Neige pensait sincèrement que Mylo resterait au milieu de ses bouquins et ne l’honorerait pas de sa présence ce soir… ce fut sans doute la raison pour laquelle elle ne manqua pas de sursauter en entendant la porte s’ouvrir. Elle faillit en faire tomber l’ustensile qu’elle était en train d’utiliser pour sa maquette, qu’elle quitta d’ailleurs des yeux pour faire face au discours on ne peut plus surprenant de l’historien. Il avait fait tout ce chemin uniquement pour elle ? Voilà bien une chose à laquelle elle n’était pas habituée et qui somme toute la flattait grandement… mais Neige ne se permis de sourire à aucun moment. Il n’y eut pas l’ombre d’une moquerie dans son regard et c’est plus un froncement de sourcils qui s’empara bientôt de ses traits de porcelaine si souvent figés. Ainsi, il avait des soucis mécaniques pour satisfaire une femme ? Voilà qui expliquait beaucoup de choses et rendait son petit accès de colère totalement ridicule. Neige se racla légèrement la gorge avant de poser son ustensile et de s’approcher du jeune homme, espérant de tout cœur qu’après cela il n’aurait surtout pas la mauvaise idée de la fuir… « De la vie dans la tienne ? Tu te considères comme un fossile dois-je comprendre ? La réponse est non, je n’ai pas besoin d’être seule bien que tu aies manqué de me flanquer la frousse de ma vie… » Neige ou comment ne m’être aucune sentimentalité afin de cacher ses propres faiblesses. Si Mylo avait cruellement du mal à s’ouvrir à quelqu’un d’autre qu’à un bouquin, il avait bien cela en commun avec le joli flocon allemand. A ceci près que la jeune femme n’hésita pas à caresser délicatement une de ses joues comme pour lui faire premièrement comprendre qu’il n’avait aucune raison de rougir…

« Quand je dis que je me plais à penser que je ne suis pas n’importe quelle femme je le pense sincèrement et… cela s’avère vrai dans la plupart des cas, même si ce n’est pas toujours pour le mieux. Vois-tu, je ne suis pas de ces nénettes qui passent le plus clair de leur temps les cuisses écartées… je n’ai donc pas vraiment de besoins de ce côté-là. Je ne dis pas que je ne suis rien d’autre qu’un robot, ça m’arrive d’avoir des pulsions… mais c’est beaucoup plus rare que le commun des mortels. Par contre… quand tu auras plus confiance en moi, peut-être que je pourrais moi aussi t’aider. Après tout, dans le fait d’être ensemble, il y a le mot partage non ? » La jeune femme avait conservé un sérieux absolu durant tout son discours mais rien ne l’empêcha de lier passionnément ses lèvres à celles de Mylo, comme pour lui faire implicitement entendre le genre de pulsions dont elle était parfois capable. Mais elle ne tenterait rien tant qu’il ne lui lancerait pas de signe, fidèle au respect d’autrui qu’elle conservait, et ce fut la raison pour laquelle elle finit par s’écarter de lui en reculant d’un pas. Ce ne fut pas plus mal car justement, le gardien frappait à la porte de son bureau pour lui déposer un télégramme s’étant perdu au service courrier dans la matinée. L’homme quitta les lieux sous le regard on ne peut plus surpris de la jolie allemande, dont le regard sembla s’agrandir à la lecture de ces mots. Mais ce fut finalement un petit rire qui ponctua l’atmosphère sonore alors qu’elle tendait la lettre à Mylo : c’était officiel… bientôt elle serait sa patronne puisqu’elle avait été reçue première au concours de conservateur. « Je peux choisir mon musée d’après ce qu’ils disent. Je suppose que tu vas insister pour que je terrorise un personnel dans un autre musée ? »

