Ce soir ! Soirée chez Sefa, 21h. Je passe te prendre, tu ne pourras pas te défiler comme ça.

Un soupir s’échappa de la bouche du jeune homme à la lecture du message qui venait de s’afficher sur son cellulaire. Une soirée chez Sefa. Ce petit con de turc bien trop prétentieux. Comme d’habitude, Victor n’était pas emballé par cette idée. Cette idée de côtoyer pendant une soirée entière l’alcool, des gens totalement saouls qui se métamorphosent au fur et à mesure en épaves répugnantes. Non, décidemment, ça ne faisait pas rêver le jeune homme. Alors à chaque fois, il déclinait l’invitation. Mais ce soir, il était pris au piège. Il ne pouvait pas se défiler une fois de plus. L’argument de ses amis pour le faire sortir, c’est que justement il doit sortir… autrement « il va finir comme un vieux pantouflard » comme ils lui disent si bien. Puis il parait que c’est de son âge de faire des soirées, de rencontrer des filles et d’avoir quelques histoires alcoolisées éphémères. Il parait, oui.
Victor ne se sentait définitivement pas à sa place. Pourtant, ils étaient tous comme lui. Non, ils n’étaient pas du milieu de la mode. Mais tous étaient des « riches », les dettes financières ? Aucun de ces jeunes ne connaisse cela. Ils sont riches, ils sont beaux, ils ont tout ce qu’ils veulent. Tous sans exception. Bien entendu, Victor ne suivait pas cette philosophie de vie. Il était installé sur un canapé comble. Un verre à la main. A sa droite, un petit couple d’un soir qui se bécotaient langoureusement, de l’autre une fille qui lui tenait la conversation depuis bien plus d’une heure. Bien entendu, il aurait pu lui dire de se taire, d’aller voir ailleurs s’il y était ou bien mieux encore, il aurait très bien pu se lever et partir. Par politesse, il était resté sagement assis. Bien trop gentil, le Victor. Cependant lorsque la demoiselle partit se lever chercher une boisson « parce qu’elle avait très soif », il en profita pour se lever, à son tour. Technique futile pour abandonner sa compagnonne de fortune. Il s’éclipsa alors dans un coin de la grande pièce où très certainement personne ne le verrait. Il serait enfin tranquille. Enfin cela, c’était ce qu’il pensait jusqu’à une jeune fille vienne à sa hauteur. Cette fille, il l’avait déjà rencontré quelques soirées auparavant. Son nom ? Cela devait être Opale ou quelque chose comme cela. A vrai dire, il ne s’en souvenait plus vraiment. Il espérait qu’elle ne l’ait pas remarqué, mais par manque de chance, ce ne fut pas le cas. Serait-elle encore entreprenante ce soir ? C’était bien ce que le français se demandait.

Tel un enfant crédule, il priait fortement dans sa tête. Comme si cette prière allait s’exhausser. Comme si. Il fallait être bel et bien con pour croire qu’un maudit vœux s’exhausse. Victor en faisait parti. Il faisait parti de ces cons qui croyaient fortement à cela. Il y eut une seconde et demi, ou peut-être moins … ou peut-être plus en fait, de silence. Puis accompagnée de la musique stridente et assourdissante, une voix vint se mêler au refrain. A vrai dire, le jeune homme n’entendit pas vraiment ce qu’on lui disait. Ce qu’on ? Non. Ce que Opale lui disait. En effet, la jeune fille était venue à sa hauteur. Il remarqua les lèvres de cette dernière s’articuler, mais aucun son ne s’engouffra dans les oreilles du français. Elle avait sûrement dû le saluer ou quelque chose de la sorte. Ce genre de truc que l’on fait tous lorsque l’on est un brin éduqué. Alors tout bêtement, Debussy lui sourit. Lui sourit poliment. C’était la moindre des choses à faire. Il aurait pu ‘entamer’ la conversation aussi, mais il n’avait aucune envie de cela. Surtout si elle se montrait aussi entreprenante qu’il l’avait pu remarquer. C’était comme jouer avec le feu en parlant avec cette fille. Et Victor n’avait nullement envie de se brûler les doigts, ou n’importe quelle autre partie de son corps. Puis elle reprit de nouveau la parole. Cette fois-ci, il entendit bel et bien ce qu’elle venait de lui dire. Elle voulait savoir s’il allait bien. S’il allait bien après tout ce temps. «Ça va depuis le temps? », c’était exactement ce qu’elle venait de lui demander. Victor mit un certain temps avant de lui répondre. Non pas que cette question ait besoin d’une réflexion très profonde pour répondre. Il haussa alors les épaules avant de daigner parler. « Ca va. » dit-il calmement. Puis il ajouta un timide « et toi ? ». Il espérait que la conversation prenne fin de suite, mais encore une fois, ses espérances ne se réaliseront sûrement pas. Et cela, il le savait bien. Elle trouverait bien quelque chose pour continuer à parler et être avec lui. Lui proposer un verre à boire, l’inviter à danser… ou pire encore pour le jeune homme : qu’elle lui propose un verre et qu’elle l’invite à danser, le tout en deux phrases glissées en une seule réplique. Lui qui n’était pas un bon danseur, c’était presqu’un cauchemar que de devoir danser sur une piste remplie de personnes. Bien entendu, il restait encore la solution qu’elle le laisse en plan. Cette dernière option était ce qu’il voulait, mais sauf grand accident, il se douterait qu’elle s’en aille.

