« On en reparle plus tard. Devance-moi, il faut que je plie bagages. » Traduction : on se retrouve au boulot et hors de question d’en parler maintenant. Lynn avait besoin de se retrouver seule avec ses pensées, c’était vital. Aussi prit-elle le temps d’effectivement plier bagages avant même que de quitter son appartement, ou petit cocon personnel. Seul problème : elle n’avait jamais eu de voiture. Lynn était une inconditionnelle de sa moto chérie, aussi fut-elle contrainte de faire livrer ses bagages au journal, se résumant en tout et pour tout à une simple valise. Peu d’objet, vie instable, par conséquent déménager n’était jamais un problème… la brunette n’avait même plus souvenir de la dernière fois où elle s’était vraiment installée quelque part, au point de défaire l’intégralité de ladite valise. Ce n’était pas demain la veille, étant donné qu’elle n’avait plus d’appartement à proprement parler et que la proposition de Mikaël, si agréable soit-elle, n’impliquait qu’un séjour de très courte durée. Il ne fut cependant pas étonnant de la voir débarquer au journal les cheveux en bataille, tombant en cascades sur ses épaules dénudées : les seuls vêtements sur lesquels elle avait pu mettre la main n’étaient autres qu’une jupe résolument courte et un t-shirt laissant presque entrevoir son ventre plat. Tant pis, juste pour aujourd’hui, elle n’aurait ni l’air passablement strict, ni même l’air d’une rédactrice en chef en bonne et due forme. Par chance, elle n’eut aucun rendez-vous pendant la journée, et se concentra sur des tâches impliquant son véritable métier. Elle prit le soin de se barricader dans son bureau, avec instruction de ne surtout pas être dérangée, sous aucun prétexte. En somme, elle fuyait LA conversation fatidique avec Mikaël. Elle n’y était pas prête psychologiquement, et estimait qu’une simple journée de répit n’était pas demander la lune. Hélas, à son plus grand désespoir, la soirée fut vite là et elle fut bien obligée d’aller le trouver dans son bureau. Une chance : il était seul !

« Désolée, j’ai été débordée toute la journée » lança-t-elle en guise d’excuse, non sans apporter ce que l’on aurait pu appeler de quoi enterrer la hache de guerre : un café du Starbucks Coffee accompagné d’un muffin. C’est toujours ce qui lui remontait illico presto le moral en cas de petit coup de déprime. « Cosy ou pas, je serais vraiment curieuse de savoir pourquoi tu m’as invitée chez toi. Je veux dire… on ne se connait pas. Je pourrais te tuer dans ton sommeil, tu es au courant au moins ? Qui plus est, je suis insupportable à vivre. Bon, cela dit, l’avantage, c’est que je ne prendrai pas vraiment beaucoup de place. » Sans doute souhaitait-il simplement l’avoir sous la main pour parler… ou plutôt l’assaillir de questions, allez savoir.

« Je te retrouve chez toi, j’irai plus vite en moto » lança-t-elle avant de le devancer, clefs en main prête à aller prendre son casque et profiter de la fraîcheur de cette soirée pour apaiser ses nerfs pourtant à vif. Aucune autre parole ni signe ne fut énoncé, et la brunette s’en tint à ce qu’elle avait dit : dès que Mikaël fut sortit du parking réservé aux employés, Lynn entreprit de s’élancer dans un slalom dont elle avait le secret entre chaque véhicule se trouvant sur son chemin. Mais comme d’habitude, aidée par sa maîtrise indéniable de sa moto adorée, elle ne souffrit d’aucun accident et put en effet se rendre jusqu’à l’immeuble de Mikaël en deux temps trois mouvements. Ce n’est qu’une fois arrêtée qu’elle commença à sentir un malaise s’emparer d’elle : la dernière fois où elle avait dormi chez quelqu’un remontait à la nuit des temps. Même lorsqu’elle était sur une mission avec un collègue, ils faisaient toujours chambre à part et rien en cela ne l’avait jamais dérangée. Il faut dire qu’elle s’était toujours considérée comme quelqu’un de solitaire, et de parfait en solo. Mais voir Mikaël garer sa voiture et lui adresser un regard lui glaça littéralement le sang. Ce n’était pas son attitude à lui qu’elle redoutait, mais plutôt la sienne. Lynn était pitoyable dès qu’il s’agissait de relations humaines, de quelque ordre que ce soit. Cela ne fit pas exception lorsqu’elle le suivit dans l’ascenseur et ne fut pas capable d’aligner deux mots, par exemple. Lynn regardait les chiffres défiler sur l’écran analogique tandis que ses doigts tapotaient presque nerveusement son sac en bandoulière, qu’elle tenait en main, et qui contenait entre autre un ordinateur portable ainsi que quelques armes blanches. Quelque chose lui disait qu’elle risquait d’être sur le qui-vive et de ne pas pouvoir fermer l’œil… comme si elle se trouvait en plein cœur d’une mission la poussant à rester sans arrêt sur ses gardes.

« Pas cosy, pas cosy… ton canap’ m’a l’air parfait pour que j’y dépose mon divin séant ! » lâcha-t-elle non sans éclater de rire. Mais Lynn maudit sa propre connerie : ce n’était pas en dédramatisant la situation ainsi qu’elle allait se sentir mieux, c’était une affaire entendue. Mais d’un autre côté, elle ne voyait pas comment reprendre la discussion où il l’avait laissée, trop obnubilée qu’elle était par le fait de ne pas savoir où elle allait dormir demain. Tout semblait se précipiter pour lui pourrir la vie, en tout cas… « Tu as de quoi cuisiner ou il faut prévoir d’appeler au secours les éventuels traiteurs du coin ? » Petit détail ayant son importance : la demoiselle maîtrisait en cuisine. Mais loin d’elle l’envie de fouiller dans les placards du jeune homme pour savoir ce qui restait faisable ou pas. C’était du même acabit que de s’attendre à ce qu’elle ne reparle d’elle-même de leur fameuse « conversation redoutée » !

D’ordinaire, Lynn aurait volontiers passé des heures derrière les fourneaux, comme à chaque fois qu’elle revenait d’une mission particulièrement difficile et qu’elle avait besoin de relativiser les choses. Sauf que là, ce n’était pas la mission qui lui donnait du fil à retordre, mais plutôt ce cher Mikaël. Même en essayant de toutes ses forces, elle ne parvenait décidément pas à comprendre ce qui le poussait à s’acharner. Après tout, ils ne s’étaient rien promis, et Lynn était la première à en avoir pris conscience. Sans doute le jeune homme était-il bien plus fleur bleue que les apparences ne le laissaient entendre de prime abord… de toute évidence, il l’était plus qu’elle, ayant perdu l’habitude de s’attacher à qui que ce soit pour plus de facilité. Il est vrai que c’était toujours plus aisé de faire l’autruche en toute circonstance : cela lui permettait de partir le cœur léger pour les « batailles » qu’il lui restait à mener, et de rester ainsi disponible, taillade et corvéable à merci, aux yeux de ses supérieurs. Inutile de dire que la question de Mikaël la fit se raidir alors que son esprit bouillonnant n’avait de cesse de remuer toutes ces choses dans son esprit. « Ce que retourne dans ma tête depuis trois mille ans, c’est le pourquoi du comment. J’avoue que je n’ai toujours pas saisi pourquoi tu veux en parler ou même essayer. Tu ne lâches donc jamais ? » Il n’y avait eu aucune animosité dans les propos de la brunette, bien au contraire : la compréhension était quelque chose d’essentiel pour elle, et s’il lui offrait la possibilité de comprendre, sans doute serait-elle en mesure de s’assouplir légèrement. « Tu l’as dit toi-même, ta vie est simple. Pourquoi ne pas juste conserver cette simplicité et essayer de te trouver une petite femme de « ton monde » ? De toute évidence, je ne vais t’apporter que des merdes. La preuve, regarde ! Mes supérieurs sont capables de m’offrir un appartement un jour et de me le reprendre le lendemain… avec pour instruction de quitter les lieux sur l’heure. J’y suis habituée, mais tu conviendras que ce n’est pas franchement idéal comme départ. Je n’ai plus défait une valise depuis… ah, je ne me souviens même plus de la dernière fois. Je suis susceptible de rentrer blessée à chacune de mes missions… et le pire, c’est que j’aime ce que je fais. Tu veux savoir pourquoi ? »

Il n’était pas question de lui faire une longue esquisse de sa vie passée, chose lui étant formellement interdite, mais plutôt de lui montrer par a+b qu’en s’acharnant, il risquait de passer pour un masochiste. A moins que ce ne soit le piment apporté par Lynn qui puisse l’attirer… auquel cas ses arguments tombaient certes à l’eau. « Je n’ai rien à perdre. J’ai perdu tous ceux auxquels je tenais. Ça ne fait pas de moi une orpheline, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, mais de toute évidence je ne sais pas m’attacher comme tout le monde. On m’a formée comme ça… et il est vital que je reste comme ça, sans quoi sur le terrain, je me ferais vite canarder. Alors, toujours aussi enthousiaste à l’idée de poursuivre ? » Cherchait-elle à le décourager ? Probablement…

« C’est dommage que je n’y sois pas encore arrivée ! » répliqua-t-elle, agacée. Lynn n’était pas dans son élément. Elle n’avait aucun repère, aucune chose à laquelle se raccrocher et cela la mettait grandement mal à l’aise. Pourtant, face à ce petit accès de colère marquant sa peau diaphane d’une légère couleur rosée, elle finit par soupirer : s’énerver contre Mikaël ne risquait pas d’arranger les choses, ou même de lui faire comprendre son point de vue. Le pouvait-il, simplement ? D’autant qu’il avait raison : elle était venue chez lui, et s’il y avait bien quelque chose qu’elle n’était pas, c’était égoïste. Lynn, malgré son air souvent brute de décoffrage, était profondément tournée vers les autres. Il n’était donc pas question de profiter de l’hospitalité du jeune homme, bien au contraire, mais plutôt de laisser sa curiosité piquée au vif s’exprimer. En l’occurrence, elle avait du mal à se déchiffrer elle-même… « Ça va, je suis désolée. Ça ne me met pas à l’aise, cette discussion, c’est tout » avoua-t-elle, non sans hausser les épaules avec nonchalance, comme si cela pouvait sauver son image de quelque manière que ce soit. De toute évidence, elle avait grand mal à se débarrasser de son épaisse armure. Celle-ci était présente depuis bien trop longtemps pour qu’elle ne puisse l’ignorer comme cela, de sa simple volonté. « Ah, mais je n’ai jamais dit que ta présence me gênait. Je n’ai juste plus l’habitude… tu sais, quand on est habitué à compter uniquement sur son exceptionnel petit cul, on a du mal à faire confiance à autrui, ne serait-ce que pour partager une bonne table, ou je ne sais pas, moi… se déhancher dans un bon concert ! » D’autant qu’elle avait tout de même une mission. Et que malheureusement, Mikaël pouvait être un dommage collatéral.

