Trois heures. Trois heures que la pimpante japonaise s’entraînait d’arrachepied sous une chaleur à crever sans même chercher à arrêter. A vrai dire, elle avait bien trop besoin de se dépenser et d’extérioriser tout ce qu’elle ne savait pas exprimer. C’ian souriait tout le temps, pour tout et n’importe quoi. Résultat, non seulement personne ne connaissait le fond de sa pensée, mais on la prenait pour une gourde. Ce n’était pas étonnant, vu qu’elle n’avait aucun diplôme… à part le bac. Cette pensée lui fit faire une pause et alors qu’elle buvait plusieurs gorgées d’eau à intervalles réguliers, elle entendit un petit cri de chaton pour lequel elle n’aurait pas pu faire la sourde oreille. Sans même savoir pourquoi, C’ian avait gardé sa raquette de tennis entre les mains et, après avoir constaté que deux couillons lançaient des cailloux contre un pauvre chaton blanc abandonné, ni une ni deux, la brunette fonça en hurlant afin de leur faire peur. « Et que je ne vous y reprenne plus ! » lâcha-t-elle subitement, dans un anglais parfait, alors qu’elle les voyait encore courir au loin. Allez savoir pourquoi, mais le chaton, plutôt que de la fuir parce qu’elle avait crié, s’était aussitôt frotté à sa chaussure désormais salie par la terre battue environnante. Elle se baissa donc, commençant à frôler l’animal du bout des doigts pour ne surtout pas l’effrayer et, une fois qu’il lui eut longuement sentit la main, elle s’aventura à le caresser. L’entendre ronronner lui fit tellement plaisir qu’un beau sourire éclatant peupla dès lors ses traits, de la façon la plus naturelle. « Tu as été abandonné ? Je ne vois pas ta maman… je vais te dire un secret : nous sommes deux. Mais ils ne te feront plus de mal, tu peux me faire confiance, je vais veiller sur toi mon joli... il ne t’arrivera plus rien. » Hélas, le petit chaton avait l’air d’avoir été malmené dans la bataille… bien que les entraînements de C’ian soient capitaux, rien ne sembla l’empêcher de prendre son sac en bandoulière et d’enfourcher son vélo pour se rendre jusqu’au premier refuge pour animaux qu’elle trouva. Le problème qui s’imposait à elle : s’exprimer dans un anglais à peu près potable pour se faire comprendre, surtout que la réceptionniste ne semblait pas être une experte ès japonais. Tout en s’exprimant à moitié avec les mains et en marmonnant parfois en japonais quand elle ne trouvait pas le mot adéquat, elle montra le chaton blanc blessé et couinant pour démonstration ultime. « Blessé par idiots !! » s’exclama-t-elle finalement, tentant de sourire pour ne surtout pas être désagréable.
Je n’arrivais toujours pas à croire que j’avais un enfant de cinq ans, malade qui plus est. Comment était-ce possible ? Et puis, pourquoi Calypso ne m’en avait pas parlé avant ? Elle avait beau s’être expliquée, ses explications ne me suffisaient pas, bien au contraire. Qui pouvait faire une chose pareille ? Qui pouvait rompre avec son petit ami et lui cacher qu’elle portait son enfant ? Au moins, cela expliquait pourquoi elle avait rompu avec moi il y a plus de cinq ans à présent. Je n’avais jamais le pourquoi du comment, même si je m’en étais remis, bien heureusement. On pourrait croire, qu’ayant du mal à m’attacher et à faire confiance, que lorsque je le faisais, la rupture – voire presque trahison dans le cas présent – me touchait énormément, et que j’aurais donc énormément de mal à m’en remettre. Pourtant, justement, si mon enlèvement m’avait appris quelque chose, c’était bien que la confiance pouvait être trahie en moins de quelques secondes. En réalité, même lorsque j’accordais ma confiance et mon amitié – ou amour – à un être humain – la chose étant bien sûr totalement différente avec les animaux, ceux-ci étant les êtres les plus purs existants sur cette Terre – il y avait toujours une part de moi qui s’attendait à être trahie ou déçue. Au moins, cela facilitait les choses lorsque cela arrivait, comme lors de ma rupture avec Calypso, ou à présent, avec son annonce de mon enfant. Je n’étais donc pas détruit, bien au contraire, et retombais donc bien plus facilement sur mes pattes, me permettant de rapidement tourner la page. C’était dans cet état d’esprit que je vis une jeune femme déposer un chaton maltraité dans le refuge où j’étais bénévole. J’eus un soupir d’exaspération tandis qu’elle expliquait – ou tout du moins tentait, vu qu’apparemment son anglais n’était pas parfait – qu’il avait était molesté par des idiots. Oui, je connaissais bien cette espèce, qui avait pour habitude de passer ses nerfs sur des êtres bien plus faibles qu’eux – c’était tellement plus simple que de s’en prendre à des personnes à leur taille non ? « Merci beaucoup de l’avoir amené ici. » dis-je à la jeune femme dans un petit sourire, avant d’ausculter l’animal. Heureusement, j’avais eu mon diplôme de vétérinaire il y a quelques années, et pouvais donc soigner les animaux arrivants au refuge. J’avais passé ce diplôme simplement pour pouvoir être plus utile dans le refuge, et même si ce n’était pas le métier que je voulais faire plus tard – j’étais de toute façon promis à devenir Ambassadeur de l’Australie, à New York – cela ne pouvait qu’être une bonne aide pour mon action au refuge. « Vous venez d’où ? » lui demandais-je gentiment, voyant bien qu’elle n’était pas américaine.
