Retrouver la vue. Tout aveugle voudrait bien être en mesure de caresser ce rêve, même du bout des doigts… Myrcella avait mis beaucoup de temps avant de se lancer, tant et si bien qu’il était évident qu’elle n’aurait jamais franchi le pas si Diego ne l’avait pas accompagnée. Ainsi, après plus de huit heures d’opération, on vint prévenir l’organisateur de mariages que la demoiselle revenait de la salle de réveil, qu’elle allait être placée dans une chambre individuelle et qu’il pourrait aller la voir d’ici quelques minutes. Pour l’instant, Myrcella n’avait pas encore ouvert les yeux, peinait à revenir de ce sommeil artificiel dans lequel on l’avait manifestement plongée et qui l’avait retenue prisonnière huit heures durant. Toutefois, une présence chaleureuse la toucha dès lors que Diego fut dans la pièce, embaumant l’atmosphère d’une délicate chaleur qu’elle n’aurait pas pu ressentir sans lui. Cette sorte d’énergie la poussa à émettre un petit râle pénible, preuve qu’elle allait se réveiller sous peu, et ses paupières, bien que lourdes, se mirent à bouger légèrement. Celles-ci ne s’ouvrirent qu’ensuite, péniblement mais sûrement, l’aveuglant à moitié face à la luminosité incroyable qu’elle était enfin capable de saisir. Myrcella n’était pas en mesure de se lever bien sûr, ou même de s’asseoir dans l’état de fatigue amorphe dans lequel elle se trouvait, mais la voix de Diego ne manqua pas de lui parvenir, constituant son retour au royaume des vivants plus que n’importe quelle autre voix au monde. Déglutissant avec difficulté, sans formuler le moindre mot ou son précis, la jolie seychelloise se concentra bientôt, ouvrant les paupières de façon plus franche afin de commencer par regarder ses pieds. Le simple fait de pouvoir les voir bouger ne manqua pas d’humidifier ses yeux, trahissant non seulement une émotion capitale mais également tous les sentiments qu’elle pouvait bien ressentir à cet instant précis. Ses iris d’un bleu mystérieux avaient gagné en profondeur, en force, ne laissant plus une gigantesque impression de vide dès lors que l’on croisait le regard de… l’ancienne aveugle.

« La couleur de cette couverture est… un peu vert caca d’oie non ? » répliqua-t-elle avec une voix marquée par la fatigue et le faux sommeil créé par l’anesthésie. Elle tâchait de regarder différents points fixes, en prenant son temps, avant de ne chercher à regarder directement Diego. Ses cheveux bouclés étaient adorables et magnifiques, mais ce n’était rien en comparaison de ses traits. Légèrement fermés, des yeux profonds et d’un bleu très particulier, des lèvres sur laquelle elle se plaisait à imaginer un sourire délicat… il respirait la beauté et la fragilité d’un même temps. Mais c’était sans même s’être vue de son côté qu’elle imaginait la chose. « Je ne t’imaginais pas aussi beau… » avoua-t-elle sans peur ni hésitation.

« Soif ? Non pas pour l’instant merci. Je crois que je ne pourrais rien avaler avant plusieurs heures ! » Myrcella se sentait encore trop faible, incapable de remuer les lèvres pour autre chose qu’en vue de s’exprimer. Elle poussa d’ailleurs un faible soupir alors qu’elle pouvait maintenant détailler ses traits avec précision. Oh bien sûr, elle allait sûrement devoir porter des lunettes, c’était même on ne peut plus probable, mais avoir l’opportunité de voir exactement la gêne de Diego en direct live n’avait vraiment pas de prix. La donne la fit sourire d’ailleurs, car si ses joues ne se teintaient pas de rose comme pour n’importe qui, son malaise restait diablement évident. Pourquoi, parce qu’elle venait juste de lui faire un compliment ? Sans nul doute. C’était ridicule, vu qu’il n’y avait pas plus sincère que ce qu’elle venait de dire, ne lui en déplaise. « Comment ça « vert caca d’oie » n’est pas une couleur ? Cette couverture t’inspire autre chose à toi ? Surtout éclaire ta lanterne, n’hésite surtout pas, je suis toute ouïe sur l’éventail de couleurs que tu connais sûrement bien mieux que moi… » La jolie seychelloise n’était pas agacée le moins du monde, au contraire, elle rêverait de pouvoir découvrir le monde au travers de ses yeux. Lui qui semblait si renfermé, renfrogné même, comme s’il fallait se protéger de tout et de toute le monde, y compris de Myrcella ici présente. Le fait qu’elle ne vienne juste de prendre sa main sans l’ombre d’une hésitation était bien la preuve qu’il n’avait pas à se méfier d’elle.

