Après son service au restaurant, Trevor avait décidé d’aller trainer quelques heures dans un des bars dans lesquels il avait ses habitudes. Avec tout ce qui lui trottait dans la tête ces derniers temps, il avait bien besoin de se changer un peu les idées et de prendre du bon temps, histoire de s’extirper au moins quelques heures de son quotidien si pesant. Entre la pression continuelle qu’exerçait sur lui l’idée d’être poursuivi par les hommes de son père, ses « missions » aux côtés de Marley qui lui avaient valu une balle dans le bras, et le retour de Jamie dans sa vie, Trevor menait actuellement une existence un peu trop mouvementée à son goût. Las de toute cette agitation, il avait préféré prendre un peu de temps pour lui, un peu de temps pour décompresser et ne penser à rien d‘autre qu’à s’amuser. Mais ce soir, il avait eu la surprise de constater que quoi qu’il fasse, son quotidien continuait à le hanter. Ni l’alcool, ni la musique, ni les filles qui peuplaient le bar sur lequel il avait jeté son dévolu ne semblaient en mesure d’effacer tous ses tourments. Alors, sans attendre la fin de la soirée, l’italien avait décidé de quitter l’établissement pour rentrer chez lui, tout simplement. Après tout, le meilleur moyen de trouver un peu de calme était encore de s’endormir, en se contentant de tout repousser au lendemain.

L’heure avancée et le fait qu’il se trouve loin du quartier dans lequel il résidait poussa Trevor à opter pour l’option « taxi ». Bien vite, il localisa une place qui lui parut assez animé, et s’y avança dans l’espoir de pouvoir haranguer un chauffeur de passage. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsque son regard tomba sur une silhouette connue… et pour cause. Abigail se trouvait à l’autre bout de cette place, juste en face de lui en train de faire les cent pas, attendant visiblement la même chose que lui. Trevor se remémora soudain tout ce petit jeu qui s’était mis en place entre eux, et un sourire vint immédiatement éclairer son visage. Il s’était promis de mettre cette fille dans son lit un jour ou l’autre, et le fait de la trouver seule ici était l’occasion rêvée d’arriver à ses fins. N’hésitant pas une seule seconde, le jeune homme traversa la place pour la retrouver, et constater qu’elle était drôlement bien habillée. Décidément, le métier d’esthéticienne devait plutôt bien payer ! Abigail semblait tout droit sortie d’une de ces soirées huppées que l’on donnait dans le quartier, et qui n’accueillait que les personnes les plus hauts placées de la ville. D’ailleurs, le fait de la trouver ici intrigua Trevor, qui se posta derrière elle sans qu’elle ne le remarque, juste au moment où elle allait se retourner pour continuer ses cent pas dans la direction opposée. A peine leurs regards se croisèrent que l’italien adopta un sourire des plus charmeurs. « Tiens tiens… toi ici ? Quelle surprise ! J’ignorais que tu fréquentais ce genre de soirée… » enchaina-t-il d’un air faussement impressionné. « Tu dois avoir de sacrément bonnes fréquentations… » observa alors Trevor en la détaillant de la tête au pieds, avant de se mordre la lèvre inférieure sans même prendre la peine de le faire discrètement. Il arqua ensuite un sourcil et observa : « Très jolie robe en tous cas… Tu es toute seule ? »

Au moment où il avait aperçu Abigail, Trevor avait eu la certitude que sa petite soirée allait se prolonger un peu, restait à savoir de quelle manière… Quoi qu’il en soit, l’italien ne comptait pas laisser passer sa chance et entendait bien sauter sur cette occasion en or qui se présentait. Le hasard faisait définitivement bien les choses ce soir, et ce fut donc sans aucune hésitation qu’il aborda la jeune femme. « Tiens, Trevor... Ça faisait longtemps ! Je ne fréquente pas régulièrement ce type de soirées, c'est... disons... occasionnel.» déclara-t-elle en réponse aux allusion de l’italien concernant la soirée à laquelle elle venait visiblement d’assister. Peu convaincu, Trevor afficha une moue sceptique. A force d’accompagner Marley dans les soirées huppées qu’elle fréquentait, le jeune homme commençait à connaître le genre de personnes qu’on y trouvait. Soit on faisait partie de leur cercle, de leur rang, et on était autorisé à participer à leurs petites sauteries… soit on était issu d’un autre monde. Et de l’avis de Trevor, une esthéticienne était bien plus susceptible de se retrouver dans cette deuxième catégorie. Le fait de retrouver Abigail ici et dans cette tenue était donc d’autant plus étonnant mais pour l’heure, l’italien se contenta de ne pas la faire fuir en la submergeant de suspicion.