C’ian secoua négativement la tête face aux paroles du jeune homme qui venait de s’adresser à elle, l’air de dire qu’il n’était aucunement utile de la remercier. La pimpante japonaise l’avait fait de bon cœur, quitte à oublier temporairement son entraînement de tennis, cela pouvait attendre. Elle lui rendit son sourire de façon d’autant plus éclatante alors qu’elle lui remettait le chaton, sans pour autant cesser d’être à ses côtés. En l’espace de quelques minutes, la jolie brune s’était déjà attachée à l’animal, minuscule et sans défense, comme si elle s’était aussitôt reconnue en lui. Il avait été maltraité par plus fort que lui et payait très fort le prix de la bêtise humaine. On ne pouvait pas faire description plus exacte de son existence dans son image la plus générale. C’ian aussi s’était retrouvée à plus d’un titre sans défense, face à la méchanceté d’autrui, et bien que cela l’ait aidée à s’endurcir, il n’en demeure pas moins que face aux rapports humains, elle ne pouvait pas être plus désavantagée. « Je viens Japon » articula-t-elle tandis qu’elle ne lâchait pas l’animal des yeux, souffrant en même temps que lui tout en priant implicitement pour qu’il s’en sorte sans dommage. « Très blessé ?! » demanda-t-elle subitement, n’y tenant plus. C’ian souriait mais son regard restait diablement sérieux, attristé même. Elle s’en faisait davantage pour ce petit bébé que pour n’importe qui d’autre en cette seconde précise. Elle voulait qu’il aille mieux. « Me dire tout ce qu’il faut donner et faire, moi le recueillir et prendre soin de lui. Même s’il faut donner biberons et veiller sur lui la nuit ! Lui être un peu comme moi… faut que je trouve prénom à lui, vous savez l’année de quelle lettre on est ? »
« J’adore le Japon ! » lui dis-je dans un japonais approximatif. Je n’étais pas un vrai polyglotte, mais mon éducation pour devenir futur ambassadeur m’avait fait voyager et connaître les bases de plusieurs langues, dont le japonais. Donc même si mon japonais était probablement du même niveau que l’anglais de la demoiselle, c’était toujours ça. Je soupirai d’exaspération en voyant qu’il avait probablement la patte avant droite de cassée, et ne voulais pas imaginer quels autres dommages il pourrait avoir. « Sa vie n’a pas l’air d’être en danger, c’est déjà ça. » répondais-je, toujours dans un japonais approximatif, avant de reprendre, en anglais cette fois-ci. « Mais il vaudrait mieux lui faire une radio, pour être sûr. Vous pouvez nous accompagner si vous le souhaitez. » J’avais bien vu qu’elle semblait déjà s’être attachée au chaton, et ce serait donc plus simple – émotionnellement parlant – de rester près de l’animal. Au moins, ce petit chat avait probablement trouvé une famille, c’était déjà ça. Je n’étais vraiment pas du genre à positiver, bien au contraire, mais j’essayais de faire des efforts lorsque les animaux étaient concernés, tout simplement pour espérer que des bonnes choses puissent également leur arriver. « Nous sommes dans l’année du I, mais vous n’êtes pas obligée de le nommer d’un prénom commençant par un I, cette pratique n’est demandée que pour les chats de race. » Et de ce que je voyais, ce chaton, bien que magnifique – comme tous les animaux au final – était un chat européen, donc un chat de gouttière, tout simplement.
C’ian ne s’attendait pas une seconde à ce que le jeune homme du refuge ne s’exprime en japonais, même approximatif. Qui était-elle pour lui jeter la pierre ? Son anglais était catastrophique, elle le savait, et malgré les nombreux dictionnaires et autres Bescherelle qu’elle portait toujours dans son sac en bandoulière, elle pratiquait tellement peu qu’elle avait l’impression de stagner. Il s’agissait sans nul doute de sa première vraie conversation depuis son arrivée aux USA, autant dire que ce jour était à marquer d’une croix rouge, blanche, bleue, de n’importe quelle couleur ! « Vous parlez japonais ? » lui demanda-t-elle dans sa langue natale, ou tout du moins dans la langue du pays l’ayant vue grandir. C’ian ne savait pas si son interlocuteur comprenait ses paroles mais autant dire qu’elle était bien plus à l’aise qu’en anglais, aussi se permit-elle de continuer sur sa lancée : « Si vous ne me comprenez pas, n’hésitez pas à me dire mais j’ai un peu de mal en anglais, alors… il faut juste que je pratique je suppose ! Vous êtes déjà allé au Japon ? » L’enthousiasme dont faisait preuve la brunette était tellement évident que cela devait sûrement surprendre le bénévole, mais le sourire de C’ian ne diminua pas d’un millimètre, hormis lorsqu’il lui annonça que le chaton avait probablement une patte cassée. « Ca peut se soigner j’espère ?! » s’inquiétait-t-elle aussitôt, particulièrement concernée par l’avenir de ce petit animal. « Je vais rester ! Quant à son nom, attendez que je réfléchisse… vu que c’est un mâle, pourquoi pas Io ? Je crois que c'est le nom d'une déesse mais c'est aussi un prénom masculin… »
La jeune femme semblait bien plus à l’aise depuis que j’avais parlé japonais et qu’elle pouvait parler dans sa langue natale. J’entrepris de répondre dans sa langue. « Je pas parler très bien japonais, mais je comprends parfaitement la langue. » lui dis-je. Surtout que j’aimais beaucoup cette langue, même si je ne la pratiquais pas assez souvent pour avoir un bon niveau. C’était d’ailleurs le cas pour toutes les autres langues que je baragouinais. Par contre, la compréhension était totale, c’était déjà ça. « Peut-être moi parler anglais et vous japonais ? » proposais-je. Après tout, elle avait l’air de comprendre ma langue, et c’était réciproque. Bien sûr, si une personne nous croisait, elle ne comprendrait rien à ce qui se passait, mais ce n’était pas comme si l’avis des autres m’importait de toute façon. « Non, je n’y suis jamais été, mais j’aime beaucoup apprendre des langues étrangères. » lui répondais-je. C’était d’ailleurs assez étrange, étant donné que je n’aimais pas spécialement le contact avec mes congénères, mais de toute façon, cela me serait toujours utile lorsque je serais ambassadeur. Je faillis dire à la jeune femme que je n’avais pas envie d’y aller, tout du moins pas tant que le gouvernement continuerait à autoriser le massacre des dauphins, mais me retins à temps. Après tout, autant ne vexer une personne qui semblait aimer les animaux non ? « Oui, ne vous inquiétez pas, un plâtre, et ça guérira tout seul. » tentais-je de la rassurer à l’aide d’un de mes sourires. « Io est un très joli prénom ! » m’exclamais-je, enthousiaste à l’idée que le chaton ne traversera pas cette épreuve tout seul, avant de l’inviter à me suivre vers la salle de radiographie.
