Depuis quelques jours, j’étais pensif. En réalité, je l’étais depuis ma sortie de l’hôpital après mon énième malaise. Si je faisais le bilan de ma courte existence, je me rendais bien compte qu’à part faire la fête et brûler ma vie par les deux bouts, je n’avais pas fait grand-chose je devais bien le reconnaître. Lorsque j’étais petit bien avant que je ne rencontre mon père, je m’étais amusé à établir une liste des choses que j’aimerai faire dans ma vie et aujourd’hui, je la tenais avec précaution entre mes mains. Le papier était usé, déchiré par endroit mais l’encre y était encore pleinement visible. Avec un sourire attendri pour l’enfant que j’avais été, je relisais mes mots, empreint d’une nostalgie salvatrice. Puis, mon regard s’accrocha à la neuvième entrée : apprendre un art martial. Je me souvenais avoir fait ce souhait après une énième bagarre avec le gros dur. Mes yeux balayèrent alors ma chambre et se fixèrent sur un petit papier glacé : le bon pour une séance découverte. Peut-être était-ce le moment idéal pour rayer quelque chose de plus sur cette liste. Ni une ni deux, j’appelais le Dojo et prit les renseignements. Trois jours plus tard, je me présentais dans le South Brooklyn pour prendre ma première leçon d’art martial et sur le moment, j’avoue que l’envie de faire demi-tour venait de me prendre avec force. Qu’est-ce que je foutais là ? Mon médecin m’avait clairement signifié d’éviter les sports trop intenses mais à quoi bon prendre des précautions, j’étais mourant donc autant m’éclater un bon coup non ?! Je me changeais rapidement ayant acheté un kimono dans une boutique spécialisée histoire de ne pas trop dénoter avec l’environnement. Il faut dire que je n’aimais pas trop me faire remarquer du moins quand j’étais en position de vulnérabilité sinon croyez-moi, j’étais un vrai m’as-tu vu ! Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y avait du monde à cette séance : des hommes, des femmes et mêmes quelques seniors. Comme à mon habitude, j’observais tout ce beau monde et frémit en voyant une armoire à glace en kimono. Aussitôt, je priais pour ne pas l’avoir en binôme car là, c’est sûr, je finissais au tapis. Encore une fois, je me fustigeais pour avoir eu l’idée stupide de ressortir cette fichue liste.

Le cours débuta alors et tout le monde se mit à genoux devant le maître pour écouter l’histoire rapide des arts martiaux. Le speech durant une bonne vingtaine de minutes mais je trouvais cela très intéressant car j’avais toujours apprécié comprendre ce que je faisais. Quoi qu’il en soit, rapidement, nous nous retrouvâmes en binôme et je tombais sur une jeune femme délicieusement agréable à regarder. « Bonjour, je m’appelle Flynn » la saluais-je avec un grand sourire. Savait-elle se battre ? Je n’allais pas faire l’erreur de la sous-estimer car les femmes peuvent être de véritables tigresses quand elle le voulait. Le professeur étant occupé deux binômes plus loin, nous avions peut-être le temps de faire connaissance.

Oserais-je, n’oserais-je pas ? Tel était mon état d’esprit à l’heure actuelle à savoir : indécis. Dans un sens, cela me bottait bien d’apprendre les arts martiaux ou du moins les bases grâce à cette découverte. De l’autre, la peur se chamaillait avec ma témérité. Un mauvais coup à la tête et peut-être j’allais rendre visite à Saint Pierre plutôt que prévu mais bon, si je commençais à penser ainsi, je n’avais plus qu’à m’interdire de vivre. Non, je devais le faire car c’était marqué noir sur blanc sur ma liste. Fier de cette conviction, j’entrais dans le dojo où beaucoup de monde s’était donné rendez-vous. Est-ce en lien avec la criminalité de New York ? Les gens étaient si paranoïaques de nos jours que cela frisait le ridicule pour certains. Un de mes voisins se trimballait toujours avec une bombe lacrymogène rien que pour descendre chercher le courrier. Pathétique ! Bon ok, le jour où j’avais inscrit cette entrée dans ma liste c’était parce que je m’étais pris une énième dérouillée par le gros balourd de l’orphelinat. Un rêve de gosse en somme que de savoir se battre comme dans les comics dont je suis friand depuis toujours. Allez, fais pas le trouillard et mets-toi à genoux me sermonnais-je tout en m’exécutant. Tel le petit scarabée que j’étais, j’écoutais avec sérieux le maître parler des origines des Arts Martiaux. Franchement, j’adorais ce petit passage d’une vingtaine de minutes mais cela ne m’empêchait pas d’être conscient de mon environnement. Il y avait étrangement plus de femmes que d’hommes mais également deux trois couples de petits vieux. Je n’aurais jamais le temps d’être aussi vieux qu’eux et encore moins de pouvoir être marié etc. Bah, c’était la vie ! Elle pouvait être chienne quand elle le voulait bien.