« Merci... Oui, je suis seule. Et toi, que fais-tu là, seul ? Tu n'as trouvé personne pour partager ton lit, ce soir ? » rétorqua la jeune femme, arrachant un éclat de rire à Trevor qui leva aussitôt les yeux au ciel. « Qu’est-ce qui te fais dire que je cherchai quelqu’un ? Peut-être que j’espérai tellement te rencontrer, que j’ai préféré garder la place libre… » répondit-il en braquant un regard enjôleur en  direction d’Abigail. Sa technique de « drague » était totalement dépassée et à la limite du ridicule, mais Trevor en était conscient. Pire, il en jouait et guettait la réaction de la jeune femme, curieux de savoir si son petit jeu pouvait tout de même fonctionner. Mais malgré son objectif de séduction qu’il ne perdait pas de vue, l’italien n’oubliait pas non plus la question que la présence d’Abigail dans ce quartier avait soulevé. Il s’empressa donc de réorienter la conversation vers ce sujet-là… plus ou moins habilement. « Toi non plus tu n’as pas trouvé chaussure à ton pied à ce que je vois ! Pourtant, il devait y avoir de bons partis autour de toi ce soir ! » observa-t-il sans la lâcher du regard. Enfonçant négligemment les mains dans ses poches, le jeune homme continua l’air de rien : « Tu m’avais caché des choses alors… ? Je veux dire, j’ignorai que tu étais haut placée au point de pouvoir entrer dans ces soirées ! Tu m’inviteras la prochaine fois, hm ? »

Moui... sorry pour ça

En compagnie d’Abigail, Trevor avait tendance à jouer de cette réputation de coureur de jupons qu’elle lui prêtait. En réalité, et même s’il aimait se savoir séduisant, l’italien était bien loin de ces goujats qui enchainaient les conquêtes et rentraient tous les soirs avec une nouvelle fille à leur bras. Depuis sa relation avec Elena et la fin tragique que son père lui avait donnée, Trevor était beaucoup plus distant avec les filles. Craignant de trop s’attacher, il préférait les histoires courtes, d’un soir ou deux, sans pour autant les accumuler à la manière d’un Don Juan. Mais avec Abigail, il y avait quelque chose de différent. Ce petit jeu qui s’était installé entre eux, le fait qu’elle prenne un malin plaisir à le repousser alors qu’il ne la laissait clairement pas insensible… tout cela amusait le jeune homme, et l’encourageait même à continuer sur cette voie. Il la trouvait particulièrement belle, et la robe qu’elle portait ce soir n’était pas là pour le faire changer d’avis, et l’idée de la savoir dans son lit lui plaisait bien. Mais avant tout, c’était ce jeu du chat et de la souris qui le tenait en haleine et le poussait à retenter sa chance à chaque fois qu’il croisait la jeune femme.

Alors qu’il faisait usage d’une arme de séduction toute relative, l’italien fut satisfait de voir Abigail se mettre à rire en levant les yeux au ciel. Décidément, même les pires techniques de drague semblaient porter leurs fruits avec elle et du point de vue de Trevor, c’était plutôt bon signe. « Alors elle risque de rester libre encore longtemps... » répondit-elle en souriant, et en rentrant comme à chaque fois dans le petit jeu de l’italien qui afficha une grimace peu convaincue. Préférant alors changer de sujet, il revint à la charge sur cette soirée dont elle sortait et sur laquelle il voulait tout savoir. Et pour sa plus grande satisfaction, la jeune femme continua son petit jeu en affirmant qu’un « simple commis de cuisine » pourrait lui suffire. Acquiesçant d’un hochement frénétique de la tête Trevor adopta un air des plus sérieux et répondit : « Tout à fait ! Je suis bien content que tu t’en rendes enfin compte ! Je n’y croyais plus ! »

Plus Abigail parlait, et plus Trevor avait qu’elle tentait de se justifier de quelque chose. Elle semblait peu à l’aise dans ses explications, et l’excuse de ses clientes haut placées qu’elle utilisa laissa une nouvelle fois l’italien sceptique. Peut-être était-il parano ou trop méfiant ? En même temps, son quotidien et la menace qui planait sur lui l’obligeaient à être constamment sur ses gardes. Désormais, chacune des situations qu’il vivait faisait l’objet d’une analyse pointue, et les dires d’Abigail ne faisaient pas exception à la règle. D’autant qu’il sentait qu’elle le prenait pour un imbécile depuis le début, fait qui fut rapidement confirmé par sa nouvelle tentative de réorientation de la conversation. Masquant ses suspicions derrière un énième sourire charmeur, Trevor se contenta de hausser les épaules comme s’il venait d’être démasqué. « Moi aussi je sors figure-toi ! Bon alors évidemment, on ne fréquente pas le même genre de soirées… je n’ai pas autant de privilèges que toi… D’ailleurs, tu dois drôlement bien t’occuper de tes clientes pour qu’elles t’invitent à des évènements comme ça… » ajouta-t-il en reposant un regard appuyé sur elle. « Moi je trouve ça louche… » se permit-il d’ajouter en faisant claquer sa langue contre son palais. « Oh, et ne me dis pas que tu n’y vas pas pour les hommes… tu ne serais pas aussi sexy si tu étais là pour une soirée entre filles… » Doucement mais surement, Trevor faisait de plus en plus pression sur la jeune femme, curieux de savoir si oui ou non elle avait réellement quelque chose à lui cacher. Joignant l’utile à l’agréable, il ne se priva d’ailleurs pas de laisser une nouvelle fois ses yeux glisser sur la silhouette d’Abigail, confirmant ainsi qu’elle s’était bel et bien apprêtée pour la soirée.

