Vêtu de sa combinaison orange, l’œil au beurre noir et la moue profondément dégoûtée, Lenny tendit son plateau en plastique au « commis de cuisine » - prisonnier lui aussi – qui claqua sans plus de cérémonie une énorme louche d’une purée douteuse. Il était persuadé que cette dernière n’était pas régie par les lois de la gravité et que s’il retournait son plat, elle y resterait collée. Il soupira, lâcha le tout sur l’une des seules tables qui semblaient n’appartenir à aucun clan et jeta un coup d’œil autour de lui. C’était donc ça le prix à payer pour avoir aidé quelqu’un ? Yasmine, en l’occurrence. Lorsque la C.I.A avait eu vent des conseils que lui avait donné Lenny pour se rendre en Syrie sans se faire prendre, elle avait immédiatement mis un terme à leur accord et, en un claquement de doigt, l’argentin s’était retrouvé en taule. Il trouvait ça profondément injuste, mais qui accepterait de se faire l’avocat du Diable ? D’après ce qu’il avait entendu, son demi-frère prenait du bon temps avec toute la famille sous le soleil hawaïen et Yasmine – si tant est qu’elle ait survécu à sa petite escapade – n’avait plus aucun intérêt à le défendre. En clair, il n’intéressait personne. Pas même sa mère qu’il n’avait plus revu depuis sa prise de poste à New York.

Il pourrirait en prison, exactement comme son père. Peut-être même que sa cellule sera sa dernière demeure. « En tout cas, c’est bien partie… » pensa-t-il en croisant le regard de l’armoire à glace qui lui avait refait le portrait quelques heures plus tôt…

Une fois encore, Lenny ne toucha presque pas à son repas ragoûtant. En fait, depuis qu’il était là, l’ex garde-côte s’était délesté de quelques kilos qui creusaient ses joues en lui donnant un air malade. Il profita de la ronde d’un garde pour quitter sa place, vider son plateau et, bien que non-croyant, trouva refuge dans la Chapelle où il était persuadé que personne n’oserait s’en prendre à lui. Il y était presque lorsque la voix d’un maton l’incita à faire volte-face. « Wickersham. Visite. Maintenant. » lança-t-il sur un ton froid et saccadé. Les gardes avaient pour ordre d’échanger le moins possible avec les prisonniers et se contentaient d’ordres brefs comme s’ils s’adressaient à une meute de chiens. Peu habitué à recevoir de la visite, Lenny s’y orienta en pensant qu’il s’agissait de son avocat commis d’office et cette idée se concrétisa lorsqu’on l’attacha à la table d’une pièce intimiste plutôt que devant le téléphone du parloir et sa vitre en plexiglas. Il patienta en regardant autour de lui, tendant l'oreille en quête d'un bruit qui indiquerait enfin que son visiteur avait réussi à franchir la sécurité.

Dans l’attente que la porte s’ouvre sur son mystérieux visiteur (dont il était 99% sûr qu’il s’agissait de son avocat), Lenny s’intéressa à la « décoration » de la pièce entièrement bétonnée qui lui filait le cafard. Toute la prison semblait avoir été conçue pour donner envie aux prisonniers de se pendre par eux-mêmes. L’argentin comprenait maintenant pourquoi les condamnés à la peine capitale était ‘mieux traités’ que les autres ; ils voulaient tout contrôler et être certains que la Faucheuse viendrait leur rendre visite à la date indiquée devant une poignée de spectateurs, majoritaire la famille des victimes, et peut-être quelques journalistes pour rapporter le tout au restant de la civilisation.

Sa pensée s’acheva lorsque la porte s’ouvrit enfin et quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir la silhouette de la principale raison de sa détention. Il se redressa sur sa chaise, les sourcils froncés d’incompréhension. « Yasmine ? But how… » commença-t-il, sans prendre la peine d’achever sa phrase. Comment s’y était-elle prise pour revenir de Syrie ? Comment avait-elle réussi à obtenir un droit de visite ? De toute évidence, Lenny l’avait sous-estimé depuis le début : Yasmine savait faire preuve de ressources. Elle se rapprocha, s’installa en face de lui et le jaugea du regard. Sans doute faisait-elle l’inventaire des coups qu’il avait reçu et rendu comme en témoignait l’état de ses jointures. Il détourna la tête, un brin gêné de sa présence. « Oh, lord… » lâcha-t-elle dans un souffle.  Effectivement, il ne lui montrait pas vraiment son meilleur profil. « Yeah, I look like hell. I get that. » répondit-il simplement alors que la jeune femme prenait note de l’agencement de la pièce et, notamment, des caméras qui captaient chacun de leurs gestes. « I am getting you out of here. ». Son regard capta alors le sien, le sonda… Elle avait l’air sincère. Déterminée, même. Autant que lorsqu’elle avait voulu lui soutirer les précieuses informations pour assurer sa petite escapade en Syrie. C’était donc de ça qu’il s’agissait : Yasmine cherchait à se laver de sa culpabilité. Pourtant, Lenny n’avait pas été trop difficile à convaincre ce jour-là. « It’s ok. I escaped jail many times, I deserve to be here.... » déclara-t-il en appuyant ses propos d’un regard soutenu avant de poursuivre. « And no, I’m not a masochist just a sort of repentant. I owe it to all those people that I hurt. Including you. You could've get yourself killed in Syria because of me. I'll do my time and start from zero this time. I'm tired to be a puppet. ». Le souci, il le savait, c’est qu’il n’était pas à l’abri de devenir le pantin d’un compagnon de cellule, mais il ne voulait pas non plus que Yasmine s’enfonce dans les ennuis pour le sortir du bordel dans lequel Lenny s’était fourré tout seul. « At least, I hope my informations was helpful out there. » acheva-t-il.