« La napoléonienne, c’est ma préférée » finit-elle par trancher avant de s’asseoir docilement sur le canapé. Lynn était en train de faire un gros effort pour se détendre et être naturelle : chose qui risquait d’être difficile, puisqu’elle n’avait plus vécu de moment semblable depuis un lustre et demi. Mais il fallait noter surtout l’effort ! « Je dors sur le canapé, par contre. J’ai trois fois plus l’habitude que toi de dormir dans des endroits improbables, alors surtout ne me fais pas la carte du parfait gentleman suédois. » Voilà qui la mettrait bien mal à l’aise… car là encore, dans son métier, il n’y avait guère de différence homme-femme. Ils se traitaient tous de manière égale, n’hésitait pas à s’entraîner ensemble et à se mettre dans des états impossibles « au service de leur art ». De toute évidence, Mikaël allait sûrement être soulagé de ne pas devoir faire de chichis de ce côté-là ; d’ordinaire, il s’agissait de la hantise masculine face à la gent féminine. « Si j’ai accepté de venir dans ce taudis, ah bonne question. C’est vrai que comme palace, on peut repasser. Mais d’un autre côté, ça m’évite d’avoir à faire l’effort de séduire le premier crétin friqué venu… je plaisante, ne prends pas tes désirs pour des réalités Casanova !! » Lynn se permit d’éclater d’un rire cristallin et sincère : jouer avec les interdits et surtout sur les potentielles gênes d’autrui avait toujours été sa spécialité.

« Tu veux le canapé? Eh bien je ne t'en remercierais jamais assez, mon lit est honnêtement le seul engagement fidèle que j'ai, je me dois de respecter ça.» Il était même contente de ne pas à avoir encore à faire le parfait gentleman avec la jeune femme. De nature c'était quelqu'un qui connaissait les conventionnalités, il était toujours piqué par son éthique et sa morale si il faisait quelque chose de travers. Mais au fond, c'était un gros flemmard, égoïste, qui pouvait parfois même rester plusieurs jour comme séquestré dans sa grotte sans ne jamais voir personne. En fait c'était assez mitigé, il aimait la compagnie, mais d'un côté aimait la solitude. Mikaël ne savait pas comment appeler cela, il se considérait seulement "adaptable". La jeune femme aimait cette pizza? Parfait! Il n'aurait sûrement pas rappeler le livreur pour changer selon les goûts de madame. Non, ce soir l'ambiance "fricotis-fricotas je danse avec toi" n'allait pas être au rendez-vous. Il était totalement séché de la précédente nuit et n'avait toujours dormi. Ce qui le mettait sans précédent d'une véritable mauvaise humeur. Quel grognon quand il le voulait, ce suédois. Ils s'affala de la façon la plus grossière sur son canapé, allant presque jusqu'à bousculer la brune volontairement.
« Je t'autorise l'appel à l'ami. Mais tu as une minute pour trouver mieux qu'ici. » Sa voix était enrouée et sa tête complètement enfoncée dans le coussin de l'angle, il ne s’empêchait pas de sourire. « Perso', je prendrais l'appel au cabinet de massage pas trop loin d'ici. J'ai entendue dire que les masseuses viennent à domicile, ça fait rêver hein? »
Mike' n'avait absolument pas l'intention d'attirer Lynn dans ses filets une deuxième fois. Il ne voulait surtout pas qu'elle prenne cette remarque comme une avance particulière alors que c'était une sorte de tentative (ratée) humoristique d'un ami, à un autre ami. Il ne cachait pas vraiment le fait que si ce qui s'était passé la nuit dernière devait se reproduire, il ne dirait jamais non. C'est un homme après tout, parfois même il pensait avec son sexe. Mais une fois de plus, conventionnalité et respect. Lynn était mal à l'aise ici, c'était dingue parce qu'il avait une sorte de supériorité sur elle, pour la première fois. Mais il n'en jouerais pas. Ce n'était pas quelqu'un de méchant, ou même manipulateur (quoi que, parfois?), il se voyait comme un gros nounours trop docile d'ailleurs. Puis il se rappellait de leur conversation la veille, le dossier, les questions sur le passé... « Tu as pensé quoi de mon parcours en Suède? Tu ne m'as même pas dit, avec ton point de vue de personne extérieure : est ce que j'ai fait le bon choix? » Il y avait derrière cette question un gros complexe. Souvent, ses proches lui avaient reprochés ce qu'il avait fait. Pensant toujours qu'il avait eu la bonne réaction face à ce dilemme, il n'avait été que rarement déçu. Mais parfois, il y repensait, et sentait qu'il y avait encore de l'eau sur le feu.

Lynn éclata de rire : il espérait la rendre jalouse ou furieuse avec cette manœuvre ridicule ? Cela dit en passant, pas sûr qu’elle reste s’il voulait prendre du bon temps, question d’éducation. Il n’était pas question qu’elle soit désespérément à la recherche de boule Quiès pour éviter d’en prendre plein les aises-gourdes, elle n’était pas là pour ça. Comme si son sommeil n’était pas suffisamment agité d’ordinaire ! « Joyeuse manœuvre pour traiter une fille de demoiselle facile, j’applaudis des deux mains ! » lança-t-elle, faussement vexée. Lynn était un électron libre, incapable de se poser plus de deux minutes au même endroit… impossible pour elle de lier quelque relation que ce soit avec n’importe qui. Même ses rencontres éphémères avaient tendance à se faire rare du fait qu’elle n’avait ni l’esprit ni le temps pour profiter d’un moment agréable. Hier… sans aller jusqu’à dire qu’elle avait fait une cruelle erreur de jugement, il fallait surtout mettre son comportement sur le compte de l’alcool. Sans quoi, jamais elle n’aurait été aussi tactile, avenante ou même rentre-dedans, c’était mathématiquement impossible. « Mais si tu souhaites prendre du bon temps avec une jolie masseuse, nous sommes en démocratie, fais-toi donc ce plaisir ! A ceci près que tu m’excuseras, mais je ne compte pas tenir la chandelle si tel est ton bon plaisir mon coco. Ce serait crétin et complètement inutile de ma part. » Mais elle ne l’en empêchait pas. Il était chez lui et jusqu’à preuve du contraire, elle allait crécher sur son canapé pour cette nuit en attendant d’avoir une solution meilleure lui tombant sous la main ; Quelque part, son esprit était déjà en train de chercher. Les situations la mettant mal à l’aise n’étaient aucunement acceptables à son humble avis et il n’était pas question qu’elle reste à se torturer cent sept ans… surtout avec la question qui lui tomba bientôt sur le coin du nez et lui arracha, il fallait bien le dire, une large expression de surprise.

« Après avoir fait ton fiérot tu veux vraiment avoir mon avis sur la question ? » Non seulement il ne connaissait pas son point de vue général, mais en plus il s’aventurait sur un terrain dangereux. D’ordinaire, Lynn avait une façon de voir les choses relativement tranchée. Elle taillait dans le vif en se moquant complètement des conséquences, toute prête qu’elle était à les gérer par la suite… mais là, c’était différent. Elle n’avait rien à perdre à lui répondre, surtout que cela ne la concernait en aucune façon. Elle s’enfonça donc davantage dans le canapé, ragaillardie par cette question impromptue qui lui arracha ni plus ni moins un large sourire amusé. « Tu ne devrais pas te faire dicter ta question par les avis de Pierre, Paul ou Jacques… mais si tu veux vraiment mon avis, je pense que tu as pris la bonne décision. Il y a un moment où il faut savoir se déraciner, prendre sa vie en main et chercher le changement ailleurs. Tu as juste su partir au moment opportun. Je te l’ai déjà dit, si quelqu’un ne veut pas de toi, même si tu as envie de t’arracher le cœur de la poitrine plutôt que d’affronter cette vérité, alors il n’en vaut pas la peine et ne te mérite pas, c’est tout. En sachant ça, effectivement, tu as pris la bonne décision. Surtout que tu ne m’as pas prouvé que tu aies l’air malheureux dans ta vie ! » A moins que les apparences ne soient vraiment trompeuses. Mais quelque part, ce n’étaient pas ses oignons. « Pourquoi me demander ça à moi ? »

Mikaël se s'empêcha pas d'écouter la réponse de son interlocutrice avec attention. Le pauvre garçon avait besoin d'être rassuré, besoin d'être caressé dans le sens du poil. Que ce soit par une personne inconnue ou par un ami proche. C'était même déstabilisant de savoir à quel point ce garçon fort, imposant qui semblait charnu de tout les côtés pouvait être faible à ce point. Il en avait même honte, honte de devoir se rassurer mentalement avec l'avis de cette femme qui au fond, à part avoir feuilleté un dossier de façon objective ne savait vraiment rien de lui. C'est vrai que le jeune homme était aussi de quelques façons très lunatique, il changeait d'humeur d'une seconde à une autre sans même en prendre vraiment conscience. Dur de tenir le fil d'une conversation sans lasser son adversaire ou le rendre réticent à l'échange.
« Pour briser la glace. Sinon on va rester toute la soirée à se regarder dans le blanc des yeux de façon grisante. » Bien que ce ne soit pas la raison prédominante, il ne mentait pas non plus en lui répondant cela. Le silence n'était définitivement quelque chose qu'il savait supporter, et à chaque fois qu'il y était confronter, il avait le souvenir de cette scène sortant tout droit d'un de ses films préférés. Il avait gardé un critère important quant au choix de sa future compagne : quand les silences ne seront plus gênants, c'est que ce sera la bonne. C'était le cas avec Erika, et aujourd'hui il se forçait d'être quelqu'un de bavard et de talkative bien que son plus grand désir serait d'être seul, sans ne jamais avoir à utiliser les mots avec pour exception l'écriture.