« Ce que tu peux faire ? Me dire depuis combien de temps tu n’as pas dormi, par exemple… tu as les yeux qui cirent les godasses. » Léger haussement d’épaules de la part de la charmante demoiselle avant qu’elle ne lui offre un sourire délicat. Il n’avait plus besoin de s’inquiéter désormais, elle était bel et bien de retour au royaume des vivants, la vue en plus. La preuve, elle se poussait légèrement sur le côté de son lit, tout en faisant attention à ses perfusions pour mieux redresser ses beaux yeux bleus-verts en direction de Diego. « Et si tu venais te reposer quelques instants à côté de moi, hum ? Comme ça tu auras l’impression de veiller sur moi quand même et tu éviteras de faire un malaise par la même occasion. Oh, et ce n’est pas une question, inutile de rechigner. »

Dans un effort extraordinaire, Myrcella n’hésita pas à laisser échapper un petit rire pour ponctuer les propos de Diego. Bien sûr qu’elle allait l’analyser sous toutes les coutures maintenant qu’elle serait diablement mieux placée pour se rendre compte des choses. De plus, il n’aurait plus à s’inquiéter sans arrêt pour elle vu qu’elle serait bien plus en mesure de prendre soin de sa petite personne. Chose qui ne l’empêcha pas de grimacer maintenant qu’il lui avouait ne pas avoir fermé l’œil une seconde depuis la nuit précédent l’opération. Pas étonnant que ses traits soient tirés et que son teint soit aussi pâle qu’un cachet d’aspirine ! L’inquiétude ne lui allait pas du tout et s’il ne reposait pas, Myrcella allait devoir sévir. Restait le problème de trouver un stratagème en vue de lui faire entendre raison… la donne ne risquait pas d’être aisée, bien malheureusement. « Disons que maintenant tu ne seras pas le seul caporal chef à exiger des choses ! D’autant que maintenant que mon opération est une réussite, tu vas me faire le plaisir d’aller te reposer une fois que le médecin sera passé. Ca implique que tu rentres à l’hôtel, que tu laisses le personnel de l’hôpital prendre soin de moi et que tu ne laisses pas ton côté têtu te zombifier sur place… hors de question que tu risques le malaise de cette façon, ça c’est clair et net ! » En parlant de médecin, voilà qu’il se radinait avec pas moins de deux infirmières, tous étant manifestement surpris de voir Diego allongé sur le lit de la patiente. Et alors ? Il n’y avait aucune loi l’interdisant, surtout qu’il n’avait pas débranché ses perfusions ni fait quoi que ce soit de regrettable…

« Mademoiselle Kervernaal, puisque vos réflexes oculaires paraissent bons et qu’à priori le résultat de l’opération est un franc succès, je pense que la prévision d’une sortie dans une semaine est envisageable. Ce temps nous permettra d’adapter le traitement qu’il vous faudra prendre à vie afin d’éviter tout renouvellement de caillot, ainsi que de prévoir le port de lunettes… vos yeux ne sont plus habitués à recevoir autant de luminosité et votre qualité de vue va rapidement s’en ressentir. Je vais faire en sorte qu’un ophtalmologiste vous fasse passer des tests avant la fin de la semaine pour déterminer de la correction à vous apporter. Quant à moi, je m’occuperai d’une visite quotidienne. Si vous avez le moindre doute ou observation anormale, n’hésitez pas à me faire mander. » Des lunettes… Myrcella aurait pu râler face à cet état de fait, mais elle s’en moquait. Même le traitement à vie ne la dérangeait pas. On venait de lui offrir une chance fantastique… celle de pouvoir voir ! « J’espère qu’une binoclarde ne te choquera pas… »

