Le Scorpio va bientôt ouvrir. Je crois que je commence à m'habituer à l'idée de travailler ici. Ca peut sembler con à dire depuis le temps, surtout que j'ai pas le choix mais quand on sait le genre de personnes qui viennent ici et aussi que fait la personne qui le dirige ... Peu importe. On est rentrés des Philippines y a un certain temps déjà. Je crois que j'ai jamais été aussi heureux de rentrer en Amérique de toute ma vie, à part peut-être la fois où j'y suis venu illégalement en provenance du Mexique bien entendu. Mais je dois avouer que non, vraiment là c'était le bordel, même si je dois m'estimer heureux de ne pas avoir perdu mon bras en route. J'ai enlevé mon atèle et mes bandages il n'y a pas longtemps d'ailleurs. J'ai voulu récupéré au plus vite l'usage de mon bras donc j'ai eu le droit à pas mal de rééducation intensive. Bon bien sûr c'est encore un peu douloureux et je vais garder une belle cicatrice -une de plus-, mais c'est rien face au soir où s'est arrivé, avec Max qui me soigne dans une chambre d'hôtel miteuse. Depuis, j'essaie de me concentrer sur l'idée qu'on a sauvés une gamine en essayant d'oublier qu'on s'est attaqués au Mikhailov. Pour en revenir à la balle que j'ai pris, j'ai raconté des conneries à ma mère et à tout le monde en disant que j'avais fait ne mauvaise chute ... ou un truc comme ça. J'ai mis des heures à convaincre ma mère que ce n'était rien.

Du coup j'ai repris le boulot au Scorpio, ne pouvant pas vraiment me permettre de manquer trop le boulot. Quel bordel n'empêche. Bref, je reprends doucement donc. Mon angoisse, si on peut dire ça comme ça, c'est qu'un client un peu con/bourré (souvent ça va ensemble), y aille trop fort avec mon épaule et que je ne sois pas capable d'assurer mais je me dis que j'en ai vu d'autres. Là on discute un peu avec d'autres videurs au niveau du bar. Parfois, je me demande s'ils ont pas capté que Max et moi ... Pfff depuis quand je parle de Max et moi ? Y a pas de Max et moi. A part pour aller à l'autre bout du monde et sauver sa fille ... Putain, ta gueule conscience. En parlant de sa seigneurie, elle entre dans le club et je fais un effort surhumain pour ne pas lui lancer un regard. « You, my office, now. » lance-t-elle sans me jeter un seul regard. Oui, ne me demandez pas pourquoi mais je sais que c'est à moi qu'elle parle. Je le sais parce que soudain, silence complet et tous les regards se tournent vers moi. Je lève les yeux au ciel tandis qu'elle trace vers son bureau. Tout le monde a l'air de me souhaiter bon courage mais je ne pense pas en avoir besoin. Sans un mot, je la suis à l'étage, me demandant ce que je dois attendre de cette entrevue. Mais ça peut pas être pire que cette histoire avec Tinga, pas vrai ? D'ailleurs je pense que quelque chose a changé depuis cet épisode. Je suis relativement calme quand je referme la porte derrière moi et me tourne vers elle. « Que me vaut cet honneur ? » ai-je fait à la fois très sérieux et légèrement ironique.

