YOONA & MILA

❝ we might as well be strangers ❞

POINT OF VIEW
Séoul. Corée du Sud. J’y suis née et y est passée les premières années de ma vie avant que mes parents n’aient recours aux services d’un passeur caressant l’espoir d’échapper à la misère du bidonville… En déambulant dans les rues, parmi cette population appauvrie, quelques flashbacks m’avaient pris de court.

Il m’arrivait parfois de me demander ce que nous serions devenus si nous étions tous restés ici. Pour commencer, mes parents ne seraient pas morts avant même d’avoir atteints notre destination et enfin, j’étais convaincue que nous n’aurions pas été malheureux malgré notre situation déplorable parce que nous aurions été ensemble. Je ne garde que peu de souvenirs de mon enfance, les psychologues de l’orphelinat s’accordaient tous à dire que je les avais volontairement enfermés dans un coin de ma tête pour ne plus penser à toutes les horreurs que j’avais traversé durant le voyage. Pourtant, ils étaient parfaitement ancrés dans ma mémoire comme marqués au fer rouge ; je me souvenais du bruit des vagues s'écrasant contre la coque du porte-conteneurs, des voix de certains membres de l’équipage qui daignaient venir nous voir de temps à autre, de la lente agonie d’une vieille dame, de l’odeur putride de la Mort, du manque d’air, de la chaleur, des insectes, des derniers souffles de vie et enfin, des derniers mots qu’avaient prononcé ma mère en me tendant la serviette qui contenait ses effets personnels et ses maigres économies.

C’était peut-être égoïste de ma part, mais j’avais longtemps souhaité être à la place de mon frère. Lui ne se souvenait de rien parce qu’il était beaucoup trop jeune à l’époque. En y réfléchissant, peut-être cachait-il son jeu tout comme moi, peut-être étions nous trop occuper à faire l’autruche pour oser en reparler ? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui Micah avait décidé de suivre un chemin différent du mien et pour ne pas que j’interfère de nouveau dans sa vie, il avait décidé de me renier. Son attitude m’avait profondément blessée sur le coup, tellement que je n’avais plus la force de lancer une nouvelle offensive contre l’organisation qui l’avait embauché. Non. A la place, j’avais décidé de reprendre les recherches que j’avais entreprises quelques années plus tôt, dans l’ombre de Micah. En effet, même si je ne faisais plus partie du gang de voleurs, j’avais repris du service le temps d’une nuit en m’infiltrant dans l’orphelinat où j’avais grandi pour récupérer les effets personnels de ma mère dans les archives, bien décidée à les étudier dans les moindres détails dans l’espoir de retrouver le passeur qui avait conduit mes parents et tant d’autres à une mort certaine pour mettre fin au trafic d’êtres humains (si ce n’était pas déjà fait). Je m’étais mise à potasser les divers documents, forcée de constater que mon coréen était quelque peu rouillé. Finalement, la découverte que j’en avais tiré fut largement au-dessus de mes espérances et répondait au nom de Yoona.

J’avais une sœur à peine moins âgée que moi dont j’ignorais l’existence jusqu’à présent. Mes parents l’avaient abandonné à contre cœur parce qu’ils n’avaient pas les moyens de l’élever et aussi parce qu’ils voulaient d’un garçon et non d’une autre fille, cependant, ils avaient tout de même pris soin de lui donner un prénom avant de laisser au pied d’une église quelques jours après sa naissance. D’après son journal, ma mère ne s’était jamais remise de cet abandon : chaque récit de ses aventures était directement adressés à cette Yoona. Je n’en étais pas jalouse, loin de là. C’était ma sœur et même si j’étais encore sous le choc de la révélation, j’espérais qu’elle soit en sécurité et entourée d’amour. Mes parents, nos parents, lui ont probablement sauvé la vie en l’abandonnant. J’avoue, mon obsession de la famille m’avait poussé à mener ma petite enquête sur Yoona durant les premiers mois suivant la découverte, mais j’avais fini par renoncer. La dispute avec Micah avait suffit à réveiller ce besoin maladif d’obtenir réponses à mes questions et puis, cela me permettait également de canaliser ma frustration. Tout ce que je savais avec certitude, c’était que Yoona avait été élevée dans un cirque ce qui rendait la prise de contact particulièrement difficile, mais je comptais sur le bouche à oreilles pour m’aider dans mon entreprise : je comptais bien la retrouver où qu'elle soit.