Il coupa sa réflexion intensive pour aller ouvrir la porte de son appartement. Le livreur était déjà là, il glissa un billet dans sa main et attrapa la pizza de l'autre.
« Si tu sais dormir un canapé, tu sais manger avec les doigts aussi. » Il lui lança à moitié une part énorme qui dégoulinait de fromage. En deux temps trois mouvements il avait fini le premier morceau de son met délicieux. Et il ne pouvait s'empêcher de ce poser un problème. Tout en s'essuyant les mains, la bouche et en ouvrant une nouvelle bière, il prit une place confortable posant ses coudes sur ses jambes. « Tu dis que tu ne peux pas t'attacher, tu n'as pas le temps. Que tu pars, reviens et n'a jamais l'occasion de t'arrêter. » Il prit une inspiration en s'essuyant le coin de ses lèvres de son pouce et index. « Pourquoi tu ne profiterais pas simplement de tes escales sans te soucier de certaines répercussions, sans te soucier de ce que sera ton avenir? » Il savait bien que cette fois ci ses paroles n'était pas sans messages. Et il n'essayait plus de la cacher. Pourquoi nier ce qui était arrivé la veille? Et pourquoi ne pourraient-ils pas renouveler la donne? Lynn elle même avait semblé des plus vexée lorsqu'il avait nié l'évènement, alors le contraire serait sûrement plus agréable à ses yeux. Et d'un côté, c'était bien difficile de ne pas profiter d'une présence féminine, surtout de celle-ci. Si il savait démentir des faits avec brio, il ne pouvait pas le faire quand il s'agissait de dire que cette femme lui plaisait. Elle était même une des personnes les plus intéressantes avec qui il avait interagit dernièrement. Et sa poisse habituelle faisait que c'était aussi un être avec les défauts les plus encombrants.
« Ne me regarde pas comme ça, je ne peux jamais éteindre la petite lumière là-haut. » Il montrait sa lanterne avec une petite moue. « D'ailleurs, on ne devrait même pas réfléchir dans certains moments. »

Lynn n’était pas « prout-prout » au point de rechigner à manger avec les doigts, bien au contraire. D’autant qu’elle était née au Canada, où le fait de manger une pizza n’est pas rare. Dans son métier, elle n’avait pas plus le temps de cuisiner que de côtoyer la race humaine en général. Elle se délecta donc d’une part généreuse de ce met délectable, sans se soucier du fait que Mikaël allait bientôt revenir à la charge, comme s’il voulait lui faire passer un message, ou pire, la pousser à se confier sur sa petite personne. Elle lui lança donc un regard surpris dans un premier temps, avant de peser correctement ses mots pour qu’il ne prenne surtout pas sa réponse comme une attaque caractérisée… il n’était pas responsable de la personne qu’elle devenait une fois sur le terrain, et qu’elle restait après être revenue de l’enfer. Le fait est que Lynn avait beaucoup de mal à se laisser aller à faire confiance à autrui, ne serait-ce que pour quelques minutes. Le moment de la veille était vraiment quelque chose d’exceptionnel et de rare. D’autant plus qu’elle connaissait tout de même une large part de la vie du jeune homme et qu’il faisait partie de la mission qu’elle se devait de mener à bien. « J’y parviens quand je ne connais pas du tout la personne et que je sais qu’elle ne sera jamais mêlée à quoi que ce soit ayant un rapport avec ma vie ou mon métier. Sinon… je cogite, c’est obligé. » Certes, elle savait être une femme d’action les trois quart du temps, mais pour le reste, Lynn était incroyablement cérébrale. Impossible de mettre son cerveau sur off ou de cesser de se poser des questions. Elle n’avait de cesse de s’en poser depuis que Mikaël avait quitté son appartement, d’ailleurs. Il ne s’en rendait sûrement pas compte, mais cela ne voulait certes pas dire que ce n’était pas le cas. « Plus sérieusement, je ne suis pas, mais alors pas du tout comme toi. Je ne crie pas sans arrêt qu’une grande histoire m’est impossible et bla et bla et bla. Je sais très bien que j’en suis capable et c’est bien ce que je cherche à éviter. Je sais qu’en partageant ne serait-ce qu’une minute un tant soit peu exceptionnelle avec quelqu’un, je serai capable de flancher. Me mettre à nu. Redevenir cette demoiselle romantique et profondément humaine que j’étais avant d’être recrutée. De redevenir cette personne que j’étais quand James était encore en vie. Mais ça, ce n’est pas possible. Justement parce que je peux partir et ne jamais revenir… et donc, je me sentirais bien trop coupable de laisser qui que ce soit derrière moi. C’est ridicule de dire que l’on est en mesure de se donner à cent pour cent à quelqu’un sans jamais s’attacher émotionnellement. Il y a toujours des complications. Alors je les évite. »

Ce n’était pas la solution la meilleure, surtout aux yeux de Lynn dont la solitude forcée finissait par lui taper sur le système et par la rendre même violente. Ses partenaires s’en étaient tous rendu compte : lors des entraînements, il n’était pas rare qu’elle soit virulente comme jamais si elle n’avait pas réussi à se dominer sur un autre terrain. Mais ça, Mikaël ne serait jamais en mesure de le comprendre : il n’avait pas la même vie. « Toi, tu peux fonder une famille, avec une vie simple et être disponible, mais tu refuses d’avoir tout ça. Je t’envie presque… la vie est une chienne, putain de mal faite ! » Mais rien ne l’empêcha d’éclater d’un rire cynique avant de se reconcentrer sur sa part de pizza n’attendant qu’elle.

Il était dur pour le jeune homme de faire face à la réponse de Lynn. Elle avait une fois de plus résumé de façon presque sèche sa vie actuelle. Il n'y avait aucun point commun à ce niveau entre les deux personnes. Elle avait même raison quand elle disait qu'il pouvait fonder une famille, qu'il pouvait avoir une vie des plus normale alors que qu'elle ne pouvait pas. C'était même presque comme une accusation aux yeux du suédois. Elle blâmait de ne rien faire de son quotidien alors qu'il en avait l'occasion, chaque jour. Mikaël l'interprétait de cette façon. Et il regrettait encore plus le fait qu'il ne pourrait sûrement pas dormir blottit contre cette femme. Il avait envie de la prendre dans ses bras, encore une fois, avant que la soirée se termine et qu'il faille redevenir quelqu'un de sérieux. Il le désirait vraiment, et tout en cherchant à le laisser transparaître dans ses yeux, il prenait une certaine distance. « Il doit bien y avoir des exceptions. Des cas qui échappent à cette règle et des relations qui ne prennent aucunes ampleurs et peuvent s'éteindre comme s'allumer à la vue de l'autre. » Encore une fois il tâchait de s'exprimer clairement, entre deux bouchées de pizza, de façon claire et transparente sans laisser paraître ses envies. Mikaël n'était pas qu'un homme à femme, il avait du mal à battre cette réputation qui lui collait à la peau. Il considérait même qu'il était beaucoup plus que ça, et allant jusqu'à se qualifier de "homme au coeur brisé par son seul et unique amour". Quelle fleur bleue! Si il avait cette convoitise ce n'était pas par frustration, c'était seulement parce que cette présence féminine lui plaisait. Et passer une nuit dans ses bras sans se remettre en question par le sexe, par l'alcool ou la dispute serait quelque chose des plus agréables. Il n'avait rien à attendre, rien à perdre mis à part son travail. Au final, ses attaches n'étaient pas plus importantes que celle de Lynn. Il y avait son chien aussi, qui n'avait même pas daigné montrer le bout de son nez. What else?

« Tu vas me prendre pour quelqu'un d'empressé. Quelqu'un qui regarde toujours ses arrières et qui fait aussi trop attention à l'avenir, sachant que ce trait de caractère ne te plait pas mais... Quand tu auras terminé cette mission, qu'en sera-t-il du pauvre nous qui a déjà du mal à exister? » Il soupira en s'étirant. Encore une fois il montrait ses faiblesses à la première inconnue venue s'installer sur son canapé, honteux Mikaël, honteux. Il grattouillait son menton et sa barbe de quelques jours de façon perturbée. « Non, mais... Je veux dire... Tu penses qu'après cela, on sera amener à se rencontrer une fois de plus? » Il aurait même été capable de jouer le jeu du parfait inconnu, de la croiser à au bar d'un restaurant New Yorkais, de l'aborder innocemment en lui tendant la main "Je suis Mikaël, enchanté". Et en même temps, rebelote, il voulait plus que tout au monde remonter le temps, et pouvoir changer ce qu'il avait fait auparavant. C'était quelque chose d'horrible, que de vivre dans la nostalgie.

