Un jour des plus normaux se profilait pour Lisa lorsqu’elle entra dans le petit café où elle travaillait depuis des mois. Son horrible patron était visiblement déjà arrivé, et il ne se priva pas de lui lancer un regard dédaigneux en la voyant arriver. Mais comme à son habitude, la jeune femme ne se laissa pas démonter, et eut même l’audace de lui adresser un large sourire. « Bonjour ! » chantonna-t-elle presque au nez et à la barbe de son patron. L’homme ne prit même pas la peine de lui répondre, préférant s’éloigner et s’engouffrer dans son bureau. Une fois de plus il la laissait seule à bord, seule aux commandes de ce petit café auquel elle tenait tant. En effet, et malgré le manque de sympathie de son patron, Lisa n’avait jamais pensé à aller travailler ailleurs. L’ambiance qui régnait dans l’établissement et toutes ces rencontres qu’elle y faisait étaient bien trop précieuses à ses yeux. Certes, la jeune femme pouvait paraître bien naïve mais elle avait au moins l’avantage de voir les choses autrement, de se contreficher de l’avis des autres et de rester concentrée sur ce qui était important pour elle.

La matinée avançait, et la jeune serveuse voyait défiler ses clients habitués les uns après les autres. Les conversations animées avec les papys du quartier rivalisaient avec les éclats de rire que Lisa partageait avec quelques jeunes femmes qui étaient devenues ses amies avec le temps. Puis vint le moment où tout le monde ou presque se retrouvait enfermé dans un bureau, laissant ainsi à Lisa un peu de calme pour s’atteler à l’inévitable corvée de vaisselle. Derrière son comptoir, elle s’affairait donc en chantonnant les mélodies que la radio voulait bien lui passer, jusqu’au moment où un souffle d’air frais s’engouffra dans l’établissement. La jeune serveuse se retourna en souriant, accueillant du même coup le client qui venait d’entrer, et qui lui commanda immédiatement un café. Elle se contenta d’acquiescer, avant de se diriger vers l’énorme machine qui lui permettait de préparer un café que certains qualifiaient de meilleur de la ville.

Mais alors qu’elle tournait le dos au jeune homme accoudé au comptoir, elle fut surprise de l’entendre dire : « Oh mais tu sais que tu es sexy comme ça ! » Un grand sourire se dessina sur son visage, mais elle n’osa pas se retourner vers l’auteur de ce qu’elle prenait d’ores et déjà comme un compliment. Au lieu de ça, elle se mordit la lèvre inférieure et continua ce qu’elle avait entreprit en faisant mine de ne pas être décontenancée. A vrai dire, la situation l’amusait plu qu’autre chose, et elle était curieuse de savoir jusqu’où pourrait aller ce Don Juan derrière elle.

Lisa était terriblement amusée par la situation. Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’un homme osait faire ce genre de déclaration en public. Et dans un sens, la jeune serveuse en profitait. Elle se sentait même plutôt flattée… jusqu’au moment où son client se décida à continuer. Et très vite, elle comprit que la suite de leur pseudo-conversation allait beaucoup moins lui plaire. De la classe presque innocente dont il avait su faire preuve jusqu’ici, le jeune homme passait à une lourdeur à peine supportable, digne des plus grands goujats que Lisa n’ait jamais connu. « Et tu portes quelque chose en dessous beauté ? » Peu à peu, le sourire de la jeune femme se fanait. L’expression sur son visage changeait, se transformant en un regard noir précurseur d’une réaction qui à coup sûr, allait réveiller l’assemblée.

Néanmoins, Lisa n’oubliait pas les quelques clients installés dans le café et pour leur bien, elle tenta de se contenir le plus possible. S’attelant à préparer son café avec des gestes de plus en plus rageurs, elle n’en gardait pas moins une oreille tendue vers cet individu qui commençait sérieusement à lui taper sur le système. Et autant dire que ces paroles étaient de plus en plus distinguées, arrachant ça et là quelques soupirs d’agacement à une Lisa de moins en moins concentrée sur ce qu’elle faisait. Elle sentait désormais glisser sur elle les regards des autres clients, et ses doigts se crispèrent d’un coup sur la tasse qu’elle venait de remplir. « Sérieusement, je t’assure, un mot de toi et je te culbute! » Cette fois, s’en était trop. Pour qui se prenait-il pour venir l’insulter de la sorte juste devant son comptoir ? Un rapide coup d’œil circulaire lui permis de localiser un des verres qu’elle était en train de laver avant qu’il n’arrive. Ce dernier était encore plein d‘eau, et elle n’avait même pas prit la peine de le rincer. Et alors que l’énergumène derrière elle se sentait obligé de vanter son anatomie soi-disant avantageuse, Lisa fut victime d’une sorte de pulsion qu’elle ne put réprimer. Brusquement, elle s’empara du verre en question et en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, se retourna pour en balancer le contenu en pleine figure de son client.