Sous les yeux intrigués et curieux de mes collègues de travail, je suis Max à l'étage dans son bureau en essayant de trouver ce dont elle veut me parler, avant d'abandonner rapidement. On parle de Max, c'est un véritable mur. J'ai beau avoir l'impression de la connaître mieux que beaucoup de gens, pas à ce point là. Son visage est aussi froid que d'habitude, rien ne s'y affiche. Rien ne s'y affiche jamais. Quand nous arrivons dans son bureau, je ferme la porte, tandis qu'elle reste un long moment dos à moi, les bras croisés. Bref, rien de très rassurant. Je finis par lui demander que me vaut l'honneur de cette convocation et je chasse rapidement l'idée qu'elle veut m'annoncer quelque chose de grave en rapport avec les Mikhailov, je n'ai pas envie d'y penser. Après un certain moment de silence qui me semble vraiment long, elle se retourne vers moi, d'un seul coup. Elle a un sourire aux lèvres qui, bizarrement, m'inquiète encore plus. « J'ai décidé de monter un cirque ! » lance-t-elle en s'approchant de moi. Un ... quoi ? Je fronce aussitôt les sourcils, parce que vraiment, je ne me suis pas du tout attendu à ça. La théorie du cirque ne faisait pas vraiment parti des choses que j'avais en tête quand j'étais en train de chercher ce qu'elle me voulait. Ce qui est encore plus étrange, c'est qu'elle semble presque ... joyeuse ? J'ai du mal à y croire. « Et je te veux sur le projet.  » continue-t-elle en pointant ses index dans ma direction. Pendant quelques secondes, je reste interdit, sous le choc. « T'es sérieuse là ? Mais qu'est-ce que j'irais foutre dans un cirque ? » ai-je fait sans très bien savoir comment réagir. Un cirque ... un cirque ! A quoi elle joue là ? Non mais comprenez le truc : Max tue les gens de sang froid, et à côté  elle veut créer un cirque, un lieu où des enfants innocents viennent par dizaine ... Ca interpelle personne ? « Oublie le Scorpio, mais ne pense pas plonger dans le foin. » me dit Max avec un sourire en coin. Mmm je sais pas si j'ai bien compris ce qui se cache derrière cette phrase et ce sourire mais ... Ouais, il y a des chances que ça soit ce que je pense. Je plisse les yeux dans sa direction, ce qui n'empêche pas mon esprit d'imaginer la scène. Hum. Aussitôt, je la trouve vraiment trop proche de moi. On aurait pu croire que bosser avec elle tous les jours auraient calmé les choses mais je crains que ... Reprends-toi avant qu'elle n'en profite. « Expression intéressante. Mais je fais quoi moi là-dedans ? L'homme-canon ? Ou mieux, enfiler un justaucorps à paillettes et faire le guignol sur un cheval ? Merci mais non merci. » Putain ! Elle me pousse à venir au Scorpio en sachant ce que ça veut dire pour moi et là, elle me dit d'oublier le club ... elle veut en venir où là ? « Pourquoi je te suivrais encore ? » ai-je murmuré soudain très sérieusement, sans un once d'ironisme dans la voix.

« Ouh, you could look good in that outfit. » dit-elle visiblement amusée quand je lui parle de la tenue que je porterai quand je serai employé dans son cirque. Ou pas. Je serre les dents. Ce qui est chiant avec Max, c'est que j'ai l'impression qu'elle prend à la rigolade tout ce que je dis, qu'elle ne comprend pas à quel point je ne suis plus le même depuis que nos chemins se sont croisés à Los Angeles. Et elle trouve toujours la faille pour faire plier par rapport à mes convictions, comme par exemple le fait que je lui ai dit que je ne faisais plus parti du monde de l'illégalité, elle s'est marée. Elle aime me faire croire que au contraire, c'est mon monde et je dois avouer que parfois je la crois, tout en me souvenant ensuite que c'est faux. Sauf que j'ai l'impression qu'elle ne me croira jamais. Bon c'est sûr qu'avec ce qui s'est passé récemment, c'est normal mais ... peu importe. Une vague de chaleur monte en moi, comprenant sans problème les sous-entendus de sa réponse. Putain. Je déteste quand elle fait ça. Max sait comment s'y prendre par rapport à notre passé commun, mais je ne peux pas me permettre de ... de quoi exactement ? De craquer ? De ne pas lui montrer que j'en aie envie ? « I'm serious. »

Puis je me suis décidé à reprendre la parole, à poser la question sérieusement, c'est-à-dire, pourquoi, une fois de plus je m'amuserais à lui suivre alors que depuis qu'elle est revenue dans ma vie, elle ne m'apporte que des emmerdes. Elle a tout chamboulé, presque tout détruit. J'ai l'impression que tout ne tient plus qu'à un fil depuis. Alors pourquoi ... « Parce que si tu voulais partir, tu l'aurais déjà fait. » dit-elle en plongeant ses yeux dans les miens. Elle est beaucoup trop proche. Mon coeur manque un battement et ça me fait royalement chier. C'est trop injuste, après tous les efforts que j'aie pu faire pour me remettre dans le droit chemin, le Diable en personne revient toute foutre en l'air. L'influence qu'elle a encore sur moi est impressionnante mais j'ai plus de volonté qu'avant. Chacun de ses mots le heurtent, me font mal parce que c'est la pure vérité. J'ai beau prétendre ... J'ai beau me dire que je reste parce que sinon, je n'aurais pas de boulot ... Je sais très bien qu'elle a raison.