« Je ne te demande pas de comprendre et encore moins de… » Mais il insistait. Il essayait de la pousser hors de ses derniers retranchements, ou de lui faire dire ce qu’elle n’avait aucune envie de dire, sans aucun doute. Lynn peinait à se concentrer sur son morceau de pizza rescapé, qu’elle fut contrainte de poser pour mieux écouter le discours de Mikaël : pourquoi diable refusait-il de comprendre qu’une relation sans lendemain ne l’intéressait pas ? La demoiselle avait fait le tour de la question, surtout avec les équipiers qu’on lui avait refilé. A force de devoir jouer à la femme mariée, entre autres rôles, Lynn avait fini par s’habituer à voir ses « époux » finir par être tués. Cette fin tragique finissait toujours par la frapper et la jeter cruellement dans une solitude qui était devenue sa compagne la plus fidèle par la force des choses. De toute évidence, le suédois ne pourrait jamais à l’amertume de cette colère sommeillant en elle. Certes, il avait été trompé, laissé de côté et se devait maintenant de vivre avec une rancœur qu’il avait sûrement du mal à supporter, mais ce fardeau ne pouvait pas devenir celui de la brunette. Pas alors qu’elle avait déjà beaucoup de mal à supporter ses propres corbeaux. « Nous ? » répéta-t-elle, incrédule. A vrai dire, elle ne savait pas s’il avait l’intention de la pousser juste dans ses bras pour quelques nuits furieuses, ou s’il attendait davantage. C’était bien là tout le problème : elle avait beaucoup de mal à cerner ses envies, aussi volatiles qu’un pâle matin de printemps frissonnant encore d’une brise nocturne trop rude. Elle soupira donc, allant même jusqu’à se passer une main contre sa nuque avant de s’emparer du menton du jeune homme entre ses doigts. Son culot avait suffisamment été démontré pour qu’elle y mette un terme. « Essaye plutôt de laisser passer un message clair au lieu de laisser de simples petits cailloux sur ton chemin, l’ami ! Ne t’attends pas à ce que je comble les trous manquants pour faire la traduction : je n’ai aucun don pour cela ni même l’envie de prétendre le contraire. Que cherches-tu, dis-moi ? A combler ta solitude en te préoccupant de tes petits plaisirs personnels, ou cherches-tu ce que cette femme t’a volé ? A savoir ta dignité, ton amour propre… tes sentiments les plus furieux dont tu te sens manifestement dépossédés ! »

La respiration de Lynn s’étaient accélérée alors qu’elle tenait fermement le menton de Mikaël entre ses doigts pourtant si fins, n’ayant cure du fait de lui faire mal ou pas. Tout ce dont elle avait besoin, c’était de réponses. Il finirait par les lui donner, ou elle considèrerait cette conversation comme terminée. Mais en attendant, ce fut la première à prendre furieusement les lèvres du jeune homme en otage, en un baiser qui n’avait strictement rien de romantique ou de délicat : cela laissait simplement exprimer sa fureur face au doute qu’il faisait naître dans son esprit. C’était un mauvais calcul… une fois en colère, il était très difficile de la maîtriser. « Je ne suis pas devin, je ne prédis pas l’avenir. Si un jour nos routes se croisent, qui sait. » Finalement, Lynn s’était écartée de Mikaël, le lâchant par la même occasion, avant de se lever du canapé et de se « réfugier » sur le balcon pour calmer ses ardeurs. L’air glacial de cette nuit sans étoile lui fit un bien indescriptible. Mais en attendant, son sang tonnait toujours contre ses tempes et elle se sentait prête à vaciller : au prochain accès de colère, il lui faudrait un très bon sac d’entraînement pour passer ses nerfs.

C'était une bien lourde tâche que de se faire comprendre quand on s'appelait Mikaël Strömblad, pourquoi dieu ne lui avait pas donné cette capacité de dire clairement ce qu'il pouvait penser face à une femme? Pour pas face à Lynn? Peut-être qu'il trouvait qu'elle en savait trop. C'est vrai quoi, elle connait tout son passé avec son premier amour, son changement de vie quand il avait décidé de quitter l'europe. Elle ne devrait pas savoir tout ces faits, cela aiderait le jeune homme. Si elle n'en avait pas lu une seule ligne, elle n'aurait pas un patron du caractère de Mikaël. Pas une idée de ce qu'il pouvait ressentir parfois et de sa faiblesse par rapport à son seul amour perdu. Il était bien maladroit d'avoir utilisé le pronom "nous" sans en chercher le sens le plus profond, et sans le vouloir, il montrait une facette de lui naïve et crédule. Lynn n'était pas dans la même optique, et c'était entièrement compréhensible. Elle n'avait pas les mêmes attentes que le garçon, pas les mêmes expériences de vie, bien qu'elle soit tout aussi seule. Pas le temps d'ouvrir la bouche, sauf pour laisser la brune déposer violemment ses lèvres sur les siennes. Pas le temps de répondre non plus, la brune s'était enfuie pour affronter le frais de l'air pur.
« Va te coucher Mikaël... » Il avait parlé à voix haute, mais pas assez fort pour que sa voix se porte jusqu'au balcon. La nuit était triste, bien plus que celle de la veille. L'euphorie de transformait en une série de question, question qui lui semblait existentielle. C'était un moment horrible, auquel le jeune homme se laissait prendre. Comme un certain cercle vicieux, une fois de plus il laissait ses vices le pousser dans une réflexion malsaine. Pourquoi se poser autant de question? Lynn avait déjà apporté toutes les réponses nécessaires, et si il avait besoin de sa compagnie une nuit de plus, alors pourquoi le cacher? Se levant péniblement, il arracha les quelques dernières gorgées de sa bière rapidement et partit rejoindre sa camarade.
Le vent soufflait de façon irrégulière. Ce n'était pas désagréable, juste créateur de quelques faibles frissons qui s'emparaient de sa peau. Il entoura le corps fin de la jeune femme tournée la tête vers les lueurs urbaines. Ses bras exercèrent une légère pression pour coller le corps de Lynn contre le sien, laissant sa tête s'appuyer sur son épaule féminine. Elle n'avait pas spécialement froid mais sa peau semblait glacée, dans un dernier soupir il laissa ses envies naître sur des mots :
« Dors avec moi... » Mikaël n'aura cesse de dire que les femmes sont ses seules faiblesses. D’abord elles lui enlèvent tous ces moyens, mais en plus il ne sait résister au charme qu'elles diffusent dès qu'il respire le même air qu'elles. C'était d'autant plus fort que cette femme, ici, était Lynn. Il la retourna délicatement en gardant un contact avec ses yeux brillants.
« Je n'en demande pas plus, pas plus qu'un au revoir quand tu partiras à nouveau. Et sûrement pas plus qu'une nuit dans tes bras. Après, tu en fais ce que tu veux, je ne suis pas ton maître et je ne prétend pas l'être. » Il y avait comme une crainte dans sa voix, toujours il cherchait à la caresser dans le sens du poil, à ne jamais sembler odieux ou vexant. Si il prétendait la posséder il était conscient que ce n'était pas le cas, pas question d'être prétentieux face à une présence pareille.
« Mais profitons de ces quelques instants, pas question de regretter de t'avoir laissée partir sans en avoir profiter. » Son visage s'illumina d'un sourire.

Un long frisson avait parcourut l’échine de Lynn. Cela faisait une petite éternité qu’elle n’avait plus ressenti cette simple sensation autrement que lors d’une mission commando, arme à la main, une puissante adrénaline s’écoulant dans ses veines de braise. A aucun moment elle n’émit le moindre son, conservant un sérieux contraint afin de s’imprégner de chacun de ses mots. Une nuit, une seule. Être réconfortée dans les bras de quelqu’un sans rien attendre de lui allait être une grande nouveauté pour elle… mais d’un autre côté, c’était tentant. « Tentant » murmura-t-elle d’un léger air malicieux ne voulant pourtant strictement rien dire. Du moins cela avait-il été tentant jusqu’à ce que son téléphone portable ne se mette à sonner bruyamment dans le salon : du moins suffisamment fort pour qu’elle ne parvienne à l’entendre et ne doive mettre fin à ce charmant petit intermède. « Désolée… je vais tâcher de conclure au plus vite. » Elle s’empressa néanmoins de prendre la main de Mikaël pour l’inciter à revenir à l’intérieur : il n’était pas utile qu’il se caille les coconuts à l’extérieur alors qu’elle était contrainte de prendre tout appel survenant de son téléphone, à toute heure du jour comme de la nuit. Sauf que le numéro la surprit : elle ne s’était pas du tout attendue à être « dérangée » par la personne en question. La voix de Lynn prit une teinte nettement plus douce, plus avenante, presque marquée par une sorte d’inquiétude ne lui ressemblant pourtant pas. Ses mots étaient mesurés, calmes, presque rassurants. De quoi surprendre lorsque la seule image que l’on possédait de la piquante espionne restait celle d’une femme ardente, calculatrice et capable de jouer n’importe quel rôle. Depuis quand se préoccupait-elle réellement d’autrui ? Tout dépend s’il s’agissait de sa petite sœur ou pas. Aussi ne fut-il pas étonnant de la voir soupirer et se passer une main contre son visage, incrédule face à la situation : pour le coup, c’était plus que tentant de proposer cette sorte de mission commando au beau suédois…

