JAVIER&MANUELA - NOTHING, BUT A FRIENDLY CHAT ►

Je termine de coudre les robes qu’on a commandé sur mon site internet et les range dans des housses pour les protéger de la poussière. Une fois chose faite, je ramasse mon matériel en prenant bien soin de ne pas choquer ma machine contre les bords du placard. Ce bijou m’a coûté une petite fortune, raison pour laquelle je préfère en prendre soin. Si j’ai des problèmes d’argent en ce moment ? Non, pas vraiment. Hormis le petit incident avec Willow l’autre jour, les affaires marchent plutôt bien à la boutique. Mais ce n’est pas une raison pour dépenser à tort et à travers. Comme chaque commerçant, j’ai de nombreuses factures à payer et sur le plan personnel, je me dois aussi d’être prudente étant donné que j’élève une petite fille. De même, mon ordinateur portable a récemment rendu l’âme, si bien que j’ai dû en acheter un autre. Comme je cherche à économiser pour partir passer quelques semaines en Espagne à la fin de l’été, c’est une dépense dont je me serais bien passée. Jusqu’alors perdue dans mes pensées, les cris de ma fille me ramènent à la réalité.  « Maman ?! MAAAAA-MAAAN ! » « Qu’est-ce qui se passe, chaton ? » je demande en regagnant le salon. « Est-ce que tu peux mettre un autre dvd ? » « Non. Tu as passé suffisamment de temps devant la télévision ! » je réplique avec fermeté. « Mais maman… » « Ça ne sert à rien de discuter Soraya. Quand je dis non, c’est non ! Tu as le droit à une heure et demie de télévision par jour et tu les as largement dépassées ! Alors, tu t’occupes autrement ! » Résolue, elle éteint la télévision et s’installe sur la table du salon pour dessiner. De mon côté, je décide de profiter du temps qu’il me reste avant l’arrivée de Javier pour faire un brin de ménage. Mais je n’ai pas si tôt commencé à ranger le plan de travail que le téléphone sonne. « Oh, c’est pas vrai… » je peste en attrapant le combiné. « Allô ? Tiens salut Papa » je soupire, consciente que cette conversation va s’éterniser. « Oui ! Enfin, non, mais j’attends quelqu’un. Non, je n’ai pas de fiancé ! Mais ça ne te regarde pas ! Oui… Euh, je ne sais pas exactement. Mi-août, sans doute. Mais je t’en reparlerais en temps voulu… » Nous discutons de tout et de rien et le temps file à toute vitesse. Stressée à l’idée de ne pas avoir terminé de ranger quand Javier arrivera, je fais savoir à mon père que je vais devoir raccrocher. C’est alors qu’il demande à parler à Soraya. Bête et disciplinée, je m’apprête donc à lui tendre le combiné, quand mon père m’arrête et me dit qu’il préférerait utiliser Skype. Même si sa demande me fait sourciller, j’allume mon pc flambant neuf et vais le poser dans la chambre d’amis. Impatiente de parler à son grand-père, Soraya ne tarde pas à me rejoindre. « Bon, je te laisse avec papi. Quand vous aurez fini de discuter, tu ne touches à rien, d’accord ? » Désormais habituée, elle opine et je retourne voguer à mes occupations.

Nettoyer, balayer, astiquer, maison toujours pimpante… Consciente que je n’ai pas beaucoup de temps devant moi, j’essaye de me dépêcher. Entre deux coups de chiffon, je vois Soraya sortir de la chambre d’amis et se précipiter dans la sienne. J’en profite donc pour mettre un peu de musique. « I’m so excited » des Pointer Sisters ne tarde pas à raisonner dans l’appartement, mais je fais tout de même attention à ne pas trop hausser le son, histoire de ne pas m’attirer les foudres de mes voisins et plus particulièrement de la concierge qui me déteste. Le manche de l’aspirateur en guise de micro, je commence à danser et à chanter à tue-tête. « I’m so excited, and I just can’t hide it ! I’m about to lose control and I think I like it ! I’m so excited and I just can't hide it! And I know, I know, I know, I know, I know I want you… » Portée par la musique, je n’entends pas frapper à la porte et ne vois pas non plus ma fille se précipiter dans l’entrée. Ce n’est que lorsque je tourne sur moi-même à la fin de la chanson que je remarque la présence de mon meilleur ami qui se délecte bien évidemment du spectacle. Logée dans ses bras, Soraya sourit et m’applaudit. Plus amusée que mal à l’aise, je salue mon public et m’approche de Javier pour le saluer. « Le spectacle vous a plu, très cher ? » je demande, le sourire aux lèvres.

