Le sommeil se refuse à moi depuis deux heures à présent. Ces dernières semaines, je dors de plus en plus mal, c'est un fait et je suis bien conscient que ça correspond au début de mon nouveau boulot. L'époque tranquille où je n'étais qu'un simple étudiant, qui bossait dans un magasin de fringue me semble très lointaine. A présent, je me demande même si ça rime à quelque chose de continuer les études, c'est pour dire. Travailler au Scorpio provoque chez moi des problèmes de conscience assez importants, des débats intérieurs assez complexes. Si j'en parlais à Max, elle me rirait sûrement au nez. Elle ne peut pas comprendre et ne le fera sûrement pas de si tôt. Elle a l'air de croire que je n'ai pas changé depuis ma période dans le gang. Finalement, vu que j'ai accepté de bosser pour elle, Max avait peut-être raison. Je n'ai peut-être pas tant changé que ça. Sa présence, tous les soirs, m'oblige à toujours rester sur mes gardes. C'est épuisant. Ca m'embrouille. Une chance que je ne sois que videur, ce qui limite tout de même ma présence à l'intérieur du club, où elle passe le plus clair de son temps.

Je n'ai jamais été aussi proche du monde que je prétends avoir quitté depuis  depuis presque trois ans. J'ai certes toujours un boulot mais la contrepartie semble immense à côté. Mais soit, je peux toujours payer mon loyer et vivre tandis que mes parents ne sont pas au courant de tous ces changements. Si je dis que ce n'est pas ce que je voulais, je mentirais. Les chiffres continuent à défiler et les heures, à avancer, quand le silence est rompu par un bruit infime. Par réflexe, je retiens mon souffle. La première chose que je me suis dit en sentant tout mon corps se crisper, c'est que je deviens parano. Le bruit que j'ai cru entendre provient sûrement de l'appartement d'un des voisins, ou alors il y a du vent ... Les explications son multiples. Seulement voilà. Nouveau bruit provenant du salon. Encore une fois un bruit infime, c'est sans doute rien mais après tout ce que j'ai pu vivre, je ne peux laisser ce genre de choses au hasard. Le plus silencieusement possible, je me lève, le souffle court et avec seulement mon boxer sur le dos. Je me répète que ce n'est rien, comme un enfant qui essaierait de se persuader que les monstres sous son lit n'existent pas. Dans la table de nuit, mes doigts s'enroulent autour du manche d'un couteau de cuisine que je garde là depuis ... depuis que je travaille au Scorpio. Il serait tellement facile à Max de me mêler à ses histoires, de me refaire plonger dans mon ancien monde. C'est sûrement pas plus grande peur. Doucement, je me dirige vers la porte. Je n'aime pas ce que je suis en train de faire mais je sais que je ne pourrai me rendormir -enfin essayer- seulement quand j'aurais eu la confirmation que c'était que le vent. Okay. Okay. Je prends une profonde respiration et en une fraction de seconde, allume la lumière de ma chambre, tout en ouvrant la porte à la volée. Le reste de l'appartement est plongée dans l'obscurité, mais la lumière de ma chambre en éclaire une partie suffisante pour voir ce que j'ai à voir. J'écarquille les yeux, ne sachant pas vraiment comment réagir. « Max ? » ai-je lancé en ayant du mal à y croire. Pourtant c'est bien elle, qui s'est faufilée dans mon appartement en pleine nuit. Je me sens soudain très con avec mon couteau à la main, prêt à l'action. « Tu penses être en train de faire quoi là ? » ai-je continué en me disant qu'elle a du culot pour s'introduire par effraction chez moi. Mon bras redescend le long de mon corps mais méfiant, je garde le couteau à la main. « Ça s'appelle pas du harcèlement d'employé ce que tu fais ? » ai-je repris, n'arrivant pas à comprendre la raison de sa présence chez moi à une heure pareille.