« J’ai une mission pour toi, si tu l’acceptes bien sûr. Tu peux dormir avec moi, passer une dernière nuit ET en apprendre plus sur la personne que je suis… mais il va falloir que tu me suives. » Et, très accessoirement, qu’il accepte qu’elle le conduise au moyen de sa magnifique moto. Mais ça, elle se garda bien de le lui dire avant de l’inciter à la suivre, pour mieux finir par lui tendre un casque. Ce geste n’aurait souffert d’aucun refus : ils seraient plus discrets ainsi plutôt qu’au volant de la voiture de Mikaël, elle en était certaine. Ce n’était pas exactement comme s’ils allaient en terrain conquis, ou même connu. Même si sa magnifique bécane fut arrêtée devant un véritable hôtel particulier, au jardin absolument sublime et très hautement surveillé. L’entrée était déjà un régal pour les yeux, mais le hall était une œuvre d’art à lui tout seul. Après tout, Lynn avait dû taper pas moins de trois codes changés toutes les trente minutes pour réussir à les faire pénétrer… « Je suis certaine que tu te poses mille questions, alors je vais déjà te répondre sur la plus évidente : nous sommes chez ma mère. Ma mère qui est très accessoirement mon chef, général de la CIA. C’est la raison pour laquelle il est impossible de rentrer ici quand on n’est pas de la famille. Bref… pourquoi je t’ai amené dans ce petit palace ; pour être honnête, je ne sais pas. J’évite de venir quand elle est là. Mais il se trouve qu’elle est à Londres pour deux semaines. Résultat, elle laisse la « garde » de ma sœur à un illustre abruti qui l’a laissée toute seule. C’est ça, la vraie raison de ma présence ici. Je vais juste m’assurer qu’elle est bien au lit, et je reviens. » Plus par réflexe qu’autre chose, elle déposa un baiser léger comme une brise sur les lèvres du jeune homme : elle monta à l’étage en deux temps trois mouvements et, par une chance incroyable, sa petite sœur s’était déjà endormie. Lynn redescendit donc aussi vite qu’elle était montée, partant du principe que Loula hurlerait en cas de pépin. « Je peux t’offrir un verre d’un alcool que tu ne boiras jamais ailleurs et… un passage dans un jacuzzi, aussi, accessoirement. J’suis sûre que je peux te trouver un maillot de bain. Et pour me faire pardonner de t’avoir privé de ton lit d’anthologie dont tu ne peux manifestement pas être séparé, je veux bien répondre à trois questions. A prendre ou à laisser. » Lynn conservait un air légèrement mutin : au fond, elle adorait cette maison. Ce qu’elle détestait, c’était juste sa mère.

Cette soirée penchant à être une des plus banales de sa vie se transforma en quelque chose de beaucoup plus palpitant. A croire que quand ça touchait à Lynn Maryweather, tout était plus excitant. Il ne rechigna pas quand elle l'acheta avec quelques promesses, sachant comment toucher le garçon, et il n'ouvrit même pas sa grande gueule quand elle tendit un casque en sa direction. Se laisser mener le bout du nez par cette femme? D'accord, mais pas trop souvent tout de même. La surprise était d'ailleurs de taille, en quelques secondes Mikaël apprit que la jeune femme avait effectivement une mère, et encore plus! Elle avait même une soeur et un palace géant tout droit sortis d'un énième scénario de film. Décidément. L'étonnement du suédois était lisible sur les traits de son visage "général de la CIA" "ma mère", tout se bousculait bien trop rapidement. Mais encore une fois cette brune sournoise su comment tourner la situation en sa faveur, pas plus compliqué que trois mots : "alcool", "jacuzzi" et "question". Après tout, ne l'oublions pas, ce ferveur en vodka était avant tout un journaliste qui s'espérait doué, avant d'être un alcoolo coureur de jupon.
« Je me demande si j'ai vraiment besoin d'un maillot de bain !» Il ricanait presque et laissa ses ultimes faussettes faire office de décor sur son visage éclairé. Comment ne pas trouver un bout de tissu à mettre dans cette immense demeure? Il devait même y avoir les choses les plus absurdes qu'on puisse trouver dans une maison. Dont un bout de la famille de la dite plus absurde femme qu'il n'ai jamais rencontré. C'était inévitable, le fouineur Mikaël voulait connaitre le visage de sa soeur, son nom,, et son âge. Il était comme réduit à un spectateur, devenant soumis à l'envie d'en savoir toujours plus.

Le suédois ne se fit pas attendre, il se glissa sans plaintes aux côtés de sa charmante compagnie, dans ce bain à remous qui en plus d'être gigantesque comme tout ce qui se trouvait sur ces lieux, était aussi très chaud. Placé sur une terrasse en extérieur donnant sur une vue plus belle que celle qu'il obtenait depuis son appartement (et il l'admettait), c'était juste l'endroit rêvé de tout romantique invétéré. Il manquait seulement quelques pétales de roses pour parsemé l'ambiance de la façon la plus ridicule. Attendant simplement qu'elle décidé de lui servir un verre, il fallait bien que la femme retrouve sa place!
« Donc j'ai trois questions, pas une de plus? Je vais tâcher de trouver les mots justes, histoire de te soutirer le plus d'informations possibles. » Il attrapa avec un ultime sourire son verre et émit quelques onomatopées pour souligner sa réflexion.
« Tu as combien de compte en banque? » Mikaël rigolait presque puisque cette question n'avait vu la vie que parce qu'il était encore sous le choc de voir un tel palace. Espérant qu'il n'avait pas grillé une de ses opportunité d'en savoir plus sur cette mystérieuse brune, il enchaîna : « Ce n'est pas une véritable question mais... Je veux tout savoir sur tes parents. Et sur ton enfance, on a une partie de la nuit, right? » En plus d'apprécier la compagnie de Lynn, il aurait pu se faire à ces petits baisers qui découlait de nul part. La routine qui aurait pu naître de leur relation était elle-même alléchante. Décidément, Lynn était un remède pour le garçon.

Tout en levant les yeux au ciel face au début de discours de Mikaël, Lynn devait avouer ne pas être surprise deux minutes face à ses essais lamentables en vue de lui soutirer autant d’informations que possible. Hélas, il oubliait qu’elle avait été entraînée pour supporter les pires tortures, et qu’elle ne serait pas si aisée à décoincer, au moins à ce niveau là. Mais bien loin de prendre cela au drame, elle lui servit un scotch d’au moins vingt-cinq ans d’âge, de la cuvée exceptionnelle conservée par sa mère pour les grandes occasions, avant d’ôter son t-shirt ainsi que son jean pour mieux pénétrer dans l’eau en sous-vêtements. Manifestement, une flemme soudaine s’était emparée d’elle et la piquante brunette n’avait aucune espèce d’intention d’aller s’occuper de fouilles archéologiques en vue de trouver un véritable maillot de bain… elle n’hésita donc pas à éclabousser légèrement Mikaël, comme pour le « punir » de la perfidie dont il faisait déjà preuve et qui allait certainement lui jouer des tours au cours de cette soirée. Cependant, Lynn restait une femme de parole et puisqu’elle lui avait promis des réponses, il était certain de les obtenir… au moins en partie. Après tout, il y avait tellement à dire sur sa vie qu’une seule nuit, si longue et délectable soit-elle, ne saurait y suffire. « On va éviter de revenir sur cette petite digression au sujet d’un pognon qui n’est, somme toute, même pas le mien ! Pour se concentrer sur la vraie question… » Où commencer, c’était ça la grande question pour la brunette. Un commencement pouvait être privilégié par rapport à un autre, mais le cheminement ne serait alors pas le même que si elle débutait d’une autre façon. De plus, ses parents en eux-mêmes étaient une véritable mine d’information. Tous deux d’un métier semblable, tous deux aussi différents que le jour et la nuit. Et pourtant, non sans grande surprise, Lynn avait pris des deux, bien que son père soit très nettement prédominant au niveau de son caractère. « Je suis la fille d’un canadien et d’une monténégrine. D’un côté, un responsable de commando d’élite, de l’autre, un général de la CIA comme je te l’ai dis tout à l’heure. Je ne pense pas m’étaler énormément sur ma mère… il n’y a pas grand-chose à en dire, d’autant qu’elle et moi n’avons jamais été proches. Elle était souvent absente, il faut dire. En revanche, j’ai toujours été très proche de mon père, qui espérait un garçon quand je suis née. Il m’a aidée à me renforcer et bien qu’il ait lui aussi été souvent absent, il était mon modèle. Quelqu’un d’aussi formidable, il ne peut pas en avoir un autre sur terre. Bourru, têtu comme une putain de bourrique, mais quelqu’un de capable d’aller au bout du monde pour te tirer de la merde. Et je sais qu’il a toujours cru en moi. Malheureusement, quand je n’avais encore que seize ans, il n’est pas rentré de sa dernière mission. Disparut, parti. Tout le monde l’a cru mort, et c’est à partir de là que j’ai vraiment, mais vraiment commencé à merder. C’est un peu comme si j’avais perdu la meilleure partie de moi-même. »

Lynn marqua une légère pause, tandis qu’elle cachait son émotion avec un brio à couper le souffle. Cela ne l’empêcha pas de caler ses bras contre la paroi du jacuzzi et de se mettre à regarder le plafond, devenu soudainement d’un intérêt captivant. Cela lui permit de reprendre… « Pendant des années, j’ai dû apprendre à faire sans lui. J’ai fini de me construire seule, et finalement, ma mère a réussi à m’enrôler. Je n’ai appris la vérité que deux mois plus tôt. J’ai su que mon père n’était pas mort, mais retenu prisonnier depuis des années au fin fond de la jungle birmane. J’ai terminé ma mission en cours en quatrième vitesse, demandé de l’aide à ses anciens hommes et je suis partie là bas pour le sauver. C’était une mission suicide et j’en avais tout à fait conscience… d’ailleurs, j’ai été gravement blessée là bas. Mais je l’ai ramené. J’ai fais exactement ce qu’il aurait fait pour moi si j’avais été dans la même situation : je suis allée au bout du monde pour le tirer de la merde. » Lynn haussa soudainement les épaules, ne se mettant à reposer ses impressionnants yeux noirs sur Mikaël qu’à ce moment là. Elle agissait comme si rien de tout ceci n’avait d’importance, comme si ses confessions étaient normales… mais si elle prouvait être quelqu’un capable de sauver un être proche même au péril de sa vie, elle prouvait par a+b que son existence n’avait jamais été réellement stable. « Je pense que j’ai dis tout ce que j’avais à dire sur la question… quant à mon enfance, il n’y a pas grand-chose à en savoir, crois-moi. Dernière question en tête ? » Mais avant, la brunette se permit de se rincer légèrement le gosier au moyen d’une gorgée de cette œuvre d’art de scotch. Il fallait bien se redonner contenance : parler d’elle était nettement plus difficile que ce à quoi elle ne s’attendait. « Je sais que je n’ai pas une famille normale. Mais si tu veux prendre tes jambes à ton cou, je comprendrai et ne serai même pas choquée. »

