Ces derniers temps, Chris avait prit l’habitude de passer énormément de temps chez lui. Non pas parce qu’il avait replongé dans cette dépression post-rupture qui l’avait rongée pendant des semaines entières, mais parce qu’il mettait désormais tout son énergie dans le travail. Au fil du temps, il avait réalisé que c’était le meilleur moyen de passer à autre chose, et d’oublier que la femme qu’il aimait lui avait échappé pour toujours. Par sa faute. Alors, Chris avait reprit du poil de la bête grâce à l’aide précieuse de son amie Ana, et il s’était remis à dessiner, à construire quelques maquettes qui, il l’espérait, l’aiderait à reconquérir la confiance et les bonnes grâces de son patron. Car après sa rupture avec Kat, l’étalagiste était devenu totalement inefficace et complètement inutile en ce qui concernait son travail. L’inspiration n’étant plus du tout au rendez-vous, il avait tout simplement délaissé l’agence pour laquelle il travaillait, stoppé tous ses chantiers en cours et laissé en plan les projets qu’il avait pour la suite. Sa vie toute entière s’était brusquement arrêtée, ce qui rendait d’autant plus compliqué le redémarrage qu’il était en train de mettre en place.

Toute la journée, Chris resta donc enfermé dans son appartement, un crayon coincé derrière l’oreille, assemblant des planches, les peignant et essayant du mieux qu’il pouvait de les faire ressembler au dessin qu’il avait fait la veille. Cette maquette serait le coup de pouce qui lui permettrait d’obtenir une nouvelle chance, en s’occupant seul d’une vitrine complète. C’est de cette manière que son patron avait accepté de le reprendre au sein de l’agence, Chris devait faire ses preuves, pour assurer à la direction qu’il ne les lâcherait plus jamais comme il l’avait fait ces derniers mois. Et après des semaines entières de réflexion et de travail, son œuvre était presque prête. Avec ça, le canadien était presque sûr de retrouver sa place dans l‘entreprise, et il n’en était pas peu fier. Si bien que le temps avait beau passer, il restait indéniablement plongé dans ses plans et sur sa maquette, oubliant même qu’il avait un rendez-vous en fin d’après-midi. Comme leurs petites habitudes le leur dictaient désormais, Ana et Chris devaient se retrouver dans ce petit café du Queens où ils s’étaient rencontré, pour partager un verre ensemble et se raconter leurs semaines respectives. Et au moment où le regard du canadien se posa sur la pendule, il réalisa qu’il avait déjà cinq minutes de retard. Se levant brusquement, il s’empressa d’aller se changer. Tant pis pour la douche, il aurait certainement quelques traces de peinture sur le visage ou dans les cheveux, mais Ana comprendrait. Et c’est donc presque en courant que Chris quitta son appartement. Mais une fois passé l’angle de sa rue, il eut l’idée de vérifier ses poches, juste par précaution. Et grand bien lui en prit puisqu’il s’aperçut avoir oublié son portefeuille chez lui. Levant les yeux au ciel, comme agacé par sa propre étourderie, le jeune homme attrapa son téléphone et pianota rapidement un message expliquant à Ana qu’il serait VRAIMENT à la bourre.

Mais en arrivant devant chez lui, Chris constata avec stupeur que sa porte d’entrée était ouverte. S’approchant prudemment, il put même entendre du bruit à l’intérieur de son appartement. Ca ne faisait aucun doute, quelqu’un profitait de son absence pour le cambrioler. Attrapant une des planches qui trônait encore dans l’entrée en attendant d’être assemblée sur sa maquette, le jeune homme avança à pas feutrés, près à frapper sur tout ce qui se trouverait sur son chemin. Mais la première chose qu’il rencontra fut Tiger, qui traversa devant lui visiblement ravi que quelqu’un vienne lui « rendre visite ». Le petit animal n’avait apparemment pas tout à fait saisi la gravité de la situation, et Chris voulu le rappeler. Mais Tiger avait été trop rapide, et il s’était déjà joyeusement engouffré dans le salon. Le canadien fronça les sourcils et, levant sa planche à hauteur de sa tête, se prépara à attaquer tout en entrant à son tour dans la pièce. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il se retrouva nez-à-nez avec… Kat. C’était elle, elle était bien là, juste en face de lui. Elle était visiblement rentrée de Namibie sans avoir prit la peine de le lui dire. En même temps, ça ne l’étonnait guère puisqu’il n’avait même pas eu l’honneur de recevoir de ses nouvelles durant son séjour là-bas. Sous le coup de la surprise, Chris lâcha néanmoins sa planche et braqua un regard interrogateur sur la jeune femme. Elle était entrée chez lui pendant qu’il n’y était pas… A priori, quelque chose échappait encore à Chris qui comptait bien avoir quelques explications.