C’ian avait peut-être un anglais extrêmement médiocre, mais elle comprenait très bien cette langue lorsqu’on lui parlait, c’était là l’avantage. Voilà pourquoi elle hocha positivement la tête alors qu’il lui proposait ce compris qui les arrangeaient sûrement autant l’un que l’autre, sans oublier de lui sourire avec chaleur et sincérité. Oh elle ne connaissait même pas son prénom, il restait un parfait inconnu à ses yeux mais il n’empêche qu’il sauvait son chat et qu’en prime, il lui offrait l’opportunité de ne pas paraître idiote face à cette langue qu’elle ne parvenait pas à apprendre comme il fallait… « Vous parlez beaucoup de langues ? » demanda-t-elle, intriguée. C’ian n’était pas mauvaise en théorie pour les langues, surtout depuis qu’elle avait appris l’alphabet européen, bien plus simple que les Kanji japonais. « J’avoue que l’anglais me donne beaucoup de fil à retordre mais je ne suis pas là depuis longtemps, alors… sans doute suffirait-il que je fasse preuve de patience ! En tout cas votre japonais n’est pas mauvais, vous devriez continuer » l’encouragea-t-elle avant de ne le suivre en salle de radiographie, flattée par son enthousiaste et tellement contente qu’il n’approuve son choix de nom… c’était une grande première pour C’ian, elle n’avait jamais eu d’animal contrairement à sa sœur Cixi, qui avait adopté un chien. Elle allait donc enfin pouvoir prendre soin de quelqu’un qui lui rendrait certainement tout cet amour qu’elle avait à revendre sans pouvoir l’exprimer d’une quelconque manière. « Merci pour le compliment, je trouve que ça lui va très bien… en tout cas merci de vous occuper de lui, vraiment ça me rassure parce que j’avais peur que ces idiots lui aient fait des dommages irréversibles… pauvre bébé ! Mais je vais prendre loin de lui, je vais être sa famille et il sera la mienne ! »
Oui, ce compromis était l’idéal. Bien sûr, si je parlais dans sa langue natale, cela me permettrait de m’améliorer dans le japonais parlé, mais je n’étais pas ici en tant que futur ambassadeur, mais en tant que bénévole dans le refuge. Le mieux était donc d’être sûr que nous nous comprendrions parfaitement et qu’il n’y aurait pas de quiproquo sur le traitement qu’elle devrait lui donner – s’il en avait besoin, ce que je n’espérais pas, et qui n’était de toute façon pas encore sûr. « Je parle neuf langues. Enfin j’en parle une et baragouine huit autres langues. » répondais-je, un peu gêné de parler de moi. Après tout, je ne connaissais pas la jeune femme et elle faisait peut-être partie de la mafia japonaise et était en fait venue ici pour m’enlever et me torturer. J’essayais de chasser cette idée noire et de reprendre mes esprits. Après tout, quelques semaines auparavant, mon meilleur ami Mylo et moi-même nous étions montés un véritable film pour vraiment rien. La personne que nous pensions être un cannibale venu pour nous manger n’était au final qu’un fan de mon meilleur ami et s’il nous avait suivis – y compris dans le café où nous nous étions réfugiés – c’était simplement parce qu’il avait mis un long moment avant d’oser lui demander un autographe. « L’anglais est ma langue natale, donc je ne sais pas si c’est une langue facile à apprendre. Mais de toute façon, c’est sûr que plus vous la parlerez, mieux vous vous sentirez en vous exprimant. » Mais encore une fois, ce ne serait pas pour aujourd’hui, j’avais bien trop peur des quiproquos. Je passais outre son compliment, me méfiant toujours lorsque l’on m’en faisait. « Le pire c’est que la loi ne le protège même pas contre des imbéciles comme eux. Alors que les animaux sont les êtres les plus purs que je connaisse. »
« Neuf ?! C’est impressionnant, où trouvez-vous le temps pour apprendre tant de langages ? » C’ian n’était jamais avare de compliments, bien que personne ne lui rende jamais la pareille et qu’on ne l’ait toujours traitée qu’avec mépris, tout au long de sa vie. Elle avait l’intelligence et l’agilité de tempérament suffisante pour ne pas s’en offusquer, ou en tout cas pour être en mesure de passer outre et de continuer à sourire comme s’il s’agissait de la meilleure des armes. La plupart du temps, ça l’était d’ailleurs, il ne fallait pas croire ! « Je sais que c’est avant tout une question de pratique mais il faut que je m’habitue à adresser davantage la parole aux gens. Ce n’est pas si automatique au Japon, les gens s’inclinent bien avant que de s’exprimer verbalement vous savez » lui apprit-elle sans faire preuve de timidité, ayant au contraire beaucoup de respect et d’admiration pour ce peuple dont les coutumes les plus ancestrales avaient fait son quotidien depuis de nombreuses années. « Et je ne serais même pas capable de les reconnaître s’il fallait les identifier, vous savez. Mais si la loi ne peut rien alors ce n’est pas grave, je vais bien veiller sur lui. Je ne suis pas du genre à m’attarder sur le passé, surtout si je ne peux rien y faire. Ce qui compte, c’est qu’il aille mieux. Aidez-moi à le soigner en lui faisant un plâtre et en me donnant autant d’informations que possible. Si jamais j’ai une question, je peux appeler ici pour avoir des renseignements ? » C’ian n’avait pas spécialement précisé qu’elle préférait n’avoir qu’un interlocuteur, à savoir lui, puisque de toute façon il s’agissait d’un centre bénévole et qu’elle n’était définitivement pas du genre à s’imposer à autrui.