Mikaël n'avait pas ouvert la bouche, laissant à Lynn tout le silence possible pour diffuser son monologue comme il se le devait. La jeune femme, derrière ce masque d'objectivité et de devoir était surtout une petite fille délaissée. Qui avait perdu son plus grand model et une partie de sa raison de vivre très jeune. Il ne pouvait pas comprendre ce traumatisme. Il ne pouvait même pas la soutenir dans ses choix, puisqu'elle avait toujours acceptée cette vie, et les règles qui lui étaient imposées. Il possédait par contre la capacité de l'écouter avec dévouement, de dévorer ses informations afin de reconstituer un puzzle. Prendre ses jambes à so cou? Pas encore, pas suffisant. Les propos de la jeune femme n'avaient fait qu'attiser la curiosité du suédois, ses sens étaient en éveil et il trouvait le sujet questionné encore plus intéressant. Qu'est ce qu'il y avait de plus intriguant qu'un sujet avec un passé aussi lourd? Et hormis ses termes objectifs, il ne voyait en Lynn qu'une magnifique femme, différente certes, et c'était bien là que se situait tout le charme.
« Ne m'oblige pas à réagir ouvertement à tes précédentes réponses. Je serais gêné, puisque je n'ai rien de comparable à partager. Et puis, je n'ai surtout rien à dire...» Il soupira presque, sentant une certaine honte grandir sur ses traits et à l'intérieur de lui. Il ne se sentait pas à la hauteur, alors qu'il n'y avait même de complexe à avoir face à ce contexte, stupide. Maintenant, il devait jouer l'ultime question, et ne savait pas comment s'y prendre. Il arriverait sûrement à continuer ses recherches, si seulement il pouvait la voir plus d'une fois avant qu'elle ne reparte il ne savait où.
« Je pouvais jouer sur ton passé, encore une fois. Mais j'ai l'intuition que j'en ai déjà assez de côté. Dis moi... Tu te vois où, dans 10 ou 15 ans? Avec qui? Dans quelle genre de situation sociale? Projette toi. »
Mikaël ne voulait pas qu'elle le prenne comme une personne egocentrée, bien qu'il le soit et l'assume, cette fois ci devait être axée sur la jeune femme. Aussi il prit une première gorgée du scotch que la brune lui avait servit. Manifestement il ne serait jamais confronté à des breuvages de basses qualités. En seulement deux soirées, il avait eu la chance de goûter aux talents de barmaid de la canadienne, talent qui n'étaient absolument pas factices. « Tu m'en met plein les yeux avec ton scotch ma chère, j'espère trouver quelqu'un qui m'offrira l'opportunité de me détendre dans un jacuzzi avec un verre à la main chaque week-end de mon existence. » Et même maintenant il ne pouvait pas se séparer de sa célèbre touche humoristique. Parfois même il avait pensé à abandonné son travail et finir marier à une vieille femme à la grande fortune. Dans la suite logique des évènements il aurait hérité de son argent, après l'avoir horriblement assassinée et acheté les juges. Mais cela ne restait qu'une pensée qui avait traversé son esprit pendant quelques secondes, il aimait tellement son travail qu'il serait incapable de le quitter pour un oui ou pour un non.
Heureux, c'était le mot qui décrivait le moment qu'il vivait. Ce n'était pas dans la même euphorie que la veille, pas question d'alcool coulant à flot dans son sang, il était lucide et ses méninges fonctionnaient de façon totalement normale. Le moment présent était juste divin, et il savait pertinemment qu'il le regretterait au moment même où il prendrait fin. C'est pourquoi Mikaël gratifia la belle brune à ses côtés d'un doux baiser, qui aurait pu être qualifié comme un "merci".

« C’est beau de croire à la poupée qui tousse ! » ne put-elle s’empêcher de lâcher en un éclat de rire, avant de s’enfiler une nouvelle gorgée de ce scotch d’anthologie tout à fait méritée. A vrai dire, son avenir était tout tracé si elle continuait le même métier, sous les ordres du même général sans jamais s’écarter de ce que l’on pourrait appeler « son droit chemin ». Mais cela ne l’empêchait jamais de rêver. Son esprit indomptable était le premier à vagabonder hors des sentiers arpentés habituellement, et l’ardente brunette espérait, dans le fond de son cœur recouvert de pierre, que ses moindres souhaits ne finissent par se réaliser. Un espoir de fou, sans nul doute, mais peut-être Mikaël serait-il capable de la comprendre maintenant qu’elle tâchait de laisser son épaisse carapace de côté. Peut-être n’étaient-ils destinés qu’à ne plus vivre qu’une seule nuit, mais il fallait que celle-ci soit digne de rester dans les mémoires. « Vois-tu, je ne sais pas si tu as eu l’occasion de te balader en dehors de New York depuis ton arrivée, mais il y a une sorte d’immense lac à quelques kilomètres. Une minuscule parcelle de contrée sauvage, particulièrement verdoyante, qui me rappelle étrangement le Monténégro. J’y ai gagné un terrain assez impressionnant, donnant sur ce même lac, en ayant une main très, très chanceuse au poker. Bien sûr, je ne pourrai sûrement jamais faire autre chose que mon métier instable, qui m’empêche d’avoir ne serait-ce que l’envie de défaire ma valise, mais si je le pouvais, je ferais construire une baraque là bas. Vue sur le lac dès les premiers rayons du soleil, l’impression de ne plus être en ville mais dans un endroit plus pur que n’importe où… ce serait ça, mon plus beau rêve. » Certes, cela ne répondait qu’à moitié à la question du jeune homme, mais il n’allait pas se plaindre de recevoir des informations supplémentaires, c’était impensable. Elle l’imaginait très attentif au contraire. Et aussi vrai que son visage s’était teinté d’une sorte de douce nostalgie, Lynn regardait le vague, sans jamais fixer ses yeux si sombres histoire de ne s’en projeter que mieux dans l’avenir.

« Je ne sais pas si je serais avec quelqu’un à ce moment là, mais peut-être que j’essayerai d’avoir des enfants. Par adoption, insémination, que sais-je, je me connais je suis très débrouillarde. J’en serais malade si jamais mon nom finissait par se perdre. Alors je ne serais sûrement pas mariée, vu que cela ferait bouillir ma mère de rage, mais par contre je me vois très bien choisir ma propre famille. Ma vie. Toujours dans la même baraque dont j’ai déjà dessiné les plans, juste au cas où. » Mais pour revenir sur terre, Lynn ingurgita la totalité de son verre de scotch restant. Il ne fallait pas se perdre trop facilement hors de ces fameux sentiers battus, moult connus par la demoiselle, et qui, malheureusement, risquaient de le rester pour un très long moment encore. « Ne fais pas preuve de cynisme, ce n’est qu’un stupide rêve. D’autant que ce n’est pas demain la veille qu’il se réalisera, ayons les pieds sur terre ! Mais à mon tour désormais puisque ton crédit de question est passé : projette-toi. Dix ans, vingt ans, deux mois… le timing que tu souhaites. » En passant à côté de lui, elle ne l’avait pas gratifié d’un nouveau baiser, laissant ce genre de marque pour un moment fugace, inattendu, extraordinaire. Néanmoins, elle caressa sa joue du bout de ses doigts fins juste avant de déposer son verre contre la paroi du jacuzzi : Lynn n’avait jamais été très tactile. Mais pour une raison inconnue, elle le deviendrait presque en sa présence.

Il y avait presque une légère mélancolie naissante dans les yeux du jeune homme, tandis qu'il écoutait avec un intérêt assidu les propos de la belle brune. Il était pleinement satisfait de sa réponse, pour la première fois depuis leur rencontre la jeune femme avait les yeux brillants de sincérité, elle révélait un trait de sa personne que Mikaël semblait apprécier. Pas question de carapace professionnelle, plus de manteau de fer, c'était le moment de se mettre à nu. A prendre au premier, ou au second degré.
« Je pensais que c'était la nuit où je serais le seul à poser des questions! » Il aspira une grande bouffée d'air en réalisant qu'il n'avait pas fumer de clope depuis quelques temps, à son échelle. « Quoi qu'il en soit, si on parle de lac alors je me vois bien te dire que dans une vingtaine d'années je serais, dans un fauteuil, mon ordinateur sur les genoux, entouré d'une gigantesque véranda éclairée, entrain de confectionner un roman. » Il souriait rien qu'à l'idée d'y penser. C'était vraiment une image qu'il avait élevé depuis son jeune âge, un cliché né de plusieurs fantasmes et rêves. « Habillé d'un peignoir de soie, de préférence de couleur pourpre. » Le grand bonhomme rigola. Il affectionait ces stéréotypes du vieil écrivain à succès, finissant dans une maison encore plus grande que celle où il se trouvait, seulement accompagné d'une assistante ayant pour unique préoccupation la satisfaction complète de son maître.
Et même si il était capable de divaguer, de renchérir et d'ajouter des détails à ses envies, il s'en empêcha trouvant le moment propice à d'autre genre de désirs. « Avant que je t'embrasse langoureusement, laisse moi te dire que tu finiras par laisser cette vie de côté. Je te vois dans cette magnifique maison, avec un homme et des mains d'enfants dans les tiennes. Je ne dis pas que tu te seras rangée de façon définitive, mais simplement que tu chercheras d'autres plaisirs que ceux que te procure l'adrénaline.» Bien sûr il ne pouvait pas s'avancer, il n'avait aucune idée de ce que la femme recherchait continuellement. Le jeune homme ne faisait que d'émettre quelques hypothèses, et d'une certaune façon, si il ne savait pas comment soutenir sa compagnie face à son lourd passé, il pouvait néanmoins le faire lorsque son futur était concerné. Encore une gorgée de sa fameuse boisson, le garçon se frottait le bras. Ses tatouages humides luisaient. Il était vrai que le suédois n'avait jamais regretté un de ses dessins gravés, dessins qui représentaient chacun un évènement, ou une chose ayant été importante dans sa vie. Il n'hésitait pas à retourner chez le tatoueur comme un abonné, tellement que son torse, son dos et ses bras étaient presque entièrement recouvert d'encre.

