D’aussi loin qu’il se souvienne, Chris n’avait jamais rien vu de tel. Ni une telle maison (si tant est que l’on puisse appeler ça une maison), ni autant de protocoles et d’habitudes aussi strictes, ni même une table aussi garnie pour un simple dîner. Mais à bien y réfléchir, il préférait de loin ses méthodes à lui : sans fastes et sans manières. L’ambiance autour de cette table était tellement lourde que n’importe quel met aurait paru insipide. Le malaise du jeune étalagiste pouvait se lire sur son visage, et chacun de ses mouvements avait l’air d’être murement réfléchi, pour ne pas sortir du cadre et risquer de se faire remarquer. Il sentait le regard de tous les membres de la famille glisser sur lui, et la seule chose dont il rêvait à ce moment précis était de se cacher loin, très loin d’eux. Il en arrivait même à se demander pourquoi il avait suivi Kat jusqu’ici. Depuis le début, le jeune homme était persuadé que tout ça était une mauvaise idée. Comment une famille comme celle de Kat pourrait-elle accepter un garçon comme lui ? Elle ne semblait avoir aucun doute là-dessus, alors Chris avait accepté. Mais il se sentait de plus en plus mal à l’aise au sein de ce manoir, même si elle était là, avec lui. Petit à petit, il s’apercevait qu’il avait eut raison, et que jamais il ne pourrait être bien vu par les O’Maley. Néanmoins, le canadien ne vit pas vraiment venir l’orage qui était sur le point d’éclater.

Depuis qu’il l’avait rencontré, Chris n’avait pas vraiment une bonne impression concernant le frère de Kat, Ben. Et ce qu’il craignait se confirma justement au cours de ce dîner. De plus en plus insistant, Ben avait finit par vendre la mèche, et par avouer au reste de la famille que sa sœur avait arrêté les cours. Cette information fut l’étincelle qui enflamma la conversation. Aussitôt le silence pesant qui avait régné jusqu’à maintenant se transforma en un déluge de remontrances et de mécontentement. Chris, qui ne pouvait pas comprendre l’attitude de Ben se contentait de le fusiller du regard, comme s’il avait été prêt à lui sauter à la gorge à la moindre occasion. Et ce n’est pas l’envie qui manquait. Mais bien vite, l’attention de l’étalagiste fut détournée par la virulence des propos de la grand-mère de Kat. Plus elle parlait, et plus le regard que Chris portait sur elle se faisait dur et sévère. De quel droit pouvait-elle traiter sa petite-fille de la sorte ? Lui, passe encore, de toute façon il s’était bien douté que sa présence ne serait pas appréciée ici, alors il faisait fi de tout ce qu’elle pouvait bien dire à son sujet. Ce qui le blessait le plus, c’était que Kat ait à entendre ces mots sortir de la bouche d’un membre de sa famille. Sans trop qu’il ne saisisse la raison de cela, la jeune femme lui avait prit la main, et la serrait un peu plus à chaque assaut de la grand-mère.

Ne pouvant plus se retenir, Chris se releva brutalement, faisant même basculer sa chaise en arrière dans un grand fracas et lâcha la main de Kat. Il s’approcha de la grand-mère, et planta son regard dans le sien en oubliant tous les protocoles et le respect qu’il était censé lui accorder. Si elle n’avait pas été une femme, Chris lui aurait volontiers fait gouter à son poing droit. Mais il décida d’être un brin plus diplomate, et se contenta d’articuler à propos de Kat : « Je suis peut-être un pouilleux et un malheureux, mais contrairement à vous je la respecte… et je l’aime. » Sans plus d’explications, le jeune homme quitta la pièce et fila en direction de la chambre qui lui avait été attribuée pour commencer à ranger ses affaires afin de prendre le prochain avion en direction de New-York. Il lui était de toute façon inutile d’essayer de défendre Kat vu sa côte de popularité actuelle, alors autant retrouver son appartement new-yorkais, même s’il y courrait un quelconque risque lié à l’enlèvement de la jeune femme.

