Je ne pouvais plus supporter son sourire. Elle m’insupportait de plus en plus au fil des années. Trois ans que j’étais marié avec elle. Qu’est-ce qu’elle avait à sourire mielleusement comme ça ? Elle savait autant que moi que notre mariage était tout ce qu’il y avait de plus faux. Et ce n’était pas comme si j’avais décidé de l’épouser, par une poussée de romantisme. Oh mon Dieu surtout pas. Je l’avais épousée parce que son père et moi avions passé un marché, et qu’il n’emmenait pas mon affaire d’héritage devant les tribunaux si, et seulement si, j’acceptais d’épouser Camille, sa fille cadette. Et donc je l’avais fait. Je n’avais pas spécialement envie d’une bataille juridique, où tous mes antécédents judiciaires – et je n’en avais pas qu’un peu – seraient remis sur le tapis. Et puis j’espérais aussi qu’en me rapprochant des Collins, j’en apprendrais un peu plus sur mon père biologique, sur sa vie, et aussi sur sa mort. Car il était étrange qu’il m’ait écrit cette lettre non ? Il n’avait été ni malade, ni rien. Comment aurait-il pu savoir qu’il allait mourir alors ? Parce qu’il avait clairement demandé à ce que je reçoive cette lettre en même temps que mon héritage. Il savait donc qu’il allait mourir. Et soit il avait caché à la Terre entière qu’il était atteint d’une maladie – car bien sûr, j’avais demandé à Mickaël de pirater son dossier médical ; quand je disais qu’il me servirait un jour ; qui aurait cru qu’il soit aussi bon dans le piratage informatique ? – soit quelqu’un avait essayé de l’éliminer. Mais qui ? Pas que cela aurait changé quoique ce soit à ma vie j’imagine. Parce que je l'envisageais mal venir me trouver comme ça, pour simplement faire connaissance avec moi. Mais bon, j’avais personnellement rapidement fait le lien entre nous deux – j’avais tout de même le même nom de famille que lui, et mon deuxième prénom était son prénom, et cela même lorsque j’avais à peine une dizaine d’années, je l’avais bien compris – et j’aurais pu moi-même aller le voir. Non, probablement pas. Mais cela ne changeait rien au fait que si quelqu’un l’avait tué, je devais le venger. Et c’était pour cela que je me retrouvais ici, chez un détective privé. Si je n’avais pas pu faire la lumière sur ce qui lui était arrivé, peut-être que lui y arriverait.

J’avais réellement des doutes sur la raison de la mort de mon père. J’avais demandé à Mickaël de pirater son dossier médical, simplement pour me rassurer et me dire qu’il avait peut-être une maladie qu’il avait tenté de cacher. Mais non, rien. Il était même en très bonne santé avant sa mort. Mais son autopsie n’indiquait pas de poison ou autre. Cela ne disait seulement que son cœur s’était arrêté – ce qui était stupide en soit, tout le monde mourrait d’un arrêt cardiaque, puisque l’on était mort lorsque le cœur arrêtait de battre. Bref, je ne croyais pas une seconde à cette mort naturelle, alors qu’il avait prédit dans sa lettre que quelque chose lui arriverait – pourquoi dire « si tu lis cette lettre, c’est que je suis mort » sinon ? Et voir un détective privé me semblait être une bonne chose. Après tout, si Mickaël pouvait pirater des ordinateurs – c’était à se demander comme d’ailleurs – il n’était pas la personne la plus intelligente sur terre. Il était même plutôt simple comme personne. Mais bon, je l’enviais pour cela. Parce que si nos rôles étaient inversés, il ne se prendrait pas du tout la tête avec cette histoire. Il dirait « il est mort mais bon, au moins il a pensé à moi pendant des années » et fin de l’histoire. Mais moi, cela ne me suffisait pas. Je savais qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire. C’était certain même. Et donc un détective privé pourrait m’aider à résoudre ce mystère. J’avais donc sous le bras le dossier médical de mon père et attendait la personne que l’on m’avait conseillée, assis contre la porte de son bureau. Et lorsqu’il arriva enfin, après une dizaine de minutes d’attente environ, sa question me fit lâcher un rire. « Ouah, quel sens de l’observation. C’est votre métier de détective qui vous a fait comprendre cela ? » répondis-je en roulant des yeux. En même temps, question idiote, réponse idiote non ?

Oui, les questions stupides avaient tendance à m’agacer fortement, et alors ? De toute façon, qu’est-ce que j’en avais à faire de ce qu’il pouvait bien penser ? Il allait travailler pour moi, chercher des informations sur la mort de mon père, puis on ne se reverrait plus par la suite. C’est donc sans aucune hésitation que je lui rendais son regard froid – en même temps, est-ce que mon regard avait déjà été autre chose que froid ? – et son sourire ironique, ne lâchant pas ses yeux du regard. Hors de question que je ne baisse les yeux. Je ne l’avais jamais fait, et ce n’était pas maintenant que je payais les gens que j’allais le faire. Je lâchais un rire ironique lorsqu’il m’indiqua qu’en face de son bureau se trouvait un psychologue. « Merci, mais non merci. » lui répondais-je en roulant des yeux. J’avais passé bien trop de temps en compagnie de psychiatre lors de mon enfance. Et autant dire que je n’avais pas du tout une bonne vision d’eux. Etrange hein ? Mais personnellement, qu’un psychiatre pour enfant ose mettre un enfant à l’isolement, l’enfermant dans une petite chambre aussi grande qu’un placard, cela m’avait vacciné à jamais des psy. Et rendant claustrophobe aussi j’imagine. Je n’avais pas beaucoup de peur et contrôlait toujours mes sentiments et mes réactions, sauf lorsque je me retrouvais enfermé dans une pièce, sans pouvoir en sortir. Et dire que les psy étaient supposé guérir ce genre de chose. Forcément qu’ils pouvaient les guérir, puisqu’eux-mêmes étaient responsable. « Oui, toujours sûr. Mais si vous ne voulez pas que je vous confie une affaire, je peux toujours aller voir ailleurs. Vous ou un autre, qu’est-ce que j’en ai à faire après tout ? » annonçais-je dans un haussement d’épaule, tout en rentrant dans le bureau. Qu’il ait autant un mauvais caractère que moi ne m’importait peu de tout façon. Je voulais juste découvrir la vérité, et que ce soit avec lui ou un autre, ce n’était pas le plus important.