OMG On gère

Chris n’en croyait pas ses yeux. Il avait d’abord pensé qu’on était en train de cambrioler son appartement, mais s’était bien vite aperçu que la réalité était pire que ça. Kat était là, debout au beau milieu de son salon, comme si elle avait toujours habité là. Un sac à la main, Chris comprit rapidement qu’elle était en train de rassembler les affaires du chat, qui était planté entre eux et ne semblait oser aucun mouvement. A croire qu’il pouvait lui aussi percevoir la tension qui régnait dans la pièce. Le regard du canadien ne parvenait pas à se détacher de la jeune femme en face de lui, et même s’il avait voulu dire quelque chose, chaque tentative aurait était peine perdue. Les mots seraient à coup sûr restés bloqués dans sa gorge. Cependant, les yeux du jeune parlaient pour lui, et on pouvait y lire que sa rancœur et son amertume étaient à la hauteur de sa surprise. Lui qui l’imaginait encore en Namibie, très loin de lui… Depuis combien de temps était-elle à New-York d’ailleurs ? Tout était possible puisqu’elle n’avait pas prit la peine de le mettre au courant de son retour. Tout comme elle n’avait pas prit la peine de lui envoyer de ses nouvelles comme elle le lui avait promis. Et pourtant, Chris avait attendu ses lettres tous les jours. Il s’était parfois même surpris à guetter le facteur, ou à venir récupérer son courrier avant que ce dernier n’ait eu le temps de le poser dans sa boîte aux lettres. Mais les semaines étaient passées, et l’espoir de l’étalagiste s’était amenuisé, jusqu’à disparaître complètement. Alors voilà, Kat l’avait oublié, elle l’avait sorti de sa vie aussi brusquement qu’il y était entré… Et après ça, elle se permettait de faire irruption chez lui, profitant de son absence pour venir récupérer son chat. Et tout dans cette attitude s’apparentait à un vol, à un véritable kidnapping. La jeune femme se hasarder à murmurer un bref « Salut. », mais Chris sembla ne pas en faire cas et ne lui répondit même pas.

Sous le coup de la surprise, le canadien s’était figé et le seul mouvement qu’il avait initié jusqu’à maintenant était celui qui lui avait fait lâcher sa planche. Il aurait pu sourire, avancer vers elle, la prendre dans ses bras et lui démontrer à quel point elle lui avait manqué. Mais curieusement, Chris n’en avait pas envie. Au contraire, le fait de revoir Kat dans ces conditions ne le réjouissait pas spécialement. Même si son cœur battait la chamade, le jeune homme mettait plutôt ça sur le compte de la frayeur qu’il avait eue en trouvant sa porte d’entrée grande ouverte.

« Je suis venue récupérer Tiger. » Le visage toujours aussi fermé, Chris acquiesça. « Oui… je vois. » déclara-t-il en désignant le sac qu’elle tenait toujours. « Et… tu comptais faire quoi ? Me dire que tu étais rentrée ? Où alors j’étais censé le deviner tout seul ? » cracha-t-il , lui démontrant ainsi à quel point elle le décevait. « Et là, t’allais repartir discrètement et emporter Tiger sans rien dire ? »