Kat ne s'était absolument pas attendue à ce que Chris intervienne. Elle le pensait intimidé par tout ce qui lui paraissait normal, elle avait d'ailleurs senti sa gêne et son sentiment de ne pas être à sa place depuis le début du séjour. Elle était en train de le faire passer par l'enfer, elle lui avait promis qu'elle contiendrait les choses et voila que sa grand-mère la traitait de prostituée et n'était pas plus tendre avec lui. Si elle n'était pas convaincue qu'il était plus en sécurité ici qu'à New York, elle n'aurait trouvé que des points positifs à l'idée de le faire venir à Londres et vivre dans son manoir avec sa famille. Et pourtant, Chris réagit - en un instant, il avait lâché sa main et s'était levé en faisant tomber la chaise Renaissance sur laquelle il était assis. Il avait traversé l'espace qui le séparait de sa grand-mère, et devant le regard médusé des trois autres O'Maley, avait rageusement prononcé ses mots. « Je suis peut-être un pouilleux et un malheureux, mais contrairement à vous je la respecte… et je l’aime. »

Gros silence. Lyla était aussi choquée que sa petite fille, qui entrouvrit la bouche sous la surprise et suivit des yeux un Chris déterminé en quittant la pièce. Instinctivement, Kat se leva à son tour et fit volte-face pour le suivre, mais la voix de sa grand-mère trancha. « Où est-ce que tu crois aller, Rosemary ? » La jeune femme s'arrêta au milieu de la salle et ferma les yeux en déglutissant. Elle ne pouvait pas retourner s'asseoir comme si de rien n'était. Chris venait de se tenir devant sa famille, de leur faire face. Elle passait son temps à dire qu'elle ferait de même, et pourtant elle était restée silencieuse. Ses poings se serrèrent et elle inspira un grand coup avant d'ouvrir les yeux en se retournant. Son regard alla de son père à son frère, puis à sa grand mère, et lorsqu'elle prit la parole, l'émotion perçait clairement dans sa voix. « Chris est un homme bien. Vraiment. Sûrement bien plus honorable que vous trois réunis, mais vous n'avez même pas cherché à le savoir. » Ses yeux s'embuèrent mais elle s'interdit de pleurer. « J'ai été enlevée, Chris était là, et même si il savait qu'il avait aucune chance, il a tout fait pour me protéger. Il a risqué sa vie pour moi. Il est... doux, gentil, attendrissant, compréhensif mais vous risquiez pas de l'apprendre, hein. » Elle saisit le collier de jade qu'elle avait mis autour du cou et le balança à terre avec violence. « Alors il a peut-être pas le sang d'une famille millénaire, ou le compte en banque de Rotschield, mais sincèrement, quand je vois votre attitude, ça me dégoûte plus qu'autre chose d'être de cette famille. » La blonde secoua la tête et baissa les yeux avant d'adresser un nouveau regard à sa grand-mère. « Où est-ce que je crois aller ? Je vais le retrouver, je veux pas rester ici, surtout pas avec vous. » lâcha-t-elle finalement avant de tourner les talons.

Kat monta les escaliers en sautant plusieurs marches, se retrouvant sans tarder dans les appartements des invités. Son coeur battait la chamade, elle avait du mal à croire qu'elle venait de dire ça à sa grand-mère. Elle s'était retenue, s'était empêchée de dévoiler que Chris et elle n'avaient jamais rien fait de répréhensible - qu'ils le croient, tiens - mais elle avait quand même dépassé des limites qu'elle n'avait jamais osé franchir auparavant. Dès qu'elle arriva devant la porte de la chambre de Chris et qu'elle le vit en train de faire ses valises, elle s'approcha de lui. « Chris... » Elle posa sa main sur son avant-bras et le fit se retourner avant de se rapprocher de lui pour entourer sa nuque de ses bras et l'enlacer. « Je suis vraiment désolée, elle aurait jamais dû te dire ça. » dit-elle avant de s'éloigner juste assez pour pouvoir capter son regard. Une main toujours dans sa nuque, elle se mordit la lèvre inférieure pour cacher un sourire. « Tu... Tu lui a dit que tu m'aimais ? Ça, c'est sûr, ça l'a clouée. » chuchota-t-elle. Et ça l'avait clouée elle aussi par la même occasion.

Furieux et frustré de ne rien pouvoir faire de mieux, Chris avait monté les escaliers avec une démarche et une attitude rageuses. Le bruit de ses pas avaient du résonner dans tout le manoir, mais il n’en avait que faire. Dans son esprit, il ne cessait de se répéter ce qu’il avait dit à Kat avant qu’ils partent pour Londres : jamais il n’aurait du l’accompagner, il n’avait rien à faire là et le reste de la famille le lui avait très bien fait comprendre depuis leur arrivée. Jusqu’à maintenant, Chris était resté discret et impassible, comme à son habitude. Mais cette fois, c’en était trop. Même avec toute la force dont il pouvait parfois faire preuve, il n’avait pas si se retenir. Le jeune homme avait osé offenser la grand-mère O’Maley, et il allait devoir payer pour ça, c’était certain. D’ordinaire, Chris était bien le dernier des garçons à se faire remarquer. Mais paradoxalement, il avait le sentiment que jamais personne avant lui n’avait provoqué un tel remue-ménage dans le manoir.