Mikaël s'exécuta finalement, et agrippa Lynn dans ses énormes bras. Un léger baiser dans le cou, laissant ses mains mouillés lui caresser affectueusement le dos. Peu importe que cette femme ne soit pas disposée, qu'elle ne soit pas celle qui serait le satisfaire complètement. L'avoir au creux de son étreinte était agréable. Plus agréable que d'être à l'Awesome une nuit de plus, armé d'un verre et d'un carnet, attendant un semblant de futur conquête faire son apparition. « Le retour à la réalité va me faire un certain mal. » Le suédois chuchotait, encore et toujours accompagné de ses remarques romantiques à l'eau de rose. Mais d'un côté, il fallait admettre que le cadre était propice à la rêverie.

« Non, vraiment le peignoir t’était pas obligé, c’est pas sexy au possible ! » ironisa Lynn. Cette discussion prenait une sorte de sérieux qu’elle n’était pas prête à avoir : bien qu’elle ne soit pas pessimiste dans l’âme, ce genre de rêve n’était pas prêt de voir le jour dans son cas. Mikaël, de son côté, pouvait tout à fait caresser un jour l’espoir de devenir un de ces fameux écrivains à succès dont tout lecteur qui se respecte souhaite lire les aventures poignantes… mais le rêve de la demoiselle était plus exigeant. Il n’impliquait pas qu’elle, et revenait à dire qu’il lui faudrait changer diamétralement de vie. Impossible d’aller imaginer mener une histoire d’amour, ou même ne serait-ce qu’une vie de famille en ayant un métier comme le sien. Elle serait bien incapable de laisser qui que ce soit derrière elle tout en sachant qu’elle pouvait très bien ne jamais revenir. Il s’agissait d’une cruauté qu’elle avait vécue toute son enfance, une inquiétude telle qu’elle ne lâche jamais les moindres parcelles d’entrailles de sa victime. Jamais Lynn ne pourrait imposer cela à qui que ce soit ; car si elle n’était pas pessimiste dans l’âme, elle n’était pas plus égoïste, bien que les apparences soient souvent trompeuses à ce sujet. « Pourquoi mal ? » osa-t-elle demander concernant le retour à la réalité. Il faut dire qu’elle n’avait fait aucun effort d’analyse pour essayer de comprendre le jeune homme jusqu’ici. Elle n’étudiait ni ses réactions, ni ses gestes, ni sa personne en tant que telle. Quel besoin ? Il ne faisait pas réellement partie de sa mission et somme toute, elle ne lui devait pas le moindre effort, du moins le pensait-elle actuellement. Cela ne l’empêchait pas de sentir sa peau diaphane frissonner longuement à chacune de ses étreintes et de ses baisers, mais Lynn refuserait toujours d’y voir la plus petite vérité là dedans. Une fois encore, c’était impossible… « Je ne connaissais pas le côté pessimiste ou déprimé des suédois… peut-être n’est-ce pas un mal, tu sais. Peut-être que demain tu vas tomber sur un éditeur qui va sentir en toi une fibre d’écrivain qu’il voudra découvrir et tu n’auras plus une parcelle de mémoire pour ce qui s’est passé, ici et maintenant, ou même hier. » Peut-être qu’une amnésie chez Mikaël serait préférable. Lynn savait bien mieux faire semblant que lui en la matière… « Mais en attendant, suis-moi ! »

En deux temps trois mouvements, Lynn avait incité son acolyte à sortir de l’eau, lui avait donné un peignoir –qui n’était pas pourpre, en revanche–, avant de le faire monter à l’étage, encore plus impressionnant que le hall et la salle dans laquelle ils avaient été. Il fut bien évident qu’elle évita soigneusement la chambre de sa mère ainsi que celle de sa petite sœur, mais pénétra dans une pièce impressionnante de part son goût en matière de décoration mais également ne serait-ce que la taille du lit. Cette pièce était réellement personnalisée et donnait un petit avant-goût de ce dont était capable Lynn… puisqu’il s’agissait de sa chambre. Elle fit asseoir Mikaël et, après lui avoir volé un énième baiser fugace, s’empara d’un immense calepin qu’elle avait l’impression de ne plus avoir touché depuis un lustre. « Tout ça me rappelle des souvenirs… je pense que je vais profiter du fait que ma mère n’est pas là pour deux semaines pour rester ici. Ça me permettra d’être sûre que ma sœur n’est pas laissée à un autre abruti ! » Lynn esquissa un petit sourire malicieux avant de s’armer d’un grand crayon à papier, qu’elle venait juste de tailler à l’aide d’un petit poignard conservé dans l’un de ses tiroirs, et qu’elle semblait manier aussi habilement que le fameux crayon. Vous l’aurez deviné : elle commença ensuite à faire le portrait de Mikaël. Cela lui permettrait d’emmener un souvenir, au moins. « Dis-moi… pourquoi n’as-tu pas encore tenté ta chance en tant qu’écrivain ? Tu percerais peut-être… si tel est ton rêve, tu ne devrais pas t’empêcher de le vivre. » Il allait probablement lui poser une question en retour, elle le savait, mais puisqu’elle couchait actuellement l’esquisse de son portrait sur le papier, impossible pour elle d’y échapper ou même de refuser. « Et tu ne devrais pas penser au « mal » pour revenir sur ce que tu as dis tout à l’heure. Tu n’as qu’à te dire que je suis quelqu’un d’instable, de non fréquentable et d’insupportable à vivre au quotidien. Ça t’aidera. » Ou pas…

« Parce que je n'ai jamais vraiment voulu être un écrivain. Ma passion se résume à l'écriture, à la musique, à la culture. J'ai su combiné des notions qui m'étaient chères pour faire en sorte d'aimer mon quotidien. » Le garçon parlait calmement, assis de façon confortable sur le bord d'un lit plus grand qu'il n'en avait jamais vu. Cette maison était manifestement emplie de surprise, et ses pièces plus grandes les unes que les autres avaient tendance à éblouir le suédois. De plus, il se trouvait dans la dite chambre, l'antre de cette femme mystérieuse. Une chambre, c'est... Quatre murs qui enferment nos plus lourds secrets, qui enferment nos vies et nos nuits passées à rêver. Il y a quelque de très personnel dans le fait de s'y trouver, et bien qu'il soit flatté d'y avoir accès, il se sentait aussi comme un intrus, s'infiltrant là où il ne devrait pas.
Attendris, il regardait Lynn frotter le papier en grattouillant par-ci et par-là. Il se prenait au jeu, essayait de bouger le moins possible et laissait la présence à ses côtés immortalisé ce moment sur une feuille blanche. Encore plus symbolique qu'il ne devrait l'être, puisque ce carnet ressemblait étrangement à celui que Mikaël ne quittait jamais. Le carnet du suédois, qui comptabilisait sans qu'il le montre, un certains nombres de visages esquissés, qu'il avait pu rencontré à un moment ou à un autre. « N'essaye pas d'analyser mes répliques à l'eau de rose, je t'en prie. Elles sont là dans le but de créer une belle atmosphère. » Mike' pinça ses lèvres, il ne voulait pas prendre toute cette situation au sérieux, toujours laisser une distance entre l'ironie et la réalité pour ne pas faire peur à Lynn. Si elle savait tout ce qui se tramait dans la tête du colosse, peut-être aurait elle déjà mit des distances entre eux.
Des traits de plus en plus concrets prenaient formes sur le calepin de la jeune femme, il était temps de répondre à ses questions en ripostant avec de nouvelles. Mais en quelques minutes de parfait silence, il laissa son amie prendre le temps de finir le travail qu'elle avait commencé. Quand il considéra que son oeuvre était terminée, il lui attrapa malicieusement le carnet des mains et se leva pour en contempler le contenu à la lumière. « C'est moi ça? » Le jeune homme rigola ouvertement et théâtralisa son mécontentement. « Je crois que tu as oublié le fait que j'ai un charme de dingue. Ça ne se voit pas. Tss. » Puis dans un élan de rigolade, prenant soin de se séparer du calepin préalablement, il attrapa Lynn par les jambes. Le garçon la souleva une fois de plus comme si elle était un poids plume, et l'installa sur son épaule avant de la jeter sur le lit. Son action n'avait rien d'hormonale, ou due à un certain excitement. Il le voyait plus comme un jeu d'enfant, se chamaillant une fois de plus.

Son regard se posa en face du visage de la brune. Elle avait des traits parfaits, un visage doux et épuré. De belles joues qui donnaient soif aux baisers, et un regard brûlant. Littéralement sous le charme? Non, pas pour deux sous évidemment. Laissant ses yeux se mêlés aux siens il craqua tout de même et revint à l'assaut :
« Comment s'appelle ta soeur? Quel âge a-t-elle ? » Pas question de prendre une voix tendancieuse, telle qu'il aurait pu le faire en rigolant simplement. C'était une vraie demande, intéressée dans le sens où il voulait en savoir plus sur famille, et sur les êtres chers qui l'entouraient.

