Depuis le trottoir d’en face, Lennie-Jane observait la façade d’un bureau médical avec une certaine appréhension. Son regard passait tour à tour de l’immeuble au morceau de papier où elle avait rapidement griffonné les quelques informations obtenues sur son frère grâce à son nouvel emploi. Celui-ci lui conférait une toute autre accessibilité aux dossiers des citoyens lambdas et l’australienne avait appris deux choses concernant Nate : premièrement, il avait un casier judiciaire pour quelques méfaits commis à l’adolescence et deuxièmement, il menait aujourd’hui une vie confortable grâce à un métier de chiropracteur. Cela faisait maintenant vingt-trois longues années que sa mère l’avait enlevé à Nate en l’emportant avec elle, vingt-trois années durant lesquelles son frère l’avait hanté toutes les nuits et autant de temps à imaginer leurs retrouvailles pourtant, cela faisait précisément vingt-trois minutes qu’elle poireautait au beau milieu du trottoir avec la peur au ventre.

Lennie-Jane avait remué ciel et terre pour le retrouver, maintenant que c’était le cas, les doutes qui l’assaillaient semblaient la clouer sur place. Lui avait-elle manqué ? Avait-il cherché à la contacter ? Comment allait-il réagir ? Pouvait-il la repousser ? Pourraient-ils retrouver la relation fusionnelle qu’ils avaient autrefois ? Tant de questions qui ne trouveraient pas de réponses si elle continuait à rester là sans rien faire. L’australienne finit par prendre une profonde respiration pour chasser cette boule d’angoisse qui lui nouait douloureusement le creux du ventre et après un dernier coup d’œil à la voirie, Lennie-Jane traversa d’une démarche quelque peu hésitante malgré l’assurance qu’elle affichait. C’est avec une main tremblante qu’elle poussa la porte d’entrée, jetant un coup d’œil circulaire à l’endroit, s’émerveillant de tout ce qui pouvait lui tomber sous les yeux comme une enfant ouvrant ses cadeaux le lendemain de Noël. La décoration était loin de faire ‘clichée’ puisque le cabinet médical était décoré avec goût, comme pour faire oublier aux patients qu’ils pénétraient dans un univers médical qui n’était pas toujours porteur de bonnes nouvelles. Un sourire mélancolique étira ses lèvres ; partout où elle posait son regard, Lennie-Jane pouvait sentir la présence de son frère jumeau.

Sentant le regard de la secrétaire peser sur elle, la jeune femme s’approcha de son bureau sans se rendre compte que des larmes salées commençaient à perler au coin de ses yeux. Elle détailla discrètement la secrétaire médicale du regard ; c’était une charmante jeune femme un peu plus jeune qu’elle avec une longue chevelure blonde et un regard perçant. Lennie-Jane lui adressa un sourire poli. « Bonjour. Je souhaiterais un rendez-vous de toute urgence avec le Dr Lewis. Est-il présent aujourd’hui ? ». C'était tout, sauf ce qu'elle avait initialement prévue. Lennie-Jane n'avait pas pensé qu'elle devrait donné son nom ainsi que son assurance et sa couverture tomberait à l'eau, réduisant à néant l'effet de surprise. Elle espérait juste que Nate soit présent et qu'elle puisse enfin le revoir après tout ce temps, mais au fond, Lennie-Jane ne savait même pas si elle était prête à l'affronter.

La journée ressemblait à toutes les autres, pour Nina. Elle arrivait au travail, se mettait derrière son bureau et souriait à toutes les personnes qui lui adressaient la parole pour prendre rendez vous ou demander un renseignement. On pourrait penser que ce genre de travail où l'on reste immobile serait ennuyant pour elle : mais pas du tout. Au contraire, cela lui permettait de rencontrer un panel de gens plus différents les uns que les autres et il n'y avait rien au monde qu'elle adorait plus. Elle vivait pour le social. Ariana ne pouvait s'empêcher de poser des questions sur la vie personnelle des gens, les poussant à se confier à elle. Étant très bonne pour garder les secrets, elle ne se mettait jamais en milieu de disputes et se faisait rarement des ennemis. Tout lui souriait. La seule chose un peu dure ces jours-ci était ses nausées qui devenaient de plus en plus fréquentes et qui lui donnaient une mauvaise image auprès des patients. La jeune femme arrivait à se contrôler assez pour ne pas vomir partout, mais cela n'était pas forcément agréable.