Neige s’attendait vraiment au pire quant à sa nomination en tant que future conservatrice et pensait sincèrement que Mylo allait la dissuader de rester ici en la forçant plutôt à tenter sa chance dans un autre musée… mais à la surprise générale, il énonça des règles qu’elle écouta avec une attention la caractérisant parfaitement sans pour autant que la plus petite émotion ne perce son masque d’impassibilité habituel. La jolie allemande était à la fois on ne peut plus heureuse d’avoir réussi à être reçue au concours, surtout en première position, mais elle ne pouvait s’empêcher d’être légèrement amère vis-à-vis du fait qu’elle n’avait en soi personne avec qui célébrer cette… victoire. Jarvis lui avait fait comprendre plus tôt dans la journée qu’il comptait retourner vivre prochainement en Allemagne, et quand bien même elle rendrait une petite visite à son père, elle n’obtiendrait pas plus de réaction que toutes les autres fois. Sans doute Willow allait-elle sautiller de joie pour deux, mais Neige ne comptait pas lui annoncer tout de suite : non seulement elle avait du mal à la regarder en face depuis la perte de son bébé, mais elle préférait mille fois qu’elle se concentre sur sa propre vie, malheureusement en danger actuellement. En définitive, quelque chose lui disait que la seule réaction qu’elle aurait se limiterait à ce sérieux indescriptible dont la gratifiait Mylo actuellement. « Comme si j’étais du genre câline » maugréa-t-elle tout en lui reprenant la lettre sans vraiment de douceur. Le fait est… Neige était très loin d’être une jeune femme expansive ou avenante. Elle n’était guère tactile de façon volontaire ou adroite. Mais l’expression de son visage se transforma en large surprise dès lors que la dernière phrase du discours de Mylo tomba. Un sexologue ?

Dans un premier temps, la jolie allemande ne répondit rien, s’en retournant à sa maquette en prenant bien le soin de lui tourner le dos, avant même qu’elle ne puisse s’exprimer… « Quand je dis que j’ai peu de besoins ce n’est pas pour te faire plaisir ou dire « je suis comme toi inutile de t’inquiéter » je le pense sincèrement. Je ne sais même pas pourquoi je vais t’expliquer ça mais tant pis : comme je suis toute seule depuis mes douze ans, disons que j’ai été placée sous tutelle car la juridiction allemande est un peu particulière. Je touchais l’héritage de mes parents au compte-goutte, selon mes besoins, et mon tuteur était simplement censé gérer mes finances. Pour le reste… je me suis toujours débrouillée moi-même. Seulement voilà : c’était un malade. Au début, il me prenait juste pour son petit objet, jusqu’au moment où j’ai caché une caméra dans mon sac pour montrer ses sales pratiques et me défaire de ce type. Mais je ne pensais pas qu’il allait m’endormir au chloroforme pour mieux m’attacher à un lit avec des menottes et… enfin tu m’as comprise. Je n’ai pas pu m’asseoir pendant des mois. Je n’ai pas eu d’expérience disons sexuelle avec quelqu’un jusqu’à mon fiancé et c’est parce que j’étais complètement alcoolisée ce soir là. Je ne ressens strictement rien quand on me touche alors inutile de te prendre la tête, c’est ce que je voulais dire. » Neige ne voulait pas le décourager d’aller voir un sexologue, bien au contraire, mais de le faire plutôt parce qu’il en ressentait l’envie. Cela n’en serait que plus efficace et utile… « Mais ça ne m’empêchera pas de t’aider ou même de séparer ma vie professionnelle de ma vie privée. Je suis plutôt douée pour cacher mes sentiments, je pense que je te l’ai déjà montré. » Neige se racla légèrement la gorge, bénissant le fait d’être dos tourné car de cette façon, elle cachait les larmes coulant désormais sur ses joues. Fallait-il qu’elle soit folle pour avouer une chose pareille… il risquait de claquer la porte !

Neige s’attendait à ce qu’ils poursuivent cette conversation, certes, mais pas à ce qu’il s’approche d’aussi prêt pour mieux la toucher. Le simple fait qu’il ne crée cette sorte de proximité entre eux l’ébranla bien mieux que ce qu’elle ne fut en mesure de laisser entendre. La jolie allemande avait vraiment l’impression d’être un bout de bois particulièrement raide, dépourvu de toute souplesse et de toute sensualité alors qu’il parvenait, de façon fugace mais non moins présente, à provoquer des frissons évidents chez elle. Il avait raison, son ancien fiancé n’était sûrement parvenu à aucun résultat car il n’essayait pas vraiment, n’entendait pas le langage du corps brisé de Neige alors qu’elle se refermait à chaque fois qu’il esquissait un geste trop brutal ou trop insistant. Pour la première fois de son existence, la jeune femme n’avait pas besoin d’être alcoolisée jusqu’à la moelle pour ressentir quelque chose de précis ou même se laisser légèrement aller. Il y avait encore un sacré chemin à faire, tout comme dans le cas de Mylo, mais il venait de détruire une conséquente barrière en l’espace de quelques gestes… et un baiser langoureux auquel elle sembla répondre de toutes ses forces. Il avait raison, Neige était un feu ardent sous une épaisse couche de glace. « Des fri…ssons. » Il était extrêmement rare de réussir à lui couper son verbe haut et sa façon extraordinaire d’avoir le dernier mot en toute circonstance. Mais Mylo la troublait depuis leur premier regard, et elle ne pouvait guère mentir là-dessus. « Tu es fou, Mylo Anderson » reprit-elle avant de s’emparer de son visage à l’aide de ses deux mains pour déposer un baiser frêle comme une brise contre ses lèvres. Finalement, il avait plus de ressource qu’il ne le laissait penser de prime abord…

