Ca avait commencé à vingt-trois heures : seule dans l'immense appartement qu'elle partageait avec son frère jumeau, Kat s'était préparée, la musique à fond dans toutes les pièces, pour sortir en boîte. Toute personne normalement constituée, après une dure journée qu'elle avait passé à sautiller pour apprendre de nouveaux pas de danse, serait allé se coucher avec une tisane histoire de récupérer des courbatures, mais Kat était une habituée. La fête, c'était tout ce qui constituait son quotidien, et il n'y avait rien de plus réussi comme soirée pour elle qu'une de celles où tout le monde se retrouvait à danser sur la piste comme si c'était la dernière fois de leur vie. C'était ça qu'il y avait de beau, avec la danse, c'était cette sensation de laisser-aller immense qui la faisait retourner, presque chaque soir, en talons ou en baskets, dans l'une des boîtes de New York. Elle avait fréquenté les plus chaudes, celles où elle enchaînait les performances dans les battles, mais ce soir elle allait dans un tout autre endroit ; quand elle dansait en groupe, elle avait besoin de se concentrer. En sortie avec des amies par exemple, elle se sentait totalement libre.

La jeune femme réussit à envoyer un sms à l'une de ses amies, justement, tout en enfilant une robe courte et noire agrémentés de talons hors de prix. « Temps pour toi de découvrir la vie ; rejoins moi entre la 5th et la 38è dans une heure, fais-toi belle ! Kat. » envoya-t-elle à Harley, un sourire sur les lèvres, alors que la porte d'entrée claquait. « Quoi, tu sors encore ce soir ? »s'exclama son frère sans préambule en faisant irruption dans sa chambre. Pour seule réponse, elle lui tendit son dos et il ferma, faussement agacé, le zip de sa robe. Elle colla un baiser sur sa joue, peu désireuse d'entrer dans un conflit avec son jumeau maintenant, et glissa quelques mots à son oreille avant de sortir à la recherche de son sac. « Oh allez, Benjamin, arrête de t'inquiéter, je rentrerais pas tard. » Elle savait qu'il avait envie de venir avec elle, ne serais-ce que pour garder un oeil sur elle et elle le comprit immédiatement. « Et tu as un exam demain matin alors n'y pense même pas ! »

Une heure plus tard, la jeune femme foulait des talons les dalles de la Cinquième avenue. Sortant de la voiture diplomatique qui lui était toujours affrétée, elle indiqua au chauffeur qu'elle n'aurait plus besoin de lui ce soir et s'éloigna vers les immeubles en ressortant son téléphone à la recherche d'un signe d'Harley. Elle passa devant l'immense bulduing qui abritait la boîte qu'elle comptait enflammer ce soir et salua le videur qui la gratifia d'un clin d'oeil. Au moins, l'entrée ne serait pas un problème.

Kat, en remarquant un bruit de talons derrière elle, se retourna pour faire face à Harley qui s'approchait d'elle à pas rapides. « Salut Kat ! Tu es superbe. » Un sourire se logea sur ses lèvres et elle pencha la tête, étrange façon de remercier son amie. «Ca m’a fait super plaisir que tu m’envoie ce texto ! T’attends depuis longtemps ? » La blonde nia de la tête et, sans se départir de son sourire, invita la jeune fille à la suivre. « Pas du tout, je viens d'arriver. » Harley avait l'air particulièrement excitée et son humeur semblait être contagieuse ; Kat trouvait la jeune fille, qui avait à peu près son âge, totalement adorable depuis le moment où elle l'avait rencontrée. Elles avaient des points communs mais Harley était... enfermée. Dans son passé, dans ses habitudes, dans ce que la vie avait bien voulu lui donner. Kat, elle, avait toujours eu des possibilités infinies ; et si elle ne pouvait pas faire quelque chose, eh bien, elle le faisait quand même. « Ok, suis-moi, on va rentrer. » dit-elle à Harley avant de se poster devant le vigile avec qui elle eut une courte conversation qui se résumait à savoir où étaient passés ses copines de la dernière fois et quelles bouteilles elle voulait acheter. « Je pense qu'on va commencer au champagne, tu peux nous amener une bouteille ? On va prendre une table, on sera plus tranquille. » Le videur hocha la tête comme si c'était tout naturel qu'elle lui demande ça à lui et il ouvrit la porte en faisant passer les deux femmes devant tout le monde.