La première chose que le jeune étalagiste fit donc en entrant dans sa chambre fut d’attraper son gros sac de voyage, de le poser sur son lit et de commencer à le remplir avec les premières affaires qui lui tombaient sous la main. L’expression sur son visage n’avait pas changé depuis qu’il avait quitté la table, et ses mâchoires étaient serrées, laissant apparaître une musculature tendue le long de ses joues. Il balançait sans ménagement ses quelques vêtements dans son sac lorsqu’il entendit la voix de Kat derrière lui. Puis, sans même qu’il ne se soit retourné, elle posa sa main sur son bras et le força à la regarder. Ce n’est que lorsqu’elle l’enlaça que l’expression de Chris s’adoucit un peu. Il posa ses mains sur les hanches de la jeune femme sans grande conviction, et la laissa se reculer pour planter ses yeux encore emplis de colère dans les siens. Le regard de Kat lui apparu différent de toutes les autres fois où il l’avait croisé, comme embué, ce qui ne fit que décupler son mécontentement. Aussitôt, ses sourcils se refroncèrent et il joignit ses mains dans le dos de Kat pour la rapprocher un peu plus de lui. « C’est pas ça le problème, je m’y attendais un peu tu sais… Mais comment est-ce qu’elle peut te… » Le canadien se contenta de soupirer sans même finir sa phrase. C’était inutile de toute façon, Kat savait très bien de quoi il voulait parler.

« Tu... Tu lui as dit que tu m'aimais ? Ça, c'est sûr, ça l'a clouée. » Chris baissa la tête, presque gêné Il sentait que ses joues commençaient à s’empourprer mais voulait à tout prix cacher ce malaise digne d’un gamin de treize ans. Au lieu de ça, il lâcha Kat pour passer une main dans ses cheveux et se gratter frénétiquement l’arrière du crâne. « Oh, ça… ouais… » Un petit rire nerveux et inutile vint ponctuer la fin de sa phrase, tout aussi inutile. Finalement, il retira la main de ses cheveux pour l’enfoncer dans la poche de son jean, ce qui ne signifiait pas forcément qu’il était plus à l’aise. Néanmoins, il décida de se reprendre et se racla la gorge puis retrouva son sérieux. « J’veux pas qu’ils te parlent comme ça, même si ils sont de ta famille ou… qui qu’ils soient, je m’en fiche. Ils n’ont aucun droit de faire ça. Oui, le jeune homme avait savamment évité le sujet délicat. Pas parce qu’il ne pensait pas ce qu’il avait dit, au contraire. Mais le fait d’étaler ses sentiments et ses ressentis était une chose tellement inhabituelle et oppressante pour lui qu’il se retrouvait toujours complètement démuni face à ce genre de situation.

Kat se retrouva bien rapidement contre Chris, et ses mains descendirent sur ses coudes. « C’est pas ça le problème, je m’y attendais un peu tu sais… Mais comment est-ce qu’elle peut te… » Remarquant son agacement, Kat ne put s'empêcher d'esquisser un sourire légèrement dubitatif. Il s'était autant fait insulter qu'elle, et si c'était pour lui qu'elle s'inquiétait, lui avait plus de problème à la savoir, elle, insultée. Elle hocha la tête et se mordit la lèvre inférieure : évidemment, qu'il s'y attendait. Elle aurait dû s'y attendre aussi, au lieu de croire que parce qu'elle était subjuguée par Chris, toute sa famille allait l'être aussi. Pour le coup, elle était plus déçue qu'autre chose de leur attitude. Et surtout, elle avait honte : il avait beau être celui qui affirmait qu'il ne se conformait pas à son monde, c'était elle qui avait l'impression que le sien n'était pas digne de lui.

