuis que je suis toute petite, il n'y en a que deux, c'est papa et toi ! » Des mots tendres entièrement pensés et dits avec la plus grande des sincérités. Toujours à ses côtés, bien que lui commençai à manger, je posai une main sur sa jambe et fit semblant de le débarbouiller. « Oui, j'ai pris des cours ! Mon prof' est le vieux baveux que j'essuie maintenant ! » Avec un léger rire, je m'écartai pour le laisser manger tranquillement et en faire de même. Toutes les conditions pour une soirée parfaite étaient réunies, le calme, un bon repas et la présence de mon frère. Que demander de plus si ce n'est qu'un tel moment ne s'arrête pas ? Hélas, je n'avais aucun contrôle sur le temps et ce qui risquait de se produire à l'avenir me ferait peut-être regretter la légèreté de mon esprit à ce moment...

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Jamais je ne m'étais posé la question à savoir comment je pourrais réagir en apprenant le décès de mon frère. Dans le fond, j'avais l'impression qu'il était invincible, que rien ne pouvait lui arriver. Je sais parfaitement que tout cela est d'une bêtise immense mais c'est que je n'avais jamais eu l'occasion de penser autrement. Ma vie avait toujours été douce, ainsi que pour ma famille, alors pourquoi se miner avec des idées noires quand tout, autour de nous, resplendit ? De plus, je n'étais pas du genre à m'inquiéter pour rien ni même à me poser des questions sur des sujets négatifs. D'ailleurs, je n'avais jamais eu, dans les 27 années de ma vie, à connaître la disparition d'un être cher... Mais perdre mon frère serait pour moi une perte horrible que je ne parviendrais peut-être pas à surmonter. Ne pas le voir pendant quelques jours me coûtait déjà beaucoup alors je n'osais imaginer ce qu'il en serait d'une disparition définitive... Comment pourrais-je vivre sans lui, sans ses blagues, son sourire, son réconfort, sa présence... Sa personne, tout simplement... Et pourtant, la course vers cette fatalité s'accélérait de jour en jour et il serait bientôt trop tard pour l'arrêter... En attendant, il profitait de ce qui lui restait à vivre, car, bientôt, son existence serait invivable à cause de cette maladie. Mais ne l'était-elle pas déjà avec cet amour impossible ? Des fois, je me posais des questions, quand, d'un instant à l'autre, il perdait son sourire et semblait tout bonnement absent. Mais jamais je n'avais osé aborder ce sujet avec lui. Erreur fatale... Nous étions pourtant si proches, pourquoi garder ces distances... C'était idiot dans le fond mais notre relation était parfaite ainsi alors, à quoi bon chercher midi à 14 h ?

Pendant que nous continuions à nous envoyer quelques vannes, j'avais commencé à attaquer ma pizza, un festin de roi comparé aux horreurs culinaires que nous réservait le chef de cuisine de l'un des magazines où je travaillais. «Mon pauvre petit choupinet, tu as vraiment une frangine infecte ! Pauvre de toi...» Je penchai la tête sur le côté pour accompagner mes paroles mais ne pus rester crédible bien longtemps, un sourire amusé s'affichant rapidement sur mon visage. Trop absorbée par ma pizza, je ne remarquai pas la main tremblante que Jackson avait dirigée vers sa bière. Mais le bref silence qui s'était installé entre nous me semblait étrange... Je ressentais quelque chose d'anormal. Instinctivement, je relevai mon regard vers mon frère, au moment même où il me fit cette étrange demande. Quelle transition ! Il n'avait d'ailleurs pas du tout l'air d'avoir mal à la tête l'instant précédent. Je fronçai légèrement les sourcils en le regardant. Ses mains tremblaient, il se tenait bizarrement et me sentait tout chétif, comme ratatiné dans la chaise. Soudain inquiète, je me levai de mon siège brusquement et vint le prendre par les épaules tout en m'accroupissant à ses côtés. Sous le coup de l'angoisse, j'avais complètement zappé sa question. «Jackson, qu'est-ce qui se passe ? T'as pas l'air bien du tout !» Remarque maladroite mais comment aurait-il pu en être autrement dans une situation si soudaine, étrange et inquiétante. Au fond de moi, ce qui n'était qu'un malaise m'inquiétait plus qu'il n'aurait dû.