Puis, sans trop savoir comment, je me retrouvais en binôme avec une jeune femme. Belle, semblant un rien timide, je la trouvais sympathique sans même la connaitre ni entendre le son de sa voix. Je me présentais donc avec un sourire chaleureux et fut comblée d’entendre sa voix. Magnifique. Elle lui allait bien. Ouais, j’étais obsédé des voix mais c’était un peu mon fonds de commerce en même temps. Une voix pouvait devenir une mélodie a elle toute seule et cette femme, en avait une belle. Néanmoins, elle ne semblait franchement pas l’aise. « Ravi de te rencontrer ! C’est mon premier cours et pour toi ? » Lui répondis-je avant d’ajouter aussitôt « Toi aussi, c’est un rêve de gosse que d’apprendre à te battre comme Bruce Lee ? » Lui demandais-je tout en commençant à appliquer les ordres du maître. Malheureusement pour elle, j’étais un bavard né et je ne pouvais rien faire silencieusement. Je bossais en parlant, je marchais en téléphonant, fallait que je parle ! J’aurais tout le temps de me taire dans ma tombe. Aussi, tout en exécutant un mouvement de bras et de jambe, je continuais. « C’est sympa en ce moment.. Je parle des journées découverte. J’ai failli m’inscrire au cours d’origami mais je n’ai jamais été doué dans les travaux manuels » continuais-je avant de me taire. Provisoirement.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas causante pour un sous alors que quand je stressais, j’avais tendance à être pire qu’une pie. Mes amis avaient tendance des fois à se foutre de ma tête quand je parlais au téléphone car à ce qu’il parait, j’étais pire qu’une nana devant sex and the city. Je me passais rapidement une main dans les cheveux avec un sourire désabusé de par mes propres pensées. Toutefois, j’avais plutôt l’impression de passer pour un idiot devant elle avec mon histoire de rêve de gosse que j’étais limite à me mettre à genoux pour lui raconter toute mon enfance etc. J’étais pathétique ! Que quelqu’un m’assomme avant que je ne me ridiculise complétement. Malheureusement, quelqu’un avait dû planquer le bouton stop de mon débit de parole que je continuais à débiter des âneries, passant en monde 3615 je raconte ma life à une parfaite inconnue qui n’en a rien à fiche. Je continuais donc de bavasser faisant la conversation pour deux quand je tombais lourdement sur le tatami, ma jambe ayant été fauchée par mon binôme. « Profiter de la vie ? » répétais-je ironiquement. « T’imagine même pas comme j’applique déjà ce conseil » ajoutais-je un brin sarcastique. La pauvre, elle ne pouvait pas savoir qu’elle parlait à un mort vivant en sursis. Cela m’amusait toujours quand une personne me sortait ce genre de phrase comme si cela résolvait tous les problèmes etc. Pour ma part, c’était devenu un crédo, un leitmotiv : profitons de la vie ! Depuis qu’on m’avait diagnostiqué ma tumeur, j’en avais fait des conneries : j’avais avoué des trucs à certaines personnes et d’ailleurs un de ses aveux m’avait valu une belle droite d’un molosse. Qu’elle idée de dire qu’il jouait au dur alors qu’il avait pleuré dans mon bureau quand j’avais refusé de le produire car je ne faisais pas dans les chanteurs lyriques ?! Cette soirée-là, ok j’étais bourré mais j’avais appris une chose : des fois, profiter de la vie ne voulait pas dire être honnête à 100%. Je tenais encore un peu à ma carcasse et ne voulait pas passer l’arme à gauche avant l’heure. « Mal ? Tu tapes comme une fillette ! » la taquinais-je pour la dérider tout en effectuant une prise qui l’envoya à son tour au tapis sous les conseils avisés du maître qui venait de s’approcher de nous pour nous montrer d’autres mouvements basiques. Je me penchais donc vers elle avec un grand sourire : « Pas trop mal j’espère ? » avant de lui tendre la main à mon tour avec un sourire de franche camaraderie même si je sentais que sa vengeance serait douloureuse. En même temps, c’est elle qui m’avait dit de profiter de la vie, elle n’avait qu’à s’en prendre à elle-même.

