Ayant pris ma décision sur un coup de tête, je n’ai pas eu le temps de prévenir mes proches que nous étions finalement rentrées à New-York. J’ai consacré ces deux dernières semaines au rachat de la boutique et à la scolarisation de ma fille. Quant à notre nouvel appartement? Il est plutôt sympathique. Certes, je préférais l’ancien, mais j’ai cassé le bail sur un coup de tête et il a été reloué depuis. A l’époque je pensais passer plus de temps en Espagne et je ne voyais pas l’intérêt de continuer à payer le loyer d’un appartement que je n’occupais plus. Tout bien considéré, j’aurais peut-être mieux fait de le garder. Enfin bon, il y a des choses plus graves dans la vie et tant que j’ai un toit sur la tête, je ne suis pas à plaindre n’est-ce pas? Spacieux et lumineux, notre nouveau foyer est même plutôt agréable. Le prix est légèrement plus élevé, mais il est aussi situé à deux pas de l’école de Soraya ce qui n‘est pas négligeable. Quoi qu’il en soit, j’ai fini de déballer le dernier carton ce matin et je ne suis pas mécontente d’en avoir terminé avec le rangement. « Ma puce, dépêche-toi ou tu vas finir par être en retard à ton cours de danse » je m’égosille depuis la cuisine en terminant de ranger le petit-déjeuner. « JE SUIS PRÊTE! » s’exclame mon petit diable en déboulant dans la pièce comme une furie. « Je vois que tu es enthousiaste, ça fait plaisir à voir! Allez, c’est partie petite chipie! Mets ta veste et ton écharpe, on y va! » Sur ces belles paroles, j’attrape les clefs de l’appartement et enfile mon manteau avant de grimper dans un taxi. Encore échaudée par les évènements, je n’ai jamais pu reprendre le métro. De toute manière, Soraya est terrorisée à chaque fois qu’on s’approche d’une station, alors je me vois mal la forcer à en emprunter un -surtout si c’est pour faire face à une crise de larmes.

La leçon se termine sur les coups de dix heure quarante-cinq et je décide d’aller faire un tour au centre commercial pour acheter un petit quelque chose à ma princesse, qui s’est montrée incroyablement sage ces derniers temps. Nous parcourons donc les boutiques à la recherche d’une babiole qui pourrait la satisfaire, quand son regard s’attarde sur une poupée à l’effigie de sa chanteuse favorite. Amusée, je consens à la lui acheter et nous allons ensuite déjeuner dans une crêperie. …

L’après-midi est déjà bien avancé quand j’arrive chez mon meilleur ami. « Maman, pourquoi on n’est pas rentré tout de suite à la maison? J’ai même pas fait de sieste cet après-midi, je suis fatiguée moi » se plains Soraya tandis que je frappe à la porte.

Javier reste prostré quelques minutes avant de réaliser ce qui se passe. L’espace d’une fraction de secondes, je songe même à le pincer pour lui prouver que ce n’est pas un rêve -mais me ravise lorsqu’il bafouille mon prénom et nous invite à entrer. La surprise est totale, mais je comprends sa réaction… Quand j’ai quitté New-York, j’étais encore en fauteuil roulant. Mes progrès d’abord jugés « miraculeux » se sont bientôt avérés plus minimes que ce qu’on avait escompté et les médecins ont à nouveau perdu espoir de me voir remarcher un jour. Cette nouvelle m’a complètement anéantie, mais Javier m’a aidé à voir les choses du bon côté en insistant sur le fait que ce n’était pas une fatalité. Son discours aurait pu me mettre hors de moi, mais il a suffi que je pose les yeux sur ma petite princesse pour comprendre qu’il avait raison. Coincée dans une chaise roulante ou pas, je restais Manuela. Une mère, une amie, une styliste et à présent une femme d’affaire redoutable. On a tellement de choses à se raconter, je songe en allant me blottir dans ses bras.