Elle remarqua immédiatement qu'il cherchait à éviter de parler de ce qui lui avait sûrement échappé sans qu'il ne le veuille vraiment. Probablement aussi gênée que lui, bien qu'amusée de son attitude, elle n'insista pas et les paroles qu'il prononça par la suite l'incitèrent à reprendre son sérieux. « J’veux pas qu’ils te parlent comme ça, même si ils sont de ta famille ou… qui qu’ils soient, je m’en fiche. Ils n’ont aucun droit de faire ça. » Kat secoua la tête et s'humecta les lèvres, ne sachant d'abord pas comment justifier les paroles de sa grand-mère et l'attitude de son père et de son frère. Elle remonta l'une de ses mains dans la nuque du jeune homme et la caressa doucement en fronçant les sourcils avant de prendre doucement la parole. « Ca aurait jamais dû éclater comme ça, c'est à cause de mes études, ça les a tout de suite lancés. » Elle lança un regard circulaire à la pièce et haussa une nouvelle fois les épaules. « Ils ont juste... une vision du monde différente, regarde, ils sortent presque jamais d'ici. Ils attendent que je me comporte d'une certaine façon, que mon parcours soit irréprochable, et pour eux c'est totalement légitime. Ils sont juste... trop bornés. Et je ne dis pas que ça les excuse pour ce qu'ils ont dit ou la façon dont ils ont agi avec toi. Désolée. » s'excusa-t-elle une nouvelle fois.

La jeune femme s'éloigna finalement de Chris et posa son regard sur sa valise ouverte et le bazar qui y régnait. Elle s'en approcha et fit volte-face après avoir saisi le couvercle pour la refermer. « Allons quelque part, n'importe où. Sortons d'ici, je peux te faire visiter ce que tu veux, je connais la ville comme ma poche. » entama-t-elle rapidement en lançant un regard inquiet au jeune homme. Elle grimaça en baissant les yeux et s'approcha de nouveau de Chris pour entrelacer leurs doigts. Elle hésita avant de prendre la parole, et releva son regard pour le planter dans celui du jeune homme avant d'ouvrir la bouche. « Pars pas sans moi... s'il te plaît. J'ai juste besoin d'un peu de temps pour les convaincre de me laisser repartir à New York. » dit-elle avec des yeux suppliants.

Chris n’avait rien entendu de tout ce qu’il s’était passé après son départ de la salle à manger. La seule chose qu’il voyait était que Kat avait elle aussi quitté la pièce pour venir le retrouver. Dans un sens, ça le rassurait. Mais c’était également le signe d’une réelle fracture entre elle et sa famille, et c’est précisément ce qu’il avait craint avant de quitter New-York. Dans son esprit, il allait être l’intrus que Kat défendrait alors que toute la famille voudrait l’abattre… Et c’est exactement ce qui s’était produit. En prenant sa défense la jeune femme s’était mis à dos tout le reste de la tablée. Mais le comportement de Ben avait également beaucoup aidé, et Chris se demandait toujours de quel côté il était. Kat, elle, le défendait. Elle s’était même beaucoup inquiétée pour lui après son enlèvement et avait tout fait pour qu’il soit en sécurité et qu’il ne lui arrive rien. Et au lieu d’en faire de même, Ben l’avait littéralement trahie, et vendue devant son père et sa grand-mère. « Ca aurait jamais dû éclater comme ça, c'est à cause de mes études, ça les a tout de suite lancés. » L’étalagiste acquiesça doucement en fronçant les sourcils, puis secoua finalement la tête. « Mais pourquoi il a fait ça ? Toi tu fais tout pour le protéger, et lui il balance tout comme ça ! Je veux bien qu’il ne m’aime pas mais… qu’il vienne régler ça avec moi ! Je ne comprends pas comment un frère peut faire ça… » Même si la famille Stanford n’était pas parfaite, loin de là même, l’entraide entre frères et sœurs avait toujours primé. Dans les moments les plus durs, le fait de se serrer les coudes avait été leur seule arme, et c’est grâce à ça qu’ils étaient encore là aujourd’hui. Rien ni personne ne pouvait ébranler la relation qu’ils avaient tous les quatre, et dans n’importe quelle circonstance, ils étaient là les uns pour les autres.

Kat voulait partir, c’était évident. Son raisonnement rappelait même celui qui précède une fugue. Mais elle se tempéra rapidement et se rapprocha de Chris en arborant un regard implorant qui lui serra le cœur. « Pars pas sans moi... s'il te plaît. J'ai juste besoin d'un peu de temps pour les convaincre de me laisser repartir à New York. » Le jeune homme serra un peu plus les mains de Kat et répondit d’une voix grave : « Je ne te laisserai pas, je te l’ai promis. » Chris déposa ensuite un rapide baiser sur son front, puis lâcha ses mains afin de se reconcentrer sur sa valise. Malgré tout, une idée le hantait depuis qu’il avait quitté la table : aux vues de la réaction de la famille, il avait toutes les chances de penser qu’ils feraient tout pour briser cette histoire qu’il vivait avec Kat. Et cette perspective le pétrifiait. Sans même lever les yeux vers elle, il continua : « Je te l’avais dit… Ils ne m’accepteront jamais. Je fais pas partie de ce monde-là. »