« T’emballes pas mon chou, j’ai dit qu’un simple commis de cuisine pouvait me convenir. Mais j’ai jamais dis que TU pouvais faire l’affaire… » déclara Abigail comme une énième provocation, que l’italien aurait pu très mal prendre s’il ne commençait pas à aussi bien la connaître. Et puis il y avait son sourire… Ce sourire qui la trahissait à chaque fois, et qui permettait à Trevor d’avoir la certitude qu’il lui faisait un certain effet. A vrai dire, le jeune homme se délectait de toutes ses tentatives échouées de masquer l’intérêt qu’elle lui portait. Tous ses efforts la rendaient à la fois drôle et attendrissante, et le fait qu’elle lui résiste bien plus que toutes les autres filles qu’il avait tenté de séduire le poussait à persévérer. Seulement voilà, ce soir quelque chose le turlupinait. Trevor avait un étrange pressentiment, une impression d’avoir loupé un épisode et d’être sur le point de découvrir quelque chose qu’elle lui cachait depuis longtemps. Abigail tentait bien d’éluder ses questions et de se débarrasser de lui, mais cela ne faisait qu’attiser sa curiosité. Et peu à peu, l’italien faisait en sorte de resserrer l’étau autour d’elle, de ne lui laisser aucune chance de s’en sortir sans quelques explications. En somme, la vie qu’elle pouvait mener ne le regardait pas, mais l’extrême étrangeté de la situation n’inspirait rien de bon à Trevor. Mine de rien, il appréciait énormément la jeune femme et même si elle l’exaspérait en lui résistant depuis des mois, l’italien ne souhaitait pas qu’il lui arrive quoi que ce soit.

Visiblement, le jeune homme avait vu juste puisqu’Abigail baissa enfin les bras, adoptant un ton bien plus sec et agacé qu’auparavant pour lui répondre. « Ca va, t’as gagné. Mes clientes ne m’invitent pas dans ce type de soirées et il ne s’agit pas non plus de soirées entres filles uniquement. Mais les raisons qui m’amènent dans ce type de soirées ne te regardent absolument pas. » concéda-t-elle avec l’espoir apparent de mettre un terme à cette conversation. Mais évidemment, Trevor fronça les sourcils, prêt à demander de plus amples explications. Peut-être était-il un peu trop insistant, mais la jeune femme avait le don d’attiser sa curiosité en tournant ainsi autour du pot. Mais avant qu’il n’ait le temps de demander quoi que ce soit, Trevor aperçut un homme se diriger vers eux. A première vue, ce dernier était passablement éméché et ne prêta aucune espèce d’attention à l’italien, gardant son regard rivé sur Abigail. Sans rien dire, il le laissa approcher et observa la scène en restant un peu en retrait, curieux de connaître les intentions de cet inconnu visiblement très décidé. « Combien ? » Ne saisissant tout d’abord pas le sens de sa question, Trevor regarda l’homme d’un air intrigué avant de capter une lueur plutôt malsaine dans son regard. « Tu prends combien ? » répéta alors l’inconnu, de plus en plus agressif. La scène était pour le moins surréaliste, et Trevor ne savait pas s’il était en droit ou non de s’en mêler. Dans le doute, il se contenta de s’approcher d’Abigail, se permettant même de poser une de ses mains sur sa hanche, prêt à intervenir et à bondir sur l’inconnu si la situation le demandait. Sans le lâcher une seule seconde du regard, l’italien attendit simplement la réaction d’Abigail et un éventuel signe de sa part lui demandant de « s’occuper » de cet individu.

Plus les minutes passaient et plus Trevor avait l’impression que cette entrevue allait se terminer moins bien que ce qu’elle avait commencé. Le jeune homme détestait en effet qu’on lui cache des choses, et encore plus qu’on essaye de lui faire avaler des mensonges pour le dissuader de chercher plus loin. Cet état d’esprit était certainement hérité de son passé de mafieux et aujourd’hui encore, il avait bien du mal à s’en débarrasser. Qu’importe, il n’était pas tout à fait tiré d’affaire, et il se plaisait à croire que cette méfiance continuelle pourrait lui sauver la mise un jour ou l’autre. Alors même lorsque les cachoteries ne le concernaient pas directement, Trevor ne supportait pas d’en être la cible. Par tous les moyens, il allait donc chercher à percer Abigail à jour et quelque chose lui disait que la tache ne serait pas si facile. L’italien avait déjà fait un grand pas en lui faisant avouer qu’elle n’était pas ici grâce à ses clientes, mais le plus dur restait encore à faire. Et alors qu’il allait enchainer pour tenter de lui en faire dire plus, un inconnu qui s’approchait vint réduire sa tentative à néant.

Même si Trevor mit plusieurs secondes à comprendre de quoi il s’agissait, il réalisa au bout d’un moment que l’homme prenait Abigail pour une prostituée. L’idée ne lui avait absolument jamais traversé l’esprit, et pour cause : il savait qu’elle était esthéticienne et n’avait jamais imaginé qu’elle puisse faire quelque chose d’autre. Néanmoins curieux de voir comment la jeune femme allait se débarrasser de cet inconnu, il la laissa agir seule tout en restant sur ses gardes, prêt à intervenir au premier signal. Et dans un premier temps, l’italien ne fut pas déçu ! En effet, Abi renvoya l’homme dans ses foyers d’un ton des plus secs, ce qui ne sembla néanmoins pas le perturber outre mesure. Au lieu de ça, il fit un pas de plus vers la jeune femme et se permit même de venir caresser sa joue en déclarant : « Allez ma poupée, sois gentille… » d’une voix des plus perverses. Son regard en direction d’Abi en disait long sur ses intentions, et à peine Trevor eut-il capté l’air paniqué de la jeune femme qu’il décida de prendre les choses en main. Se rapprochant d’elle au maximum, il l’enserra tout d’abord entre ses bras histoire de faire comprendre à l’inconnu qu’il ne frappait pas à la bonne porte. Mais une fois de plus, l’homme ne capta pas le message et afficha un nouveau sourire malsain. « Allez… c’est pas parce qu’il est arrivé avant moi que tu dois le garder… je suis quand même mieux que lui ! Je suis sûr que je peux te donner bien plus… » Le transperçant d’un regard assassin, Trevor lâcha la jeune femme pour venir pousser l’inconnu en crachant : « Elle t’a dit non, laisse la tranquille. »