Myrcella grimaça largement face aux différents propos de Diego. Ce n’est pas demain la veille qu’elle risquait de lui faire entendre raison, mais tant pis, ça valait le coup d’essayer tout de même. « Ce n’est pas parce que tu peux te retenir de dormir que c’est forcément bon ! » s’exclama-t-elle tandis que son esprit réfléchissait de lui-même à la couleur de lunettes qu’elle pourrait bien vouloir porter à l’avenir. Voilà bien une chose à laquelle elle n’avait pas pensé jusqu’ici. Il faut dire que le succès de l’opération lui avait accaparé l’esprit jusqu’ici et qu’elle n’avait pas eu la moindre envie ou même l’énergie de se concentrer sur autre chose. « Au contraire, je suis ravie que tu sois là… ce n’est pas du tout ce que je voulais dire voyons ! » S’il pouvait ne jamais partir, alors elle en serait la plus heureuse. Mais Myrcella n’avait jamais été quelqu’un de foncièrement égoïste, tant et si bien qu’attendre de sa part autre chose qu’une envie de protéger autrui relevait de l’utopie. Cela dit, Diego n’avait pas tort… en soi, il pouvait rester ici et s’endormir dans ses bras, pendant qu’elle veillerait sur lui –une fois n’étant pas coutume, et tâcherait d’adapter sa vue à cette première pièce avant même que de vouloir autre chose. Ce plan s’était fait une petite place confortable dans son esprit, mais pour l’instant, elle voulait dire autre chose… « Ma couleur de lunettes, c’est une excellente question. Tu te souviens du moment où je me moquais éperdument des couleurs ? C’est différent maintenant. Il va falloir que tu me donnes un coup de main, j’en ai peur… tu es organisateur de mariages, l’esthétique c’est ton rayon et non le mien ! Moi c’est l’esthétique littéraire qui m’intéresse avant tout. »

Tout en resserrant son étreinte sur le corps de Diego dont les pieds dépassaient allègrement du lit, elle émit un faible sourire. Il n’y avait pas vingt-quatre heures, elle était encore plongée dans le noir, et voilà que maintenant elle pouvait jouir de nouvelles opportunités de vie… « Tu peux rester uniquement si tu fermes les yeux et que tu essayes de dormir. Je te rappelle que tu vas recommencer à travailler bien avant moi à notre retour à New York, il serait dommage que tu sois complètement épuisé à ton retour, non ? Ton assistant tremblerait encore plus que d’habitude et ses jambes joueraient forcément des castagnettes… »

Myrcella n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit que déjà, Diego avait fermé les yeux et semblait dormir profondément. La jolie seychelloise tenta de faire de même, mais en vain. Loin d’elle l’envie de tourner et virer pendant des heures, elle demeura donc sur le dos, à fixer le plafond comme s’il pouvait lui fournir une quelconque réponse, ou à défaut un intérêt certain. La fatigue était présente, bien évidemment, mais après avoir été sur le billard huit heures d’à filée, dormir n’était pas forcément le besoin premier. Discrètement, elle s’extirpa donc du lit, plaçant sa perfusion contre une barre de métal qui allait l’aider à se déplacer. Cela ne la changeait guère de sa canne d’aveugle bien sûr, sauf que cette fois, elle sentait la luminosité présente lui aveugler les yeux. Une chance que son corps ait une excellente capacité de récupération, sans quoi elle aurait dû utiliser un fauteuil roulant. Voilà qui lui aurait fortement déplu, à n’en pas douter. Quoi qu’il en soit, Myrcella se lança dans une petite visite d’un couloir de l’hôpital, avant qu’un écriteau ne lui indique l’emplacement de la cafétéria. Par chance, elle avait eu le réflexe de prendre son portefeuille dans son sac à dos juste avant de quitter la chambre ! Une faim de loup lui torturait le ventre tandis qu’elle pénétrait effectivement dans la cafétéria immense et dont la carte des produits n’était pas moins imposante. Elle prit tout un tas de choses, qu’elle emporta à l’aide d’un plateau, qu’elle eut beaucoup de mal à rapporter jusqu’à sa chambre. Par une malchance incroyable, une bonne heure s’était écoulée depuis son départ de la chambre et fatalement, à son retour, Diego était réveillé, debout et manifestement contrarié. L’inquiétude, peut-être ?