Encore une fois, j’étais gêné par sa question, que je trouvais personnelle. Oui, je savais qu’il fallait que je relativise, que j’avais tendance à ne pas faire confiance aux autres et à me monter des films dans ma tête, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Et sérieusement, pouvait-on m’en blâmer ? Après tout, les questions que la jeune femme me posait étaient très personnelles et s’intéressaient à mon emploi du temps non ? « Je les ai surtout apprises pendant mon enfance ou pendant mes études … » Oui, j’étais un peu vague, mais cela était bien le but en même temps. Et puis, c’était la vérité, puisque j’avais également pris des cours de langues à la fac. « C’est vrai qu’il faut d’abord commencer à bien connaître la culture du pays dans lequel on veut apprendre la langue. Mais je suis sûr que vous y arriverez ! » lui dis-je, tentant d’être enthousiaste – après tout, elle aimait les animaux, elle avait bien le droit que je fasse des efforts et que je sois encourageant non ? Je prenais délicatement le chaton dans mes bras, tentant de lui faire le moins de mal possible, pour lui faire sa radio. Aie, il avait l’air d’avoir également une côte de cassée. La guérison serait donc plus douloureuse et plus longue. Mais bon, sa vie n’était pas en danger et c’était l’essentiel. « Malheureusement, c’est à peu près la même chose dans tous les pays. Les humains se croient supérieurs aux animaux, et donc se moquent totalement d’eux ou de leur bien-être. Bref, totalement incompréhensible, quand on sait ce qu’ils peuvent nous apporter. Enfin voilà, à cause de ces non lois complètement stupides, Io a une côte et une patte cassées. Donc heureusement, sa vie n’est pas en danger, mais il va avoir besoin de soutien. »
C’ian ne mit hélas pas longtemps avant de se rendre compte qu’elle avait sûrement été indiscrète : dès qu’on se mettait à lui répondre de façon on ne peut plus vague, c’était en général mauvais signe. « Je suis désolée je ne voulais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas » avoua-t-elle non sans continuer à sourire de façon sincère, comme pour montrer patte blanche, même si elle ne voyait pas au juste en quoi c’était un crime que de s’intéresser à autrui. Les gens devenaient frileux de nos jours et C’ian en était la première étonnée. « Vous connaissez plus de langues que moi alors que mon père adoptif est ambassadeur du Japon ! » s’exclama-t-elle sans honte, bien qu’elle ait un lourd contentieux avec le patriarche Maeda et que celui-ci l’ait obligée à mentir sur son âge pour venir aux USA. Bah, ce n’était pas la faute de ce jeune homme qui ne lui avait rien fait et surtout pas alors qu’il semblait prompt à sauver le petit Io… rien que pour cela, il méritait absolument toute sa gratitude. « Je travaille chez moi alors je vais pouvoir veiller constamment sur lui, il n’y aura aucun souci pour ça. Mais vous n’avez pas… répondu à ma question : si jamais il a besoin de quelque chose, je peux appeler ici pour être sûre de ne pas faire de bêtise ? » C’ian haussa légèrement les épaules comme pour s’excuser d’insister mais cela lui paraissait important : si jamais elle ne savait pas quoi faire, elle voulait pouvoir être sûre d’appeler quelqu’un qui saurait mieux qu’elle…
Je devais bien avouer que son sourire me mettait quelque peu mal à l’aise. C’était assez étrange, étant donné que moi-même, j’avais tendance à beaucoup sourire – même lorsque ceux-ci étaient faux. Mais je n’avais pas l’habitude de rencontrer des personnes souriant tout le temps. « C’est juste que je n’aime pas vraiment parler de moi … » répondais-je, espérant ne pas l’avoir vexée. J’eus un petit sursaut tandis qu’elle me disait que son père était ambassadeur du Japon. Etait-ce un piège ? Me mettait-elle à l’essai pour voir si je parlerais de mon père, ambassadeur également, mais de l’Australie et non du Japon ? Après tout, elle pouvait très bien me mentir pour me manipuler ensuite non ? J’inspirais et expirais lentement, comme pour chasser mes idées sombres. « Mon père aussi est ambassadeur. Mais de l’Australie. » lui dis-je, sans en rajouter plus – pas besoin de lui raconter toute ma vie non plus, ni de lui dire que je serais, à sa retraite, le futur ambassadeur de l’Australie. Elle était déjà chanceuse que je lui donne ces quelques informations à mon sujet non ? J’espérai juste que ça ne se retournerait pas contre moi, et qu’elle n’était pas ici en espion, pour se renseigner à mon sujet et donc commencer par vérifier que j’étais bien la personne sur qui un contrat avait été fait. Encore une fois, je décidais de penser au fan de Mylo, qui n’avait donc pas du tout été un cannibale. C’était devenu mon nouveau calmant cette histoire. « Mais j’aime beaucoup les langues en même temps. Je ne sais pas vraiment pourquoi, surtout que je ne parle pas beaucoup … » Oui, c’était une question qui me revenait quelques fois. Pourquoi aimer autant apprendre de nouvelles langues alors que je n’allais jamais vers les autres ? « Oh, désolé. Bien sûr que vous pouvez appeler ici s’il y a un problème. Ou même juste si vous avez des questions, ou autres … »