La salle d'attente près de son bureau était plutôt vide, pour celle d'un hôpital. En général, les gens attendaient des heures et venaient se plaindre auprès d'elle. Parfois, des hommes un peu ivres lui criaient dessus et il arrivait même qu'ils veuillent l'attaquer. Ariana appelait vite la sécurité et tout rentrait dans l'ordre. Il ne lui était jamais rien arrivé de grave ici et de toute façon, elle n'était ni lâche ni peureuse. Pour passer le temps, elle avait ouvert un jeu de solitaire sur son ordinateur même si cela n'était pas vraiment autorisé. Que faire d'autre ? Elle avait déjà vérifié tous les rendez vous et avait appelé les gens qui ne s'étaient pas présentés. Au bout d'un moment, des bruits de pas lui firent relever la tête et un sourire apparut sur son visage, comme à chaque fois qu'elle voyait quelqu'un de nouveau. Une jolie jeune femme se tenait peu loin de son bureau, et Nina l'observa s'approcher. Elle semblait un peu émue, et Ariana se retint de demander pourquoi. « Bonjour. Je souhaiterais un rendez-vous de toute urgence avec le Dr Lewis. Est-il présent aujourd’hui ? » « Attendez un instant .. » La jeune femme baissa le regard pour consulter l'agenda manuscrit qu'elle utilisait, ne se fiant pas tellement aux ordinateurs. Toutes les cases horaires étaient prises, celui-ci étant plus que demandé.

« Je crains qu'il n'ait pas le temps de vous voir. Mais si vous avez vraiment besoin d'un rendez vous en urgence, je peux vous adresser à un autre médecin .. » Ariana releva la tête et observa la jeune femme avec un sourire. Elle se demandait ce qu'on pouvait bien vouloir en urgence à un chiropracteur. « Puis-je vous demander la raison de votre venue ? Si vous voulez bien m'en informer, bien évidemment. Je pourrais comme cela vous conseiller le meilleur spécialiste pour .. vos maux. »

Lennie-Jane semblait être prise entre deux feux. Une partie d’elle était tellement enthousiaste et émue à l’idée de retrouver son jumeau après 23 ans d’une douloureuse séparation qu’elle était même prête à faire irruption dans son bureau sans passer par la case ‘accueil’, mais d’un autre côté, la jeune femme avait peur de faire la connaissance de ce ‘nouveau’ Nathan. En 23 ans, il avait sans doute énormément changé ; assez pour faire partie de l’ordre des médecins et puis, peut-être que leur mère avait réussi à l’endoctriner. En tout cas, en 23 ans, Lennie-Jane n’avait cessé de penser à son frère et s’en était même rendue malade pour la simple et bonne raison que sans lui, elle avait l’impression de ne rien pouvoir construire de concret. Son job en était la preuve ; elle ne vivait plus que pour le retrouver. Malgré cette peur qui lui tenaillait le ventre, la jeune femme tâchait de faire bonne figure face à la secrétaire dont le teint lui paraissait anormalement grisâtre. Lennie-Jane put lire la surprise sur le visage de la jeune femme qui ne s’attendait visiblement pas à ce qu’on lui demande un rendez-vous urgent avec un chiropracteur, ce qu’elle pouvait comprendre et ce qui ne l’aidait pas vraiment à calmer son stress apparent. « Attendez un instant … ». L’australienne acquiesça. Ses doigts s’étaient mis à pianoter nerveusement le bureau où elle avait posé son bras tandis qu’elle jetait un coup d’œil par-dessus pour regarder le planning en même temps que la secrétaire. Cela ne lui ressemblait absolument pas, mais son regard était comme aimanté. Elle priait à la fois pour qu’il soit libre et pour qu’il ne le soit pas. Paradoxal.