« Mais pourquoi il a fait ça ? Toi tu fais tout pour le protéger, et lui il balance tout comme ça ! Je veux bien qu’il ne m’aime pas mais… qu’il vienne régler ça avec moi ! Je ne comprends pas comment un frère peut faire ça… » Kat haussa les épaules et resta d'abord silencieuse. Des dizaines de raisons lui venaient à l'esprit qui pourraient expliquer que, justement parce qu'il était son frère, il aurait pu trouver pour justifier de dévoiler à leur père et leur grand-mère ce qu'elle cachait consciencieusement depuis plusieurs mois. Elle lui en voulait, mais elle savait que ce n'était pas une haine mortelle qu'elle ressentait. Après tout, elle n'avait elle-même pas été tendre avec lui lorsqu'il ramenait des filles chez eux, ne se gênant pas pour se transformer en vipère à chaque fois qu'elles se trouvaient dans la même pièce. Ca faisait des mois qu'il insistait pour qu'elle reprenne les cours, qu'elle calme la danse. « C'est pas tellement... toi qu'il aime pas, je pense, c'est juste tout... tout ça. » fit-elle en baissant les yeux, honteuse. Elle qui jusqu'à présent s'en sortait comme un chef pour réussir à garder son monde en équilibre le voyait s'écrouler. « Il y a nous, bien sûr, mais les cours, la danse, mon train de vie à New York, tout l'insupporte parce que... parce qu'il m'a déjà vu faire ça et qu'il a juste peur que ça recommence, j'imagine. » Après tout, elle ne pouvait pas lui reprocher de vouloir la protéger, il avait été le témoin impuissant de sa descente aux enfers quelques années plus tôt. Cependant, ça ne justifiait pas toute son attitude, et ce qui l'énervait plus que tout était le fait qu'ils ne veuillent pas apprendre à connaître Chris.

Entendre le jeune homme répéter qu'il ne partirait pas sans elle la rassura, et elle ferma les yeux lorsqu'il embrassa son front. Kat n'avait pas peur de se battre contre sa famille, de se tenir devant eux, que ce soit pour Chris ou pour autre chose, parce que ça faisait partie de ses convictions. Encore à peine un mois avant, elle l'affirmait et le revendiquait en incitant une de ses amies à l'imiter. Mais lui, à part elle, rien ne le retenait ici, rien ne le forçait à se battre avec elle, et selon son point de vue c'était un bien faible argument. « Je te l’avais dit… Ils ne m’accepteront jamais. Je fais pas partie de ce monde-là. » Kat releva les yeux vers Chris qui, lui, les avait laissés tomber vers le sol, et se redressa immédiatement. « Non, Chris, non... » murmura-t-elle avant de chercher son regard. « C'est ma faute, ils me reprochent encore des affaires qui devraient être closes et... et puis de toute façon, le problème ne vient ni de toi, ni de moi. C'est eux ! » s'exclama-t-elle finalement en s'approchant de nouveau de lui. En se mettant sur la pointe des pieds, elle unit leurs lèvres un instant et un nouveau sourire rassurant prit place sur son visage. « Et tu fais partie de mon monde, c'est un fait. Je crois pas leur avoir demandé leur avis. » dit-elle en laissant l'une de ses mains se perdre dans les cheveux de Chris.

Finalement, elle reprit la main de Chris dans la sienne et son sourire s'élargit. « Mais je suis sérieuse, sortons d'ici pour ce soir. » reprit-elle en déplaçant sa main jusqu'à sa joue. « On peut vraiment aller n'importe où, sur la Tamise, voir Big Ben, Leicester Square, Buckingham... Juste toi et moi. » Oui, parce qu'il n'y avait que lorsqu'ils étaient que tous les deux que les choses semblaient fonctionner, et encore. Elle lui lança un regard implorant et sa main tomba cette fois-ci sur le torse du jeune homme alors qu'elle faisait une mine triste pour le convaincre.