Victor joua nerveusement avec ses mains, faisant craquer ses doigts par la même occasion. Puis c’est alors que la jeune fille prit la parole. «Ecoute... Je sais que la dernière fois j'ai été quelque peu... bizarre avec toi et je suis vraiment désolée. J'étais bourrée et je veux pas que tu te fasses une fausse idée de moi. Cela dit tu es trop mignon pour que je te laisse tomber alors tu viens danser avec moi? ». Voilà précisément ce qu’elle venait de lui dire. S’il était doté d’un tempérament bien trompé, il aurait levé les yeux au ciel… ou plus précisément au plafond moche de cet appartement, puis il aurait soupiré. Traduisant ainsi un refus net du jeune homme pour l’invitation de la jeune fille. Danser, lui. Il fallait bien être bête comme ses pieds pour faire une proposition à un garçon comme Victor. Tout son entourage savait qu’il détestait danser et encore plus se donner en spectacle. Et bien quoi ? Danser devant une foule de personne, c’est comme se produire devant des milliers de spectateurs sur une scène de théâtre. Il aurait aussi bien pu lui cracher à la figure un beau « casse-toi pauvre conne ! » (phrase bien entendu non-inspiré par le président de la République français.). Mais non. Non. Victor était resté muet face à la jeune fille et il sentit ses pommettes prendre de la couleur. Elle le trouvait « trop mignon » comme elle venait de lui dire. Trop mignon, voilà bien là un compliment un peu trop exagéré aux yeux du jeune français. Ca sonnait faux. Qui pouvait bien le trouver « trop mignon » de toute façon. Qui. Voyant alors la non-réaction de Victor, Opale reprit de nouveau la parole. «Je sais que tu n'aimes pas danser, ça se voit directement, j'ai l'oeil. Mais laisse-moi t'apprendre, s'il te plaît... ». Le jeune homme se sentit quelque peu gêné. D’habitude, il n’aurait jamais voulu refuser et aurait accepté… tout simplement par politesse. Il ne refusait jamais, ou très rarement. De peur de blesser ses proches. Mais là, c’était différent. Après tout, il ne la connaissait guère ou plutôt que de vu. Alors qu’importe ce qu’il pourrait lui dire. « Je… Non… Je suis un vrai cas désespéré en matière de danse, tu sais. C’est peine perdue ! » lui dit-il alors quelque peu hésitant au début.

« D'accord monsieur ! Retourne dans ton coin alors. » lui répliqua-t-elle, alors. Et la phrase raisonna en chœur dans la tête du jeune homme. Cette phrase, on lui avait déjà dite. Quand il était enfant. Quand il était préadolescent, adolescent, et même quand il est adulte. C’était cette phrase qui rythmait la vie de Victor. Qui rythmait ses goûtés d’anniversaire, ses premières boom, ses soirées… Retourne dans ton coin, lui disait-on encore et toujours. A Victor, le grand timide, le solitaire, l’introverti. Alors, la jeune femme, Opala, partit. Claquant des talons aiguilles par la même occasion. Il la laissa fuir dans son champ de vision. Il la laissa partir sans un mot. De nouveau seul, « dans son coin », il se disait bien qu’il n’allait pas tarder. Pas tarder à y aller. Tous ces jeunes gens qui buvaient, qui dansaient en suintant le sexe, ce n’était pas vraiment l’état d’esprit du parisien. Il se demandait bien là quelle idée, il avait eu d’avoir accepté. Vrai, ces ‘amis’ lui avaient forcé la main. Amis qu’il n’a même pas pu voir, tellement ils semblaient aspirer à toutes autres choses. Et c’est alors qu’un individu vint le réveiller de tous ces macabres pensés. Il reconnut alors une connaissance. Une vague connaissance. C’était Manuel. Un type d’origine espagnol, ou d’une région de la méditerranée, à en entendre son petit accent bien chaleureux. Il lui disait alors de venir avec lui, qu’il avait quelqu’un à lui présenter, UN ami à lui. Oui, il avait beaucoup insisté sur ce « un ». Comment si c’était vital d’insister dessus. Naïvement, Victor accepta. Après tout, ça lui permettrait de rencontrer quelque personne. En l’occurrence, ici, un ami de Manuel.

Ils s’approchèrent de cette table ronde où siégeait ce fameux ‘ami’. « Victor, je te présente Marshall. ». Il hocha la tête. Puis il s’installa à ses côtés. Manuel reprit de nouveau la parole. « Il est… je veux dire… comme toi ! ». Il était comme lui, venait-il de lui dire. Comme lui ! Ca voulait dire quoi cela ? Être comme lui. Il fronça les sourcils. Ne comprenant guère ce qu’il venait de lui dire. « Comme moi ? » demanda-t-il hésitant. « Bah oui, comme toi. Il est gay quoi ! » répliqua-t-il aussitôt. Victor hocha de la tête. Bien sûr que non, il ne l’étais pas. « Mais… je ne le suis pas ! ». Bien entendu, Manuel répliqua qu’il mentait, que bien entendu, il disait cela pour sa défense et blabla. Victor se leva alors, prétextant qu’il venait d’apercevoir une connaissance. Bien entendu, c’était faux. Il voulait juste fuir ce mauvais tour foireux. Lui, gay… n’importe quoi. Alors, il fit quelques pas, avant de retomber de nouveau nez à nez avec Opale. Opale, c’était la fille de toute à l’heure, vous savez. Il la regarda quelques secondes, avant de jeter un furtif regard sur la table à laquelle il était installé quelques secondes auparavant. « Je m’excuse pour tout à l’heure… » dit-il. « Si tu veux bien, pour me faire pardonner, je t’offre un verre… » continua-t-il. Il se retrouvait de nouveau avec la fille qu’il fuyait, mais ce n’était pas grave en soi. Tant qu’il pouvait s’échapper à ces deux types…