« Je crains qu'il n'ait pas le temps de vous voir. Mais si vous avez vraiment besoin d'un rendez vous en urgence, je peux vous adresser à un autre médecin … ». En la voyant redresser la tête, Lennie-Jane releva la sienne en faisant mine de regarder ailleurs, se sentant gênée d’avoir osé mettre son nez dans le planning de la secrétaire. Un autre médecin ? L’australienne secoua vivement la tête, en affichant un sourire mêlant politesse et déception. « Non. Je… Je crois que ça ira. ». On put clairement voir Lennie-Jane se mordre la lèvre malgré ses efforts pour faire bonne figure et pour cause ; elle venait de perdre toute crédibilité face à la secrétaire qui devait sûrement la prendre pour une ex folle furieuse ou une personne du même genre ce qui l’amènerait sans doute à se justifier si elle ne voulait pas se faire embarquée par un agent de la sécurité ou des hommes en blouse blanche lui passant la camisole de force. Lennie-Jane eut un petit mouvement de recul, prête à fuir à toutes jambes, mais l’envie de se confier à une personne ‘proche’ de son jumeau était plus que tentante. « Puis-je vous demander la raison de votre venue ? Si vous voulez bien m'en informer, bien évidemment. Je pourrais comme cela vous conseiller le meilleur spécialiste pour .. vos maux. ». La jeune femme soupira d’un air las et triste, ses épaules se relâchèrent et son dos se voûta. « En fait… » commença-t-elle, hésitante. Son regard s’accrocha à celui de la secrétaire jaugeant à point celle-ci serait capable de l’écouter, puis elle finit par céder. « Nathan est mon frère jumeau. Nous avons été séparés à l’âge de 6 ans et ça en fait 23 que je le cherche. Il y a plusieurs mois, j’ai su qu’il vivait ici alors j’ai emménagé à New York, mais je viens tout juste de me décider à forcer une rencontre… Comme vous pouvez le voir, je m’y prends de manière un peu maladroite. Enfin, peut-être que ce n’est pas le bon moment, tout simplement. ». Elle haussa les épaules. Combien de temps allait-elle perdre avant de l’approcher ? Pourquoi trouvait-elle toujours des excuses pour se défiler. « Excusez-moi de vous avoir dérangé, vous avez dû me prendre pour une ex folle à lier ou quelque chose dans ce genre là. »

« Non. Je… Je crois que ça ira. » Ariana était un peu curieuse. Elle sentait qu'il y avait quelque chose d'autre derrière cette « urgence » si particulière et rêvait de savoir quelle était toute cette histoire. Des histoires farfelues, elle en avait entendu depuis qu'elle travaillait dans cet hôpital. Elle avait vu des choses invraisemblables et écouté des discours de fous à lier, alors, plus rien ne la surprenait vraiment ou l'impressionnait. La jeune femme allait-elle partir ? Nina continua à l'observer pour savoir ce qu'elle ferait ensuite. Ariana remarqua que la jeune femme dont elle ne connaissait toujours pas le nom se mordait la lèvre nerveusement, et elle se dit intérieurement de ne pas la laisser partir avant de l'avoir aidée à résoudre son problème. C'était tout le problème d'Ariana : sa volonté d'aider les autres, toujours et pour n'importe quoi. Même quand ils ne lui demandaient pas. Elle la vit faire un mouvement de recul et son sang ne fit qu'un tour : il fallait qu'elle fasse quelque chose pour la retenir. Et c'est comme ça qu'elle lui proposa de lui parler. Au lieu de se bloquer et de mettre en avant ses mécanismes défensifs, la jeune femme sembla abandonner son attitude pour sembler plus .. triste. Son attention se porta sur la prétendue patiente et son regard se raviva. « En fait… » Ariana bougea la tête pour lui montrer qu'elle était toute ouïe. Elle allait donc savoir. « Nathan est mon frère jumeau. Nous avons été séparés à l’âge de 6 ans et ça en fait 23 que je le cherche. Il y a plusieurs mois, j’ai su qu’il vivait ici alors j’ai emménagé à New York, mais je viens tout juste de me décider à forcer une rencontre… Comme vous pouvez le voir, je m’y prends de manière un peu maladroite. Enfin, peut-être que ce n’est pas le bon moment, tout simplement. » Le visage d'Ariana s'illumina d'un petit sourire. Pas trop grand pour ne pas effrayer la patiente : ce n'était pas du tout son intention. Cette histoire semblait tout droit sortie d'un film hollywoodien et bien sûr, elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour aider cette jeune femme à fêter ses retrouvailles avec son frère jumeau ! « Excusez-moi de vous avoir dérangé, vous avez dû me prendre pour une ex folle à lier ou quelque chose dans ce genre là. »

Ariana rit un peu avant de reprendre son agenda en mains. « Non pas du tout, je n'ai jamais un apriori négatif sur les gens que je rencontre. Cela permet de ne pas se bloquer à toute sorte de bonne surprise. » Elle baissa la tête et regarda où se trouvait le médecin en question en ce moment précis. Il semblait être en consultation à l'extérieur .. Et donc elle ne pourrait pas le rencontrer aujourd'hui. Un peu triste, Ariana releva la tête pour annoncer la nouvelle à l'inconnue. « Je suis désolée mais votre .. frère n'est pas à l'hôpital en cet instant. Il est en consultation à l'extérieur. Mais je serais ravie d'organiser un rendez vous le plus tôt possible .. » Elle resta à sourire. Ce n'était pas dans ses intentions de laisser partir la jeune femme immédiatement. Elle voulait en savoir plus. « Je m'appelle Ariana. Après tout, étant donné que vous n'êtes pas là pour une vraie conversation et que je compte vous aider .. » Elle lui tendit la main pour qu'elle puisse la serrer.