Malgré tous les efforts que Kat déployait pour le rassurer, Chris ne pouvait s’empêcher d’être pessimiste. Et malheureusement pour eux, le destin venait de leur montrer qu’il avait déjà eut raison une première fois. Après tout ce qu’il venait de se passer, le jeune homme admirait la capacité qu’avait Kat à dédramatiser, et à chercher des solutions pour se changer les idées au plus vite. Mais dans l’esprit de l’étalagiste, ce n’était pas ce qui était le plus urgent. Au contraire, quitte à être dans une situation délicate, autant en faire le tour une bonne fois pour toutes. L’air tourmenté qu’il arborait depuis le début ne quittait plus son visage, et ce même si Kat lui souriait. Il n’avait pas cette capacité de passer à autre chose en un clin d’œil quand il était contrarié, et il sentait bien que quelque chose d’encore plus gros ce tramait derrière cette discussion houleuse qui aurait pu en rester là. Bien sûr, il ne connaissait pas vraiment la famille O’Maley, mais Chris avait comme un pressentiment. Ils n’étaient certainement pas du genre à laisser passer une telle chose sans broncher, surtout après ce que Kat leur avait déjà fait quelques années auparavant. Par conséquent, ils prendraient des mesures sérieuses pour la protéger et éviter qu’elle déraille de nouveau. Jusque là, tout paraissait normal et même plutôt censé. Seulement voilà, l’élément déclencheur de tout ça, et le responsable aux yeux des O’Maley, c’était lui. Chris en était persuadé.

Le jeune homme était planté au milieu de la pièce, et il ne bronchait pas. Kat caressait ses cheveux, lui prenait la main, mais rien n’y faisait. Il était bien trop absorbé par ses pensées et ses questions pour répondre à ces gestes qui se voulaient rassurants. C’est en croisant le regard triste et implorant de la jeune femme qu’il se décida à agir. Il devait lui parler, sérieusement, et ça ne pouvait pas attendre. Pour lui, Kat ne comprenait pas (ou plutôt ne voulait pas comprendre) ce qui se tramait, et ce qu’allait donner la suite des évènements. Peut-être était-elle naïve… ou bien avait-elle raison de ne pas s’inquiéter outre mesure ? Quoi qu’il en soit, l’étalagiste voulait tirer les choses au clair. Il s’éloigna d’elle et lâcha sa main sans se dépeindre de son air grave, et alla faire de la place sur le lit en poussant son gros sac à moitié plein. Puis il revint à hauteur de Kat, lui prit les mains, et l’entraina avec lui en direction de ce lit sur lequel il s’installa, incitant la jeune femme à en faire de même. Aussitôt, il planta son regard dans le sien mais s’accorda un peu plus de temps avant de commencer : « Kat… tu n’as pas l’air de saisir. C’est pas le moment d’aller se balader tous les deux… Même si j’en ai très envie. » ajouta-t-il comme pour atténuer un peu la dureté de son discours. « Je sais bien que tu ne leur as pas demandé leur avis, et c’est bien ça le problème… J’veux dire, tu crois vraiment qu’ils vont rester là sans rien faire ? A leurs yeux, j’y suis pour quelque chose. Et tu n’auras pas ton mot à dire quand ils te demanderont de ne plus me fréquenter. Et c’est ce qu’ils vont faire, crois-moi… » Pessimiste ? Certainement, mais aussi réaliste. Pour Chris, la seule issue que les O’Maley trouveraient serait de lui interdire cette relation, et d’obliger Kat à rentrer dans les rangs, de gré ou de force.

Alors qu'elle était en train de le rassurer et de lui proposer de sortir prendre l'air, Kat remarquait que Chris avait une attitude grave. Pouvait-elle le blâmer ? Sûrement pas, il n'avait définitivement pas la même vision des choses qu'elle. Elle se laissa guider jusqu'au lit où elle s'assit, plongeant son regard dans le sien en haussant légèrement les sourcils en attendant que le jeune homme prenne la parole. « Kat… tu n’as pas l’air de saisir. C’est pas le moment d’aller se balader tous les deux… Même si j’en ai très envie. » Un léger sourire prit place sur le visage de la jeune femme autant à cause de sa tentative pour la rassurer que pour son air grave qu'elle ne partageait pas. « Je sais bien que tu ne leur as pas demandé leur avis, et c’est bien ça le problème… J’veux dire, tu crois vraiment qu’ils vont rester là sans rien faire ? A leurs yeux, j’y suis pour quelque chose. Et tu n’auras pas ton mot à dire quand ils te demanderont de ne plus me fréquenter. Et c’est ce qu’ils vont faire, crois-moi…. » Kat fronça cette fois-ci les sourcils, secoua légèrement la tête et détourna le regard avant de se mordre la lèvre inférieure. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, se ravisa et se tassa sur elle-même en regardant le papier peint comme si elle allait y trouver un discours tout prêt. « C'est toi qui ne comprend pas... » lâcha-t-elle après un instant de silence avant de soupirer.