L'adrénaline monte en moi comme au bon vieux temps. A croire que depuis que j'ai recroisé la route de Max, tout s'enchaîne en ce moment, mais dans le mauvais sens bien sûr, sinon ce n'est pas drôle. Voilà comment je me suis retrouvé en pleine nuit avec un couteau à la main dans ma chambre, à guetter les bruits d'un visiteur dans mon salon. A retrouver les anciens réflexes du passé alors que je pensais vraiment avoir mis ça derrière moi depuis mon arrivée en ville. J'ai donc fini par ouvrir la porte brusquement, mon arme à la main pour constater hébété que je connais très bien la personne qui s'est introduite chez moi. Max. Autrement dit, ma patronne, j'ai encore du mal à me faire à l'idée. En tout cas sur le coup je suis sur le cul de la découvrir ici, dans mon salon. J'ai du mal à retrouver mes mots mais fais un effort histoire qu'elle n'en profite pas. Malgré mon couteau à la main, elle sourit quand je lui demande ce qu'elle pense être en train de faire. Seulement derrière son sourire je perçois autre chose de plus étrange. Toutes les actions de Max sont faits avec une raison précise et le fait qu'elle se soit introduit chez moi à une heure pareille ne peut cacher que quelque chose de plus gros. Enfin je crois. on s'est pas vus depuis des années alors peut-être que je me trompe. « You just missed the best way to be woken up... » répond-elle avec cet air que je connais par coeur. Sachant très bien où elle veut en venir, je m'efforce de ne pas réagir mais ne peut empêcher mon corps de frissonner. C'est là que je réalise que je suis en boxer devant Max. Elle m'a déjà vu sans ça mais ça fait un paquet de temps, une autre époque. Normalement l'obscurité qui règne dans le salon malgré la lumière de ma chambre, l'aura empêchée de voir ma peau réagir à sa phrase. J'ignore sa phrase et essaie d'en savoir plus sur sa visite nocturne. « J'ai hâte que tu ailles te plaindre à un syndicat & qu'on amène ça aux tribunaux, tiens. » lance-t-elle quand je lui parle le harcèlement des employés. Un infime sourire en coin fleurit sur mes lèvres en entendant sa remarque très juste. Trouvant le couteau lourd dans ma main soudainement, je le pose sur le meuble de la pièce où se trouve le téléphone fixe. Puis je fais la moue. « Pourquoi pas, j'ai que ça à faire en ce moment. » ai-je fait en haussant les épaules pas sérieusement du tout. J'imagine bien ce que ça pourrait donner tiens. Surtout si on constate que je me tiens en boxer devant elle sans problème. Ou presque. « Et puis, harcèlement, c'est un bien grand mot... Ta porte est tellement facile à ouvrir que tu l'as pratiquement laissée ouverte. » poursuit Max comme si elle est en train de se justifier. Je lève les yeux au ciel. « Bien sûr. C'est parce que les gens normaux n'entrent pas par effraction chez les gens figure-toi mais merci de me prévenir, la prochaine je ferai installée une porte blindée. » ai-je ironisé. Mais peut-être pas tant que ça en fait. Avec le retour de Max dans ma vie, la porte blindée n'est peut-être pas une si mauvaise solution que ça. Max n'est pas normale. «  Bon, je devais te parler & ça pouvait pas attendre... » fait la jeune femme en plantant son regard de braise dans le mien. Je hausse un sourcil avant qu'elle ne reprenne. « « So... Would you hear me out ? » Après quelques secondes de silence, je soupire bruyamment et lève les yeux au ciel. Lui dire non me tenterait bien mais maintenant que je suis debout ... Reprenant les choses dans l'ordre, j'ai allumé la lumière du salon jusque là, toujours plongé dans l'obscurité. « Maintenant que t'es là, autant me donner la raison. » ai-je fait en haussant les épaules. En vérité je suis curieux de savoir de quoi il s'agit mais j'essaie de ne pas être trop démonstratif. Mais avant tout, je suis retourné dans ma chambre pour enfiler rapidement un bas de jogging noir et un t-shirt gris pour ensuite, revenir dans le salon, déjà plus à l'aise avec quelque chose sur le dos. « Bon, dis-moi tout, qu'est-ce qui ne pouvait pas attendre. » ai-je demandé en croisé mes bras sur ma poitrine.