Lennie-Jane avait éprouvé le besoin de se confier à une parfaite inconnue qui était en relation avec son frère, peut-être croyait-elle que cela l’aiderait plus ou moins à se rapprocher de lui d’une certaine manière. La situation était assez troublante. Se confier avait toujours été une étape très difficile pour Lennie-Jane, preuve en était, elle s’était totalement repliée sur elle-même une fois atteint l’adolescence et s’en était même rendue gravement malade. Être ainsi éloigné d’une personne qui vous est essentielle était une situation qu’elle ne souhaitait à personne. Lennie-Jane avait fait beaucoup de recherches à ce sujet, surfant sur différents sites internet qui traitaient de ce cas de figure afin d'en connaître l'issue. Un jour, elle avait même acheté un livre qui avait en quelque sorte changé sa vie : ‘la fille au diamant’ de Sahana Parveen-Nazrul. Bien sûr, chacun avait une histoire qui lui était propre, mais Lennie-Jane n’avait pas pu s’empêcher de pleurer lorsqu’elle avait lu le passage de la séparation avec ses sœurs. Cette douleur, l’australienne ne pouvait que la comprendre. Elle sembla se reconnecter avec la réalité lorsqu’elle distingua le sourire de la secrétaire médicale, incapable de savoir avec certitude ce qu’il pouvait bien dire. « Non pas du tout, je n'ai jamais un apriori négatif sur les gens que je rencontre. Cela permet de ne pas se bloquer à toute sorte de bonne surprise. ». Lennie-Jane afficha un sourire à son tour, le sien exprimant clairement le profond soulagement. Elle avait peur d’entraîner la secrétaire à sortir de son cadre purement professionnel pour une faveur personnel, mais visiblement, cela ne semblait pas la déranger. Cette dernière vérifia même une seconde fois l’agenda en question sûrement pour s’assurer qu’il n’y avait pas un créneau horaire dans la journée ou qu’il était bien dans son bureau.

« Je suis désolée mais votre .. frère n'est pas à l'hôpital en cet instant. Il est en consultation à l'extérieur. Mais je serais ravie d'organiser un rendez vous le plus tôt possible .. ». Lennie-Jane acquiesça d’un signe de tête, l’air soudainement beaucoup plus détendu. Elle était toujours partagée entre la peur et l’excitation de revoir son frère jumeau après tout ce temps, ne sachant plus très bien comment accueillir la nouvelle. Cela ne ferait que retarder un peu plus l’échéance, il faudrait bien qu’elle passe à l’action un jour parce qu’après tout, elle avait promis à son père de renouer le contact avec lui quoi qu’il lui en coûte. C’était la raison de sa venue à New York, elle n’avait pas quitté son pays natal pour renoncer, mais il lui fallait juste un petit temps de préparation. « Ce n’est pas grave, je ne suis même pas sûre d’y être suffisamment préparée. En 23 ans, il a dû énormément changer et j’ai peur qu’il me rejette. » finit-elle par avouer. Elle avait vainement tenté d’arborer un visage impassible, mais maintenant qu’elles étaient toutes deux entrées dans le vif du sujet et qu’Ariana semblait prendre sa nouvelle mission à cœur, Lennie-Jane était au bord des larmes.

« Je m'appelle Ariana. Après tout, étant donné que vous n'êtes pas là pour une vraie conversation et que je compte vous aider ..». Un son étrange s’échappa de gorge de l’australienne, à la limite du rire et du sanglot tandis qu’elle affichait cette grimace que l’on appelle sourire, légèrement déformé par le trop plein d’émotions. Lennie-Jane serra chaleureusement la main que la secrétaire lui tendait, plaçant même l’autre au-dessus de leur main jointe comme une sceller le lien qui venait tout juste de se tisser entre elles. « Merci. » dit-elle d’une voix qui laissait clairement entendre toute la reconnaissance qu’elle avait envers Ariana. « Moi c’est Lennie-Jane. ». Un regard par-dessus son épaule l’informa qu’elles étaient à l’abri des oreilles indiscrètes et que personne n’attendait son tour, par conséquent, toutes deux pouvaient discuter. « Est-ce que… Est-ce que vous auriez une photo de lui ? Celle que j’ai date un peu. » dit-elle en sortant de sa poche une photographie légèrement jaunie par le temps et qui laissait clairement à penser qu’elle n’avait jamais eu sa place dans un album que l’on n’ouvre jamais. Lennie-Jane la lui tendit avec un petit sourire amusé, essuyant rapidement ses larmes qui perlaient au creux de ses yeux. Sur cette photo prise à la fête foraine où Nathan lui avait donné le collier qu’elle ne quittait plus depuis, on pouvait voir les jumeaux âgés de 5 ans se tenir la main avec un sourire jusqu’aux oreilles, la tête de Lennie-Jane posée sur l’épaule de sa ‘moitié’. « Vous le connaissez bien ? » demanda-t-elle enfin, sûrement dans l'espoir d'avoir un regard neuf sur ce qu'il était devenu.