Alors pendant quelques secondes, durant un silence impressionnant, on ne bouge pas l'un et l'autre. On se défie du regard et je sais ce que ça sous-entend. Elle veut vérifier sa théorie, voir si je suis capable de m'en aller. Là. Maintenant. Tout de suite. Je vous jure que je l'ai voulu, m'éloigner, m'éloigner de cet endroit et surtout, m'éloigner d'elle. Mais l'idée de faire ça me paralyse. C'est ridicule. Alors oui, je l'ai défiée du regard mais sans bouger d'un millimètre. Incapable. Mais à ma grande surprise, elle soupire et fait volte-face. Elle fait quelque pas vers son bureau, tandis que je me demande ce qu'elle va faire. « Je sais que ça te plaît pas, d'être ici, de côtoyer ce « monde » d'aussi près. » dit-elle en se retournant vers moi. Wow. Je cligne des yeux, surpris d'avoir le droit à autant de considération de sa part.   « This is your window, Alex. You should take it. » continue-t-elle. J'ai un peu de mal à y croire et reste scotché par ses paroles. « You're the one who told me I belonged to this world. Qu'est-ce qui change tout d'un coup ? » ai-je fait perturbé. C'est vrai ça, il y a quelques mois elle s'amuse à me tourmenter à propos de ça et maintenant, elle me dit que je devrais m'engager dans son cirque, elle voudrait me faire croire qu'elle veut me sortir de là ? « Et il y a beaucoup d'autres choses à faire dans un cirque. Tes bras seront utiles. » Je me sens perdu. L'idée de sortir du monde dans lequel le Scorpio m'a plongé est tentante, vraiment mais ... elle sera toujours là. Et qui dit qu'elle n'amènera pas des problèmes avec elle ... Quoi, est-ce que je suis sérieusement en train d'envisager la question, là ? Est-ce que je suis prêt à obéir au doigt et à l'oeil quand elle me le demande ? Putain ! Pourquoi il a fallu que je rentre dans le Scorpio la première fois ? Je pouvais pas passer devant sans m'arrêter ? « Qu'est-ce qui te fait croire que le Scorpio est l'unique problème ? Peut-être que c'est toi mon problème. » ai-je murmuré sans ciller. « Ce "monde" pourrait très bien te suivre, même si tu changes de job. » Ainsi, je me retrouverai à la case départ. Sa proposition est tentante malgré tout parce que oui, je serai moins exposé à ce monde dans un cirque en comparaison au club, seulement ... Quoi, est-ce que je vais vraiment la suivre encore une fois ? Alors que je sais très bien que rester à ses côtés est dangereux ? Non ... Et je suis pas son chien. J'ai pas à la suivre chaque fois qu'elle me le demande. C'est surtout ça qui me fait peur en fait. Mon orgueil se réveille. Je ne suis pas dépendant d'elle, elle m'attire mais ... je peux résister. Je dois lui prouver que je ne suis pas à sa disposition. Je dois tout arrêter. « Et puis contrairement à ce que tu peux penser je ne suis pas à ton service. Va te faire voir. » Putain. La dernière partie n'était pas prévue. Mon sang pulse dans mes veines. Je crois qu'en fait que les derniers mots, je les retiens depuis très longtemps et c'est pour ça qu'ils sont sortis tout d'un coup. Elle va me tuer. Tant pis.

Peut-être que j'en fais trop, peut-être que je prends tout ça trop au sérieux, peut-être que je devrais pas en faire tout un plat. Après tout, travailler dans un cirque plutôt qu'au Scorpio qui est peuplé de gens pas fréquentables, je devrais voir ça comme une opportunité de m'éloigner de ce monde dont je me suis un peu trop rapproché ces derniers temps. Pourtant non, c'est l'idée d'obéir, de céder une fois de plus à Max qui me donne envie de fuir en courant. C'est dans ce genre de moment où je regrette réellement d'être entré dans le Scorpio ce soir là. Au début j'ai pensé que, ayant grandi, les choses auraient changé, qu'elle n'aurait pu cette emprise sur moi qu'elle a pu avoir quand on était à L.A. Je me suis trompé. Cette fille est le mal incarné et plus je reste près d'elle, plus je sens que je me perds de plus en plus.  A un moment, je ne vais plus pouvoir m'en sortir. « J'ai juste besoin de toi AILLEURS. » Max lève les yeux et cherche à dédramatiser la situation. C'est sûrement ce qui est le plus agaçant dans tout ça, qu'elle ne me prenne pas au sérieux. J'ai risqué ma vie pour sauver Tinga, bordel ! Ca veut rien dire ou quoi ? « And anyway, what's wrong with the circus ? It's an awesome place to be. » continue-t-elle. C'est à mon tour de lever les yeux au ciel. Je n'ai rien contre le cirque, c'est sûrement génial mais ... Merde quoi ! Elle m'annonce ça comme ça, d'un coup et je suis supposé faire quoi pour elle, danser de joie ?