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Sans en être consciente, j'avais un droit de vie ou de mort sur mon frère. Etrange et lourde responsabilité que j'aurais cependant été parfaitement capable d'assumer si j'en avais eu connaissance. Car, oui, pour le voir vivre, j'aurais été capable de me sacrifier, bien que ce ne soit pas là le mot qui convienne réellement. Il aurait fallu que je l'aime ? Alors je l'aurais fait, j'aurais certainement eu du mal à le considérer autrement que comme un frère mais dans le fond cela n'aurait pas été un poids car, ainsi, je l'aurais toujours eu auprès de moi et je l'aurais su heureux, un fait fondamental à mes yeux. Pourquoi me sentais-je si impliquée dans son bonheur, d'ailleurs ? Cela ne cachait-il pas quelque chose dans le fond ? Je l'ignorais parfaitement, en fait, je ne m'étais jamais posé de questions sur ce sujet-là non plus, tout allant bien ainsi... En tous les cas, le voir dans cet état soudainement me faisait vraiment mal au cœur et, inconsciemment, je culpabilisais pour je ne sais quelle responsabilité. Maladroite et impuissante, je pris sa main dans la mienne et la serrait tendrement. Je croyais ainsi le rassurer mais c'était peut-être tout le contraire...

Je l'écoutais avec attention tout en scrutant son visage, il disait que ça allait passer mais je n'en étais pas si sûre, il avait toujours l'air aussi mal en point. «Tu fais de l'hypertension ? Mais depuis quand ? Tu aurais du me le dire...» Le moment n'était certes pas très bien choisi pour mener un tel interrogatoire mais il fallait comprendre ma surprise, et surtout ma crainte quant aux conséquences d'une telle révélation. «Tu es suivi par un médecin j'espère ? Tu pourrais avoir de gros problèmes au cœur, aux reins ou je ne sais où encore... » Et voilà, sans le savoir j'avais prononcé le diagnostic... Ce qui ne faisait qu'empirer mes craintes d'ailleurs. Pour un simple malaise, c'était trop d'inquiétude mais en réalité, elle était parfaitement justifiée ! «Je vais te donner ça, oui, mais viens t'allonger à l'intérieur.» Je me relevai alors, prête à l'aider à aller jusqu'au canapé situé juste à gauche de la baie-vitrée. Maintenant qu'il m'avait révélé avoir un problème de santé, bien que ce ne soit pas le vrai, je n'allais pas le lâcher, ni ce soir, ni dans l'avenir. C'était le problème de m'avoir comme sœur, mon côté prévenant pouvait devenir vraiment lourd pour ceux qui en faisaient les frais, mais dans le fond, n'était-ce pas là une preuve d'amour ? Parce que jamais je n'étais inquiétée de la sorte pour un simple malaise, pourtant mon père en avait déjà fait par le passé, étant fragile de santé.

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Contrairement à ce qu'il croyait, du moins à mes yeux, se laisser mourir de la sorte n'était pas du tout une marque de courage mais au contraire de lâcheté. Il avait la chance d'avoir une vie pour le moins heureuse, paisible, mis à part le fait qu'il n'avait pas de parents biologiques, il nous avait nous. Certes, il souffrait par amour, mais combien d'hommes et de femmes étaient dans le même cas que lui ? Il est certain qu'apprendre ça au moment de son décès, son manque de courage, allait me laisser de lui une image amère et peut-être même réduire l'estime que je lui portais toute sa vie durant. Peut-être y réfléchirait-il et s'en rendrait compte avant qu'il ne soit réellement trop tard... C'était en tout cas ce qu'il fallait souhaiter. Mais mon mal-être n'en serait que multiplié. Au-delà de la perte que serait son décès, j'aurais également l'impression de perdre le sens de l'amour que je lui avais porté tout le temps de son existence, car ce serait là une pure et simple trahison à mes yeux, même si dans le fond c'était plus compliqué que ça. S'ajouterait à cela la culpabilité de n'avoir rien vu et de ne pas m'être assez souciée de lui pour le pousser à se confier. En somme, il m'aimait mais allait me mener à ma perte.. «Que de l'hypertension ? Tu es conscient de ce que ça peut te causer et de ce qui peut en être à l'origine ?» J'essayais de ne pas être trop dure, ce n'était pas le moment, mais malgré tout je ne pouvais pas me retenir de lui dire ce que je pensais réellement. Et dire que je ne voyais que la face immergée de l'iceberg... J'étais bien loin de le voir complètement !