Ariana n'avait pas l'occasion de se retrouver dans ce genre de situation très souvent. En effet, les histoires dignes des plus grands films comme celle là n'arrivaient que rarement dans la réalité. La jeune secrétaire ayant une vie plus que banale (si on ne comptait pas le petit incident qui changerait peut-être sa vie), elle était friande des histoires des autres. Celle de cette jeune femme tombait à pic ! Et en plus, elle ne semblait même pas réservée par rapport à celle-ci, même face à une totale inconnue. « Ce n’est pas grave, je ne suis même pas sûre d’y être suffisamment préparée. En 23 ans, il a dû énormément changer et j’ai peur qu’il me rejette. » Ariana poussa un soupir inaudible. Elle se doutait que ce moment, elle devait l'avoir imaginé depuis des années et qu'elle avait peur que son idée de la chose diffère trop de la réalité. Le Dr Lewis, Ariana le connaissait bien. Et pourtant, il ne lui avait jamais parlé d'une jumelle qu'il avait perdu de vue. Il faisait partie des rares docteurs de l'hôpital qui ne la prenait pas de haut parce qu'elle faisait partie d'une profession avec moins de mérite. Ils en étaient venus à discuter tous les deux chaque matin autour d'un café et s'étaient même vus quelques fois à l'extérieur. Cela s'arrêtait là, ils n'étaient pas des grands amis non plus mais partageaient une relation positive très agréable. L'idée de renforcer cette relation en l'aidant à retrouver une grande partie manquante de sa vie la réjouissait, et elle ne pouvait attendre qu'il revienne pour faire les présentations. Et puis, elle se dit qu'elle ne serait pas présente pour le moment et eut une pointe de déception. En tout cas, elle en demanderait des nouvelles aux deux intéressés.

Lorsqu'Ariana tendit la main, la jeune femme lui serra chaleureusement ce qui fit grandir son sourire. Elle aimait les gens qui savaient reconnaître les gestes de bonté et y répondre d'une bonne manière. La main que l'inconnue ajouta lui réchauffa le cœur et Ariana vit bien qu'elle était très émue. « Merci. » Il n'existait pas d'autre mot qui lui fit plus plaisir. Il représentait ce qu'elle cherchait toujours : la reconnaissance. Et encore, elle n'avait pas fait grand chose à ce moment là. Cela ne faisait que commencer ! « Moi c’est Lennie-Jane. » L'étreinte de leurs mains s'arrêta et Ariana garda son regard fixé dans celui de la nouvelle connaissance à ajouter à son répertoire. « Très joli prénom. Je suis enchantée de faire ta connaissance ! Si tu acceptes qu'on se tutoie. » Ariana aimait bien cette proximité de langage avec les personnes qu'elle appréciait. Mais étant donné qu'elle appréciait pratiquement tout le monde, elle tutoyait la majorité de la population. Elle observa Lennie-Jane regarder la salle d'attente qui n'était pas très remplie. En effet, il serait déplorable qu'une oreille hagarde entende l'histoire et en informe le docteur avant de voir Lennie-Jane. « Est-ce que… Est-ce que vous auriez une photo de lui ? Celle que j’ai date un peu. » La jeune femme sortit une vieille photographie pour la montrer à Ariana. Ses yeux s'illuminèrent en voyant le docteur qu'elle connaissait bien à l'état de bambin avec sa jumelle. Petits, ils se ressemblaient tellement ! Elle reconnaissait le sourire du Dr Lewis et la forme de ses oreilles, aussi bizarre que cela puisse paraître. « Vous le connaissez bien ? »