Cette fois, l’homme détourna son regard d’Abi pour le porter sur Trevor d’un air contrarié. « Te mêles pas de ça toi, compris ? » menaça-t-il avant d’envoyer son poing droit sur Trevor, le touchant en pleine figure sans que ce dernier n’ait le temps d’esquiver le coup. Furieux, le jeune homme ne tarda pas à fondre sur l’inconnu, le rouant de coups sans aucune retenue, entendant bien lui faire regretter sa petite intervention surprise. Même s’il n’avait pas pratiqué depuis un petit moment, les règlements de compte entre mafieux lui avaient laissé de bons restes, et son adversaire n’eut d’autre choix que de capituler, fuyant la place en courant comme il le pouvait, titubant plus qu’autre chose à cause de coups et de l’alcool qu’il avait certainement ingurgité. Sans se dépeindre de son air sévère, Trevor le regarda partir jusqu’à ce qu’il disparaisse de son champ de vision, puis se retourna vers Abi en grimaçant. « Ca va ? » questionna-t-il alors sans se soucier de la douleur naissante qui s’emparait de sa lèvre, juste à l’endroit où il avait reçu le premier coup.

Malgré le fait qu’il soit visiblement ivre, l’homme était plutôt coriace et déterminé à arriver à ses fins, quoi qu’Abigail ou Trevor puisse bien lui dire. Persuadé d’avoir à faire à une prostituée, il n’en finissait plus d’insister et d’être de plus en plus malsain envers la jeune femme qui n’en menait pas large. Le regard qu’il portait sur elle et sur sa tenue était tout simplement dégoutant, et au premier regard qu’Abi lui adressa, l’italien n’hésita pas une seule seconde à intervenir comme il se devait. Au fond, il ne connaissait pas tellement Abi et ne pouvait même pas vraiment la considérer comme une amie. Mais il lui était tout bonnement inconcevable que qui que ce soit vienne l‘insulter sous ses yeux sans qu’il ne réagisse. D’une manière ou d’une autre, il tenait à elle et se fit un devoir de faire déguerpir au plus vite cet étranger. Seulement voilà, Trevor n’avait pas prévu que ce dernier soit aussi agressif et en vienne aussi rapidement aux mains. Surpris par son premier coup de poing, le jeune homme prit cependant assez rapidement le dessus, faisant goûter à l’inconnu tout l’expérience qu’il avait acquise au cours des bagarres qui avaient agité sa vie de mafieux. Après plusieurs minutes passées à se débattre l’homme choisit finalement de prendre la fuite, laissant de nouveau Abigail et Trevor seuls au coin de cette grande place.

Abigail allait bien, et c’était le principal. Lorsqu’elle lui retourna la question, le jeune homme hocha la tête sans vraiment savoir dans quel état il était. Mais il avait horreur de se plaindre et même lorsqu’il avait reçu cette balle dans le bras en protégeant Marley, Trevor avait tout fait pour se dérober aux soins qu’elle lui avait imposés. « Tu saignes… Attends… » déclara alors Abigail avant de fouiller dans son sac. Tout en s‘approchant d’elle, Trevor essuya sa lèvre d’un revers de main et découvrit avec une certaine surprise que du sang était effectivement en train de s’en écouler. Mais alors qu’il guettait les mouvements de sa voisine, il aperçut sans le vouloir le contenu de son sac à main. Et ce qu’il y découvrit eut l’effet d’une bombe dans son esprit. Une énorme liasse de billets venait de passer sous ses yeux, et ce n’était clairement pas le genre de chose que l’on trouvait dans le sac à main d’une fille « normale ». D’où sortait-elle tout cet argent ? Le cerveau du jeune homme était comme en ébullition, et il réfléchissait à toute vitesse pour tenter de résoudre cette énigme. Rapidement, il fit d’ailleurs le rapprochement entre cet argent et tout ce qu’elle lui cachait encore : est-ce que cet inconnu avait vu juste ? Est-ce qu’elle se trouvait seule dans se quartier et habillée de a sorte pour faire le trottoir ? L’italien ne voulait pas le croire et pourtant tous les éléments étaient réunis et allaient bel et bien dans le sens de cette hypothèse.