« Tu m’as affreusement manqué. Je sais bien que j’aurais dû donner de nos nouvelles, mais il s’est passé tellement de choses si tu savais… » j’explique en tentant de justifier mon silence radio. Pourtant d’un naturel attentionné et altruiste, je n’ai pas vraiment pris le temps de téléphoner à mes amis - préférant de loin régler mes problèmes personnels. D’ailleurs ce séjour en Espagne m’a été bénéfique sur bien des points et je suis ravie de pouvoir prendre un nouveau départ. J’ai retrouvé l’usage de mes jambes, fait la paix avec mes vieux démons, de nouvelles perspectives d’avenir s’offrent à moi - et tout ce que j’espère c’est que les choses continueront à aller dans ce sens. « Je peux avoir un câlin, moi aussi? » demande la petite en tirant sur la manche de mon ami. Amusé par sa remarque, il se baisse pour la serrer dans ses bras. J’en profite pour poser mon sac avant de débarrasser ma fille de son manteau. « Comment ça va toi? La dernière fois qu’on s’est vu tu flirtais avec l’une de tes clientes si mes souvenirs sont bons… Une jolie blonde, une Australienne… Comment s’appelait-elle déjà? Anya? Ana? Bref… Où ça en est? » je demande avec une pointe de curiosité. Le fait qu’il soit un peu plus âgé que moi ne m’empêche pas de m’intéresser à sa vie amoureuse. Loin de là! Je serais même plutôt du genre à me mêler de ce qui ne me regarde pas. J’ai tendance à être un peu trop protectrice avec mon entourage et c’est quelque chose qu’on me reproche assez souvent.

Je suis soulagée de l’entendre dire qu’il ne m’en veut pas. Beaucoup à sa place se seraient offusqués d’un tel détachement, mais Javier a toujours été quelqu’un de compréhensif, une personne sympathique et généreuse qui déteste juger les gens. C’est d’ailleurs pour ça que le courant est si bien passé entre nous dès le départ. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je traversais une période extrêmement difficile, j’avais perdu tous mes repères et c’est en partie grâce à son soutien que j’ai réussi à sortir la tête de l’eau. Nous avons tous les deux connus notre lot de souffrances et c’est aussi ça qui nous a rapproché, le fait de pouvoir partager notre peine et de nous consoler mutuellement. D’ailleurs, je suis franchement déçue d’apprendre que les choses n’ont pas fonctionné avec sa petite Australienne. « Je me porte bien et pour te répondre, ça en est nulle part pour la simple et unique raison qu’elle est partie et n’est jamais revenue. J’ai fait l’erreur de la laisser partir et je crois qu’elle restera à jamais un des plus grands regrets de ma vie mais bon, je t’avoue que j’ai rencontré une femme. Nous avons eu une liaison de quelques mois mais ça s’est terminé récemment…» Décidément, il les accumule, je songe en le gratifiant d’un sourire désolé. Javier a beau jouer les hommes forts, je vois bien que ces séparations l’affectent et j’aimerais vraiment le consoler. Enfin, encore faudrait-il pour ça qu’il me laisse en placer une, parce que partie comme ça, ce n’est pas gagné! « Et toi ? Tu veux boire un café ? Et toi princesse, je dois avoir du jus de fruit. » Nous acquiesçons d‘un signe de la tête et nous installons sur le canapé. « Si tu trouves un tournevis, t’étonne pas mais alors pas du tout » s’exclame-t-il en jetant un coup d’œil en direction du sofa où quelques affaires sont éparpillées. Puisque Monsieur est parti nous chercher quelque chose à boire, j’en profite pour rassembler les dites affaires et les pose sur la table basse. Parmi elle se trouve un cahier affublé d’une étiquette portant le nom « Katniss ». Je fronce légèrement les sourcils, mais ne cherche pas plus loin. Après tout, je viens à peine de débarquer, il n’est pas tenu de tout me raconter. « Pour répondre à ta question, il s’est passé pas mal de choses de mon côté. Si ça peut te consoler » je poursuis en installant la petite sur mes genoux. « Les choses se sont plutôt mal terminées avec Mathis et nous nous sommes séparés quelques jours avant que nous ne partions pour l’Espagne. C’est même notre rupture qui a précipité notre départ pour être tout à fait exacte. Durant mon séjour en Europe, j’ai rencontré un excellent chirurgien qui m’a proposé de m’opérer. N’ayant rien à perdre, j’ai décidé de tenter l’expérience et je me suis rendue à Londres pour subir l’opération. Comme tu l’as remarqué, je tiens sur mes deux jambes, donc je pense être en droit de dire que tout s’est bien passé! » je m’exclame en laissant échapper un rire léger. « Je me suis réconciliée avec ma sœur-aînée et j’ai… enfin fait mon deuil. Cela aura pris du temps, mais ça m’a fait du bien de retourner sur les lieux du drame… Enfin bref, ce séjour s’est avéré particulièrement bénéfique! » De retour au salon, notre hôte pose nos boissons sur la table et je le remercie, avant de poursuivre notre conversation. « Quant à toi, il va falloir que tu m’en dises un peu plus sur le départ d’Ayhalina et sur cette autre jeune femme… Je veux connaître tous les détails. Qui plus est, tu as l’air désespéré par la situation alors, si ça peut te remonter le moral, autant qu’on en parle! »