Mais si ça se trouve ça serait une bonne idée quand on sait que je veux m'éloigner de l'illégalité, ce dans quoi le Scorpio baigne depuis toujours en fait mais ... C'est le bordel dans ma tête et toute cette histoire me fait royalement chier. Donc oui, peut-être que c'est elle mon problème et c'est ce que je lui dis, clairement, enfin plus ou moins. Mais la colère est de plus en plus présente et j'ai besoin de dire ce que j'ai sur le coeur. Elle n'a pas à me dire ce que je dois faire. Je ne suis pas à son service, je ne suis pas à son service. « Oh now you think I'M the problem ? YOU were the one crossing those doors, and signing our contract. » Elle commence à s'emporter aussi, seulement je ne m'inquiète pas tout en sachant que je devrais. Je me doute bien que je pousse assez loin là, mais selon qui ? Selon elle ? Oui bah non, rien à foutre. « Tu sais très bien ce que je veux dire, arrête de faire l'innocente. » ai-je réussi à articuler en maîtrisant ma voix. Sauf que après ... j'ai un peu dérapé. Ce n'était pas prévu au programme mais les mots sont sortis, je lui ai dit d'aller se faire voir. Je crois que c'est à cause de toute cette frustration en fait ... Son regard change du tout au tout. « Oh no you didn't. » dit-elle la mâchoire crispée. Voilà, c'est trop tard. Je sais que je vais avoir mal mais je dois assumer. J'ai à peine le temps de réagir qu'elle fond sur moi. Elle est beaucoup trop rapide et j'ai beau essayer de rester attentif pour me défendre, c'est trop tard. Elle prend mon bras qui ne s'est toujours pas remis de la balle qu'il a reçu et le bloque derrière mon dos. Le choc me fait pousser un gémissement de douleur en sentant une douleur sourde prendre possession de mon membre. Après ça je perds le fil. Elle tire mes cheveux pour maintenir ma tête et je ne peux plus bouger, jusqu'à ce qu'elle appuie à nouveau sur mon épaule douloureuse et me pousse jusqu'à son bureau. Cette fois prévenue, je bloque un nouveau gémissement de douleur dans le fond de ma gorge et serre les dents. Je savais ce que je risquais. Mon front vient taper brutalement contre son bureau, un léger grognement sort de ma bouche à cause du choc. Putain ! C'est pas permis d'être aussi susceptible ! Parce que bien sur non, elle me sort le grand numéro donc elle n'a pas terminé. Son bras emprisonne mon cou.

Je suis à genoux, à sa merci. L'idée me révulse, l'idée de me mettre à genoux devant qui que ce soit me donne des envies de meurtre parce qu'elle me rappelle de très mauvais souvenirs. Mon bras libre tente quelques assauts vers Max mais bien sûr, ça ne lui fait rien. Je me débats encore un peu, par principe, tout en sachant que ça ne sert à rien. Et la douleur de mon autre bras se propage et m'affaiblis. Alors mes assauts sont de moins en moins importants. Quand elle sent qu'il n'y a plus de danger, elle relâche son emprise sur moi et me laisse tomber au sol. Mon coeur bat rapidement et je suis légèrement essoufflé. Mon bras est très douloureux, ma gorge aussi, un peu. Je continue de regarder le sol encore un peu mais sens tout de même son regard meurtrier sur moi. « Don't ever talk to me like that ever again. I killed for less, and I WILL kill you if it happens again. »  dit-elle sèchement. Je relève la tête, elle est à son bureau. Je serre les dents. Putain, j'en ai marre des gens ! J'ai l'impression d'avoir passé ma vie à la merci de personnes comme Paco, Max ou ... ou Hector. Hector. Je me dis toujours que quoi qu'il se passe aujourd'hui, j'ai connu pire, parce qu'honnêtement, je sais que rien ne pourra être pire que ce que mon oncle m'a fait subir. C'est grâce à ça que je réussis à relativiser ... plus ou moins. Mais même si je viens de me faire humilier par Max, j'assume. Je me relève, en proie à une colère froide. « Quoi ? J'ai juste pensé que ça te ferais du bien d'entendre ça, comme on te le dit pas souvent, ça aide à redescendre sur terre. » ai-je ironisé à bout de nerfs. Rien à foutre. J'en ai vraiment marre de toute cette merde. « Personne n'est irremplaçable... mais tu en sais beaucoup trop pour partir maintenant. » Alors quoi, ça veut dire qu'elle va me garder en otage jusqu'à la fin de mes jours, c'est ça ? Je serre les poings. « You're going to the circus, end of discussion. » La colère monte encore d'un cran mais je la maîtrise parce qu'elle pourrait me couter très cher. Mais faut que je sorte de cette pièce avant qu'elle ne m'échappe. Désabusé, je secoue la tête. « Yes, mum. » ai-je ironisé une fois de plus. « Putain, j'ai pris une balle presque parce que tu me l'avais demandé, tu pourrais m'accorder un peu plus de crédit au lieu de me traiter comme un gamin de quatre ans ! » ai-je craché. Ca y est, on va arrêter le massacre ici, parce que sinon ... Ne voulant pas lui laisser le temps de répondre et/ou de m'arracher un oeil, j'ai fait demi-tour et je suis sorti de son bureau en trombe avec l'impression de vouloir détruire le monde entier.