Le changement de Lenny s’était opéré lors de son voyage en Syrie au cours duquel il était censé mettre un terme à l’existence de Jenny Bishop-Vryzakis. Ca avait été la mission de trop. Si les mômes ne s’étaient pas pointés à ce moment-là et qu’il n’avait pas croisé leur regard innocent qui lui rappelait le sien à l’époque où il était encore presque inexistant aux yeux de ce père absent, Lenny serait probablement passé à l’acte. L’argentin avait réussi à se prouver qu’il n’était pas foncièrement mauvais, qu’il pouvait prendre de bonnes décisions et contribuer à faire tomber quelques gros poissons quitte à se mettre en danger. Puis, il avait fait l’erreur de divulguer une poignée de noms pour aider Yasmine dans son entreprise. Ce qu’il avait vu comme une tentative de se racheter à ses yeux n’avait fait que l’enfoncer un peu plus dans les ennuis. Au cours de son séjour ici, à côtoyer les différents représentants du crime, Lenny s’était fait à l’idée que sa vie ne fallait strictement rien ici. Il se sentait un peu comme un vieil animal condamné à l’euthanasie et à qui l’on n’accorde aucun regard ; même les matons ne s’arrêtaient pas devant sa cellule. Et finalement, contre toute attente, Yasmine se trouvait devant lui et semblait bien décidée à le faire sortir de prison.

Avant de savoir comment elle comptait s’y prendre – car, en toute honnêteté, il était certain d’être un cas perdu d’avance – Lenny lui demanda aussitôt si ses informations l’avaient aidé. C’était important pour lui de savoir qu’il avait fait au moins une chose correcte dans sa vie. « It was. It didn't stop the conflit... yet, but it saved lives. You saved lives. ». Rassuré, le jeune homme put retenir un sourire. « C’est gentil, mais tout le mérite te revient. Risquer sa liberté pour quelques noms n’est en rien comparable au fait de risquer sa propre vie pour protéger celle des autres. ». Yasmine était sûrement bien plus courageuse que Lenny. Lenny, le lâche. Un trait de caractère typique de la famille Vryzakis si l’on se référait aux dispositions de Nikolas et d’Elijah. En tout cas, Lenny semblait désireux de changer la tendance car il n’aurait jamais tenu un tel discours quelques mois plus tôt ! « There's no point in you being here – you're repentent, I get it. No one would've used these informations in the government, they're all too scared of an open war. And you agreed to help them, that must count for something. ». Lenny haussa les épaules. Il avait bien essayé de jouer sur cet argument lorsque la C.I.A l’avait jeté dans un fourgon blindé pour le conduire dans une prison fédérale de haute sécurité, mais ils n’avaient rien voulu entendre. Peut-être étaient-ils aussi convaincus que Lenny qu’il ne manquerait à personne. D’ailleurs l’avocat commis d’office ne s’était pas vraiment fatigué à plaider sa cause ; bien trop content de voir un ripou derrière les barreaux. « I brought a lawyer with me, so... if and only if you want it, I can bring him in... and he could get you out. » dit-elle. Elle avait amené un avocat ?! Décidément, cette femme ne cessait de le surprendre. Pendant quelques instants, une lueur d’espoir traversa ses yeux bleus mais il se ressaisit aussitôt en se souvenant que rien n’était gagné d’avance dans son cas. « J’imagine que ce serait impoli de lui avoir fait faire tout ce chemin pour rien... » dit-il, lui faisant ainsi comprendre qu’il acceptait de le recevoir.

Et au moment où Yasmine se tourna pour le faire entrer dans le parloir, Lenny l’interpela. « Yasmine ? – commença-t-il, la faisant ainsi se retourner. Merci… » acheva-t-il.

[désolée, je voulais poster en même temps que le kat/danjel, mais j'ai eu quelques soucis avec ma box qui n'a pas supporté les coupures de courant intempestives et RP avec son phone, bah... c'est la merde. Enfin, par chance, c'est réglé !]