C’ian avait vu juste ! Il l’avait sûrement prise pour une intrigante, quelqu’un cherchant à se renseigner sur lui et la façon dont il lui répondit la mis aussitôt mal à l’aise. Il faut dire que la jolie japonaise était rapidement mise mal à l’aise et même si elle compensait tout par ce sourire illuminant rapidement ses traits de porcelaine, elle n’en restait pas moins diablement mal, surtout face à sa remarque. Cet état de fait la fit reculer d’un pas en levant aussitôt les mains, comme si on allait la frapper ou l’assommer de reproches dans la seconde. La force de l’habitude en vue de se protéger, sans doute… « Je n’ai pas voulu vous forcer à parler, croyez-le bien. Je ne connais pas grand monde ici et encore moins les coutumes de ce pays, c’est nouveau pour moi, je n’avais pas conscience de commettre un impair. » Et comme si elle se trouvait justement dans son pays, C’ian s’inclina respectueusement en vue de s’excuser. Il valait mieux qu’elle économise ses mots afin d’éviter toute nouvelle erreur. « Alors je suis presque tentée de vous plaindre, monsieur » énonça-t-elle en toute sincérité tant elle savait ce qu’il devait sûrement traverser comme pression, protocole inutile et surfait… bref, il ne devait pas connaître la vraie vie, les vraies émotions, ou même la gentillesse des gens. Sans quoi il n’agirait sûrement pas de cette façon avec elle. « Écoutez, peut-être que je devrais aller voir un vétérinaire pour mon chat, je ne suis pas à l’aise et je n’ai pas envie de rester des heures face à quelqu’un qui manifestement me prend pour quelqu’un de… manipulateur ? Je ne vous connais pas, je ne vous veux rien de précis et je n’ai pas de mauvaises intentions. Mais d’un autre côté, vous ne me connaissez pas non plus, et je trouverais fort dommage que vous vous laissiez berner par un je ne sais quoi qui vous pousse à penser du mal de ma personne. »
J’étais bouché-bée, il fallait bien l’avouer. Je ne savais pas quoi lui répondre, et étais bien gêné. J’avais pourtant pris des gants, et avais donc pensé qu’elle ne prendrait pas mal ce que j’avais dit, surtout que j’avais essayé de le dire d’une façon plutôt gentille non ? Je n’en savais rien, mais en même temps, vu ma façon de me lier avec les autres, ce n’était finalement peut-être pas étonnant qu’elle ait mal pris ce que j’avais dit, après tout. « Ça n’a rien à voir avec les coutumes, c’est vraiment un problème que j’ai, personnellement. Mais je suis désolé que vous ayez mal pris ma répondre, vraiment. » lui répondais-je, un peu honteux. J’étais conscient de mes problèmes – fort heureusement d’ailleurs – et même si je n’étais pas sociable, cela ne voulait pas dire que j’étais associable non plus, et encore moins que je voulais mettre les gens mal à l’aise, bien au contraire même. « Oh, ça ne m’a jamais vraiment dérangé le métier de mon père. » lui dis-je, avant de prendre une pause. « Je suis très proche de mes parents, donc le seul dérangement qu’il y a eu, c’était le déménagement à New York lorsque mon père a été promu. » Et mon enlèvement … Mais bien sûr, je gardais cette pensée pour moi. Très peu de personnes étaient au courant dans mon entourage, ce n’était pas pour en parler avec la première inconnue, même si elle m’était sympathique. « Non, vraiment, je ne pense pas de mal de vous, au contraire. Je trouve admirable ce que vous avez fait ; et comptez faire ; pour ce chaton. Et pour moi, quand un être humain est ainsi avec les animaux, ça ne peut pas être une mauvaise personne. Vraiment, je le pense. Et je suis désolé que vous ayez mal pris mon recul. J’ai juste du mal à m’ouvrir aux autres, c’est tout … »
C’ian aurait décidément toujours du mal à comprendre les gens et leurs réactions. Comment se débrouillaient-ils pour se compliquer autant la vie ? A croire qu’ils soient masochistes ou que le bonheur ne leur apparaisse que bonne quantité négligeable. La jolie japonaise n’avait pas la moindre rancune envers la réaction de ce parfait inconnu dont elle ignorait jusqu’au nom, mais elle n’était pas du genre à encaisser la bêtise d’autrui sans rien dire, même si elle s’arrangeait toujours pour mettre les formes. Elle esquissa donc un petit sourire, pas fâchée le moins du monde de ce revirement de situation, bien au contraire. « Je ne suis pas quelqu’un de facilement vexé ou même de rancunier, vous savez. Je tenais juste à ce que les choses soient dites… je n’aime pas les malentendus, ils me mettent mal à l’aise et puis, comme je ne voyais rien de réprimandable dans mon propre comportement, j’ai préféré clarifier les choses. » Qu’il la détrompe s’il l’estimait à côté de la plaque, C’ian n’était jamais contre une bonne discussion bien au contraire. Elle préférait mille fois le son au silence, voilà pourquoi elle n’était pas capable de rester agenouillée des heures à prier dans un temple, c’était au dessus de ses forces. « Vous avez sûrement d’excellentes raisons pour ne pas vouloir vous ouvrir aux autres mais je ne voulais ni être indiscrète ni vous forcer la main ou bien encore passer pour une espionne ! Je suis venue ici pour aider ce petit chaton et c’est tout. Vous savez, ce n’est pas évident d’être dans un pays où vous ne maîtrisez pas la langue, et de ne pas comprendre ce que les gens disent de vous. Je ne pense pas être une mauvaise personne pour autant mais après tout, on est toujours très mauvais juge de soi-même. »
Dire que cette conversation me gênait était un euphémisme, et pas des moindre. Je me passais nerveusement la main dans les cheveux, comme pour me donner contenance. « Très bien alors, le malentendu n’existe plus entre nous, promis ! » lui répondais-je, dans un petit sourire. Je savais que j’avais des problèmes de sociabilité, ce n’était pas nouveau. A part quelques personnes dans mon entourage, les seuls êtres vivants auprès de qui je m’ouvrais totalement étaient les animaux. Je savais qu’ils ne pouvaient pas me trahir, ni imaginer des scénarios pour me faire du mal – même si la plupart du temps, ce n’était que moi qui imaginais, et non mes interlocuteurs. Lorsque les animaux avaient des problèmes de comportement – chiens mordeurs par exemple – je savais qu’ils n’y étaient pour rien, et que c’était justement la faute de leur propriétaire, soit des êtres humains. Et avec de la patience, de l’amour et beaucoup de câlins ou de friandises, les problèmes de comportement avaient tendance à s’amoindrir. C’était bien la preuve que les animaux étaient des êtres purs et bons à la base, sans intervention humaine en tout cas. « Et je suis heureux que vous soyez venu aider ce chaton, vraiment. Il y a peu de personnes qui se seraient ne serait-ce que retournées, donc encore moins qui se seraient attardées sur son sort. Donc, vraiment, je ne pense pas que vous soyez une mauvaise personne … » répondais-je, en le pensant.