Il me confie être désolé d’apprendre que j’ai rompu avec Mathis, mais ne trouvant rien à répliquer, je préfère de ne pas agrémenter le sujet. A quoi bon tergiverser de toute manière? Je me suis finalement rendue compte que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre et j’ai fait en sorte de faire ce qui était le mieux pour ma fille et pour moi-même. Autant se montrer réaliste, notre couple ne fonctionnait pas. Nous passions la majeure partie de notre temps à nous disputer et n’ayant pas connu son frère jumeau, Mathis ne supportait pas que j’évoque Adan avec Soraya. Or, ma fille avait besoin de savoir qui était réellement son père. C’était indispensable, ne serait-ce que pour plus tard, lorsqu’elle sera en âge de comprendre ce qui s’est passé. A long terme, elle aurait fini par souffrir de nos querelles et je n’avais aucune envie qu’elle grandisse dans ces conditions. Alors, même si j’étais très attachée à Mathis et convaincue de ses sentiments pour moi, j’ai décidé de mettre un terme à ce canular. Je ne cherche pas à être cynique, je me contente de voir la vérité telle qu’elle est. J’ai bêtement cru que m’amouracher de la copie conforme de mon premier amour allait m’aider à surmonter ma peine, mais ça n’a fait qu’aggraver les choses. Je n’ai jamais été amoureuse de Mathis. Au fond, je crois que ce qui me plaisait c’était surtout la sensation d’être aimée et le fait qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à mon défunt fiancé. Alors forcément, quand Javier plaisante sur ma vie amoureuse en déclarant que je finirais bien par trouver le prince charmant, je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. On se ressemble beaucoup tous les deux. Ecorchés vifs et méfiants, je crois qu’on a cessé de croire aux contes de fées depuis un certain temps. Maintenant, prétendre que ma vie sentimentale est au point mort ne serait pas tout à fait exacte. J’ai bien quelqu’un en tête. Une personne formidable, drôle et avec laquelle j’ai gardé contact. Une personne ancrée dans mon esprit. Une tête à claque à ses heures c’est vrai, mais un jeune homme formidable, en qui j’ai une confiance aveugle -ou presque. Un sourire se dessine sur mes lèvres au moment où je songe à lui, mais je m’empresse de le chasser de mon esprit pour me concentrer sur ce qu’est en train de me dire mon meilleur ami. De toute évidence, les choses étaient plus compliquées que ce que j’avais pu imaginer avec sa belle Australienne. Mais comment l’en blâmer? Je sais, probablement mieux que quiconque, comme ça peut-être difficile de tirer un trait sur le passé. Si mes souvenirs sont bons, son fiancé et meilleur ami de toujours est décédé des suites d’une leucémie. La jolie blonde ne s’y attendait pas et elle a assez mal vécu les choses, enfin c’est tout ce que Javier a bien voulu me dire à l’époque. Je suis vraiment triste que les choses n’aient pas fonctionné entre eux. Il y avait visiblement une connexion et je suis certaine qu’avec le temps, ils auraient pu être heureux ensemble. Mais le temps passe et la distance n’arrange rien c’est vrai… Mais tout de même, avec Grace partie, ils auraient enfin pu se donner une chance. Non pas que je me réjouisse de sa mort, mais j’ai vu comme cette femme pouvait le rendre heureux et je trouve ça regrettable qu’elle ait pris la fuite et qu’il ait renoncé à la rejoindre. Surtout si ça n’a pas marché avec cette autre fille. D’ailleurs, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire lorsqu’il confesse s’être amouraché d’une autre cliente. « Une chanteuse. Seulement, il y avait une différence d’âge qui nous séparait et puis ma fille ne l’aimait pas et souffrait de cette liaison. Oui, tu as bien entendu, figure toi qu’un beau matin, j’ai vu débarquer une gamine de onze ans enfin douze maintenant. Elle s’appelle Katniss et elle était folle d’Ayhalina, je crois qu’elle la voulait pour maman » Mes membres se figent et je manque de renverser le contenu de ma tasse sur le tapis. Une fille? Depuis quand a-t-il une fille?! « Mais enfin, je me suis absentée à peine six mois! » je m’exclame, à défaut de pouvoir répliquer autre chose. « Comment s’est arrivé? » Il laisse échapper un petit rire. « T’es bête! Je sais comment on fait… Je voulais dire, comment est-elle entrée dans ta vie? Et où est sa mère, si la question n’est pas trop indiscrète ? » Je commenterais bien sa rupture avec sa chanteuse ou le fait que la dite Katniss aurait bien aimé qu’Ayhalina devienne sa mère , mais je suis trop étonnée pour ajouter quoi que ce soit.