« Je n’étais pas loin… j’avais faim. Et puis plus vite je me lève, plus vite je vais récupérer, aussi. Personne ne m’a arrêtée sur mon chemin, pourtant j’ai croisé un nombre impressionnant d’infirmières et de médecins. Je suppose que ce n’était pas interdit. » Myrcella ne souriait pas, avait presque l’air penaude et n’osait même pas avancer dans la pièce pour déplacer le plateau lourd blindé de denrées qu’elle venait de rapporter. « Tu as bien dormi, j’espère ? »

Myrcella n’était pas quelqu’un d’inconscient, bien au contraire. Elle prenait toujours en compte les pensées des uns et des autres, à un point tel qu’elle finissait par oublier les siennes. Mais aujourd’hui, alors qu’elle venait de vivre la chirurgie la plus délicate et la plus dangereuse de son existence tout entière, un élan d’égoïsme l’avait soudainement animée. La faim l’avait certainement poussée à agir mais la curiosité également. Résultat, elle se sentait finalement honteuse d’avoir inquiété Diego, lui avouant désormais la panique ayant été la sienne pendant les quelques dernières minutes. « Je pensais revenir avant que tu ne te réveilles… mais il faut se rendre à l’évidence, c’était plus rapide dans ma tête que dans la réalité. Je viens de prouver ma lenteur par a+b ! » Par chance, le tempérament de Myrcella devenait plus positif de jour en jour. Elle s’approcha donc du jeune homme armée de son plus beau sourire, non sans le serrer quelques instants contre elle. Certes, ce n’était pas grand-chose, mais si cela contrebalançait le fait qu’elle l’ait inquiété… alors il n’y avait aucune raison de s’en priver. « Je suis désolée. Je n’ai pas encore l’habitude d’avoir un ange gardien, tu sais… j’ai vécu plus souvent avec ma seule compagnie que l’inverse et même si j’ai totalement confiance en toi j’ai encore du mal à lâcher du lest. Ca va maintenant, tu es moins paniqué ? »

Autant dire que Myrcella trouvait cela adorable. D’ordinaire, elle ne côtoyait que des types machos, incapables d’assumer des sentiments de ce genre et encore moins capables de les avouer au grand jour. L’homme d’affaires avait une sensibilité qui lui parlait. Ce n’est pas pour rien qu’il l’inspirait beaucoup depuis quelques temps. Elle ne lui en avait jamais parlé mais la jolie seychelloise utilisait beaucoup des réactions de Diego pour certains des personnages de ses scénarii. Il restait une véritable mine d’or d’inspiration ! « Dis-moi… est-ce que tu accepterais, maintenant que je peux te voir, d’être mon cobaye pour mes futurs scénarii ? Je t’ai déjà utilisé pour beaucoup de personnages mais ce serait plus efficace si tu me donnais ton avis en lisant quelques-uns de mes écrits. Si… tu as quelques minutes à m’accorder pour ça bien sûr. Mais en attendant… je ne sais pas toi, mais moi j’ai une faim de loup ! »

Myrcella ne put s’empêcher de commencer à manger sans l’attendre, son ventre criant littéralement famine. Elle fut néanmoins ravie de voir que Diego revenait rapidement et ne lui avait pas fait faux bond… le passé jouerait-il en sa défaveur qu’elle ne se mette à craindre des choses pareilles ? En tout cas, elle fut surprise de voir sa réaction et ne put s’empêcher de lui lancer un petit sourire malicieux entre deux bouchées alors qu’il croyait bon de s’excuser pour une chose qui l’avait davantage touchée qu’autre chose. « Désolé ? Pourquoi ? Je n’ai pas été choquée ! Et si je t’ai fais comprendre ça, alors sache que ce n’était pas voulu une seconde… au contraire, j’ai trouvé cela touchant. On ne s’est jamais inquiété de mon sort. C’est un peu… grisant comme changement mais au contraire, je trouve ça adorable. » Myrcella en venait presque à peiner pour trouver des mots qui décriraient avec exactitude ce qu’elle ressentait au juste. Mais par chance, le sujet dévia bientôt sur tout à fait autre chose, à savoir le métier de la jolie seychelloise, sujet qu’elle maîtrisait bien plus que ses sentiments. Quelque part, les coucher sur le papier était bien plus évident que de les dire à haute voix, distinctement. Ce n’était pas faute d’avoir déjà cherché à décliner une déclaration en des millions de combinaisons différentes. S’il fallait toutes les dires, des années n’y suffiraient jamais…