Pendant des semaines entières, Chris s’était imaginé le moment où Kat allait rentrer, et jamais il n’avait pu soupçonner un tel scénario. La trouver chez lui alors qu’il ne s’y attendait pas, qu’il la croyait toujours en Afrique, c’était tout de même une sacrée surprise. Qui lui laissait un goût amer. Et c’est certainement pour cela qu’il se montrait aussi agressif. Il ne voulait pas la blesser, d’ailleurs il ne l’avait jamais voulu mais cette fois c’était plus fort que lui. Kat était-elle devenue lâche au point de s’introduire chez lui par effraction pour récupérer son chat ? Le canadien était bien conscient que le simple fait de se voir était une épreuve pour eux, mais en tant qu’adultes ils étaient censés passer outre et agir comme des gens responsables. Pas comme des voleurs incapables de ne pas se faire prendre sur le fait. Et la façon dont Kat lui répondit lorsqu’il lui demanda si elle comptait emporter Tiger discrètement le laissa complètement abasourdi. Comme sil ne reconnaissait plus celle qu’il avait aimé, et qu’il aimait toujours d’ailleurs, Chris resta immobile en face d’elle, la bouche entrouverte et les sourcils froncés. Que pouvait-il bien répondre à ça de toute façon ? Ce plan qui lui paraissait si abracadabrant était pourtant bel et bien celui qu’elle avait prévu. Et tout ça pour éviter de le croiser. Le décor était planté, et ce que Chris s’était imaginé en l’absence de la jeune femme se confirmait un peu plus à chaque instant : leur histoire était définitivement terminée, et ils n’étaient même plus censés se croiser.

« Je suis passée la semaine dernière dans le quartier, je t'ai croisé mais j'ai préféré pas t'interrompre. » Cette fois, les yeux de Chris s’écarquillèrent. Décidément, il n’y comprenait plus rien, et avant même qu’il n’ait eu le temps de lui réclamer plus d’explications Kat lui demanda froidement la cage de Tiger. Mais, éludant totalement cette dernière question, l’étalagiste préféra se concentrer sur ce qu’elle lui avait avoué juste avant. « Quoi ? La semaine dernière, mais… attends, ça fait combien de temps que tu es rentrée ?! » Car visiblement, ce n’était pas son premier jour à New-York et pendant plus d’une semaine elle avait été là, dans la même ville que lui sans qu’il n’en sache rien. Le fait de n’avoir reçu aucune lettre l’avait déjà énormément touché, mais savoir qu’elle n’avait pas daigné lui annoncer son retour était un nouveau coup dur pour le canadien. « Et… pourquoi tu m’as rien dit avant ?! Tu comptais te cacher encore longtemps ?! Et d’abord, tu m’aurais interrompu dans quoi exactement ? » Le jeune homme avait beau retourner la situation dans tous les sens, il ne voyait pas du tout où elle voulait en venir. « Comme s’il pouvait y avoir un truc plus important que ton retour… » ajouta-t-il à demi-mot, plus pour lui-même que pour qu’elle l’entende.

Cela faisait donc deux semaines que Kat était de retour, deux semaines qu’ils se trouvaient au même endroit sans même le savoir. Du moins, Chris était le seul à l’ignorer, et ça le vexait. Comment avait-elle pu lui faire ça ? L’absence de lettres était une chose, mais le retour de Kat à New-York lui paraissait être une nouvelle assez importante pour qu’il en soit informé. Et ce malgré ‘état dans lequel leur relation en était restée. Même si elle avait été inexistante, Chris estimait qu’il aurait du être au courant. Après tout il gardait son chat et ça lui faisait déjà une bonne raison de venir lui rendre visite. Mais plus leur conversation avançait, et plus le canadien avait l’impression de se retrouvait face à une autre personne. Il ne s’agissait plus de la Kat qu’il avait connue, et l’espace d’un instant il se mit à craindre que son expérience avec MSF l’ait changée à jamais, dans le mauvais sens du terme. Comme s’ils ne parvenaient plus à se comprendre, les deux jeunes gens semblaient parler dans le vide, tentant de s’expliquer à grands coups d’arguments inutiles. Puis, vint cette phrase cinglante : « T'avais rendez-vous avec une fille, apparemment. » Lui ? Rendez-vous avec une fille autre que Kat ? Qu’est-ce qu’elle entendait par là ? Mais se repassant sa semaine précédente en tête, Chris ne tarda pas à faire le rapprochement. En effet, il avait eu un rendez-vous avec une fille, mais pas dans le sens que Kat avait retenu. Et cette fille n’était autre qu’Ana, celle qui lui avait permis de remonter la pente lorsqu’il était au plus mal.