Ça a du bon de travailler comme informaticienne pour une firme multinationale, je n’ai pas eu besoin de prendre de congé sabbatique ou de donner une explication bancale à un voyage soudain, j’ai simplement eu à discuter avec mon patron and here I am ! Me voilà aujourd’hui, assise au bar d’un restaurant coréen au-dessus duquel se trouve la chambre que je loue, attendant désespérément que Yoona montre enfin le bout de son nez avant la date butoir, celle de mon retour sur le sol New Yorkais. Je suis stressée, mais tellement pressée de confronter ses traits aux miens pour y rechercher la moindre similitude. Je ne sais pas si elle se montrera aujourd'hui ou même si elle se présentera un jour, mais pour l'instant je m'accroche à ce maigre espoir...

appearence
Séoul, Yoona y était née il y a tellement longtemps, elle y avait aussi été abandonné mais surtout adopté par une famille hors du commun. Une naissance, un abandon, une renaissance, tout ça presque en même temps, elle avait vécu davantage dans cette ville pendant les premiers mois de sa vie que la majorité des gens tout au long de leur existence. Et pourtant, pour elle, Séoul n’était pas grand-chose. Elle aimait cette ville, car elle y était repassé plus d’une fois depuis son adoption et il s'agissait de son pays natal après tout, toutefois, cette capitale restait une capitale parmi tant d’autre. La belle avait visité tant de ville dans sa vie, qu’au fond, celle-ci n’était rien de plus qu’un souvenir additionné aux autres dans son esprit, je dirais même qu’elle éprouvait un certains malaise à être là, sans savoir vraiment pourquoi, d’ailleurs, elle ne s’autorisait aucune relation amoureuse dans ce pays, de peur de commettre un quelconque inceste, ce qui ne l'aidait pas à se sentir bien ici. Les chances étaient mince, mais elle se refusait à prendre le risque, sait-on jamais. Encore une phobie des plus étranges et tout à fait digne de Djem. Mais peu importe, poussé par sa petite sœur, notre aventurière du dimanche était arrivé à Séoul avec son cirque depuis quelques jours déjà, attiré par des rumeurs… Quelqu’un scandait son prénom à travers la ville, cherchant une Yoona abandonné presque vingt-six ans plus tôt dans cette cité, peut-être était-ce elle qu’on cherchait, ou peut-être pas, quoi qu’il en soit elle devait en avoir le cœur nette, histoire de ne pas vivre avec le regret de ne pas avoir été curieuse. « T’es sur qu’elle est dans cet hôtel ? » Assise autour d’une table comptant une bonne trentaine de personnes, Yoona tentait de discuter avec l’un de ses cousins, l’informateur de la famille, le gars qui fouille les poubelles à la recherche d’information cruciale, le geek, la punaise qu’on aimerait écraser mais qui nous ait indispensable. Elle l’aimait tant son cousin. « Oui je suis sur… J’ai appelé tout mes contactes en ville, la fille qui cherche une Yoona de ton âge est hébergé là-bas… » Avalant une énième bouché de son kimchi cuisiné maison (petit cours wikipidiant : Kimchi est un légume coréen, ils en mettent partout, hamburger, pizza, soupe… C’était la minute culture ! *out*) avec envie, oubliant de ce fait les dires de son vis-à-vis. Oui, c’était son genre de discuter avec une personne puis de faire complètement autres choses en plein milieu de la conversation… Sa petite-sœur remarqua son comportement, lui donnant un coup de coude pour l’aider à se concentrer en quelque sorte. « Djem, faut que t’aille à cet hôtel ! » « Pour faire quoi? Je sais même pas à quoi elle ressemble et en plus, tu veux que je dise quoi ? Comment tu veux que j’engage la conversation ? Non non, franchement, c’était une mauvaise idée de venir ici… » Sur ses mots elle fut sauvé par l’un de ses enfants, le plus jeune, qui réclamait en larmes sa génitrice, pour une fois qu’un caprice d’enfant sert à quelque chose.