Hj : désolée pas top comme réponse.

« J'ai l'impression de m'entendre parler, pourquoi ai-je droit au sarcasme ? ». Que pouvais-je lui dire ? En fait, je suis un condamné à mort donc ta phrase de profiter de la vie tombe un peu mal mais bon, je le vis bien ne t’inquiète pas, j’ai juste une merde qui me ravage le cerveau. Définitivement, je ne pouvais pas lui sortir cela car là, pour le coup, elle aurait le droit à un gros sarcasme. « Pour rien » m’entendis-je répondre en haussant les épaules. Je n’étais pas le genre de personne à annoncer à tout va ma maladie. Je ne voulais pas de pitié dans le regard des gens car à chaque fois, c’était le cas. Bien sûr, il y avait des personnes qui s’en foutaient royalement et Sally en ferait certainement partie car elle ne semblait pas du genre à s’inquiéter pour le premier quidam venu. Je grimaçais à cette pensée. Depuis quand je me permettais de juger les gens ? Cela ne me ressemblait pas mais il semblerait que ma prochaine mort me mettait légèrement sur les nerfs. Cela faisait quelques jours que je commençais à développer cette colère au fond de moi. Je trouvais mon sort injuste. C’était égoïste mais je trouvais ça dégelasse. Pourquoi moi ?! Je n’avais jamais fait de mal à personne alors pourquoi devais-je mourir ? Une petite voix dans mon esprit me répondit qu’il n’en tenait qu’à moi de décider de mon sort et le mot opération vint flotter en lettres lumineuses devant mes yeux. Je secouais ma tête avant de sourire à Sally. « Tu es du genre sarcastique ? » lui demandais-je pour changer de sujet alors quoi de mieux que de parler d’elle et puis je devais avouer qu’elle m’intriguait. Au départ, je m’étais fait à l’idée qu’elle était timide et introvertie mais là, elle venait de me dévoiler une petite information sur elle. Il n’en fallait pas plus pour que ma curiosité n’embraille là-dessus.

Nous continuâmes à enchaîner les mouvements basiques, tombant sur le tatami à tour de rôle et un sourire mi- amusé mi- moqueur étira mes lèvres quand elle me signifia qu’il ne fallait pas sous-estimer les fillettes et qu’elle était une dure à cuire. « T’aurais-je vexé ? » lui demandais-je avec une pointe d’ironie au fond de ma voix. J’avais l’impression que peu à peu la glace se rompait entre nous et cela me plaisait. J’étais quelqu’un d’amical et de chaleureux et je devais avouer que ça me chagrinait quand je n’arrivais à entamer le dialogue avec une personne. C’est que j’avais besoin de contact humain pour me sentir vivant. Callum Senior m’en avait tellement privé durant mon enfance et mon adolescence que je compensais comme je pouvais. Dommage que je n’y arrive toujours pas avec lui. Il faut dire qu’il ne m’avait toujours pas pardonné d’avoir ouvert ma maison de production au lieu de rentrer sagement en Irlande pour prendre la suite à l a tête de son entreprise. Sally m’attrapa alors pour me faire tomber au sol mais tout ne se passa pas comme prévu et à voir sa grimace de douleur, elle venait de se blesser. « J'crois que c'est cassé ou bien je me suis foulée le poignet. ». Aïe. Tout en m’approchant d’elle, je tendis la main vers elle. « Montre » lui ordonnais-je tout en examinant son poignet. Celui-ci commençait doucement à gonfler et je tâtonnais en essayant de lui faire moins de mal possible. « Il n’est pas cassé mais je crois que tu as réussi à te faire une belle entorse au poignet » lui expliquais-je tandis que je rassurais le maître qui s’approchait. « Viens, il faut mettre de la glace dessus le plus rapidement possible » fis-je en la prenant par le coude pour se diriger vers les vestiaires. Un des responsables du Dojo nous apporta rapidement une pochette de glace que j’appliquais sur son poignet après l’avoir assise sur l’un des bancs et m’être accroupis face à elle. « Garde la glace cinq minutes sur ton poignet pour que ça dégonfle un peu. Je pense que tu devrais quand même aller aux urgences. Je peux t’y conduire si tu veux. »