C’était drôle, mais C’ian ne pouvait pas s’empêcher de songer que justement, le malentendu avait beau s’être dissipé, ce jeune homme n’était pas pourtant à l’aise en face d’elle pour autant. Oh elle ne s’en blâmait pas réellement pour cela, bien au contraire : la jolie japonaise ne savait que trop bien à quel point autrui sait très bien vous trahir lorsque vous avez baissé la garde et que vous pensez que plus rien ne pourra jamais plus vous surprendre. Mais cela ne l’empêchait pas d’être attristée car ce bénévole devait se sentir diablement seul. « Peut-être que je me suis surtout beaucoup retrouvée dans ce bébé sans défense et que je n’avais pas envie qu’il vive les mêmes choses que moi. Peut-être que ça peut sonner affreusement égoïste mais je sais qu’hélas la confiance est dure à donner et peut être traîtresse, mais on ne gagne pas grand-chose à être seul pour autant » énonça-t-elle presque tristement non sans caresser le haut de la tête du chaton, souriant de façon plus franche tandis qu’il lui léchouillait le bout du doigt, comme pour déposer son odeur sur sa main et faire valoir qu’elle lui appartenait au même titre que la réciproque pouvait être vraie. « Je trouve ça triste quelqu’un de seul, et même si je ne vous connais pas et que je ne vous juge en aucune façon, je ne pense pas que vous soyez quelqu’un qui est souvent entouré, je me trompe ? Je sais, vous allez dire que ce ne sont pas mes oignons mais il n’empêche que c’est triste. Tous les êtres humains ne sont pas des salopards, vous savez… enfin j’ose espérer. Je peux au moins savoir comment vous vous appelez, Monsieur ? »
« C’est probablement pour ça que je suis très proche des animaux. Je ne veux pas qu’ils puissent vivre ce que j’ai vécu. Et puis, dans la société capitaliste et égocentrique dans laquelle nous vivons, si je ne m’occupe pas de ces êtres qui ont tellement besoin de nous, qui le fera ? » Je savais que je n’étais pas normal. Quoique normal n’était pas vraiment le terme adéquat, puisque je ne pensais pas qu’il y avait une normalité quelque part. Disons que je n’étais pas comme les autres de mon âge en tout cas. J’avais tout le temps peur d’être trahi et que les gens ne s’intéressent à moi que parce que j’allais devenir ambassadeur un jour – et que mon père l’était actuellement. Autant je pouvais comprendre un peu les intérêts politiques – je connaissais, après tout, une personne avec laquelle nous pourrions un jour mutuellement nous aider – puisque la politique était ainsi, même si je n’aimais pas vraiment ce système, autant je ne pouvais pas comprendre comment on pouvait aller vers une personne en attendant quelque chose d’elle en retour. C’était quelque chose qui me dépassait totalement, il fallait bien l’avouer. Autant dire que je pouvais compter mes véritables amis sur les doigts d’une seule main. Mais au moins, même si j’avais peu d’amis, je savais que ceux que j’avais ne me trahiraient pas, et que je pourrais toujours compter sur eux. N’était-ce pas l’essentiel après tout ? « Je ne suis pas seul … J’ai des amis et une vie sociale. C’est juste que je fais attention à qui je donne ma confiance, c’est tout. Donc peut-être que je suis peu entouré, mais en tout cas, je suis bien entouré, et pour moi c’est ce qui compte. Je m’appelle Ashley Keneally. Et vous ? »
La vision du jeune homme semblait tellement sombre et bercée par le calcul qu’elle glaçait presque le sang de la jolie japonaise. A croire qu’elle ne soit condamnée à rencontrer que des gens n’aimant pas faire confiance en la race humaine ou tellement obnubilés par leurs propres calculs d’intérêts qu’ils ne la remarquaient pas. Bah, au moins aujourd’hui, elle s’était fait un allié en ce petit chaton qui ne la lâchait pas d’une semelle et lui arrachait sans arrêt des sourires sincèrement attendris. C’était mieux que rien même si la conversation serait toujours à sens unique… au moins, C’ian était persuadée qu’il serait là à chaque fois qu’elle reviendrait à son appartement et qu’il ne la lâcherait pas pour quelques prétextes fumeux. « Votre vision de la société semble si noire… je ne sais pas ce que vous avez vécu mais cela ne semble pas avoir été une sinécure et vous m’en voyez sincèrement désolée. Mais je ne suis pas d’accord avec vous… ne jamais donner sa confiance vous protège certainement mais vous éloigne aussi de personnes qui pourraient vous surprendre. Je ne viens pas vous apprendre la vie, surtout pas alors que je parle très mal votre langue mais vous êtes fils d’ambassadeur, soit. Cela peut vous rendre intéressant pour d’autres mais en l’occurrence je vous trouve arrogant et très sûr de vous. On dirait que personne ne saura jamais avoir une quelconque valeur à vos yeux à moins de ne montrer patte blanche sur dix générations… Monsieur Keneally, si tout le monde réagissait ainsi, vous ne croyez pas que l’humanité serait éteinte depuis des siècles ? » Mais C’ian termina son discours par un petit rire, consciente qu’elle outrepassait très largement sa place et que si son père adoptif avait été là, elle aurait sûrement entendu parler du pays pendant… très longtemps. « Je ne voulais pas vous insultez, pardonnez-moi » reprit-elle d’une voix douce en s’inclinant respectueusement « mais je pense que vous gagneriez à ôter de temps à autre votre carapace. » Et dans ses excuses, elle en oubliait justement de se présenter à son tour…