Ce ton, je le connaissais, mais cette fois, je n'avais aucune envie de m'y soumettre, poussée par mon intuition, laquelle me disait qu'en pliant je commettrais une grosse erreur. Alors je ne le ferai pas, il ne pourrait pas m'induire en erreur comme il avait pu le faire jusqu'à maintenant sur ce sujet que je venais de commencer à découvrir. Désormais, il devrait mettre sa fierté de côté sans quoi il risquerait de me connaître sous un jour différent, beaucoup plus autoritaire, bien que régi par les mêmes sentiments que d'habitude, au contraire décuplés. Je faillis d'ailleurs partir au quart de tour avec sa dernière réflexion. Je n'étais pas habituée à un tel ton de sa part, mais plutôt que d'être déstabilisée, j'étais davantage rassurée sur la conduite à tenir. Puisqu'il prit presque aussitôt conscience de son erreur, je me rassérénai quelque peu, sans pour autant oublier. «Jackson, pas de ça avec moi... » C'était la première fois que je m'étais mon frère en garde si sérieusement. «Je te fais confiance mais j'ai l'impression que tu me caches quelque chose. Ne me demande pas pourquoi je dis ça, je le sens, c'est tout, et je te connais assez pour être sûre que je ne me trompe pas. Alors ne joue pas les caïds avec moi, ravale ta fierté et mets ton égo de côté. » Depuis qu'il me connaissait, je ne m'étais jamais montrée vraiment sèche avec lui mais il n'était pas trop tard pour le faire, dans cette situation qui, j'en étais persuadée, le méritais. De force je le pris par la taille et le forçai à avancer pour rentrer à l'intérieur. Soudain, un doute s'empara de moi suite à la dernière phrase qu'il avait prononcée... Pourquoi ne voulait-il pas que je le vois dans cet état si ce n'était rien de grave qu'il avait ? Pourquoi me faisait-il entendre qu'il était diminué ?

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En voulant me préserver, Jackson était tout simplement en train de se détruire et de se condamner à une mort certaine. Alors qu'il n'avait pas mesurer toutes les chances qu'il avait de "réaliser son rêve". Après tout, dans son cas, pourquoi ne pas tenter le tout pour le tout. C'est vrai, pourquoi ne pas avouer ses sentiments... Au pire la mort viendrait mettre fin à des souffrances déjà présentes, au mieux il pourrait vivre, pleinement... Et moi aussi... Et peut-être qu'avec un peu de chance, ce malaise, pour le moment catastrophique à mes yeux, serait une aubaine, aussi bien pour lui que pour moi. Il ne voulait pas se faire soigner et recevoir une greffe ? Soit, je le ferais changer d'avis, il ne savait pas combien je pouvais être têtue, surtout quand il s'agissait d'une cause valable, vitale. Certes, il avait des prétextes qui tenaient la route pour refuser une telle intervention mais il pouvait être aidé, tous les deux, nous pouvions y parvenir ! Non, il ne mourrait pas sans avoir tout essayer pour s'en sortir, c'était maintenant inévitable puisque ce malaise m'avait mis la puce à l'oreille.