Ariana détourna le regard de la photo pour observer la jeune femme. Elle essaya de trouver des ressemblances, mais n'étant pas très forte à ce jeu là, elle ne trouva rien. « Normalement, les docteurs snobent un peu le « petit » personnel mais .. Le Dr Lewis fait partie des exceptions. Il est très aimable, avec moi en tout cas. Je peux l'appeler un ami, oui. » Elle ne parla pas du fait qu'il ne lui avait jamais parlé d'elle, sentant que cela ne serait pas bien amené dans la conversation. Se rappelant de sa question précédente, Ariana fouilla dans les tiroirs de son bureau afin de chercher un magazine où il avait publié. Finalement, elle trouva l'article en question et l'étala sur le bureau. En bas, une photo du Dr Lewis avait été imprimée. « Voilà. Il a beaucoup changé, mais on peut toujours le reconnaître .. »

Lennie-Jane avait l’impression d’être plongée dans un rêve duquel elle risquait d’être brusquement arrachée. Ce ne serait pas la première fois. Pourtant, toutes les choses qui l’entouraient avaient l’air d’être réels et elle n’en prit réellement conscience que lorsque sa main serra celle de la secrétaire ne lui laissant plus aucuns doutes possibles : elle était bel et bien éveillée. Toute sa vie, la jeune femme avait idéalisé leurs retrouvailles en sachant que ce n’était peut-être pas une bonne chose parce qu’elle n’était pas à l’abri de la déception et pourtant, tout ce qu’elle voyait à présent semblait être bien au-dessus de ses espérances. Nathan travaillant dans l’univers médical… c’était une chose à laquelle Lennie-Jane n’avait jamais songé, néanmoins, elle ne pouvait qu’être fière de savoir qu’il avait réussi au moins dans le domaine professionnel. Elle trépignait d’impatience à l’idée d’en savoir davantage sur la vie de son jumeau en dehors de ce cadre, de savoir s’il était marié et père de famille, mais également de savoir ce qu’était devenue leur mère, celle qui l’avait si injustement éloigné de sa moitié.

Lennie-Jane était tellement heureuse d’avoir trouvé une oreille attentive qu’elle aurait sûrement été capable de se prosterner aux pieds de la jeune secrétaire qu’elle trouvait généreuse et sympathique, il était certain que l’australienne lui revaudrait ça un jour et lui en serait également reconnaissante à vie. « Très joli prénom. Je suis enchantée de faire ta connaissance ! Si tu acceptes qu'on se tutoie. ». Son sourire s’élargit d’avantage et la jeune femme acquiesça d’un signe de tête entendu. « Moi de même et je n’y vois aucun inconvénient. ». En à peine quelques minutes, Lennie-Jane et Ariana venaient de franchir un cap. L’australienne était manifestement ravie de pouvoir ajouter cette jeune femme blonde à sa sphère d’amis qui s’était amoindri considérablement depuis qu’elle avait posé ses valises à New York. En général, Lennie-Jane n’éprouvait aucune difficulté à se faire des amis puisqu’on la qualifiait souvent comme une jeune femme adorable, mais meurtrie par un passé qui l’empêchait d’avancer cependant, avec l’aide de la secrétaire, les choses allaient enfin pouvoir connaître un ‘happy end’, du moins, elle priait pour cela. C’était totalement ridicule et pourtant, l’australienne avait toujours cette crainte de se voir rejeter par son propre frère après tous les sacrifices qu’elle avait pu faire pour le retrouver. A présent, Lennie-Jane était curieuse de mettre un visage sur son prénom puisque tout ce qu’elle avait réussi à obtenir pour l’instant, c’était son adresse relevée dans la base de données de son lieu de travail et où n’apparaissait aucune photo.

« Normalement, les docteurs snobent un peu le ‘petit’ personnel mais.. Le Dr Lewis fait partie des exceptions. Il est très aimable avec moi en tout cas. Je peux l’appeler un ami, oui. ». Lennie-Jane ne put s’empêcher de contenir un soupir de soulagement qui se termina en un petit sourire, forcée de constater que le caractère de Nathan n’avait pas énormément changé ce qui était plutôt bon signe. Son jumeau avait toujours eu le contact facile avec les autres et même du haut de ses 6 ans, il était déjà soucieux des problèmes des autres qu’il cherchait à réconforter. Il fut un temps où elle l’avait imaginé psychologue… « Je suis contente de l’apprendre, mais ça ne m’étonne pas qu’il vous apprécie. ». Elle ne connaissait Ariana que depuis quelques minutes et pourtant, Lennie-Jane s’était déjà forgée une opinion très positive à son sujet. « Voilà. Il a beaucoup changé, mais on peut toujours le reconnaître.. ». L’australienne s’empara du magazine de sa main fébrile et son regard se posa instantanément sur la photographie de son frère jumeau, forcée de constater qu’il était bel homme. Lennie-Jane se mit à rire doucement, partagée entre le rire et l’envie de pleurer de joie. « C’est dingue comme il ressemble à notre père maintenant. ». La jeune femme garda encore un moment le magazine entre ses mains, détaillant le visage de son frère comme pour en photographier les moindres détails, les moindres particularités. « Je suis persuadée qu’il doit faire des ravages dans le coin… » s’amusa-t-elle en arquant légèrement un sourcil. Après tout, Ariana travaillait en tant que secrétaire, c’était l’endroit idéal pour entendre les commérages qui s’y disaient et certaines patientes devaient sûrement s’en donner à cœur joie pour ce qui était de fantasmer sur les hommes en blouse blanche. Lennie-Jane finit par reposer le magazine sur le bureau, un sourire toujours pendu aux lèvres, mais qui s’effaça lorsque son regard se posa sur les traits de la secrétaire dont le visage lui donnait l’impression d’avoir pâli en quelques secondes. « Ariana ? Tout va bien ? Tu m’as l’air un peu pâlotte. » s’enquit-elle, les sourcils légèrement froncés, marquant l’inquiétude du moment.