Bien que perturbé par sa découverte, Trevor masqua son malaise et laissa Abigail tamponner son mouchoir sur sa lèvre ensanglantée sans broncher. Haussant les épaules lorsqu’elle le remercia, il s’autorisa même à ajouter un petit trait d’humour en répondant : « Après tous ces efforts, j’allai quand même pas te laisser partir avec lui ! » Le jeune homme tenta ensuite de sourire mais le mouchoir et la douleur qui lui tirailla la lèvre l’en dissuadèrent, lui arrachant plutôt une petite grimace déçue. « Mais quand même… J’ai vraiment l’air de tapiner ? Je… j’ressemble pas à une pute quand même ? » questionna alors Abigail alors que le jeune homme ne s’y était pas vraiment attendu. Après la théorie qu’il venait d’échafauder, il lui était quelque peu difficile de cacher ses doutes mais il fit de son mieux pour ne rien laisser paraître et répondit : « Mais non… tu as bien vu qu’il était complètement saoul ! Il disait n’importe quoi… » Trevor voyait bien que les remarques de l’inconnu l’avaient énormément blessée, et c’est pour cette raison qu’il se voulait rassurant. Cependant, un tas de questions lui brûlaient les lèvres et, sans vouloir la brusquer ni la blesser une nouvelle fois, il osa tout de même demander : « Mais… tu l’avais déjà vu trainer par ici ? Enfin, tu le connaissais ? » Ou comment demander de façon détournée s’il faisait éventuellement partie de ses clients réguliers, et si elle avait ses petites habitudes sur cette place en particulier… La manœuvre était plus ou moins subtile, mais la curiosité de Trevor était en passe de prendre le dessus sur toute sa retenue.

Trevor avait beau ne pas vouloir la blesser davantage après ce qu’il venait de se passer, il fut incapable de tenir sa curiosité bien longtemps. Cette liasse de billets qu’il avait aperçue dans le sac à main d’Abigail et qu’il n’aurait définitivement pas du voir éveillait en lui les pires soupçons, et l’amenaient même à reconsidérer l’idée qu’il s’était faite de la jeune femme. Sans savoir précisément de quoi il s’agissait, l’italien avait compris qu’elle lui cachait quelque chose de sérieux, et Abi ne l’avait d’ailleurs pas contredit bien longtemps. Tout cet argent qu’elle détenait lui apparaissait donc comme un indice évident, la clé de toutes les questions qu’il se posait depuis quelques minutes. Alors, même s’il prit le temps de la rassurer quand à son apparence et le fait qu’on puisse la confondre avec une prostituée, Trevor réaborda rapidement le sujet de cet homme qu’il venait de faire déguerpir. Et même si sa question n’avait pas été directe, la jeune femme sembla en saisir immédiatement le sens, au plus grand dam de l’italien. Le regard qu’elle portait sur lui se transforma et ses sourcils froncés firent craindre le pire à Trevor. Elle l’avait démasqué sans peine et après coup, il admit bien volontiers qu’il n’avait pas été particulièrement fin. Mais qu’importe, la seule chose qu’il voulait à présent était de savoir ce qu’elle cachait, et d’où lui venaient tous ses billets amassés dans son sac à main.

« Non, je ne connais pas ce type et ne l’ai jamais vu traîner par ici, ceci dit, je suis rarement amenée à attendre le soir, ici. Et je ne me prostitue pas ! Bon sang, Trevor, tu me connais un peu non ? Tu sais très bien comment je suis ! Tu ne vas pas croire les dires d’un mec complètement bourré ?! Comment peux-tu ainsi douter de moi ? » s’écria Abigail, visiblement encore plus blessée qu’après le départ de son « agresseur ». En aucun cas Trevor ne voulait lui faire de mal mais c’était visiblement trop tard, et au lieu de chercher à se racheter, il préféra enfoncer le clou une bonne fois pour toute. Le jeune homme n’allait clairement pas lâcher prise en étant si près du but : il voulait savoir ce qu’elle lui cachait, et il y parviendrait par tous les moyens. Même s’il appréciait Abi, même s’il se plaisait à jouer ce petit jeu avec elle, il fallait parfois se montrer implacable pour arriver à ses fins. « Non je ne te connais pas ! Abi, tu viens juste de me démontrer que j’étais loin de te connaître, et que tu me cachais apparemment des choses, comment veux-tu que je réagisse ?! Bien sûr que j’en viens à douter de toi ! » cracha-t-il en s’emportant tout comme elle l’avait fait un peu plus tôt. Puis, histoire d’en venir plus directement aux faits, Trevor n’hésita pas à lui mettre le couteau sous la gorge en évoquant le contenu de son sac à main : « Et puis, qu’est-ce que tu fais avec une si grosse somme d’argent dans ton sac, hm ? Tous ces billets, ils ne sont certainement pas tombés du ciel ! »

Trevor sentait bien qu’il tenait quelque chose, et qu’il était tout près du but. Tout près d’enfin savoir ce qu’elle chercher à lui cacher, alors ce n’était pas le moment de flancher. A ce stade-là, c’était à Abigail de craquer, pas à lui. Et ce fut donc sans aucune pitié que Trevor enfonça le clou, n’hésitant d’ailleurs pas à mettre le sujet de cette liasse de billets qu’elle baladait sur le tapis. Et à peine eut-il lâché ces derniers mots que le jeune homme aperçut un brusque changement d’expression sur le visage d’Abigail. Tout à coup, elle semblait totalement résignée, et plus que jamais prête à lâcher le morceau à propos de ce mystère qui l’entourait depuis quelques minutes. Ne souhaitant pas la brusquer plus que ce qu’il l’avait déjà fait, Trevor décida de rester silencieux, se contentant de la sonder du regard pour tenter d’entrevoir une once de réponse à toutes ses questions. Comme pour planter le décor de la conversation qui allait suivre, Abigail recula pour s’installer sur un muret qui se trouvait derrière eux. Trevor la suivit sans comprendre, et s’installa à ses côtés en flanquant ses mains dans les poches de sa veste et attendit en l’observant attentivement. La jeune femme, elle, gardait son regard plongé dans le vide et s’accorda quelques minutes de silence que l’italien n’osa pas perturber. Puis, rassemblant visiblement tout son courage, Abi passa aux aveux devant un Trevor des plus satisfaits, qui se retint d’afficher un petit sourire qui aurait certainement paru trop déplacé.