« Qu’est-ce que tu ressens à ton tour quand je te touche ? » demanda-t-elle en lui murmurant cette phrase extrêmement doucement au creux de son oreille, tandis que ses mains avaient cessé de trembler pour se faire inquisitrice, artistes, découvreuses. Elle n’hésita pas à les faire frôler la peau offert de Mylo après avoir remonté sa chemise à l’aide d’une extrême douceur, tandis que la pointe de sa langue titillait légèrement son oreille. Neige ne savait absolument pas ce qu’elle faisait, mais après avoir longuement exploré son dos, elles s’échouèrent quelques secondes sur le galbe de l’une de ses fesses avant de s’aventurer contre son torse. Certes, la jolie allemande les ôta peut-être un peu trop brusquement, par manque d’habitude, crainte ou sentiment de ridicule, mais elle avait tenté la chose… en bon tempérament indomptable qui se respecte et qui souhaite avec le dernier mot. « Je me fiche éperdument que tu n’aies pas des morts corrects ou que tu sois différents… c’est justement ce qui me plait tant chez toi. Je sais que cela prendra sûrement du temps et que je suis loin d’être la plus habile mais c’est peut-être aussi ma manière de te dire que je ne crains pas ton jugement et que j’ai… confiance en toi. Si tu as envie d’être mon homme compte sur moi pour être ta femme, si je peux m’exprimer ainsi. »

Neige s’était plu à sourire longuement face à leur échange mais celui-ci s’effaça brusquement face à la proposition de Mylo. MARIAGE ?! L’espace d’un instant, la jolie allemande se surprit à vouloir se pincer pour s’assurer qu’elle n’était pas en train de rêver. Mais non, l’historien venait effectivement de demander sa main comme un réflexe tout à fait naturel, de façon somme toute maladroite et qui ne manqua pas de lui flanquer une belle crise de panique. Sans brutalité, elle se sépara du jeune homme pour attraper son sac à main et sortir une mini dose d’insuline avant de soulever sa robe pour se la mettre dans la cuisse sans explication préalable ni rien. D’ordinaire, Neige détestait ce genre de procédé et ne soignait aucunement son diabète pourtant plus que sérieux mais là, c’était ça ou elle tombait purement et simplement dans les pommes. Elle se permit de clore un instant ses yeux pour reprendre son précieux contrôle et ce n’est qu’une fois qu’elle y parvint qu’elle se permit de replonger son regard d’un bleu puissant dans celui de Mylo. « Nous marier ? » répéta-t-elle, incrédule. « Tu annonces ça comme si c’était une bagatelle, un gigantesque rien du tout, une promenade de santé ! Je crois que tu n’as jamais lu de bouquins à l’eau de rose, pas vrai ? Tu es au courant que tu n’es même pas forcément certain d’être amoureux de moi et que tu ne t’es jamais… déclaré en ces termes ? » Neige paniquait. Complètement. Elle dû se soutenir à son bureau pour ne pas laisser son petit accès de panique la faire s’écrouler, d’ailleurs…

« Tu ne peux pas proposer un mariage comme ça, de but en blanc ! Je veux dire… je rejoins ton point de vue, je sais que tu me corresponds et tout ça mais merde ! Ca manque de… d’âme ! J’ai l’impression d’être un boulet qu’il faut marier parce que ça urge, tu comprends ? Sans être une fana absolue du romantisme, il y a une façon de faire ça ! Je ne sais pas moi, un contexte, une petite bague, une phrase… là c’est… ça me laisse une désagréable impression dans la bouche. Comme si tu voulais m’épouser parce que j’ai été violée ! Je n’ai pas peur de prononcer le mot et je sais m’occuper de moi, je suis une grande fille Mylo. De plus mon ancien fiancé a trouvé le moyen de m’abandonner un peu avant que je perde mon fils alors je crois que j’ai toutes les raisons du monde d’être réfractaire à la chose. Du moins pour ces raisons ! » Neige poussa un pénible soupir, ayant soudainement l’impression d’être un monstre parce qu’en plus elle le repoussait. A la fois il la tentait et à la fois elle ne voulait pas être un boulet qu’il regretterait d’avoir épousé. « Tu le regretterais si tu m’épousais. Crois-moi sur parole. »