Ariana craignait un peu la réaction de Lennie-Jane à la vue de cette photo de son frère jumeau. Allait-elle sourire ? Rire ? Pleurer ? Allait-elle le reconnaître ? S'enfuir en courant ? Elle ne put qu'examiner le visage de la jeune femme durant les longues secondes après qu'elle lui ait tendu le magazine. Nina se retint de soupirer de soulagement en entendant Lennie rire doucement : cela n'était pas une mauvaise réaction. C'était positif, très positif. Et comme tout le monde le savait, Ariana n'aimait que ce qui l'était. « C’est dingue comme il ressemble à notre père maintenant. » Elle s'amusa à imaginer à quoi ressemblait le père des deux jumeaux. Elle en vint à se demander ce qui avait fait qu'ils furent séparés, pourquoi ils n'avaient pas pris contact avant maintenant .. Sûrement une histoire familiale compliquée. Cela la rendait triste, de penser à toutes les années qu'ils avaient perdu en ne se voyant pas. Cette pensée l'emmena sur un autre chemin, à savoir, celui de sa propre famille. On imaginait Ariana comme quelqu'un adorant ses parents et allant leur rendre visite tout le temps. Et pourtant. Dès qu'elle avait pu, elle avait quitté le domicile familial et ne leur envoyait que des cartes pour les fêtes. Elle avait toujours eu quelque chose contre sa mère, celle qui (selon ariana), l'avait menée à cette vie dont elle n'était pas entièrement satisfaite. Elle aurait tellement voulu avoir un frère ou une sœur avec lequel parler de tout cela. Mais ce n'était pas le cas, et elle devait se satisfaire de son statut de fille unique.

« Je suis persuadée qu’il doit faire des ravages dans le coin… » Ariana répondit à sa blague par un petit rire. C'était vrai qu'il était séduisant, et qu'elle avait rêvé en arrivant d'avoir un rendez vous avec lui. Cela ne s'était jamais fait. Malgré sa sympathie et son côté jovial, la jeune femme n'avait pas tellement de chance en amour. Tout se finissait mal et les malchances lui tombaient dessus. On la reprochait d'être stupide la plupart du temps, et cela lui faisait mal. En y pensant, elle n'avait jamais vue une « petite amie » de Nathan. Mais encore, ils n'étaient pas très proches. « Tu as raison. Les infirmières aiment bien glousser lorsqu'il passe dans les couloirs .. » Elle poussa un petit soupir, se sentant assez mal mais essayant de le cacher le plus possible. Elle haïssait tous ces « effets indésirables » de la grossesse. Si seulement il y avait une pilule magique. Ariana avait envie de se lever et de courir aux toilettes pour éviter de vomir sur le bureau mais cela paraîtrait bizarre. Après tout, pratiquement personne ne savait pour sa situation, et elle ne pouvait pas rater une journée de travail parce qu'il fallait qu'elle se « repose ». Elle avait besoin de cet argent !