Je le suivais dans son bureau, et voyant qu’il allumait une cigarette, je décidais d’en faire autant. Sa remarque me fit lâcher un sourire en coin, tant il semblait ridicule que quelqu’un puisse penser comme il le disait. « Je ne faisais qu’énoncer un fait. Vous ou un autre, je m’en moque éperdument. Je suis là pour une affaire, pas pour me faire des amis. Donc que vous soyez ensuite reconnaissant ou pas que je vous donne l’affaire, je n’en ai strictement rien à faire. » répondais-je d’une voix posée, comme à l’accoutumée, avant de tirer sur ma cigarette. Et lorsqu’il reparla – même vaguement du psy – je ne pus m’empêcher de rouler des yeux. Qu’est-ce qu’ils avaient tous avec ces fichus psy ? Tiens, je me demandais si maintenant que j’étais riche et un peu plus puissant, je pourrais porter plainte contre l’autre salope qui s’amusait à m’enfermer dans des pièces closes pendant des heures. Peut-être que la justice serait un peu plus intéressée à présent. Il fallait bien avoir des avantages à avoir de l’argent. La protection en était une – de ce que j’avais compris, j’avais parfaitement le droit de violer un gamin tous les soirs pendant plusieurs mois, sans rien avoir en retour ; personne ne croirait le gamin et il irait en centre de redressement pour avoir « menti » et accessoirement avoir mis le feu à la maison ; dommage que je n’ais pas de tendance pédophile. Et peut-être l’écoute aussi. Après tout, ces connards avaient plus été entendus que moi, donc peut-être qu’on m’entendrait plus que cette psychologue à la con ? Enfin bref, je n’étais pas là pour ça de toute façon. « Mon père biologique a été assassiné. Je veux savoir par qui. Il m’avait écrit une lettre pour le cas où quelque chose lui arriverait, et comme de par hasard, il a fait un arrêt cardiaque alors qu’il était en excellente santé. Il savait que quelqu’un en avait après sa peau, sinon il ne serait pas allé voir un notaire un mois avant sa mort, pour mon futur héritage et pour lui donner cette lettre commençant par « si tu lis cette lettre, c’est que je suis mort ». Bref, je veux savoir qui l’a assassiné. expliquais-je au détective, décidant de ne pas y aller par quatre chemins.

Le point positif d’être riche, c’était qu’on pouvait faire tout ce qu’on voulait. Réellement hein. Je pouvais même rouler trop vite, je n’aurais qu’une simple amende que je pourrais payer sans aucun problème. Bon, par contre j’en avais toujours rien eu à faire des autres, donc pour ça, la richesse ne changeait pas grand chose, du moins pour moi. Bref, j’aimais bien être riche. En même temps, après avoir passé vingt années dans la misère, qui n’aimerait pas ce changement radical ? Parce qu’en effet, il s’agissait bien d’un changement radical. J’étais passé d’orphelin à vivre une partie de l’année dans la rue et dans des associations sociales, et l’autre à vivre dans un taudis, à riche héritier co-dirigeant d’un empire immobilier. Et même si j’avais dû me marier avec une parfaite inconnue pour cela – question d’héritage restant dans la famille – je ne le regrettais vraiment pas. Et puis, me marier avec Camille m’avait permis de rencontrer Annabeth, sa sœur, et ce n’était pas vraiment quelque chose que je pouvais regretter, bien au contraire. Et cela avait permis à Mickaël de rencontre la « femme de sa vie », donc que demander d’autre ? La vérité, peut-être. Parce que maintenant que j’avais tous ces moyens financiers à ma disposition, je pouvais payer quelqu’un pour découvrir la vérité sur la mort de mon père, que je savais non accidentelle. « Alors qu’il était en parfaite santé, il serait mort d’une mort naturelle ? Permettez-moi d’en douter. » répondais-je en roulant des yeux, installé en face du détective privé. Parce que Mickaël avait réussi à cracker une copie de son dossier médical, et que j’y avais eu entièrement accès, je savais que sa mort était tout sauf naturelle. Je lui tendais la lettre en question, avant de lui répondre. « Son nom était Jeremiah Avery, et le mien Roméo Avery, de l’empire immobilier Avery & Collins. Il a été assassiné le 12 avril 2010. La cause de la mort annoncée était un arrêt cardiaque. Etant donné sa condition physique et le cœur d’athlète qu’il avait, c’est impossible que son arrêt cardiaque soit d’origine naturelle. »