Les heures c’était écoulés et la famille de Yoona ne cessait de la harceler pour qu’elle aille jeter un œil à cet hôtel et devant leur insistance la jeune maman céda, acceptant de se plier à leur volonté, un peu à contre cœur car oui, soyons honnête, se pointer dans un hôtel bizarre, pour rencontrer une femme dont elle ignore tout, ce n’est pas franchement sa passion première. Elle redoutait donc un peu cette rencontre. « J’y vais, mais franchement… Vous attendez pas à quelque chose de romanesque. » Elle enfila sa veste, commençant à partir quand la voix de l’une de ses cousines, accessoirement meilleure amie, s’éleva avec lassitude dans l'air. « Yoona… C’est pas très courtois de te pointer à un rendez-vous avec un couteau dans la poche… » Yoona laissa échapper un soupir avant de sortir une lame de sa poche, la jetant avec nonchalance sur une table non loin. « Si je me fais tuer par cette psychopathe, tu viendra pas te plaindre. » Ni une ni deux elle quitta son cirque, se dirigeant à pied vers le centre de Séoul à la recherche de ce fameux bar/hôtel. Durant sa marche, la jeune femme ne put s’empêcher de réfléchir, de se demander ce qu’elle allait bien pouvoir dire à cette inconnue si il s’avérait qu’elles avaient un quelconque lien, les questions qu’elle pourrait lui poser, ou au contraire celles qu’elle devait éviter… Elle n’était pas sur de vouloir d’une nouvelle famille, surement parce qu’elle avait une très mauvaise image de ses parents biologiques, notamment de sa mère. Elle l’imaginait prostitué dans un quelconque bordel, ou droguée avec une ribambelle d’enfant, trop pour en accepter un énième, d’où cet abandon brutal. A ses yeux, ça c’était passé ainsi et pas autrement, jamais elle n’avait cherché à savoir la vérité, à connaitre le pourquoi du comment, surement parce que c’était plus facile d’imaginer le pire et de mettre la faute sur cette mère dont elle ignorait tout, plutôt que de se dire, comme tout enfant orphelins, qu’on est la cause de cet abandon. Les idées noires, ce n’est pas franchement le truc de Yoona, alors lorsqu’elle se rendit compte de ses pensées néfastes elle secoua la tête, comme pour les effacer, reprenant le sourire comme si de rien n’était, se retrouvant alors devant cet hôtel et ce restaurant dans lequel allait la grande majorité des clients. Par réflexe elle entra d’abord dans le motel, demandant à l’accueil si une jeune femme de type asiatique mais venue d'un pays étranger se trouvait dans le coin, sans hésitation l’hôtesse lui répondit qu’elle l’avait vu sortir et aller en direction du restaurant… Elle était donc là, cette inconnue si curieuse.

Sans attendre plus longtemps Djem se dirigea à l’intérieur du restaurant, essayant de trouver une femme correspondant à la description qu’on lui avait faite… Le hic c’est que trouvait une grande brune, mince et sexy de type asiatique à Séoul, c’est aussi simple que de chercher un mec blanc au réunion de ku kux klan . Heureusement que notre demoiselle avait de l’imagination et un peu de culot. « Excusez-moi ! » Dit-elle en grimpant sur une chaise, assez fort pour que tout le monde l‘entende. « Désolé, mais je cherche quelqu’un qui me cherche ! » LOGIQUE… « Enfin, cette femme cherche une Yoona de mon âge ! Et il se trouve… que je suis une Yoona de mon âge… » No comment. « Du coup, est-ce que j’intéresse quelqu’un là ? » Un restaurant sans un boulet, ce n’est pas vraiment un bon restaurant, alors évidemment, à cette phrase des plus ambigus un p’tit malin se croyant séduisant avança vers la jeune femme, un sourire charmeur sur le visage, manque de chance, il eut à peine le temps de prononcer une syllabe qu'elle rétorqua. « Dégage, j’ai aucune envie de faire un quatrième gosse aujourd’hui. » En disant ça elle ne lui offrit aucun regard, trop concentré à chercher une femme qui se serait sentit concerné par ses mots… Ha, la délicatesse de Yoona me surprendra toujours.