« Beaucoup ! Je peux avoir une autre chanson ? » Je secoue la tête et lui lance un franc sourire. Si j’ai honte de m’être donnée en spectacle ? Non. Ce genre d’incident m’arrive constamment et à partir du moment où ça se passe devant mes proches, ça n’a pas réellement d’importance. Javier me connaît sur le bout des doigts et il sait que je suis une personne pleine de vie, qui a toujours adoré danser. Maintenant que mes jambes fonctionnent pleinement et que ma colonne est capable de me tenir debout, j’essaye juste d’en profiter. « Tu chantes très bien et quel déhanché » poursuit-il, encore amusé par le spectacle auquel il vient d’assister. « Merci ! Mais ne te fais pas trop d’illusions, car ce n’est pas demain la veille que je vais retourner dans un cours de danse ! Je pense d’ailleurs qu’on va devoir attendre un peu avant de se remettre à la salsa, au tango ou à je ne sais quelle autre danse » je réplique en faisant référence à son souhait de nous inscrire en duo à un cours de danse. « Tu te reconvertis dans la chanson ? Laisse-moi être ton garde du corps alors ! » Cette fois, je lui tape doucement sur l’épaule. « Pour que tu puisses ensuite me séduire ? Non, merci ! No offense, but that would be far too weird, even for us » je plaisante, en faisant écho à sa liaison avec Mylène. « Plus sérieusement, ça va toi ? Comment s’est passé ton rendez-vous avec le chirurgien ? Tu n’appréhendes pas trop ? » J’ai conscience de le bombarder de questions, mais j’ai beau essayer de rester calme, je me fais beaucoup de souci pour lui. Il y a quelques jours, Javier m’a téléphoné en m’annonçant qu’il s’était enfin décidé à officialiser sa décision de se faire opérer. Savoir que cela allait être concret m’a réellement rassurée et je veux juste m’assurer qu’il ne s’est pas dégonflé à la dernière minute. Tandis qu’il me répond, j’attrape Soraya et lui glisse à l’oreille qu’il serait peut-être temps qu’elle aille chercher le bracelet qu’elle a confectionné pour Javier. Enthousiaste, la petite s’éclipse dans sa chambre, ce qui nous laisse quelques minutes de répit. « Soraya a tenu à te faire un gâteau. Sans vouloir vanter nos mérites de pâtissières, la pâte était délicieuse alors j’ose espérer que le résultat le sera aussi » j’explique en passant volontairement sous silence la surprise que ma fille lui a réservée et qu’il l’a occupée une bonne partie de la matinée.

Quand il m’a proposé d’être mon garde du corps si toutefois je décidais de me lancer dans une carrière de chanteuse, je n’ai pas pu m’empêcher de faire allusion à sa relation avec Mylène et ça n’a pas manqué de faire réagir mon meilleur ami qui s’est vaillamment défendu en répliquant « Hey, je ne couche pas toujours avec mes clientes et puis, madame, vous parlez à un homme casé ! » J’écarquille les yeux tout ronds, encore sous le choc de ce qu’il vient de me dire. Est-ce que ça signifie qu’il est en couple ou bien suis-je à nouveau en train de me faire des idées ? Je l’ignore, mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas le moment de lui poser la question puisque la conversation a dérivé sur son état de santé et plus particulièrement sur son opération. « Mon chirurgien est confiant quant à la finalité de l’opération. Je suis en bonne santé en dehors de ma tumeur donc pour lui, je devrais être en capacité de survivre à l’opération et de m’en réchapper sans trop de séquelles. » Voilà qui est rassurant. « Je me fais opérer dans quinze jours, j’ai demandé un délai pour pouvoir simplement profiter de ma fille et de mes proches juste au cas où. » Je m’efforce de sourire même si je n’aime pas l’entendre parler comme ça. Bien sûr, il se doit d’envisager le pire, car on ne sait pas de quoi demain sera fait, mais pour ma part je préfère ne pas y penser. « Je me suis arrangé avec Gabriel et Sergeï pour l’agence, ils la feront tourner en mon absence. Mes hommes sont briefés donc de ce côté-là, je n’ai aucune inquiétude. Je me fais plus de soucis pour Katniss, elle est un peu à cran ces derniers temps » déplore-t-il avant d’ajouter « mais moi-même, je suis confiant donc je crois que dans l’ensemble, j’ai hâte d’en terminer d’une façon ou d’une autre. » Je comprends ce qu’il ressent. C’est le genre de fardeau dont on a envie de se libérer rapidement. « Je suis vraiment contente que tu prennes les choses avec autant de philosophie. Il paraît que le moral des patients joue un rôle capital pour l’opération. Enfin, surtout pour le stade post-opératoire si j’ai bien compris, mais on s’en fiche ! Le principal c’est que tu sois déterminé à te battre et que tout ça soit bientôt derrière nous » je lâche en lui adressant un énorme sourire. « Quant à Katniss, il ne faut pas lui en vouloir, car c’est très difficile à vivre pour elle. Même si les médecins sont confiants et qu’on préfère ne pas y penser, le facteur risque reste dans un coin de notre tête et on finit par imaginer le pire. Katniss doit être dans cet état d’esprit, elle est terrorisée à l’idée de te perdre, mais ça va aller. Je prendrai soin d’elle comme promis et je m’efforcerai de lui changer les idées… » J’essaye de le rassurer comme je peux, mais je ne suis pas certaine d’être à la hauteur. « Pour en revenir à ma boutade de tout à l’heure » j’ajoute, rongée par la curiosité. « Est-ce que ça veut dire que toi et ta petite prof êtes passés au stade supérieur ? Vous avez officialisé les choses ? Vous formez un couple ? » je demande avec enthousiasme.