Clairement je le sens pas tout ça, seulement  ... Enfin depuis que je bosse au Scorpio je le sens pas du tout. Alors maintenant le fait que Max entre par effraction chez moi en pleine nuit. Quand je lui réponds que, vu qu'elle est là, autant qu'elle me dise pourquoi, une part de moi -la raisonnable- me dit que j'aurais déjà dû la foutre à la porte. Je me mords l'intérieur de la joue, agacé. C'est la curiosité qui me pousse à vouloir savoir et puis le fait que je me répète que je ne suis plus l'adolescent naïf que j'étais à l'époque où on s'est connus. « Ok, so...  » commence-t-elle comme si elle cherchait les mots. Elle a l'air presque embarrassé de m'expliquer la raison pour laquelle elle est chez moi ce soir, ce qui ne fait qu'attiser un peu plus ma curiosité de savoir quelle est cette mystérieuse chose dont elle veut me parler et qui n'a pas pu attendre. Ca doit être important, me dis-je alors qu'elle enchaîne. « Je pense que tu sais comment je fonctionne... et que je te le demanderais pas si c'était pas nécessaire. Mais j'ai besoin de toi. » m'explique-t-elle comme si elle avait lu dans mes pensées. Okay ... déjà pour qu'elle avoue qu'elle a besoin de moi, c'est que ça doit être vraiment important, ce qui ne me rassure pas vraiment. J'aurais pu sortir une mauvaise blague histoire d'ironiser sur le fait qu'elle avoue avoir besoin de mon aide mais mon instinct -de survie- fait que je me retiens. Une part de moi -la raisonnable toujours- n'a pas envie d'entendre la suite parce que ... en effet je sais comment elle fonctionne, c'est d'ailleurs ça le problème. Au moment où j'ouvre la bouche pour la prévenir que si elle a besoin de moi pour le genre d'affaires que je crois, elle peut tout de suite oublier, Max est plus rapide et continue sur sa lancée. « J'ai reçu un appel, cette nuit... d'un homme que je vais tuer, là, bientôt. Clairement, j'ai pas besoin de toi pour ça. » ajoute-elle presque en blaguant à la fin, ce qui rend les choses pires. Putain, pourquoi je l'ai pas foutue à la porte. Je serre les dents et lève les yeux au ciel.  « Max ... » ai-je murmuré la mâchoire crispée d'un ton menaçant qui veut dire arrête toi là parce que ... Elle est en train de me parler d'un meurtre là ! Alors qu'elle sait très bien ... mais bien sûr elle ne s'est pas arrêtée de parler. « The thing is, il y a une... enfant au milieu de tout ça. Et je ne peux pas tuer Mikhailov et la protéger en même temps. Et c'est là que tu entres en scène. Is that enough informations, can we go now ? » termine-t-elle. Sur le coup, je reste sans voix face à toutes ces informations et à ce qu'elle me demande de faire. Je tâche de maîtriser la colère qui déferle en moi en lui répondant. « Tu te fous de moi ? » ai-je fait en sachant très bien que ce n'est pas le cas. « T'as peut-être pas besoin de moi pour le tuer mais la complicité de meurtre ça existe ... attends, Mikhailov comme ... » ... la famille qui règne sur la mafia ? Oh putain ! Elle me fait une blague ou quoi ? Je sors une série d'injures en espagnol à voix haute. Je plaque une main sur mon front et la passe sur mon visage. « T'as pas quelqu'un d'autre pour faire ça avec toi ? Genre un mec avec des gros bras sans cerveau avec qui t'aurais couché au préalable ? Je comprends pas, tu sais très bien que je veux plus rien à voir à faire avec tout ça alors pourquoi tu me proposes ça à moi en sachant que je vais ... » Je m'arrête brusquement de parler. Il y a une enfant au milieu de tout ça. Une enfant. Mon visage se défroisse, soudain dubitatif. « Qui est cette enfant ? Je croyais que la seule personne dont tu te souciais, c'était toi-même. » ai-je demandé intrigué.