Je l'aidai donc à se rendre sur le canapé, l'esprit toujours aussi contrarié, me demandant ce que tout cela pouvait réellement cacher... Je n'y connaissais rien en médecine alors je ne faisais pas de liens entre tous ses symptômes. C'est d'ailleurs tel un zombie que je l'aidai à s'installer et à s'allonger le plus confortablement possible. Ni une ni deux je me rendis ensuite dans la cuisine en direction de la pharmacie. Je lui fis alors fondre un comprimé et lui ramenait aussitôt. Je ne m'étais d'ailleurs pas encore posé une question cruciale : ce que j'allais lui donner était-il compatible avec ce dont il souffrait ? Je commençai à y penser après la révélation qu'il venait de me faire à mon retour. Je ne lui répondis pas tout de suite, réfléchissant à ses paroles tout en approchant une chaise. Une dialyse ? Cela voulait donc dire que ses reins étaient touchés... Mais par quoi exactement ? "Jackson, ne refais plus jamais ça... Je sais bien que tu as du travail mais ne néglige pas ta santé pour autant..." Naïveté de ma part. J'étais incapable de croire qu'il avait volontairement négligé ce soin. Je posai alors le verre sur la table basse et m'assis à côté de lui, reprenant sa main dans la mienne. Cette révélation m'avait enlevé un poids, je savais maintenant que j'avais eu raison de m'inquiéter et que mon pressentiment n'était pas une erreur, mais maintenant se posait la question de savoir quel était réellement le problème et comment il pourrait s'en sortir. "Qu'est-ce que tu as aux reins exactement ?". Je fis exprès de ne pas répondre à sa dernière demande, je ne savais pas si je serais capable de tenir une telle promesse. En fonction de ce qu'il allait me répondre, pourrais-je garder tout ça pour moi ? Contrairement à lui pour son enfance qu'il gardait secrète, j'étais incapable de garder pour moi des soucis trop importants.

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Je ne comprenais pas pourquoi Jackson m'avait caché sa maladie. Certainement voulait-il m'éviter de me faire trop de soucis mais n'avait-il pas pensé aux risques qu'il avait de se retrouver en mauvaise posture devant moi et d'éveiller des soupçons encore plus violents comme c'était d'ailleurs le cas ? Visiblement non. Mais malgré tout, je ne pouvais pas lui en vouloir, et c'était bien la dernière chose que j'aurais faite vu la situation présente. Tout ce qui comptait pour le moment c'était que je sache la vérité et qu'il en finisse avec cette crise. J'étais d'ailleurs trop dans le feu de l'action pour me poser des questions, cela ne voulait cependant pas dire que je ne le ferai jamais, il me fallait seulement un peu de temps pour m'en remettre et passer à autre chose. Mais ce ne serait certainement pas pour tout de suite. Quoi qu'il en soit, ce qui était sûr, c'est qu'il ne rentrerait pas chez lui ce soir mais il resterait chez moi, sous ma surveillance !

Les révélations que me fit Jackson ne purent que me faire atrocement peur, en particulier la précision "stade terminal". Etrangement lui ne semblait pas très affecté, peut-être parce qu'il s'en fichait ou parce qu'il s'était fait à l'idée depuis un moment. Ca aussi, ce serait un point à élucider le moment venu. Heureusement, il précisa ce que signifiait vraiment ses dires, sans quoi j'aurais tout simplement fondu en larmes à l'idée de le perdre. Après tout, le dédain n'était-il pas le comportement le plus répandu chez les malades se sachant condamnés ? Malgré tout, consciente de la gravité de la situation, je ne pouvais totalement me détendre. "Il va falloir patienter en attendant cette greffe qui te sauvera". Je dis cela plus pour me rassurer que par conviction. Je savais que le temps d'attente pouvait être long, trop long même... En tout cas, je ne comprenais pas pourquoi il ne m'avait rien dit plus tôt, quand même, j'étais sa soeur et me dire son état santé était presque un devoir dans cette situation. Et comment avais-je fait pour ne pas me rendre compte de quoi que ce soit. Mais ce n'était pas le temps des remords, il fallait agir. "Je vais appeler un médecin, il faut que tu sois dialysé ?!"