Le discours qui s’ensuivit laissa Trevor complètement interdit. A aucun moment il ne s’était attendu à ça, et il s’efforçait à présent de garder le même regard sur Abi malgré toutes les révélations qu’elle venait de lui faire. Après tout, le fait qu’elle soit escort-girl pour arrondir ses fins de mois ne devait pas le bouleverser outre mesure, et ne devait en rien modifier la relation qu’ils entretenaient aujourd’hui. Pourtant, Trevor voyait désormais sa voisine bien différemment, et devait se faire violence pour ne pas l’imaginer au bras d’un riche homme d’affaires ventripotent et tellement malsain. Sa présence dans ce quartier dans une telle tenue ainsi que la somme d’argent plutôt rondelette qu’elle tenait dans son sac s’expliquait donc par ce second emploi que l’italien avait jusqu’ici ignoré. Tout à coup, tout rentrait dans l’ordre dans l’esprit  du jeune homme qui se trouva d’ailleurs bien ridicule d’avoir pu penser qu’elle se prostituait. Car même si on pouvait pensait que le métier d’escort revenait au même, Abi avait bien précisé qu’elle ne dépassait jamais « certaines limites ». Trevor osait espérer qu’ils parlaient bien des mêmes limites mais au fond, il n’en doutait pas. « Tu sais tout maintenant… Et peu de personnes sont au courant. Je n’aime pas parler de cela. Et puis, je ne tiens pas à ce que tout le monde l’apprenne. Alors Trevor, je t’en prie, garde ça pour toi… » supplia-t-elle en ayant quasiment les larmes aux yeux.

Tout d’abord silencieux, Trevor hocha la tête pour la rassurer, et répondit en même temps : « Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça, je ne dirai rien. » assura-t-il en lui offrant un petit sourire qui se voulait réconfortant. « Tu sais, je ne te juge pas… Je… pour ne rien te cacher je suis un peu surpris, mais… ça ne change rien, pas vrai ? » Voyant le regard embué d’Abigail posé sur lui, Trevor se permit de poser une main sur son épaule en la caressant légèrement, comme pour appuyer ses dires et lui prouver que même après ses révélations, rien n’allait changer.

Même s’il était surpris, Trevor s’efforçait de ne rien laisser paraitre. Au lieu de ça, il adoptait plutôt une attitude qui se voulait réconfortante car au fond, il sentait que c’était tout ce dont elle avait besoin. On venait tout de même de la prendre pour une prostituée et même si elle savait ce qu’elle valait, ça ne devait pas particulièrement être facile à entendre. Pire, Trevor lui-même en était venu à douter d’elle. C’est d’ailleurs cet élément qui sembla la blesser le plus dans l’histoire, mais c’est aussi celui qui la poussa à avouer toute la vérité à l’italien. Désormais, il connaissait ses secrets et contrairement à ce qu’il avait affirmé un peu plus tôt, il pouvait se targuer de la « connaître ». Bien sûr, il ne s’agissait pas d’une des activités les plus reluisantes d’Abigail mais si ça faisait partie de son quotidien, Trevor était prêt à l’accepter. De toute façon, il n’avait pas vraiment son mot à dire là-dessus.

Alors qu’elle s’efforçait à son tour d’afficher un maigre sourire, Abigail remercia Trevor. Elle avait visiblement craint que ces aveux puissent lui porter préjudice auprès du jeune homme, et avait l’air particulièrement rassurée qu’il n’en soit rien. Il était relativement tolérant, et avait d’ailleurs de bonnes raisons de l’être. Après tout, tout le monde avait ces petits secrets et il n’était pas le dernier à ce jeu-là. Si seulement Abigail connaissait un quart de son histoire et de tout ce qu’il devait cacher au quotidien, elle comprendrait plus aisément cette tolérance, et cette volonté de garder son secret bien à l’abri. Trevor comprenait ce qu’elle ressentait à ce moment précis, et jamais il ne trahirait la confiance qu’elle venait de mettre en lui en lui avouant son emploi d’escort girl. « En tout cas, merci d'être aussi compréhensif... » ajouta-t-elle alors en affichant un nouveau petit sourire qui suffit à satisfaire le jeune homme. Haussant les épaules sans trop savoir quoi répondre de plus, Trevor retira la main qu’il avait gardée sur l’épaule d’Abi. Il sentait qu’elle reprenait confiance, et que le bouleversement d’avoir tout avoué d’un bloc s’effaçait peu à peu. Désormais, l’italien avait à cœur de passer à autre chose, et d’effacer du mieux qu’il pouvait la blessure que ses soupçons avaient occasionné chez Abigail. Un peu plus timidement que d’habitude, il reprit donc : « Désolé d’avoir… enfin, d’avoir pu croire que… tu vois. Je sais pas ce qui m’est passé par la tête, j’aurai pas du… désolé. » Pour lui prouver toute sa sincérité, le jeune homme plongea son regard dans celui d’Abi, avant de reprendre avec un petit sourire en coin : « Ca va aller ? Est-ce que je peux t’inviter à boire un verre histoire d’oublier tout ça ? » Puis, comme pour bien mettre les choses au clair, il se sentit obligé d’ajouter : « On fait une pause d’accord ? Tu accepteras mieux si je te promets  de ne pas essayer de te séduire ce soir ? » Son regard était rieur mais sincère, et il ne voyait en cette invitation qu’une occasion de se faire pardonner pour les soupçons infâmes qu’il avait eus à son égard.