Franchement j'ai l'impression d'être en plein reality show, seulement plus je me dis ça et plus je me rends compte que toute la scène est réelle. Autrement dit, Max est bien là, dans mon appartement, en pleine nuit pour me proposer un boulot qui n'a rien à voir avec le Scorpio ou même avec la légalité tout court. Apparemment, ça lui paraît totalement normal de venir me proposer ça alors qu'elle sait très bien que ce n'est pas plus pour moi ... Dit le mec qui a accepté de bosser pour elle dans son club en sachant très bien ce qu'elle fait à côté. Faut dire que je ne peux nier sur ce coup là que ... Merde, je savais que rester en dehors des histoires de Max en bossant pour elle au Scorpio allait être difficile, mais de là à ce qu'elle vienne me faire une telle proposition. « Oh, crois-moi, c'est toujours le cas ! »  fait-elle visiblement très amusée quand je lui rappelle qu'elle est supposée ne s'intéresser qu'à elle, alors une opération de sauvetage pour une enfant .... Je garde les mâchoires serrées, un peu perdu quant à la marche à suivre. « Et si, j'ai une bonne dizaine de gros bras qui seraient assez alléchés par l'argent pour me suivre là-dedans, mais... Ils sont tous comme moi. Ils ont pas de considération pour la vie humaine, ils ne se soucient que d'eux-mêmes, comme tu dis. » enchaîne-t-elle en confirmant mes pensées. Je lève les yeux au ciel, serre les poings. Une part de moi comprend ce qu'elle veut dire et ça me fait très peur. Par exemple, je sais qu'elle ne serait jamais venue me voir si ce n'était pas important. Mais merde quoi ! Elle me demander de me mêler d'une histoire avec la mafia russe bordel ! « Et je suis la seule personne que tu connaisses qui aie de la considération humaine alors ? Je sais pas si je dois être flatté ou si au contraire, ça rend le truc encore plus flippant. » ai-je fait cyniquement avant de lâcher un ensemble de jurons en espagnol. Nan mais sérieusement, j'en reviens pas de vivre une scène pareille après tout ce que j'ai pu traverser par le passé. Genre il suffit d'une erreur pour que tout me revienne à la gueule, c'est ça ? « Écoute, je sais que c'est pas une mission lambda, et que tu veux plus être impliqué là-dedans... Crois-moi, j'aurais préparé quelque chose de beaucoup plus amusant si j'avais voulu te replonger là-dedans volontairement. » finit-elle par dire. Son ton, soudain sérieux diminue ma colère de moitié, parce que je sais qu'elle dit la vérité, je le sens. Demander de l'aide est tellement contraire à ce qu'elle est ... Tout s'embrouille dans ma tête. « Ca aussi c'est très rassurant. » ai-je maugrée avec un rictus quand elle parle de me préparer quelque chose de plus amusant si elle avait préparé tout ça exprès. Je passe une main dans mes cheveux bruns, en me disant que non, hors-de-question, mais cette histoire d'enfant me tracasse. Si je refuse ce que me demande Max, reste à savoir si je vais pouvoir vivre avec la possibilité qu'il soit arrivé quelque chose à cette enfant ... Existe-t-elle vraiment ? Je pense que oui. Si tout ceci n'était qu'un jeu, Max aurait eu trop d'orgueil pour venir me demander de l'aide pour rien. « J'ai besoin de toi, pas d'un gros bras, de toi. » articule la jeune femme avec peine. Pendant de longues secondes, je reste sous le choc qu'elle ait pu dire un truc pareil. Je crois même avoir entendu des voix, mais non. Je me mords la joue, regarde ailleurs. J'ai beau me dire de ne pas flancher parce que je ne peux pas me retrouver mêler à ce monde, je sens bien que les arguments de Max font leur chemin. Et puis, elle préfèrerait marcher sur de la braise plutôt que de demander de l'aide à quelqu'un. « As for the kid... Well, she's a kid. And she's helpless, and she has no one but you to save her, isn't that enough ? Really cause there's literally a plane waiting. » Je m'insulte de tous les noms dans ma tête tout comme je la maudis un millier de fois. Elle sait très bien trouver les mots pour m'avoir, ça me tue. J'ai l'impression d'être retourné à l'époque du gang où elle savait tellement bien m'utiliser ... Et le fait qu'un avion attende ne m'étonne même pas. Mon esprit fonctionne à toute vitesse. Je vais devoir lui donner une réponse. Je peux pas y croire, je peux pas y croire. « D'accord. » ai-je murmuré d'un coup. Le piège se referme. J'ignore pourquoi et comment j'ai pu dire ça. J'ai envie de hurler mais me retiens. J'essaie de me rassurer comme je peux, de me dire qu'il s'agit d'une enfant, que Max s'est jamais fait prendre mais ... Je hais tellement Max à cet instant que je pourrais lui tordre le cou. « Putain, je te jure que si je me retrouve mêlé à tes histoires avec les Mikhailov, je ... » ai-je commencé d'un air menaçant. Seulement je ne finis pas ma phrase parce que la suite ... enfin c'est un peu compliqué. Je sais qu'elle ne va pas me trouver très menaçant mais pourtant je ne plaisante pas. J'arrive pas à croire que j'ai dit okay ! Je la regarde d'un air mauvais. Cette fille m'a fait renoncer en un claquement de doigts à tout ce que j'ai essayé de combattre ces dernières années. C'est là que je me rends compte que je suis devenu trop sentimental avec le temps. « Allons-y avant que je change d'avis. » ai-je fait les dents serrées.