Mila s’efforça à quitter le fil de ses pensées obscures pour se concentrer sur ce qu’elle faisait depuis qu’elle avait posé le pied sur le tarmac de Séoul : attendre. Cependant, elle savait que l’attente interminable finirait une fois de plus par l’obliger à se torturer l’esprit sur ce qu’avait été sa vie ou à imaginer ce qu’avait été celle de Yoona durant tout ce temps. Elle avait essayé de passer outre l’existence de cette sœur qui ne voudrait peut-être pas la voir, mais elle était tout simplement incapable de faire l’ignorante plus longtemps. Même si Yoona avait été abandonnée peu après sa naissance, elle restait sa petite sœur et un membre à part entière de sa famille. Famille. Ce mot lui laissait presque un goût amer lorsqu’elle prenait conscience que celle-ci ne comptait plus que trois personnes désormais : Mila, Micah et cette mystérieuse petite sœur qu’il lui tardait de découvrir. Elle imaginait la tête qu’aurait son petit frère lorsqu’il apprendrait l’existence de Yoona, ce dernier serait sans doute dépiter d’apprendre qu’il ne devrait plus supporter qu’une seule grande sœur, mais deux. Si tant est que Yoona soit intéressée à la perspective de rencontrer sa véritable fratrie ! En jetant un dernier coup d’œil à l’horloge murale située juste au-dessus du bar où elle s’était installée, Mila constata qu’il était temps pour elle de regagner sa chambre. Inutile d’attendre plus longtemps, Yoona ne semblait pas décidée à se montrer aujourd’hui. La jeune femme paya ses consommations, attrapa son sac et commençait déjà à entamer sa marche jusqu’à la sortie lorsqu’elle fut happée par une scène des plus étranges. Une jeune coréenne venait tout juste de monter sur une chaise et cherchait à attirer l’attention de la foule.

YOONA ♦ « Excusez-moi ! Désolée, mais je cherche quelqu’un qui me cherche. Enfin cette femme cherche une Yoona de mon âge ! Et il se trouve… que je suis une Yoona de mon âge… Du coup, est-ce que j’intéresse quelqu’un là ? »

Le cœur de Mila sembla s’arrêter sur le coup. Elle resta plantée là, à mi-chemin entre le bar, la sortie et sa petite sœur qu’elle attendait depuis des semaines voire même toute une vie. Trois choix possibles : commander une nouvelle boisson, prendre la fuite ou l’aborder. Oui, Mila était soudainement prise de doutes, mais ceux-ci s’envolèrent à la seconde où elle posa les yeux sur elle, constatant que ses traits lui rappelaient étrangement ceux de son défunt paternel.

YOONA ♦ « Dégage, j’ai aucune envie de faire un quatrième gosse aujourd’hui. »

Outch ! Direct. Elle faisait quoi dans la vie déjà ? Ah oui, elle dressait des félins, pas étonnant qu’elle soit aussi agressive que ses protégés. La réplique semblait même avoir eu l’effet d’une douche froide pour le jeune homme qui s’éloigna aussitôt la queue entre les jambes, un air renfrogné peint sur le visage. Yoona lui donnait sérieusement l’impression de ne pas être quelqu’un qui a pour habitude de mâcher ses mots, Mila allait donc devoir faire extrêmement attention à ce qu’elle disait, s’imaginant que la moindre petite contrariété ne force Yoona à fuir.

MILA ♦ « Je plaide coupable. » dit-elle simplement, se frayant un chemin jusqu’à sa petite sœur tout en arborant un sourire à la fois chaleureux et gêné. « Je m’appelle Mila et… je pense que tu es ma sœur. Non en fait, j’en suis sûre. » se rectifia-t-elle aussitôt. Après tout, si Yoona était venue jusqu’à elle ce n’était pas pour n’entendre que des suppositions !

Elle en avait la conviction. Oui. Cependant, elle se baisait sur les écrits que lui avait laissés sa mère avant de partir et Mila se doutait que cela ne suffirait peut-être pas à convaincre sa petite sœur, mais elle était prête à passer des tests ADN pour être fixée.

MILA ♦ « Et si tu descendais de ton perchoir, que l'on puisse en discuter autour d'un verre, mh ? » proposa-t-elle, désignant le bar d'un geste de la main.