Elle se redressa, adressa un regard à Chris et reprit plus fortement. « T'as vu comment ils ont agi, là ? Ce qu'ils ont dit ? » dit-elle en tendant une main vers la porte avant de grimacer et de secouer la tête. Cette attitude l'avait clairement écœurée, autant en ce qui concernait Chris que tout le reste. « Je pense pas comme eux, ça a jamais été le cas, et... Oui, ce qui se passe est grave, et important, mais... Le seul truc qui m'embête vraiment c'est que ce soit arrivé pendant ton séjour. » continua-t-elle en haussant les épaules. Elle se mordit une nouvelle fois la lèvre inférieure pour essayer de trouver le moyen d'expliquer clairement le schéma de la situation qu'elle avait en tête. « Mais ça serait arrivé de toute façon. Tu sais, parmi mes amis dans le milieu, c'est une question constante, de savoir quand est-ce que nos parents vont nous rappeler à nos obligations. Depuis tout petit, on baigne dans ce milieu, on s'y conforme... en général. » reprit-elle en lâchant un sourire. « Et moi, je dis non. »

Elle se releva, traversa la pièce et s'appuya sur la commode en se retournant. Un sourire sur les lèvres, elle haussa les épaules. « J'ai pas l'intention de me laisser me faire marier, ou de revenir vivre avec eux ici, ou d'arrêter de te voir juste parce qu'ils le décident. J'ai mes positions, et je les garderais, c'est aussi simple que ça. » Elle traversa de nouveau la salle, s'appuyant contre le baldaquin du lit avant de s'appuyer contre le mur, près de Chris, en profitant pour se pencher et poser un rapide baiser sur ses lèvres. « Tu sais que je suis la reine du compromis. » Elle sourit un peu plus avant de se redresser et de devenir plus sérieuse. Le compromis qui lui était venu en tête semblait parfaitement correct : elle pouvait concéder à reprendre ses études, c'était la seule clause pour laquelle elle plaidait coupable, mais en ce qui concernait New York, la danse ou Chris, il n'y aurait aucune discussion possible. « Alors soit ils acceptent le mien, soit... soit ils le refusent et là, je crois qu'on aura un petit conflit d'intérêts. » Elle ne croyait définitivement pas que sa grand-mère ou son père aillent jusqu'au reniement, c'était très mal vu dans le milieu et c'était une paperasse et des audiences immense et insupportables, et même s'ils y allaient, elle accepterait - le sang avait sa valeur, l'honneur aussi. Elle baissa de nouveau le regard vers Chris et le rassura immédiatement. « Enfin, au pire ils essaieront de m'apprendre la vie à la dure, mais j'ai beaucoup plus de ressources de côté-là qu'ils ne l'imaginent. » sourit-elle.

Elle s'approcha du jeune homme et tira l'un de ses bras pour l'inciter à lui laisser de la place sur ses genoux. Elle s'assit, passa son bras autour du cou du jeune homme et plongea son regard dans le sien, les lèvres toujours étirées dans un sourire rassurant. « Le monde ne s'est pas arrêté de tourner, Chris, et ne serais-ce que par principe, je les laisserais pas m'empêcher de te voir. » le rassura-t-elle une nouvelle fois.