Comme si le jeune homme sélectionnait uniquement ce qu’il avait envie d’entendre, il éluda une nouvelle fois les deux autres phrases de Kat. Comme si elle n’avait rien dit de plus, il continua : « Figure-toi que cette fille m’a aidé à remonter la pente après que tu sois partie. Si elle n’avait pas été là, je serai peut-être encore ivre mort dans mon canapé, et je n’aurai certainement pas reprit le boulot ! Et cette fille c’est une amie, qui a su m’écouter quand j’en avais besoin. » Il marqua une courte pose, puis en fronçant une nouvelle fois les sourcils, décida d’enfoncer le clou. « Quand j’attendais l’arrivée de tes lettres inexistantes par exemple ! Quand je me demandai si tu étais toujours vivante ou pas… Quand je manquai d’agresser le facteur parce qu’il ne m’apportait aucune nouvelle, alors qu’il n’y était pour rien ! » Presque essoufflé par sa tirade et sa colère, le jeune homme secoua la tête avec dépit. D’une voix plus faible et teintée d’amertume, il daigna simplement ajouter : « Même si tu es passée à autre chose, j’aurai quand même aimé savoir que tu allais bien. Comme tu m’avais promis quoi… »

Cette fois, on y était. Petit à petit, le ton des deux jeunes gens s’était fait plus dur, plus fort, plus agressif aussi… Et on pouvait désormais parler de véritable dispute entre eux. En même temps, dès l’instant où il l’avait aperçue chez lui, Chris aurait pu prédire l’issue de cette rencontre. C’était écrit. Avec autant de malentendus, aucune autre solution n’était envisageable : il fallait que ça éclate. Mais quant au contenu de cette dispute cependant, le canadien ne s’y était pas attendu. « Je t'ai écrit pratiquement tous les deux jours ! » Alors qu’il était encore sous le coup de l’énervement, Chris s’arrêta net en entendant ces mots. Qu’entendait-elle par là ? Si elle lui avait réellement écrit, pourquoi n’avait-il rien reçu ? Il aurait voulu croire qu’elle était en train d’essayer de le rouler dans la farine, mais il n’en était pas capable. Il lui faisait toujours confiance, d’ailleurs il n’avait aucune raison de ne pas le faire… Mais après tout ce qu’il s’était imaginé durant son absence, cette révélation était un peu mal venue.

Chris avait prit cette absence de nouvelles comme un affront, et comme une confirmation à la fois. Il avait pensé que Kat était partie pour le fuir, pour fuir leur histoire et surtout pour se débarrasser de lui. Et même si leur dernier contact l’avait laissé plein d’espoir, tout s’était très vite envolé lorsqu’il avait comprit qu’elle ne lui enverrait jamais de ses nouvelles. Alors Chris s’était imaginé Kat, sa Kat entourée d’un tas de jeunes médecins, ne pensant plus du tout à lui alors qu’il n’avait de cesse de revoir son visage, toute la journée. Mais peu à peu, l’étalagiste s’était fait à l’idée qu’elle l’avait probablement oublié, et qu’elle avait d’autres préoccupations bien plus importantes. Seulement voilà, la révélation qu’elle venait de lui faire changeait complètement la donne. Si elle lui avait écrit tous les deux jours, cela signifiait qu’elle ne l’avait pas DU TOUT oublié ! Tout au fond de lui, Chris ressentit d’ailleurs un grand soulagement, qu’il se força néanmoins à dissimuler derrière des sourcils froncés, signe qu’il était en train de réfléchir. Où avaient bien pu passer toutes ces lettres ? Il savait bien que la Namibie n’était pas la porte à côté, mais tout de même ! Parmi toutes celles qu’elle disait lui avoir écrites, il était plus qu’improbable qu’il n’en ai reçu aucune ! « J'ai tenu ma promesse. » lâcha-t-elle alors d’un ton froid, sortant instantanément l’étalagiste de ses réflexions. Tout à coup, il se sentait terriblement honteux d’avoir pu soupçonner son ex-petite amie d’avoir définitivement tiré un trait sur leur histoire.