« Un personnage tel que je t’imagine, j’ai déjà fait. Mais tu as un tempérament différent de tout ce que j’ai pu voir jusqu’ici et forcément, cela m’inspire des choses différentes. Je voudrais que par exemple, pendant vingt-quatre heures, tu acceptes de mettre en scène avec moi différents scénarii que j’aurais imaginé pour voir comment tu réagirais. Imaginer est une chose, avoir une vraie réaction humaine en face de soi en est une autre… n’aie crainte, nous ne serons que tous les deux et l’appartement sera un excellent « terrain de jeu » je pense. Je voulais juste essayer. » Myrcella avala une nouvelle bouchée avant de pousser un petit soupir d’aise. Elle se sentait soudainement la force de cent hommes…

Myrcella fronça légèrement les sourcils tandis que les propos de Diego la frappaient de plein fouet. Lui, semblable à Arthur ? Jamais, pas même dans un siècle et même s’il décidait de changer diamétralement de caractère ! En présence de la jolie seychelloise, le businessman était avenant, contrôlé, délicat. Il ne l’avait jamais considérée comme un objet et ce n’était pas demain la veille que cela risquait de commencer à vrai dire. Elle peinait à l’imaginer autrement qu’avec ce caractère… oh bien sûr, elle avait ouïe dire qu’il n’était pas des plus tendres en face de ses employés, mais le contexte n’était pas du tout le même. « Toi, comme Arthur ? J’ose espérer que tu plaisantes ! Il va falloir que tu m’expliques comment tu peux penser une telle chose… que tu l’aies vu ou pas, cela ne change pas grand-chose en vérité. Arthur est un égoïste. Quelqu’un de peu recommandable et qui me laisse parfaitement froide. Le passé est le passé, comme dit le proverbe ! » Myrcella n’éprouvait pas le moindre regret en énonçant ces mots. Sans doute avait-elle laissé le passé s’emparer d’elle lorsqu’elle avait recroisé sa route, mais c’était bel et bien terminé désormais. Même Diego devait l’avoir senti tout de même ! « Personne n’a dit que tu devais être acteur. Tu peux même agir normalement, le contexte est généralement le plus important dans l’histoire. » Le contexte l’inspirait plus encore que toute autre chose. A ceci près que le jeune homme avait une fâcheuse tendance à l’inspirer de façon naturelle et logique. Myrcella n’avait aucunement cherché à en comprendre la raison, ce n’était pas spécifiquement important, surtout pour l’écriture d’un scénario. Mais autant dire que sa toute dernière confidence eut pour effet de la faire s’étrangler à moitié en buvant une gorgée de jus de fruits. Diantre ! Comment pouvait-il balancer ça aussi facilement sans même cligner des yeux alors qu’il paraissait d’une nature relativement gênée ? « Tu plaisantes ? Il va clairement me falloir des éclaircissements ! Tu as l’air de fuir tout ce qui porte sentiment mais peut-être fais-tu partie des gens qui prennent l’acte sexuel de façon mécanique ? » Il ne l’avait volé, après tout. Puisqu’il la lançait sur ce sujet là, il allait la trouver.

Esbaudie, bouche bée, Myrcella mit un moment avant de reprendre le contrôle des traits de son visage. Diego parlait de ce commerce fleurissant dont il avait somme toute hérité comme d’une chose normale… était-elle la seule à être gênée par la chose ? Il fallait dire que la jolie seychelloise était totalement innocente vis-à-vis des usages des hommes. Elle ne s’était jamais donnée à quiconque, attendant pour ainsi dire son « prince charmant ». Puis, le temps passant, elle s’était également faite à l’idée que cela n’arriverait pas demain la veille. Cela lui allait, après tout, il ne fallait pas oublier qu’elle sortait de longues années bercées par sa cécité. Impossible pour elle que de faire suffisamment confiance à quelqu’un de la gent masculine, au moins suffisamment pour passer l’étape de la salsa à l’horizontale. « Une petite seconde : tu dis que tu as des besoins mais… tu n’as jamais été intime avec une femme ? Ce n’est pas un brin contradictoire ? » Oh elle n’était pas choquée, c’était même tout le contraire. Puisqu’elle se sentait diablement attirée par lui, le côté consistant à ce qu’ils soient purs tous les deux lui plaisait diablement… il fallait être aveugle pour ne pas s’en apercevoir. « Je ne te juge pas, Diego, loin de moi cette idée. Qui suis-je pour cela ? Je n’ai jamais été intime de près ou de loin avec un homme… tu es le premier homme que j’ai vraiment embrassé. » Voilà pourquoi elle avait voulu faire un test. Sauf qu’à ce moment là… elle avait bien évidemment évité de lui préciser.

