Comme tous les soirs, je me laisse emporter par la musique et je me concentre sur le désir que je suis sensée faire ressentir aux hommes présents. Le Black Diamond n'est pas un vulgaire club de strip-tease, ça non. C'est vraiment un cabaret, des femmes viennent aussi pour apprécier nos spectacles. Il n'y a rien de mal à ça. Nous dansons assez dénudées certes, mais nous pratiquons l'effeuillage et croyez moi, c'est tout à un art. Dita von Teese est venu en septembre danser, c'était avant que j'arrive de Paris. Ici, il n'y a pas de billets glissés dans les strings et il n'y a rien de sexuel. Il arrive parfois qu'on doit faire des lap-dance privés mais ça reste rare et je n'aime pas vraiment ça. En tout cas, laissez-moi vous dire que c'est plaisant de torturer un homme de cette façon, parce que tout le monde sait que la seule chose à laquelle les hommes obéissent, c'est ce qui se trouve dans leurs pantalons. Nous avons au moins toute eu une fois des propositions, les gens confondent vraiment les boîte de strip et les cabaret. Bon bien sûr, la clientèle du Black Diamond est assez différente de celle du Crazy Horse mais je m'y suis faite.

La musique et donc le tableau que nous présentons se terminent. Jess, Maya, Elena et moi sortons de scène, légèrement essoufflée. Jess et Maya ont fini dans la même tenue et Elena et moi dans un tenue différente. Je porte un caleçon couleur chaire qui me couvre jusqu'aux chevilles et qui est recouvert de fines arabesques de sequins noirs. Ensuite la seule et unique chose que je porte est un soutien-gorge en dentelles noires qui cache à peine ma poitrine vu qu'il est en dentelles. Le fine pièce de tissus est comme couverte de diamants -des faux bien évidemment- sur le côté. Le haut de mon corps, comme celui d'Elena, a été recouvert de d'arabesques, noirs aussi, grâce à des faux tatouages que les habilleuses  nous ont mis. Le tout placé à des places stratégiques pour mettre en valeur mes courbes et donner l'impression qu'ils dansent sur ma peau pendant que je danse. Puis, j'ai été enduite de l'huile pailleté qu'on met à chaque fois. Quand je m'assois à ma place dans les coulisses, tout ce que je vois c'est une créature toute puissante, avec des yeux immenses et un sourire en coin. Je me plais à être cette fille que rien n'arrête, tout en sachant qu'elle n'est pas vraiment moi. Tandis que le tableau suivant se met en place, je veux me démaquiller quand une voix m'interromps. « Cecilia ! Tu es demandée ce soir ! » me lance Edgar Peters, le patron du cabaret. Je fronce les sourcils, très méfiante. « Comment ça ? » Les filles font semblant de ne pas s'intéresser mais en fait, je sais qu'elles ne loupent pas un mot de ce qui va suivre. Edgar s'approche de moi. « Quoi, me dis pas que ça te dérange ? Il a payé plutôt bien pour s'offrir un petit truc privé de ta part. » Je serre les dents sans m'en rendre compte. Danser avec les filles ou même seule, devant tout un public est une chose, danser en privée pour un homme dans une pièce insonorisée en est une autre. J'ai beau être plus fort aujourd'hui, j'ai toujours quelques peurs. « Tu sais très bien que je n'aime pas ça. » Les yeux d'Edgar roulent dans leur orbite. « Je ne te demande pas de coucher avec lui pour l'amour de Dieu ! Juste lui faire une petite danse ! Et puis merde, je te donne pas le choix ! Viens ! » lance-t-il. Je sens dans le ton de sa voix que mes protestations sont terminées, en tout cas si je veux garder mon boulot. Je soupire de frustration et me lève. Les filles me lancent des regards encourageant. On a toujours un peu de mal quand ce genre de choses arrivent, ça nous donne toujours l'impression d'être des strip-teaseuses de merde plutôt que des danseuses.