« C'est toi qui ne comprend pas... » Cette simple phrase résumait à merveille la situation : Kat persistait à croire que tout allait bien, et que tout se passerait pour le mieux malgré le conflit évident qi régnait dans le manoir. Chris, quant à lui, restait persuadé que cette histoire allait mal finir, et que tôt ou tard quelque chose le séparerait d’elle. Une fois de plus, tout les opposait. Et pourtant il aurait voulu être du même avis qu’elle, vraiment ! Mais leurs mondes étaient tellement différents l’un de l’autre qu’il ne pouvait faire autrement que de se sentir inférieur et perdant, quoi qu’il arrive. La jeune femme tentait de lui faire comprendre qu’elle avait ses convictions, et qu’elle entendait bien les tenir jusqu’au bout. Mais dans la tête de Chris, elle n’aurait jamais le dernier mot. Pas qu’il ne croit pas en elle, bien au contraire. Mais le pouvoir et tous les enjeux qui tournaient autour de sa famille étaient pour lui bien plus fort que ça. Elle semblait persuadée d’avoir le contrôle de la situation, et le canadien n’eut d’autre choix que de lui adresser un petit sourire moyennement convaincu, pour lui prouver qu’elle le rassurait, un peu.
Kat s’installa sur les genoux de l’étalagiste, qui n’y opposa aucune résistance. Son regard traduisait encore un peu son anxiété, mais celui de la jeune femme était là pour l’aider. « Le monde ne s'est pas arrêté de tourner, Chris, et ne serais-ce que par principe, je les laisserais pas m'empêcher de te voir. » Le sourire que Kat arborait était quasi-irrésistible pour Chris, et il dut bien s’avouer que son pouvoir de persuasion était implacable. Ils s’étaient promis de ne pas se laisser tomber quoi qu’il arrive, alors maintenant il fallait tout faire pour ne pas être séparé, même si ça paraissait être une mission périlleuse. Plus il la regardait, et plus le canadien reprenait confiance. Après tout, personne n’avait le droit de les éloigner, pas même la si prestigieuse famille O’Maley. Bien sûr, il s’inquiétait toujours plus pour Kat que pour lui. Mais il devait se mettre en tête qu’elle était pleine de ressources, et qu’elle s’en sortirait en toutes circonstances. Passant un de ses mains dans les cheveux de la jeune femme, il l’attira brusquement vers lui pour l’embrasser langoureusement, sans vraiment comprendre d’où lui venait cette précipitation. Il fit durer le baiser tant que son souffle le lui permit, puis recula légèrement avec un mince sourire fixé au coin des lèvres.
« T’as sûrement raison… Pardon.» Sa main descendit le long du dos de Kat au fur et à mesure qu’il reculait pour pouvoir la regarder dans les yeux. « Bien… Où est-ce que tu voulais m’emmener alors ? » Pour cette fois, il avait bel et bien cédé. Mais un peu d’air ne pourrait finalement pas lui faire de mal, et après ça il y verrait peut-être plus clair dans cet enchevêtrement de questions qui occupaient son esprit.

Kat comprit qu'elle avait gagné la partie lorsque Chris s'empara brusquement de ses lèvres pour l'embrasser avec passion, sans qu'elle ne s'y attende. Ca ne l'empêcha pas évidemment d'apprécier le baiser et d'y répondre avec plaisir, sentant son coeur se gonfler à cette simple action. « T’as sûrement raison… Pardon.» Un sourire satisfait naquit sur les lèvres de la blonde et elle s'éloigna légèrement en posant sa main sur la nuque du jeune homme.

Bien sûr qu'elle était inquiète, mais dans une moindre mesure. A vrai dire, elle n'avait jamais été aussi convaincue de sa vie : c'était pour sa liberté qu'elle se battait, pas seulement pour une histoire de danse ou de petit-ami, elle avait vingt ans et elle refusait d'être toujours enchaînée à l'autorité des O'Maley. Elle aimait son frère, son père, au-delà de leurs paroles et de leurs actions, ils restaient sa famille mais elle ne pouvait pas être définie par son patronyme toute sa vie, elle ne le concevait tout simplement pas. Chris était une raison de plus de vouloir se battre. « Bien… Où est-ce que tu voulais m’emmener alors ? » Le sourire de l'anglo-russe s'élargit et elle posa un bref baiser de remerciement sur les lèvres de Chris avant de faire mine de réfléchir. « Hm, je pense connaître un endroit pas mal... » déclara-t-elle finalement en s'éloignant du jeune homme pour se relever et l'inviter à faire de même. Une fois tous deux debout, elle l'embrassa de nouveau et plongea son regard dans le sien. « Merci de me faire confiance. » murmura-t-elle avant un dernier baiser.

Elle revint à peine cinq minutes plus tard, également vêtue d'un manteau. Reprenant immédiatement la main de Chris, elle colla un baiser sur ses lèvres avant d'entrelacer leurs doigts et de l'entraîner dans le manoir jusqu'à la porte d'entrée. Arrivés à la porte, elle arrêta le jeune homme. « Attends, juste... une seconde. » Elle courut jusqu'à la pièce d'à côté et réquisitionna rapidement un membre de la sécurité. Elle lui précisa qu'elle le réquisitionnait par sécurité mais qu'il ne devait en aucun cas se faire remarquer. Elle revint dans l'entrée et reprit naturellement la main de Chris en ouvrant la porte pour sortir. « J'ai demandé à quelqu'un de nous suivre, mais tu ne le remarqueras même pas. » chuchota-t-elle en embrassant sa joue avant de l'entraîner vers Trafalgar Square.