Je ne comprenais pas en quoi ce que j’avais dit pouvait paraître arrogant ou laisser penser que j’étais sûr de moi. Surtout que c’était justement plutôt l’inverse. Après tout, si j’étais sûr de moi, j’irais vers les autres en sachant que s’ils étaient avec moi, c’était grâce à ma brillante personnalité par exemple … Alors que justement, pour moi, si une personne venait vers moi, c’était qu’elle attendait quelque chose de ma part et ce n’était donc pas pour ma brillante personnalité. Bref, j’étais dubitatif. « C’est justement si j’étais arrogant et sûr de moi que je ferais confiance à chaque personne rencontrée non ? Enfin, je ne sais pas, mais je ne comprends pas vraiment votre point de vue à ce sujet. En quoi avoir peur d’être trahi à nouveau fait de moi une personne arrogante et sûre de moi ? » lui demandais-je, très sérieux, cherchant à comprendre ce qu’elle voulait dire par là. Justement parce que je ne me sentais pas supérieur aux autres d’ailleurs, puisque généralement, j’aimais bien entendre les points de vues des personnes avec qui je discutais. « Enfin, ce n’est pas parce que je ne suis pas normal que l’humanité va disparaître je pense … » répondais-je dans un petit sourire gêné, avant de repasser nerveusement la main dans mes cheveux. « Si c’était si facile de changer, je le ferais volontiers, vous pouvez en être sûre. Mais ce n’est pas le cas … »
« J’entends par arrogant et sûr de vous le fait que vous faisiez penser à autrui qu’il ne sera jamais assez bien à vos yeux pour mériter la plus petite de vos attentions. Je sais qu’en vérité c’est parce que vous ne voulez pas offrir votre confiance à n’importe qui mais là encore, n’est-ce pas de l’arrogance si l’on part directement du principe que personne n’en sera jamais digne ? Vous savez, la sensibilité des gens peut les pousser à se placer d’un point de vue totalement différent du vôtre, parce qu’ils veulent vous connaître mais que vous leur refuser ce privilège. Ce n’était pas un jugement de valeur, croyez-le. Je ne vous connais pas moi non plus et ne m’aventurerai surtout pas sur ce terrain glissant. » Sauf qu’Ashley ne donnait pas envie d’être connu parce qu’il restait en retrait, sur la défensive, comme si n’importe qui allait lui matraquer le coup jusqu’à ce que mort s’en suive. C’ian n’avait guère de force physique et sa santé fragile ne pourrait jamais l’inciter à tant de violence, qu’elle soit verbale ou d’un autre type. Mais par chance, elle n’était pas dénuée d’esprit et savait s’en servir avec un brin d’intelligence. « Ce n’est pas une question de normalité. C’est plutôt un sentiment tout à fait humain que l’on appelle la peur ! Le fait que vous l’éprouviez prouve votre normalité, justement. Mais que se passerait-il si quelqu’un voulait vous prouvez qu’il y a également du bon dans l’humanité ? Vous l’enverriez paître ou vous écouteriez ce que cette personne a à dire et tenteriez de voir ce qu’elle pourrait avoir à vous montrer ? »
« Vous déformez totalement mes propos. Je n’ai jamais dit que personne n’était digne de ma confiance. J’ai dit que j’ai un problème de confiance. Voilà la nuance. Un problème. Ça veut dire que je ne pense pas cela, mais que je ne peux rien y faire !» Même s’il était vrai que j’avais tendance à passer outre les reproches que l’on pouvait me faire, je devais bien avouer que les propos de la jeune femme me blessaient. Pourquoi s’en prendre moi ainsi ? Je ne lui avais rien fait, et même si j’aimais bien les débats, j’aimais les débats courtois, et non insultants. Après tout, y étais-je pour quelque chose si je m’étais fait enlever et séquestrer par le passé, sans pouvoir boire ou manger pendant plusieurs jours, par des personnes vipérines que je connaissais – ou qui, plutôt, connaissaient mon père – simplement pour de l’argent ? Y étais-je pour quelque chose au fait que la plupart des personnes que je rencontrais s’intéressaient plus à mon statut social et à mon compte en banque plutôt qu’à ma personnalité ? Donc oui, je m’étais fermé sur moi-même, et évitais donc de donner des informations clés, et alors ? Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire ? J’avais tout fait pour être poli et courtois envers elle, et voilà comment elle me répondait. Et ça donnait des leçons de morale en plus … « J’écoute toujours ce que les autres ont à dire. Et encore une fois, vous déformez mes propos puisque je n’ai jamais dit qu’il n’y avait rien de bon dans l’humanité ! »
Sur le moment, C’ian n’avait pas eu l’impression de déformer ses propos et n’avait fait preuve d’aucune violence ou méchanceté. S’il l’avait pris de cette façon, c’est soit qu’elle mettait en plein dans le mille, soit qu’il ne supportait réellement pas d’être sondé. Dans un cas comme dans l’autre, la jolie japonaise était sincèrement désolée pour lui et leva aussitôt les mains en signe de reddition. « Mon souhait n’était pas de vous mettre mal à l’aise ou de vous blesser mais juste de vous tendre la main. Peut-être que votre problème ne peut pas être résolu, peut-être… mais peut-être qu’il peut évoluer différemment. Vous m’avez aidée et je suis du genre à rendre la pareille aux autres, c’est tout. » C’ian était la gentillesse incarnée, bien que cela lui ait tant de fois desservi par le passé. D’ailleurs, s’il y avait bien quelqu’un capable de comprendre ce que le mot « profiteur » pouvait bien signifier c’était elle. La jeune femme n’avait quasiment aucun ami et ce n’était pas faute d’avoir bon caractère pourtant… mais C’ian n’avait aucunement la main mise sur la fortune de son père et s’en moquait bien. « Je ne suis pas ici pour vous faire du mal, vous plonger la tête sous l’eau ou abuser sûrement de votre position en tant que fils d’ambassadeur ou que sais-je encore… je m’en moque. J’ai été dans ce genre de prison, je m’en suis libérée et je ne veux plus jamais y être confrontée. Je sais que ce ne sont probablement que des mots et que je ne dois pas avoir une excellente position dans votre esprit après mon maladroit discours mais… si un jour vous souhaitez voir le monde autrement et essayer autre chose, je serai contente de vous y aider. »