Je suis Edgar sans broncher jusqu'à l'étage en essayant de deviner à quoi ressemble l'homme qui a payé pour avoir un petit truc privé de ma part ce soir. Pendant le spectacle, on voit très mal les clients de la scène donc ça va être difficile de savoir lequel de nos clients de la soirée est celui qui m'attend. Avec ma chance, ça va être un vieux gros dégueulasse qui pourra pas s'empêche de me tripoter. Vous me direz, vu que je peux me défendre, ça peut être drôle. Je relève la tête. Je n'ai pas à avoir peur, au contraire. Après tout n'est-ce pas ce que j'apprécie dans ce boulot, torturer un peu ces messieurs en leur faisant croire qu'ils peuvent avoir quelque chose qu'ils n'auront jamais ? Edgar s'arrête devant une porte qu'il ouvre sans hésiter et me laisse entrer. Mon coeur loupe un battement en voyant l'homme qui se trouve déjà dans la pièce, un genre de dieu asiatique loin de l'image du vieux gros dégueulasse à laquelle je pensais. J'ai à peine le temps que de retrouver mes esprits qu'Edgar hoche la tête en sa direction et referme la porte derrière lui, me laissant toute seule avec cet inconnu. Okay. Les pièces à l'étage n'ont pas de lit, heureusement parce que sinon je n'aurais jamais accepté de bosser ici de toute façon. Mais il y a un fauteuil, des murs aux couleurs chaudes, une lumière tamisée et une musique langoureuse diffusée dans une enceinte. Méfiante et hésitante sur la marche à suivre, je m'avance un peu dans la pièce. Je suis perturbée, et je sais par quoi, c'est par ce type. Il se dégage de lui quelque chose de très dangereux et un charisme montre. Moi qui ai dansé très dévêtue devant un bon millier de personnes, je me sens soudain entièrement nue devant cet inconnu. Mais je n'ai rien à craindre et relève la tête, trop fière pour montrer quoi que ce soit. « So, que puis-je faire pour vous ? » ai-je demandé d'une voix quelque peu méfiante, ce qui fait ressortir mon accent cubain. Pourquoi moi déjà ? Je m'approche encore un peu d'une démarche assurée et féline dont j'ai le secret, mes pieds nus s'enfonçant dans la moquette moelleuse de la pièce.

J'ai du mal à cacher ma réticence quand Edgar me demande d'aller faire ce truc privé mais malheureusement je n'ai pas vraiment le choix si je veux garder mon job. Ca me frustre de devoir faire ce qu'il dit à ce niveau ... Mais je me dis que la politique du cabaret est très stricte, même lui le sait. Du coup je ne sais pas ce qu'il espère avoir ce soir. Je ne lui fais pas vraiment confiance, après je sais que je suis capable de me défendre. Et puis c'est sûrement un vieux en manque de toute façon. Il doit, avoir du fric, sinon Edgar n'aurait pas accepté de m'envoyer si facilement. Peu importe. Je reste dans ma tenue de scène, autrement dit à moitié nue avec mon caleçon, mon soutien-gorge et mes arabesques. Je prends confiance tandis que je marche pieds nus en suivant Edgar vers les pièces du haut. Je peux le faire. Bon c'est différent de faire ça sur scène avec les filles que de le faire en privé, je me sens plus forte dans le premier cas, seulement je n'ai jamais eu besoin de personne pour me sentir forte, surtout dans une telle tenue. C'est vrai quand on dit que les vêtements peuvent avoir leur importance, ils peuvent vous permettre de vous faire vous sentir bien, vous sentir puissante. Je pense que c'est important.

Pourtant, quand j'entre dans la pièce, je dois avouer que je flanche un peu sans m'en rendre compte. Parce que je ne me suis pas attendu à voir quelqu'un comme ça en fait, et puis parce que ... Oui il dégage quelque chose de très étrange. Il a une façon de me regarder qui me dérange, qui provoque ... Whatever Cecilia. Edgar me laisse seule avec cet Apollon asiatique, ce qui me fait revenir sur terre. Ce qu'il a peut-être vu, c'était de la méfiance et de la surprise, pas de la peur. Pourquoi devrais-je avoir peur ? Je relève la tête et lui demande ce qu'il veut exactement, parce qu'il faut qu'on soit clair dès le début. Je ne suis pas une pute et je suis encore moins une marchandise dont on dispose quand on veut. Si on s'était rencontrés en soirée, je ne dis pas parce qu'autant être honnête je suis très "instable" à ce niveau là, comme Lola dirait, mais dans ces circonstances c'est vraiment différent.