« Ariana ? Tout va bien ? Tu m’as l’air un peu pâlotte. » L'intéressée releva la tête et essaya de sortir son plus beau sourire. Néanmoins, celui-ci n'étant pas réellement honnête, cela se voyait. Loin était d'elle l'idée de se confier à une presque inconnue, même si cela était presque une seconde nature chez elle. S'il y avait une chose au moins qu'elle ne disait pas à n'importe qui, c'était à propos de l'enfant qui grandissait encore chaque jour dans son ventre. Elle posa machinalement une main sur son bedon en riant faiblement. « Oui oui ça va .. Je me sens un peu nauséeuse, c'est tout. Ça va passer. » Elle attrapa sa bouteille d'eau et en but une petite gorgée pour montrer que cela allait aller. Ariana était touchée par l'attention de Lennie Jane sur sa personne, car après tout, ce n'était pas le moment de la secrétaire mais de celle qui cherchait son frère jumeau. Même si le moment des retrouvailles n'arriverait sûrement pas aujourd'hui. Finalement, elle reprit le magazine pour le ranger dans un tiroir avant d'arranger un peu les affaires sur son bureau. « A vrai dire je crois que je devrais prendre une pause. Prendre un peu l'air. Tu m'accompagnes ? » Ariana se leva de sa chaise rapidement et récupéra son manteau. Elle n'irait pas se geler par un temps pareil sans rien pour se couvrir ! Une écharpe à ajouter et elle sortit de son bureau de secrétaire pour se retrouver debout à côté de la jeune femme. Cette position lui plaisait mieux, elle n'avait pas besoin de lever la tête pour la regarder. « Alors Lennie-Jane ? »

« Tu as raison. Les infirmières aiment bien glousser lorsqu’il passe dans les couloirs… ». Lennie-Jane afficha un sourire qui aurait pu fendre la pierre. Elle était heureuse. Heureuse de savoir que son frère avait réussi à faire quelque chose de sa vie malgré toutes les épreuves qu’il avait sûrement affronté durant des années, mais également fière de savoir qu’il faisait tourner quelques têtes. Il lui tardait de savoir si Nathan avait une vie de famille. Peut-être était-il marié et père de famille. Dès leur plus jeune âge, son frère avait développé une sensibilité et un altruisme qui le rendait généreux et humble, Lennie-Jane était donc persuadée qu’il ferait un bon père puisqu’elle se souvenait encore de sa façon d’être avec elle, toujours à plier face à ses caprices pour ne pas la faire pleurer ou à la consoler parce que voir sa moitié triste lui était tout bonnement insupportable. La jeune femme avait regretté pendant des années de ne jamais lui avoir rendu la pareille, de ne pas lui avoir dit plus souvent que sans lui sa vie ne rimerait pas à grand-chose. Lorsqu’elle quitta enfin le fil de ses pensées, Lennie-Jane avait pu constater qu’Arianna avait quelque peu blêmi et s’enquit aussitôt de son état.

« Oui oui ça va .. Je me sens un peu nauséeuse, c’est tout. Ca va passer. ». L’australienne parut soudainement très inquiète, observant l’attitude d’Arianna avec autant de discrétion que possible. Grâce à son métier, Lennie-Jane n’avait aucun mal à cerner la personnalité de ses interlocuteurs. En décortiquant l’expression d’Arianna, la jeune femme avait très vite compris qu’Arianna se cachait derrière un doux sourire qui se voulait rassurant, de même que la main qu’elle posa instantanément sur son ventre, cherchant sans doute à protéger ce qu’il abritait. « A vrai dire je crois que je devrais prendre une pause. Prendre un peu l’air. Tu m’accompagnes ? ». La jeune femme fut prise de court. Elle ne s’attendait pas à ce qu’Arianna décide de quitter son poste pour aller prendre l’air et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la secrétaire était déjà à son côté, vêtue de son manteau, prête à affronter la morsure du froid. « Alors Lennie-Jane ? ». Pour toute réponse, Lennie-Jane finit par acquiescer d’un mouvement de tête et l’accompagna à l’extérieur où le silence tomba pendant quelques minutes avant qu’elle ne se décide à le rompre.

« Tu en es à combien ? » demanda-t-elle simplement avant que le silence ne retombe. Lennie-Jane se rendit compte par la suite que sa question n’était pas claire aussi décida-t-elle ne se justifier, désignant le ventre d’Arianna d’un petit mouvement de tête suivit d’un sourire attendri. « Je parle de ta grossesse. ». L’australienne se doutait qu’elle n’était pas censée savoir tout cela, mais les postures de la secrétaire n’avait pas échappé à son œil expert. « C’est mon métier d’observer les silences. » se justifia-t-elle en plissant légèrement les yeux pour se donner un petit air mystérieux qui lui arracha un petit rire délicat, comme si elle supposait être télépathe ou diseuse de bonne aventure. « Enfin, je ne veux pas te paraître indiscrète. » ajouta-t-elle précipitamment. Pourtant, Lennie-Jane s'était sentie obligée d'entamer la conversation sur ce sujet, comme si elle sentait qu'Arianna avait grand besoin d'en parler.