« C’est drôle… tu es toujours tellement en retrait, presque frappé de timidité et tu parles d’un commerce pour le moins gênant sans aucun problème. Pour le coup, je t’envierais presque… personnellement, je ne pourrais jamais détenir pareil commerce ! Je n’oserais même pas y mettre les pieds… je pense que pour mon inspiration, des lieux plus classiques ne sont pas une mauvaise idée. Même l’appartement où tu me loges peut suffire ! En théorie, l’inspiration n’a pas de limite. » Myrcella esquissait désormais un petit sourire malicieux, alors que son regard d’un bleu mystérieux, devenu incroyablement profond, cherchait à sonder la personne qu’était Diego. Il serait dit qu’elle n’y parviendrait pas de sitôt… « Tu es fascinant » trancha-t-elle finalement, sans crier gare. Et cette phrase était on ne peut plus sincère, impossible d’en douter.

Myrcella, dans un sex shop ? Jamais de la vie ! Rien que l’idée proposée par Diego la fit aussitôt rougir de gêne et de honte. Autant son imagination n’avait aucune limite, autant en tant que personne elle ne se voyait guère fréquenter ce genre d’endroit. Elle était bien trop timide ou même pudique pour avoir l’impression de se donner en spectacle de cette façon. « Vraiment, tu trouves que je suis jolie ? » lui demanda-t-elle, des pétales de rose plein les yeux. La jeune femme n’avait jamais eu de compliments comme celui-ci avant, ou alors elle n’y avait guère prêté attention. Il faut dire que la jolie seychelloise revenait de nombreuses années dans le noir, et forcément, cette part de lumière s’offrant à elle lui donnait des ailes. Rien ne lui semblait plus impossible désormais, pas même cette attirance évidente qu’elle ressentait à l’égard de son interlocuteur. Son cerveau venait d’être ouvert et opéré, pourtant, il réagissait de façon on ne peut plus normale et vive. Elle ne ressentait rien d’autre qu’une intense aise la poussant à sourire, alors que le discours qu’ils se tenaient mutuellement pouvait prêter à un brin de gêne. Vraiment… bien qu’elle se trouve actuellement à l’intérieur d’un hôpital, elle n’aurait pas voulu être ailleurs, pour rien au monde. « Il y a des centaines d’idées que je pourrais partager… des scénarios que je rêverais de pouvoir voir en film, des personnages qui traînent dans le fond de mon esprit depuis des mois et que je pourrais bientôt pouvoir écrire moi-même sans aide ! Je ne sais par où commencer à vrai dire… »

Une chose est sûre, son appétit venait d’être mis de côté tandis que son attention entière était rivée vers Diego. Peut-être donnait-elle l’impression de le scruter avec insistance, mais rien ne sembla pouvoir l’empêcher de se relever de façon aussi stable que possible pour mieux tirer la chaise de Diego en l’incitant surtout à rester assit. Elle n’avait simplement éloigné de la table pour pouvoir s’installer à califourchon contre ses genoux, créant ainsi une proximité qui lui semblait on ne peut plus naturelle dans cette seconde précise. Elle caressait à présent son visage comme pour s’imprégner visuellement et tactilement de ses merveilleux traits, alors qu’un léger sourire attendri prenait place sur ses propres traits de porcelaine. Ce n’est qu’au bout de quelques instants qu’elle se pencha afin de prendre possession de ses lèvres, les scellant à l’aide des siennes comme pour prouver que cet « essai » qu’elle avait mis en place à l’appartement du jeune homme n’en n’était plus seulement un. Peut-être l’avait-elle seulement souhaité… et le souhaitait-elle encore, puisque le baiser prenait en intensité au fil des secondes filant sur le cadrant.