Il sourit quand je lui pose la question. « Well, you tell me... » dit-il en se redressant sur son fauteuil. Et en plus, il continue de me regarder de cette façon ... je parie que c'est le genre de mec qui a une trop haute opinion de lui même, autrement dire, le genre de mecs que j'adore contrarier. Je ne baisse pas les yeux alors qu'il continue de me fixer mon corps et moi. « What's a pretty girl like you doing almost naked on a dirty stage ? » continue-t-il. Je relève un peu plus la tête en faisant un léger sourire en coin, vaguement amusée par sa remarque. Je dois dire qu'il a l'air de savoir s'y prendre avec les femmes. Dommage que je sois difficile à impressionner. Le silence s'installe, assez pesant je dois l'admettre alors qu'il se lève du fauteuil. Sentant qu'il n'a pas fini, je garde la bouche fermée et le laisse s'approcher. « With a body like yours, you could do so much more... and make so much more. »  Il me détaille à nouveau de la tête aux pieds et je réprime un frisson de plaisir. Sans ciller, je lui réponds. « What I'm doing here is none of your business. And if you're looking for a real dirty stage, you're at the wrong place. Mais je peux vous indiquer un autre établissement qui l'est vraiment, si vous le souhaitez. » ai-je rétorqué avec un sourire faux. Autrement dit, un club de strip-tease par exemple. Ce que je déteste par-dessus tout c'est quand un homme pense savoir mieux que moi ce que je peux faire. « And I am perfectly aware of what I can do or not do with my body, thank you for the concern. » ai-je continué sans le quitter des yeux. Je m'en fous de ce qu'il a donné comme argent à Edgar pour ce tête-à-tête, autant savoir être claire dès le début. « Donc maintenant que nous avons mis les choses au point, what can I do for you ? Je suppose que vous n'avez pas grassement payé mon patron pour un tête-à-tête avec moi sans raison. »

Mon mécanisme de défense est en place et c'est lui qui me garde en vie depuis toutes ces années. Quand vous avez subi ce que j'ai subi, c'est impossible de réellement faire confiance à quelqu'un, surtout pas à ceux que vous pensez connaître. Il me regarde pendant que je parle et il a l'air de me trouver très amusante, ce qui m'agace profondément. Je m'imagine déjà lui enfoncer mon genou dans ses parties, vu qu'il doit sûrement me prendre pour une pauvre danseuse sans défense, ça devrait être facile de le prendre par surprise. De toute façon, s'il tente quelque chose, c'est ce qui l'attend, voire pire. Bref, qu'on en finisse au plus vite, je veux savoir ce qu'il a derrière la tête. D'accord, il est très attirant et il a un certain charisme mais c'est souvent ce genre d'homme qui est le plus dangereux et je ne me laisse plus avoir depuis bien longtemps maintenant. A la rigueur, je prends ce dont j'ai besoin, point. Qui a dit que les hommes seraient les seuls à pouvoir faire ça ? « A little more, and she'd bite. » finit-il par dire. Je retiens un grondement de colère dans ma gorge. Je déteste quand ils font ça, je déteste parce que j'ai l'impression qu'on me traite avec suffisance. « Too bad your eyes didn't follow... 'cause they were telling a completely different story. » continue l'inconnu. Il me contourne et pour l'instant je ne bouge pas. Il cherche à faire quoi au juste, à voir si on ne l'a pas trompé sur la marchandise, c'est ça ? Mais en l'entendant, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel tellement fort que mes yeux menacent de sortir de leurs orbites. « C'est ça, bien sûr. C'est ça votre problème à vous les hommes, vous pensez toujours que quand on dit quelque chose en fait on pense le contraire ... Mais parfois, voire très souvent, non veut juste dire non. » ai-je fait avec un sourire hypocrite. Je pense savoir mieux que lui  les choses quand elles me concernent. Je croise les doigts sur ma poitrine en me demande où cet échange va me mener. « But to answer your question... I was curious. As I said, you don't seem to... fit, in here. » Il est toujours dans mon dos et je ne cherche pas à renouer le contact visuel tant qu'il n'est pas revenu dans mon champ de vision. Mais en l'entendant je fronce les sourcils. «  I mean, you have the moves... » dit-il avant de se placer à nouveau devant moi. Ses yeux détaillent à nouveau mon corps, jusqu'à mes hanches. Mon regard à moi reste fixe tandis que je hausse un sourcil, attendant où il veut en venir. C'est comme si mon corps frémissait de plaisir sous son regard et malheureusement, je ne peux pas l'empêcher. Trahie par mon propre corps j'en reviens pas, mais je suis sérieuse. Je n'ai jamais été une fille facile. « … But don't you wanna be a real dancer ? » J'aurais rigolé si la situation avait été différente. Je me retiens de justesse cependant. Sans que je m'en rende compte, mes mains se posent sur mes hanchent. « A real dancer ? Qu'est-ce que vous pensez que je fais tous les soirs sur cette scène ? Du tricot ? And why do you even care anyway ? » ai-je fait légèrement agressive. Je danse depuis toujours. TOUJOURS. Ma mère racontait même que j'ai commencé à danser avant même de marcher. Je ne permettrai pas à un étranger de me dire le contraire. I'm a real dancer. Il est temps de reprendre le contrôle de la situation. Assez de jouer la défensive, ça ne marche pas et je peux faire mieux que ça. Sans prévenir, je comble la distance entre nos deux corps en faisant un pas, approchant mon visage tout près du sien et espérant le faire reculer pour qu'il s'assoit dans le fauteuil. « You wanna see how much I'm a real dancer ? » ai-je soufflé sans ciller.