Elles n'eurent pas le temps d'entendre les autres clients se plaindre qu'elles s'engouffraient déjà dans l'ascenseur de l'immeuble qui les guidaient jusqu'au dernier étage. Comme si elle avait été une princesse - et elle n'en était pas loin -, on vint les accueillir à la sortie et on les guida à une table surélevée ; la boîte était magnifique, l'une des préférées de Kat ; partiellement en extérieur, les tables étaient elles protégées du vent par trois côtés en verre et en tissu, et les lumières tamisées qui y régnaient contrastaient avec le concours de spots qui se déroulait sur la piste. Quand Kat prit place sur la banquette, elle avait l'impression d'être autant chez elle qu'à son appartement. « Je suis désolée, je t'ai pas demandé mais le champagne, ça te va ? On pourra toujours commander autre chose, t'en fais pas ! » s'exclama-t-elle en débouchant la bouteille et en servant deux coupes glacées. Elle en tendit une à la jeune femme, leva le sien pour trinquer et chercha à croiser le regard de Harley. « A ta première nuit de folie qui commence ! »

« A ma première nuit de folie ! » avait trinqué Harley, et Kat entama sa coupe du bout des lèvres, buvant tout de même une gorgée qui lui monta immédiatement à la tête et la fit sourire. Pour elle, c'était du petit lait : le champagne, elle en volait déjà des bouteilles de la cave de ses grands-parents alors qu'elle n'avait le droit de conduire dans aucun pays, et combien avait-elle descendu de bouteilles ne serais-ce qu'en passant des heures dans sa chambre à se préparer avec ses amies ! C'était la boisson indispensable à une bonne soirée selon elle. Bien sûr, elle remarquait que ce n'était pas le cas de Harley : il suffisait de capter son regard émerveillé pour s'en rendre compte, ce qu'elle vivait était à ses yeux exceptionnel et cette petite idée remplit le coeur de Kat. Elle savait bien que le monde dans lequel elle vivait était différent, elle en côtoyait elle-même un bon nombre, et elle fut même touchée de voir que son petit plan de soirée satisfaisait la texane. «Tu dois enflammer le dancefloor quand tu viens ici... » reprit cette dernière en continuant d'admirer le décor. Kat sourit à son amie et haussa d'abord les épaules, mais même assise sur les confortables coussins elle sentait son corps bouger légèrement au rythme de la musique. Danser, c'était son crédo, elle ne savait même pas d'où ça venait ; pas de son sang, aucun de ses parents n'avaient des prédispositions. C'était juste venu, comme ça, naturellement, avant même qu'elle sache marcher elle avait voulu danser, et elle s'était donné tous les moyens pour. « C'est vrai que depuis que je viens, j'ai réussi à me faire une petite réputation, mais... » Kat observa la piste pendant un instant, tout ce monde qui se mouvait de gauche à droite, sans surprise. « Disons que quand je viens dans ce genre d'endroit, c'est plus pour m'éclater que pour vraiment danser. Danser, ça, je le fais autre part. » continua la blonde en terminant sa phrase d'un clin d'oeil. Pour elle, les petits pas qu'elle faisait ici et les chorégraphies étudiées qu'elle pouvait faire dans les boîtes mal-famées des sous-sols du Bronx étaient deux définitions de la danse totalement différentes. « Si tu veux, je t'emmènerais avec moi ; c'est totalement différent d'ici, mais ça a son charme. » continua-t-elle en sifflant sa coupe pour la poser sur la table basse autour de laquelle elles étaient. Kat fréquentait des équipes de street dance et de hip-hop depuis le collège, à Londres ; étrangement, la plupart de ceux avec qui elle dansaient était d'un milieu modeste, de là où c'était vraiment né, et Kat avait dû faire ses preuves en tant que gosse de riche. C'était sûrement pour cela qu'avait pas abordé cette partie de sa vie avec les danseurs qu'elle avait rencontré à New York.

Soudainement, la jeune fille se leva et, un sourire resplendissant aux lèvres, tendit sa main à Harley. « Bon, allons apprendre un truc ou deux à ces petits joueurs. » déclara-t-elle toute excitée en dansant déjà pour se calquer à la musique.