D’accord, la réaction finale n’était pas exactement celle qu’elle avait espérée, mais Myrcella prit le parti d’en sourire plutôt que de s’en offusquer. Elle n’avait jamais eu un tempérament extrêmement susceptible, et ce n’était pas aujourd’hui que cela allait commencer. Bien entendu, elle laissa Diego poursuivre son discours jusqu’à la fin, sans l’interrompre, le couvant simplement du regard de façon extrêmement tendre. Si seulement il pouvait se voir en cet instant, il se jugerait sans nul doute ridicule, mais c’était à des lieues de ce que pensait justement la jolie seychelloise. Elle était fière que quelqu’un soit suffisamment délicat pour prendre en compte ses éventuels désirs avant les siens. Ce n’est qu’au bout d’un moment qu’elle clôt les lèvres de Diego d’un simple baiser, aussi léger qu’un vent de printemps, pour lui faire comprendre qu’elle n’avait cure de cette réaction physique on ne peut plus logique. Mieux, elle en était même flattée. Cela prouvait qu’il la trouvait effectivement jolie et que le geste accompagnait la pensée, pour ainsi dire. Elle ne pourrait pas douter de sa sincérité de cette manière ! « Chuuuut… tu dis des sottises » commença-t-elle tandis qu’elle avait repris le visage de Diego en coupe et qu’elle caressait ses deux joues du bout de ses pouces. « Je n’ai jamais pensé que tu puisses vouloir abuser d’une quelconque intimité. Voyons Diego… tu as si peu confiance en toi-même ? C’est une belle chose que d’éprouver du désir. Cela prouve la sincérité de ce que tu dis. Mais peut-être y a-t-il autre chose que tu n’as pas encore dit et que tu veux me dire ? »

Myrcella ne voulait pas précipiter davantage les choses, elle voulait qu’il se sente prêt et qu’il soit d’accord. Cela se ferait de façon naturelle dès lors. Mais une chose était sûre, la jolie seychelloise n’était ni oppressée ni apeurée entre ses mains. Pire, elle avait sentit l’intégralité de son corps frissonner de façon franche pour la première fois de sa vie. « Je n’ai pas peur, Diego. J’ai décris ce genre de scène un nombre incalculable de fois dans mes scénarios, tu sais. Peut-être que la réalité dépassera la fiction. Mais je n’ai jamais pensé que tu étais un profiteur, et je ne le penserai jamais. Tu es une belle personne, et pour reprendre tes propres mots : comment peux-tu en douter ? »

Des deux, finalement, Diego savait être le plus éloquent quand il s’y mettait. Myrcella n’avait aucune envie de l’interrompre, bien qu’il vienne de lui proposer de le faire. Il était nerveux ? Cela ne se sentait pas réellement à vrai dire. Il s’agissait de la toute première fois où il semblait s’ouvrir comme rarement il s’était ouvert. Mieux, il souriait de façon sincère, naturelle, sûrement à cause du fait qu’ils soient tous deux dans cette chambre d’hôpital sans personne pour venir les emmerder. Cette idée fit sourire la jolie seychelloise à son tour, tandis qu’elle s’amusait à l’écouter déblatérer toutes ces choses. Plusieurs questions se mirent à marteler son esprit avant qu’elle ne sente un silence l’entourer à la fin du discours de Diego… ah, il ne parlait plus ? Dommage. C’était plus rassurant car pour une fois, Myrcella ne se sentait pas l’âme à faire de grands discours. Elle préférait écouter… « Pourquoi t’arrêter ? Tu n’as pas dit d’horreurs… si ce n’est que je ne comprends pas pourquoi ta famille a bien pu se mettre en tête que tu es gay. Tu aimes les garçons ? » Toute l’innocence de la jeune femme était portée dans cette ultime question. Diantre, s’il n’aimait pas les femmes, elle n’était pas dans la mouise ! Mais à priori, il devait au moins les aimer un peu sans quoi il n’aurait pas fait preuve de ce désir, même bref, envers elle. Désir qui avait amené cette discussion, d’ailleurs. « Il va falloir que tu explicites l’idée que tu as du « cobaye » à vrai dire… je sens que tu fais preuve de sarcasme ! » Mais qu’importe. Myrcella n’aurait pas voulu être ailleurs, et surtout pas sur d’autres genoux…

« Je sais par avance que la question que je vais poser est stupide, mais qu’importe, je me lance tout de même : je suis ta petite amie ? » Diego allait sûrement sauter au plafond. Tant pis, la jolie seychelloise estimait qu’il était tout à fait logique de poser cette question. Malgré toute la timidité étant la sienne, elle ressentait une véritable attirance pour celui l’ayant sauvé d’une bien délicate situation. Sans lui, elle aurait très bien pu mourir dans la rue. « Ne sois pas nerveux. Il n’y a aucune raison de l’être » se crut-elle obligée de rajouter, car elle ne voulait pas qu’il ait peur de sa réaction. Elle ne le jugeait pas… bien au contraire. Ce qu’elle voulait, c’était juste la vérité.