« Oh, did I hit a nerve ? » lance-t-il avec un sourire amusé quand je lui rappelle que je suis une vraie danseuse. Je lui lance un regard noir, totalement consciente qu'il va falloir que je fasse quelque chose si je ne veux pas définitivement perdre le contrôle de la situation. Il faut que je change de tactique et ensuite, que je parte. Il a ce quelque chose qui me dit que je n'aurais pas le dessus, en tout cas pas ce soir. Alors je dois partir d'ici, mais pas sans avoir fait fait un coup d'éclat. Je ne réponds rien à sa provocation, sachant très bien que ça serait inutile. Je connais bien ce type d'homme, toujours persuadé qu'il obtiendra tout ce qu'il voudra. Il est vrai qu'il est très beau ... et qu'il a beaucoup de charisme ... et qu'il y a quelque chose, d'ailleurs je sais qu'il a senti que je n'étais pas insensible. Sur ce coup là, mon corps m'a trahie. Seulement voilà, je ne suis pas ce genre de fille et surtout, hors-de-question que je lui donne une telle satisfaction. Voilà pourquoi je dois changer de tactique et partir, parce que je ne vais pas gagner ce soir.

Je change du tout au tout de discours, décidant de jouer un petit peu. Je comble le vide entre nous, rapprochant mon visage tout près du sien, un sourire en coin aux lèvres. Je lui demande s'il veut voir à quel point je suis une réelle danseuse. Une lueur d'incompréhension apparait dans son regard et je m'en délecte pendant une fraction de seconde. « Be my guest... » souffle-t-il. Il se recule et se rassoit dans le fauteuil, l'air très intéressé par ce qui va suivre. Puis, le coude posé sur l'accoudoir du fauteuil, il montre une liasse de billets. Mmmmm. Je m'approche tel un chat et me penche pour poser mes mains sur ses épaules, bras tendus, visage tout près du sien. J'ondule des hanches en mettant mon pied droit à gauche, puis inversement. Je ne le quitte pas des yeux pendant ce temps, feignant d'être captivée ... même si je le suis un peu. Soudain ma main quitte son épaule, glisse le long de son bras et je finis par récupérer les billets qu'il a dans sa main. « Who do you think you are ? And who do you think I am ? » ai-je fait avec un sourire en coin. Sans prévenir, je m'écarte de lui, regarde la liasse de billets et fais la moue. « But thank you for the tip, it's very kind of you. » ai-je fait moqueuse. Sur ce, j'ai fait demi-tour et j'ai marché vers la sortie, la tête haute avec une démarche chaloupée. Je quitte la pièce avec un sourire au coin des lèvres, tandis que je me dirige vers les escaliers pour redescendre au près des filles. De toute façon, je ne reverrai sûrement jamais ce type de ma vie, mais en tout cas c'était vraiment drôle.