« Mais tu sais quoi, je suis bien contente de savoir que ton "amie" t'aide autant, profite bien, tiens. » Kat tourna ensuite les talons, visiblement bien décidée à quitter l’appartement sans plus d’explications. Mais avant qu’elle ne s’éloigne trop de lui, Chris agrippa son avant bras pour la faire se retourner. Son regard était toujours aussi sévère, mais sa voix beaucoup moins agressive. « Kat… » Haha, le voilà ! « Kat attends, je… j’ai rien reçu ! Tes lettres… elles ne sont jamais arrivées ici… ! » expliqua-t-il en la fixant dans les yeux. « Et… ne le prends pas comme ça ! S’il te plait… »

L’incompréhension était totale entre les deux ex-tourtereaux, et Chris avait beau essayé, il avait bien du mal à remettre toutes les informations en ordre dans son esprit. Mais il savait désormais une chose : elle lui avait écrit souvent, même si aucune de ses lettres n’était arrivée jusqu’à lui. Et peu importe ce qu’elle disait dans ses lettres, l’important était simplement l’intention. Le cœur de Chris de réchauffait un peu en imaginant la jeune femme en train de lui écrire, malgré l’épreuve qu’elle devait être en train de vivre. Et même s’il lui restait un goût amer dans la bouche, le canadien était rassuré. Presque apaisé comparé à l’état de colère dans lequel il se trouvait au moment où il avait aperçu Kat chez lui. Mais alors que Kat commençait à parler, et que le jeune homme était prêt à boire ses paroles, le téléphone de la jeune femme se mit à sonner. A l’entendre, cet appel devait être important, et Chris n’eut d’autre choix que de hocher la tête lorsqu’elle s’excusa de devoir prendre l’appel. Kat reposa Tiger, et décrocha en s’éloignant un peu de lui.

Instinctivement, et surtout pour faire mine de ne pas écouter la conversation que son ex-petite amie entretenait, Chris se baissa pour attraper Tiger. Une fois dans ses bras, il se mit à le cajoler en lançant de petits regards en coin vers Kat. Malgré lui, il ne loupait pas un mot de ce qu’elle disait et dut se retenir à plusieurs reprises de ne pas froncer les sourcils, sous peine d’être découvert. Ricardo ?! Qui était ce Ricardo ? Pourquoi lui téléphonait-il, et pourquoi était-ce si important ?! La jeune femme parlait d’une nouvelle, d’une décision qu’elle semblait accepter et dune préparation nécessaire. Puis de quelqu’un d’autre à appeler directement… Chris continuait à gratouiller la tête de Tiger, mais il n’en menait pas large. De plus, un de ses regards discrets lui avait permis de voir les yeux de son ex-petite amie s’embuer, du moins c’est ce qu’il s’était imaginé, et ça l’inquiétait. Mais déjà, Kat raccrochait et le jeune homme du s’empresser de se retourner, pour faire comme s’il n’avait rien vu et rien entendu. « Les lettres... Tu les a pas eues. » Elle avait l’air complètement déboussolée, mais il feignit de ne rien remarquer en haussant les épaules. « Ton facteur te veut du mal ou quoi ? » affichant un petit sourire à demi amusé, Chris répondit : « Bin… j’espère pas ! » Il l’avait bien agressé une fois, sous prétexte qu’il ne lui apportait pas les lettres qu’il attendait, mais ce jour-là il était complètement saoul. Depuis, il s’arrangeait pour ne plus croiser cet homme, et le simple souvenir de cet évènement le fit d’ailleurs grimacer. « Enfin si, il m’en veut peut-être un peu en fait… » conclut-il en en plissant son nez.