Pour une fois, Trevor avait à cœur d’être sérieux et de se montrer tel qu’il était vraiment devant Abigail. Après tout, il lui devait bien ça ! Elle s’était livrée à lui sans détour alors elle avait bien droit à un peu de sincérité. Cependant, le jeune homme ne comptait pas lui dire quoi que ce soit sur son compte. D’une part, elle ne demandait rien et ne devait même pas se douter qu’il cachait des histoires aussi importantes. Et d’autre part, même en étant le plus sincère possible, il s’était promis de ne jamais parler de son passé à personne, hormis Ashton qui était de toute façon au courant de tout qu’il le veuille ou non. Tout ce que l’italien pouvait donc offrir à Abi, c’était le vrai lui, le Trevor qui ne jouait pas continuellement avec elle et qui ne cherchait pas à la mettre dans son lit par tous les moyens. Mais curieusement, au moment même où il lui proposa ce deal, il put lire un minuscule éclair de déception dans le regard de la jeune femme. Amusé, il décida néanmoins de ne pas relever ce détail. Mais bien vite, Abigail se chargea de ramener le sujet sur le tapis en plaisantant : « Parce que tu en es vraiment capable ? » La voir réagir ainsi amusait et rassurait à la fois Trevor qui constatait du même coup qu’elle reprenait du poil de la bête. En effet, elle avait troqué son regard embué, presque au bord des larmes, par un beau sourire que l’italien lui préférait largement. Pour toute réponse, il se contenta de lever les yeux au ciel en souriant, ne souhaitant pas trop s’avancer puisqu’il n’était lui-même pas certain de résister si elle lui tendait des perches comme celle-là toute la soirée. « Enfin, quoi qu'il en soit, j'accepte avec plaisir ! » conclut finalement Abigail, poussant le jeune homme à se redresser et à l’entrainer vers un des bars les plus proches.

Sur le chemin, il la vit croiser les bras et constata qu’effectivement, l’air se faisait désormais plus frais autour d’eux. Une idée lui traversa alors l’esprit, mais il secoua bien vite la tête en laissant échapper un petit rire. « Je t’aurais bien laissé ma veste hein, crois-moi ! Mais tu vas croire que c’est une technique pour t’amadouer alors… » Laissant sa phrase en suspend, il lui lança un regard amusé avant de désigner la porte du bar devant lequel ils venaient d’arriver. En parfait gentleman, Trevor la laissa entrer en premier et fila s’installer à une des tables qu’elle avait choisie. « Bien ! Un cocktail, ça te dit ? Enfin... prends tout ce que tu veux de toute façon, c’est ma façon de me faire pardonner… » expliqua l’italien, comptant tout de même sur le bon sens d’Abigail pour ne pas le ruiner en une seule soirée.

D’ordinaire si bavard et à l’aise en face d’elle, Trevor se retrouva bien vite à cours de sujets de conversation, et ce pour son plus grand étonnement. En fait, tout ce qui lui venait à l’esprit n’était qu’une succession de phrases idiotes bâties dans le seul but de la faire sourire, et donc de la séduire. Mais au bout d’un moment, il releva les yeux vers elle en affichant une petite moue contrariée. Puis, après avoir plongé ses yeux dans ceux d’Abi, il se mit à sourire en demandant : « Je… j’ai le droit d’essayer quand même un peu ? » Il adopta immédiatement son visage d’ange grâce auquel on ne pouvait rien lui refuser, provoquant sa voisine d’un air taquin.

« Bien sûr ! Et comme ça, je tombe malade ‘par ta faute’ et ça te fait une excuse pour rester à mon chevet et t’occuper de moi… » répliqua Abigail alors que l’italien ironisait à propos de sa veste. A vrai dire, il n’était pas allé aussi loin dans sa réflexion mais ne put s’empêcher de rire en entendant celle de la jeune femme. Pointant son index vers elle en hochant la tête, Trevor s’empressa de déclarer : « Je n’y avais pas pensé mais… espérons que tu tombes malade ! » Ne pouvant pas rester sérieux plus de quelques secondes, il éclata de rire avant d’ouvrir la porte du bar qu’il avait sélectionné. Bien sûr il ne lui souhaitait pas de tomber malade mais malgré les efforts qu’il mettait en œuvre, Trevor pouvait difficilement s’empêcher de jouer avec Abigail. Et la belle le lui rendait bien, en apportant de l’eau à son moulin dès qu’elle en avait l’occasion.