Techniquement, elle n’avait pas le droit de faire ça. Que ce soit vis-à-vis de ses clients ou même de son patron, c’était une faute professionnelle. Mais sur ce coup-là, Lisa avait été incapable de se retenir. Le jeune homme était allé trop loin et même si d’ordinaire tout la faisait rire, cette fois elle avait prit ses réflexions très au sérieux. « Hé ! Vous vous croyez où là ? Espèce de… Sortez d’ici ! »

D’aussi loin qu’elle se souvenait, jamais Lisa n’avait jamais eu besoin d’être aussi « violente » avec un garçon. Et encore moins en considérant le fait qu’il s’agissait d’un client ! Fort heureusement pour elle, son patron était une fois de plus terré dans son bureau, certainement en train de fumer une énième cigarette. Autant dire que s’il avait été présent lors du drame qui venait de se jouer, il se serait fait une joie de réprimander la jeune femme. Dès qu’il en avait l’occasion, il lui criait dessus. Mais au fond, Lisa avait bien compris qu’il ne la virerait jamais. Sans aucune prétention, elle se savait relativement précieuse pour la bonne marche de l’établissement. En effet, son sourire et sa bonne humeur quasi-permanente lui valaient très souvent les bonnes grâces de ses clients, qui ne se privaient d’ailleurs pas de revenir discuter avec elle dès qu’ils en avaient l’occasion. En bref, Lisa était l’exact opposé de la brute épaisse qu’était son patron.

N’écoutant que cette pulsion qui l’avait guidée, Lisa n’avait pas hésité une seule seconde avant de balancer son verre d’eau en pleine figure de son client. Et à vrai dire, elle n’avait réellement découvert son visage qu’au moment où elle s’était retournée, qu’au moment où il sursauta lorsque l’eau l’atteignit. « Non mais vous êtes dingue ! Je peux savoir ce qu'il vous prend ? » La jeune femme entrouvrit la bouche sous le coup de la surprise. Après ce qu’elle venait d’entendre, il se permettait en prime de la traiter de dingue ?! Décidément, elle ne regrettait pas de lui avoir demandé de quitter l’établissement… chose qu’apriori, il n’avait pas l’intention de faire. Au lieu de ça, il en rajouta une couche en spécifiant à son ami qu’il se trouvait en face d’une folle. A son ami ? Mais… à qui parlait-il exactement ? « Cela vous arrive souvent de balancer des verres d'eau à vos clients alors qu'ils sont au téléphone ? Fallait le dire qu'il n'y avait pas le droit de téléphoner dans cet établissement pas besoin de me tremper ! » C’était donc ça… Le jeune homme était en pleine conversation téléphonique ! D’ailleurs, Lisa put rapidement remarquer l’oreillette dans son oreille, ce qui la fit grimacer tant elle se retrouva mal à l’aise. Pourtant, tout collait tellement bien dans son esprit… A vrai dire, elle ne s’était même pas posé la question. Elle avait prit tout ce qu’elle entendait pour elle, sans jamais imaginer que son client pouvait s’adresser à quelqu’un d’autre.

Lentement, Lisa posa son verre en gardant un œil posé sur le jeune homme en face d’elle. Elle se mordit alors la lèvre inférieure en tentant de réprimer un sourire… qui finit tout de même par prendre le dessus. « Oups… » murmura-t-elle en relevant doucement les yeux vers son client. « Je… j’ai cru que… que vous vous adressiez à moi ! » Lisa tentait de s’expliquer sans trop froisser son interlocuteur et pour cela, elle dégaina son regard de gamine qui marchait à chaque fois. « Et, c’était tellement élégant que… j’ai… riposté ? » ajouta-t-elle finalement en esquissant une nouvelle grimace.