Mais très vite, Chris reporta son regard sur Kat qui semblait à peine l’écouter. Elle avait l’air ailleurs, et ce coup de téléphone y était forcément pour quelque chose. L’inquiétude de Chris lui fit une nouvelle fois froncer les sourcils, et il ne put se retenir plus longtemps : « T’es sûre que ça va… Je… C’est à cause du coup de téléphone là ? » Ce faisant, et comme pour contrecarrer la colère qu’elle pourrait éprouver en s’apercevant qu’il avait tout entendu, Chris lui tendit Tiger sans pour autant la quitter des yeux.

Sans vraiment pouvoir en déterminer la nature, Chris avait pu constater que ce coup de téléphone avait eu un sacré effet sur Kat. Et la chose qui l’avait le plus inquiété était évidemment ses yeux embués, si on passait sur le fait que son interlocuteur se prénomme Ricardo. Aux oreilles de Chris, ce prénom sonnait comme un prénom de tombeur latino, et autant dire que ça ne le rassurait pas spécialement. Mais, ne souhaitant pas envenimer les choses plus que ce qu’elles ne l’étaient, il se tut. Et de toute façon, elle n’avait aucun compte à lui rendre puisqu’ils n’étaient même plus ensemble. Le canadien préféra donc simplement lui demander si elle allait bien. Et évidemment, elle lui répondit que oui, tout allait bien, alors que ce n’était visiblement pas le cas. Classique. Avant même de poser la question, Chris aurait pu imaginer cette réponse. Mais devant l’insistance des regards que lui lançait le jeune homme, Kat finit tout de même par lui en dire un peu plus : « Un orphelin que je connais bien va avoir une famille d'accueil ici, aux Etats-Unis, et il va passer un petit moment avec moi en attendant que tout soit réglé. » Tout d’abord impressionné, Chris hocha la tête en silence. Cet orphelin venait certainement de Namibie, il ne voyait pas très bien où elle aurait pu le rencontrer en dehors de sa mission avec MSF. Et une fois de plus, il était admiratif. Admiratif de tant de courage, de détermination et de gentillesse. Mais cette constatation ne faisait que rendre encore plus amer le fait qu’ils ne soient plus ensemble, alors l’étalagiste la chassa rapidement de son esprit. Chaque mot qu’elle prononçait, aussi dur soit-il, finissait par lui rappeler à quel point elle lui manquait, et à quel point il ne voulait qu’une seule chose : être près d’elle, en toutes circonstances. « Oh… wow… C’est super, enfin… je crois. Il sera entre de bonnes mains avec toi. » Et très égoïstement, Chris ne put s’empêcher de songer que ce petit vivrait avec Kat, sous le même toit qu’elle, alors que lui n’en avait plus le droit.

« Pour la quatrième fois... La cage, s'il te plaît ? » Même si le ton de la jeune femme était à présent plus doux, le message était clair : elle volait partir. Et cette fois, Chris ne trouva pas le courage de s’interposer. Il acquiesça donc, et partit seul en direction de sa chambre. Mais une fois arrivé, il eut beau regarder dans tous les coins de la pièce… aucune trace de cette maudite cage. Lui revint alors en tête les quelques jours qu’il avait passé chez sa sœur Anna, où il avait évidemment emmené Tiger avec lui. Comme il n’avait pas reprit de tai pour rentrer chez lui, Chris s’était contenté de poser le chaton sur ses genoux pendant le trajet durant lequel sa sœur l’avait ramené chez lui. Aucun doute n’était possible, la cage se trouvait toujours chez Anna. Une petite grimace vint alors étirer les lèvres du canadien, qui fit volte-face et rejoignit Kat les mains vides. Un peu mal à l’aise, il se gratta la nuque en avouant : « Euh… en fait… On a passé quelques jours chez Anna et… je crois que j’ai oublié sa cage là-bas… Désolé. » Chris baissa les yeux, mais les releva rapidement vers Kat en lui proposant la solution qui lui paraissait être la meilleure. « Mais euh… je dois passer chez elle de toute façon. Je la récupèrerai, et tu pourras passer la prendre à l’occasion… » Cette solution était la meilleure, et pour cause : quoi qu’il arrive, elle lui permettait de revoir Kat et ça, ça n’avait pas de prix.