« Inutile de dire des répliques à l’eau de rose, alors ! » Le côté cérébral de Lynn était revenu au galop dès lors que Mikaël lui avait répondu. Cela se poursuivit lorsqu’il piqua sa susceptibilité au vif : critiquer un dessin de la jolie brune, alors qu’elle avait un don véritablement rare et qu’elle ne le montrait jamais à personne, ne risquait pas de lui donner envie de renouveler l’expérience. Elle se contenta cependant de hausser un simple sourcil, avant d’être trimballée comme un sac et balancée contre son propre lit. Lynn s’attendait à beaucoup de choses, mais pas à être questionnée sur sa petite sœur. Il était quasi évident à ses yeux qu’il n’était pas question une seconde de parler d’elle, car il s’agissait de l’un des rares points faibles de la demoiselle… et que l’espionne ne voulait la mêler à sa vie en aucune façon. Il ne fallait pas qu’elle souffre, jamais. Bien que le jeune homme ne soit pas une menace en soi, Lynn n’avait pas pour autant une confiance aveugle en lui, pour la simple et bonne raison qu’ils ne se connaissaient pas depuis des lustres. Ce fut par conséquent d’une voix relativement distante et froide qu’elle énonça ces quelques mots : « on ne parlera pas d’elle ». Il ne fallait pas le prendre mal ou même le prendre personnellement… Mikaël n’était pas le seul à vouloir en savoir plus, à creuser la surface de cette épaisse couche de glace mise en place par la piquante canadienne. Mais sa tolérance à la confidence venait de dévoiler sa première limite. Du moins était-ce évident avant qu’une petite tête blonde aux magnifiques cheveux bouclés et aux yeux d’un vert profond ne se dévoile, les joues pleines de larmes, d’une manière si timide qu’elle n’en n’était que plus adorable. « Lylyyyyy ! » énonça-t-elle d’une voix d’enfant presque murmurante. Lynn se redressa brusquement, quittant le lit et délaissant Mikaël pour la rejoindre et la prendre dans ses bras alors que celle-ci tenait fermement son énorme peluche en forme de lapin par l’oreille. La petite ne devait pas avoir plus de cinq ans, ni avoir le même père que Lynn : leurs disparités physiques étaient plutôt évidentes, même si Loula avait beaucoup d’expressions en commun avec la demoiselle. « Tu as fais un cauchemar, ma princesse ? » L’enfant hocha légèrement la tête, non sans regarder Mikaël avec une sorte de curiosité marquée : c’était la première fois qu’elle voyait sa sœur en compagnie d’un homme. Et forcément, la question qu’elle posa prenait tout son sens : « c’est ton prince charmant ? » Éclat de rire de Lynn. Mais elle éluda la question. « Mikaël, je vais la recoucher, je reviens tout de suite. »

Au passage, croisant à nouveau son calepin, la jeune femme ne put s’empêcher d’en ôter la page qu’elle chiffonna et envoya à la corbeille à papier proche de la porte de la chambre. Elle fut absente de la pièce une bonne vingtaine de minutes : calmer les peurs de sa petite sœur n’était pas une tâche aussi aisée qu’il y paraissait. Et c’est non sans pousser un grand soupir qu’elle passa à nouveau la porte. Lynn n’estimait pas devoir s’excuser pour son comportement ou même pour sa vexation passagère : il s’agissait de son tempérament et bien qu’elle en ait conscience, elle n’avait aucune raison objective d’en changer. « Elle s’appelle Loula et elle a cinq ans. Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi cela t’intéresse. »

Le refroidissement de l'atmosphère était quelque peu surprenant pour le suédois. Il n'avait jamais eu l'intention de faire des remarques blessantes, et encore une fois ce caractère trop avenant lui joua des tours. Le dessin que la canadienne avait effectué était réussi, il aurait simplement pu le dire de la sorte, aulieu de jouer les déconneur une fois de plus. La consécration fut de rester plus de vingt minute, dans cette immense pièce à attendre le retour de son amie. Que faire? Sa curiosité brûlait en lui : fouiller les tiroirs? Il en avait envie, ouvrir les portes de l'armoire et inspecter son contenu? Ça aussi ! Mais prendre le risque d'irriter la jeune femme? Pas possible. Mikaël resta planté, sur le bord du lit, puis s'allongea les bras croisé pour soutenir sa lourde tête. Il regrettait déjà le moment du jacuzzi, et le goût du bon scotch qui avait marqué ses lèvres. Néanmoins, il avait apprécié de pouvoir découvrir l'adorable visage de la cadette de Lynn. Pas de ressemblance vraisemblable, une petite tête blonde qui s'opposait parfaitement à la belle brune. Pourtant, il y avait quelque chose, dans le regard peut-être, quelque chose qui montrait qu'elles appartenait au même groupe sanguin.
« Pas la peine de jeter ton oeuvre, elle était très bien, tu devrais savoir qu'il ne faut pas me prendre aau premier degré. » D'un côté, le garçon était froissé aussi. Il avait apprécié le fait que sa compagne empreigne sa personne sur un bout de papier, il tenait beaucoup aux signes que cela diffusait.
« Et ça m'intéresse seulement parce que tu m'intéresses. » Il n'y avait pas à se questionner spécialement suite aux demandes de Mike. Il avait émit des questions parce que sa curiosité le démangeait, comme d'habitude, rien de plus.
L'ambiance avait été brisée, difficile maintenant de l'attraper à nouveau dans ses bras, ce n'est pas qu'il n'en ressentait pas l'envie, il avait simplement l'impression d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Son corps était froid, et les couleurs qu'ils avaient pu avoir suite à l'eau chaude du bain à remous avaient disparues.
« Bon, puisque tu vas pouvoir dormir ici pendant deux semaines pas la peine de te coltiner mon appartement. Tout est réglé, enfin, tout le sera quand ta mission sera terminée, pardon. » sa réaction ne s'expliquait pas, mais Lynn n'était pas la seule personne susceptible dans la pièce. Mikaël était pire qu'une princesse, piqué à vif il réagissait mal. Et contre lui même il venait de casser l'atmosphère en plus qu'elle ne l'avait déjà été. Il s'était levé du lit :
« I should go.»

Deux susceptibles, voilà bien quelque chose qui n’était guère original. Mais Lynn n’était pas du genre à admettre ses erreurs à moins d’avoir son supérieur en face d’elle et d’être contrainte de dire qu’elle avait commis une boulette. Là, il n’y avait pas de rapport de force, du moins n’y avait-il pas de raison d’en avoir. Visiblement, la vive réaction de la part de la brunette avait profondément refroidi le jeune homme, au point qu’il ne décide de se lever du lit et d’énoncer son envie de passer la porte. Petit problème : la demoiselle était justement contre celle-ci, les bras croisés et le visage marqué d’une sorte d’impassibilité confortable. Elle cherchait à savoir pourquoi il lui prenait soudainement l’envie de partir, fidèle à son tempérament si cérébral dès qu’elle n’était plus sur le terrain. Vraiment, on pouvait dire ce que l’on voulait, mais la psychologie féminine n’était pas la seule à être extrêmement complexe. A ses yeux, Mikaël restait une énigme à part entière. « Alors quoi, c’est tout ? Tu jettes l’éponge juste parce que j’ai mal réagis à l’une de tes plaisanteries ?! C’est marrant comme les gens sautent sur la première occasion pour prendre les jambes à leur cou dès que cela se pimente un peu. Tu oublies un peu trop toutes les plaisanteries vaseuses que je n’ai pas prises au premier degré ! » Lynn n’était pas infaillible. Il n’était plus seulement question de reconnaître ses torts, mais de remettre les points sur les virgules : elle n’avait aucune envie d’être prise pour celle qui a plombé l’atmosphère ET qui serait responsable de son départ. Elle n’était pas la seule à avoir mis les pieds dans le plat, même si elle avait tout à fait conscience de sa responsabilité. « Je ne vais pas te retenir. Ce n’est pas mon genre et supplier non plus. Mais tu devrais aussi te regarder dans une glace : si j’ai un caractère de merde, toi tu jettes des petits cailloux comme s’il s’agissait d’indices pour te comprendre, avant de rebrousser chemin dès que l’on prend cela pour argent comptant ! T’es difficile à suivre, coco ! » Lynn n’avait également pas tout à fait tort : il énonçait de grandes phrases dignes d’un roman à succès pour mieux se rétracter dès qu’elle avait le malheur de les trouver agréable. Il la prenait dans ses bras et en plaisantait la seconde d’après… était-il sérieux ou ne faisait-il que s’amuser ?

« Soit, je vais partir du principe que tu n’es pas romantique, que tu ne considères pas les rencontres que tu fais comme importante et que ton quotidien serait très certainement simple une fois que tu auras passé la porte de cette maison. Mais personnellement, et je le déplore souvent, je suis une grande victime des apparences. Je crois ce que l’on me dit, du moins ai-je envie d’y croire. Et ne me dis pas que je n’ai pas fait d’efforts ce soir. Pas alors que j’ai enfreint par moins de cinquante règles de mon métier pour te parler. Et je ne sais même pas pourquoi ça m’énerve, tiens ! » Soudainement, elle s’éloigna de la porte, lui laissant ainsi le champ libre pour partir si cela lui chantait. Elle finit par s’allonger contre son lit, planquant ses bras contre ses yeux histoire de se couper temporairement la vue et reprit ainsi une respiration plus calme. Vraiment, en dehors de ses missions, elle avait bien du mal à tenir ses nerfs. Quelle poisse ! « Pars si tu le souhaites, rien à cirer. Cela n’a pas d’importance, tu ne me reverras pas. Je suis obligée de demander un remplacement pour ma mission. Adieu, monsieur le suédois. » Et Lynn allait s’y tenir. Il la « connaissait » désormais trop pour qu’elle continue cette mission. Trouver un remplacement lui paraissait être une solution bien plus logique.