Elle avait beau lui répéter qu’il n’avait pas à se faire pardonner, Trevor s’en voulait tellement qu’il insista et opta pour une tournée de cocktails dans un premier temps. Alpaguant le premier serveur qui croisa son regard, il commanda deux verres de son cocktail préféré avant de reporter son attention sur Abi. Malheureusement, et même s’il se creusa la tête pur trouver quelque chose de censé et d’intéressant à dire, rien ne lui venait. Comme privé de tous ses sujets de conversation potentiels, il se retrouvait sans voix face à une Abigail visiblement aussi mal à l’aise que lui. Dans le fond, c’était un peu paradoxal ! Elle qui passait son temps à le repousser aurait dut être ravi d’enfin voir le véritable Trevor, celui qui ne passait pas son temps à essayer de la charmer par tous les moyens. Et pourtant, le malaise était bel et bien là, et poussa d’ailleurs l’italien à demander la « permission » de reprendre ses bonnes vieilles habitudes. D’un seul petit éclat de rire, la jeune femme conforta Trevor dans son idée et il n’attendit même pas sa réponse définitive avant d’afficher un sourire soulagé. Tout ce qui les liait depuis le début, c’était ce petit jeu permanent entre eux. Et sans ça, ils se retrouvaient un peu sans repères, incapables de se comporter comme des adultes normaux et d’avoir une conversation banale… c’était certes étonnant, mais c’était leur relation à eux, sans que Trevor ne puisse d’ailleurs se l’expliquer. « On a dit que rien ne changeait entre nous alors… oui. » A peine eut-elle prononcé son dernier mot que le jeune homme mordilla sa lèvre inférieure en lui lançant un regard sans équivoque. Malheureusement pour lui le serveur vint l’interrompre en posant devant eux les deux verres commandés. Trevor le remercia brièvement, mais reporta bien vite toute son attention sur Abi. « En fait, tu passes ton temps à me repousser mais… t’aimes ça ! Je suis sûr que tu meures d’envie de craquer… » analysa-t-il à voix haute, ne se priva pas d’emprisonner la main d’Abi dans la sienne pour la caresser. « Tu sais que pour ça… je mérite au moins un baiser, c’est le minimum. » annonça-t-il alors le plus sérieusement possible en désignant sa blessure à la lèvre qui, même si le sang avait arrêté de couler, était encore bien visible.

Soulagé de la réaction d’Abigail et de cette pseudo-autorisation qu’il venait de recevoir, Trevor se détendit en reprenant ses bonnes vieilles habitudes de séducteur plus ou moins aguerri. En réalité, ses techniques étaient loin d’être dignes d’un grand Casanova mais ce qu’il recherchait avant tout, c’était de faire rire et sourire la jeune femme. Et pour cela, quelques bourdes et une certaine maladresse n’étaient pas de trop. Force était d’ailleurs de constater que ses plans fonctionnaient à merveille puisqu’Abigail semblait avoir définitivement troqué son regard embué contre une mine réjouie et taquine, agrémentée de temps à autres d’un beau sourire qui réchauffait à chaque fois le cœur de l’italien. Ce soir, il avait à cœur de lui faire oublier cette petite déconvenue qu’elle venait de vivre, et il était prêt à faire tous les efforts qui s’avéraient nécessaires… quitte à mettre consciemment les pieds dans le plat. Après tout, Abi le connaissait bien assez pour savoir de quoi il était capable, et donc pour ne pas se formaliser. Car même s’il se faisait parfois passer pour le pire des coureurs de jupons en sa présence, Trevor osait espérer qu’elle comprenait son petit cinéma, et qu’elle savait qu’il n’était pas exactement de cette trempe-là. « J'te trouve bien sûr de toi... Fais attention, ça pourrait te jouer des tours... » déclara d’ailleurs la jeune femme, éludant du même coup le sujet que l’italien avait habilement abordé. Pas surpris le moins du monde par cette nouvelle pirouette, il se contenta de sourire et continua comme si de rien n’était en réclamant un baiser qu’il estimait bien mérité. Mais une fois de plus, Abigail trouva une argumentation plus ou moins pertinente pour le dissuader de tenter quoi que ce soit. Pourtant, la lueur que Trevor pouvait distinguer dans son regard lui criait l’inverse… Elle avait envie de l’embrasser, au moins autant que lui mais elle se retenait. Et même si cet entêtement le mettait lui aussi au supplice l’italien préférait s’en amuser, la provoquant même davantage en caressant délicatement sa main.

« Bon, sinon, quoi de neuf ? Qu'est-ce que tu racontes ? » Décidément, Abi cherchait par tous les moyens à réorienter la conversation vers un sujet plus banal, et cette énième tentative fit de nouveau sourire Trevor, qui se prêta néanmoins volontiers au jeu. Tout en sirotant quelques gorgées de son cocktail, et sans lâcher la main de la jeune femme un seul instant, il commença : « Rien de spécial…. La routine habituelle, tu sais ce que c’est… » Bien sûr, le jeune homme évita de parler de ces missions qu’il menait de plus en plus souvent aux côté de Marley, mais aussi et surtout de cette balle qu’il avait reçue dans le bras et qui avait bien failli coûter la vie à sa « coéquipière ». « Et puis j’attendais que tu m’appelles… tu sais, pour me dire que tu ne pouvais pas vivre sans moi, qu’il fallait absolument qu’on se voit, que je te manquai trop… tout ça quoi. Mais bon, j’en ai conclu que tu ne devais pas voir le bon numéro… » ajouta-t-il le plus sérieusement possible en haussant les épaules, avant de replonger le nez dans son verre tout en guettant la réaction d’Abi.