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Jackson ne voulait pas d'une greffe ? Soit, mais moi je ne voulais pas qu'il meure et dans cette situation, il n'y avait aucun risque pour que je plie. Pour le moment, pas question de lui faire un sermon sur la chose mais quand l'instant serait propice alors il me faudrait le faire sans hésiter. Même si il refusait, je ne cèderai pas. Car il arriverait dans ce cas un jour critique, où Jackson ne serait plus en mesure de prendre des décisions, et alors, si cela m'était possible, je déciderai à sa place, pour son bien, mais à ma manière. J'ignorais quelles pourraient être les difficultés pour obtenir un greffon mais, si cela était nécessaire, je n'hésiterais pas un instant à faire un don moi-même. Quitte à essuyer une tempête de colère à son réveil si il tolérait, c'était bien le cadet de mes soucis... Mais d'ici là, les choses auraient peut-être évolué naturellement, qui sait... "Tu préfères te laisser mourir et m'abandonner ?" Peut-être que ces mots finiraient par le faire réfléchir. En tous les cas il pouvait y ressentir tout le désespoir que cette perte me causerait.

La main toujours dans la sienne, j'occupai l'autre en caressant doucement son front. Je n'avais pas du tout conscience de ce qu'une dialyse pouvait être comme traitement, jamais je n'en avais entendu parler en détail, en réalité. Dans le fond, je pensais qu'il s'agissait de quelque chose de relativement bénin, mais je me trompais... "Mais ne t'inquiète pas, j'en ai vu d'autres !" Je lui fis un petit sourire pour le rassurer, moi même, j'étais persuadée de ne pas être choquée, pourtant le plus dur que j'avais vu dans ma vie ce devait être l'un des malaises de mon père, et le plus choquant peut-être ce chien qui avait été renversé en face de chez nous quand j'avais 12 ans, pas grand chose, donc, par rapport à une dialyse... Pour l'encourager, je me penchais sur lui et déposai un baiser sur sa joue. "Frérot, tu ne dois pas avoir honte d'être malade, parce que j'ai l'impression que c'est ça qui t'empoisonnes, je me trompes ? Tu n'es pas un sur-homme, personne ne l'est." Je me redressai avec un léger sourire, je tentais de me rassurer, une fois cette dialyse faite, il irait mieux... "Je t'emmène, tu n'es pas en mesure d'y aller tout seul. Viens..."

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Si ce n'était pas un abandon, qu'était-ce ? Certainement pas une preuve d'amour ! Malgré tout, je n'essayais pas de comprendre le pourquoi du comment. Ni lui ni moi n'étions en conditions pour réfléchir à de telles choses, mais en tout cas, un jour il me faudrait savoir la vérité. Cette vérité qui le rongeait sans même avoir pris le risque de tenter, de faire une approche. Qu'aurait-il pu obtenir de la sorte ? Il me connaissait parfaitement et savait que j'étais une personne posée, alors, même si j'avais ressenti les mêmes sentiments que lui à mon égard, moi non plus je n'aurais pas fait le premier pas, préférant canaliser mes émotions. Une telle situation aurait pu durer longtemps. Et dans le fond, c'était ce qui se passait, car, lui seul pouvait me réveiller du sommeil dans lequel étaient plongés mes sentiments. Alors, valait-il vraiment la peine de mourir ? Avant d'avoir essayé ? Car il n'avait vraiment rien à perdre selon sa philosophie...

Je restai sur de moi quand au fait que je pourrais supporter de voir une dialyse et qui plus est sur lui. Dans le fond, j'avais raison de réagir de la sorte, car l'avenir ne serait pas forcément des plus cléments avec nous et nombreuses pourraient être les épreuves qu'il nous faudrait traverser, et dans cette situation, ce serait à moi d'être forte, pour être auprès de lui, car il devrait pouvoir compter sur moi pour guérir, même si il n'y était pas décidé. Il lui faudrait apprendre à se relâcher, à ne pas se prendre pour un invincible, au moins avec moi pour qui la honte qu'il ressentait n'avait aucun sens. C'est bien décidée que je me relevai de la chaise et l'aidai à aller jusqu'à la rue où était garée ma voiture, guettant le moindre signe de faiblesse. "Ca, ce n'est pas toi qui décidera ! Je te rappelle que tu m'as volé ma soirée, alors je veux la passer du mieux que je le peux, donc avec toi ! Ce ne sont pas 4 heures qui me font peur, ne t'inquiète pas, je sais être bavarde." Légèreté quand tu nous tiens...

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