« C’est gentil de vouloir m’aider … » commençais-je dans un petit sourire, comme pour dire que finalement, je ne le prenais pas mal – après ses explications tout du moins. « Mais vraiment, je ne pense pas que ça puisse changer. Je suis comme ça depuis des années maintenant … » Même si j’étais toujours un peu méfiant, je me doutais quand même bien que la jeune femme ne pensait pas que je réagirais ainsi – bien que j’espérais ne pas avoir montré ce que j’avais ressenti. Je ne savais pas pourquoi, mais elle ne me semblait pas être ce type de personne. Peut-être était-ce parce qu’elle pensait aux animaux et que je me disais que ceux qui pensaient à ces êtres si faibles ne pouvaient pas être, dans le fond, de mauvaises personnes. Mais la peur d’être trahi m’empêchait de me confier. Je repensais à l’annonce que m’avait faite Calypso, à propos de mon enfant. Même si j’étais heureux d’apprendre que j’avais un fils, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que la raison pour laquelle mon ex m’en avait parlé, c’était tout simplement parce qu’elle n’avait pas d’argent pour le soigner – contrairement à moi. Même si j’avais regretté mes paroles envers elle dès que je le lui avais dit – je n’avais alors pas pu m’en empêcher – au final, son rapprochement était tout de même intéressé. « Je me doute bien que vous n’êtes pas ici pour cela. Mais pourtant, je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours ce doute, cette peur, qui revient. Sans cesse. Donc voir le monde autrement, pourquoi pas ? Mais je ne peux rien vous promettre. »
« Mais vous n’avez rien à perdre à essayer… vous savez, rien n’est vraiment immuable hormis la mort et encore, je pense que Dieu doit pouvoir négocier » énonça C’ian, armée de son habituel enthousiasme débordant tout en laissant ses lèvres s’étendre en un joli sourire sincère. Ashley n’avait peut-être pas l’habitude de côtoyer des personnes avec le cœur sur la main ou réellement désireuses de lui tendre ladite main, mais la jolie japonaise souhaitait sincèrement lui rendre la pareille alors qu’il avait soigné son chaton. Ce n’était pas anodin comme aide à ses yeux ! « Ne promettez rien, ce n’est d’ailleurs pas du tout le but de la manœuvre. Mais vous n’avez pas grand-chose à perdre à essayer, après tout vous ne me connaissez pas, donc si vous n’y parvenez pas, ce sera bien moins… douloureux que si j’étais une personne que vous côtoyiez depuis des lustres ! Ecoutez. Je vais ramenez Io chez moi, le nourrir comme il faut, l’installer et après je dois m’entraîner pour mon futur match de tennis… pourquoi ne viendriez-vous pas me voir et ensuite nous pourrions simplement nous promenez près du port ou ailleurs, faire connaissance, tout bêtement. Ca n’engage à rien et on passera sûrement un bon moment ! » Difficile de dire non à l’enthousiasme communicatif de C’ian en règle générale, surtout qu’elle n’avait pas son pareil pour sourire sincèrement à autrui. Mais d’un autre côté, elle ne voulait pas obliger ce jeune homme à accepter son aide s’il ne le souhaitait pas. « Je m’appelle C’ian, au fait. »
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Je n’arrivais toujours pas à croire que j’avais un enfant de cinq ans, malade qui plus est. Comment était-ce possible ? Et puis, pourquoi Calypso ne m’en avait pas parlé avant ? Elle avait beau s’être expliquée, ses explications ne me suffisaient pas, bien au contraire. Qui pouvait faire une chose pareille ? Qui pouvait rompre avec son petit ami et lui cacher qu’elle portait son enfant ? Au moins, cela expliquait pourquoi elle avait rompu avec moi il y a plus de cinq ans à présent. Je n’avais jamais le pourquoi du comment, même si je m’en étais remis, bien heureusement. On pourrait croire, qu’ayant du mal à m’attacher et à faire confiance, que lorsque je le faisais, la rupture – voire presque trahison dans le cas présent – me touchait énormément, et que j’aurais donc énormément de mal à m’en remettre. Pourtant, justement, si mon enlèvement m’avait appris quelque chose, c’était bien que la confiance pouvait être trahie en moins de quelques secondes. En réalité, même lorsque j’accordais ma confiance et mon amitié – ou amour – à un être humain – la chose étant bien sûr totalement différente avec les animaux, ceux-ci étant les êtres les plus purs existants sur cette Terre – il y avait toujours une part de moi qui s’attendait à être trahie ou déçue. Au moins, cela facilitait les choses lorsque cela arrivait, comme lors de ma rupture avec Calypso, ou à présent, avec son annonce de mon enfant. Je n’étais donc pas détruit, bien au contraire, et retombais donc bien plus facilement sur mes pattes, me permettant de rapidement tourner la page. C’était dans cet état d’esprit que je vis une jeune femme déposer un chaton maltraité dans le refuge où j’étais bénévole. J’eus un soupir d’exaspération tandis qu’elle expliquait – ou tout du moins tentait, vu qu’apparemment son anglais n’était pas parfait – qu’il avait était molesté par des idiots. Oui, je connaissais bien cette espèce, qui avait pour habitude de passer ses nerfs sur des êtres bien plus faibles qu’eux – c’était tellement plus simple que de s’en prendre à des personnes à leur taille non ? « Merci beaucoup de l’avoir amené ici. » dis-je à la jeune femme dans un petit sourire, avant d’ausculter l’animal. Heureusement, j’avais eu mon diplôme de vétérinaire il y a quelques années, et pouvais donc soigner les animaux arrivants au refuge. J’avais passé ce diplôme simplement pour pouvoir être plus utile dans le refuge, et même si ce n’était pas le métier que je voulais faire plus tard – j’étais de toute façon promis à devenir Ambassadeur de l’Australie, à New York – cela ne pouvait qu’être une bonne aide pour mon action au refuge. « Vous venez d’où ? » lui demandais-je gentiment, voyant bien qu’elle n’était pas américaine.