J’écoute son récit d’une oreille attentive en tâchant d’assimiler chaque détail, mais même en y mettant toute la bonne volonté dont je dispose, j’ai tout de même un peu de mal à le suivre. Cette histoire a l’air tellement invraisemblable! Quand nous nous sommes quittés, Javier était fou amoureux de sa belle actrice, sa femme était plongée dans un profond coma et il clamait ne pas être prêt à élever un enfant. Six mois plus tard, je rentre de ma petite escapade et apprends qu’il est désormais libéré de ses obligations conjugales et père d’une gamine de douze ans?! Avouez qu’il y a de quoi être surpris! Quoi qu’il en soit, je suis ravie d’apprendre qu’il a bien accepté la chose. Beaucoup à sa place auraient refusé d’assumer leurs responsabilités et peut-être même envoyé balader leur progéniture, mais Javier a choisi de s’en occuper et force est de constater que ça lui a plutôt bien réussi. Ses yeux pétillent quand il évoque Katniss et même si j’ai été triste d’apprendre que la petite avait perdu sa maman, j’ai retrouvé le sourire lorsqu’il a commencé à me parler de ses lubies. Il en parle avec une telle fierté que s’en est presque bouleversant. « Je comprends mieux pourquoi j’ai failli m’asseoir sur un tournevis » je l’interromps, amusée. Je sais que c’est grossier de couper la parole aux gens, mais Javier est tout de même mon meilleur ami alors je pense pouvoir me le permettre.

« Des fois, j’ai l’impression d’avoir une adolescente comme fille et d’autres, une petite fille perdue en manque d’amour. Le problème c’est qu’elle ne me parle plus depuis trois semaines parce que j’ai eu l’audace de lui imposer un voyage à Mexico mais surtout de faire connaissance avec Mylène, ma chanteuse. Enfin mon ex-petite amie. Katniss a limite un portrait-robot de la belle-mère idéale et il ne cadrait pas beaucoup avec Mylène du coup, elle me fait la guerre. » Je vois bien que la situation le chagrine, mais il n’y a vraiment pas de quoi s’alarmer. Sa fille finira bien par lui pardonner et maintenant qu’il est séparé de « l’ennemi public numéro un » les tensions ne devraient pas tarder à s'apaiser. « Ne t’inquiètes pas trop pour tes disputes avec Katniss, elle ne va pas te faire la tête indéfiniment. Je pense que si elle a réagi aussi vivement, c’est avant tout parce qu’elle était très attachée à Ayhalina et puis elle a peut-être peur qu’on lui vole sa place. Sa mère est morte et vous venez à peine de vous retrouver, c'est normal qu'elle soit possessive. Comprend la tu es tout ce qui lui reste» je réplique avec douceur en m’efforçant de ne pas adopter de positions trop arrêtées. Après tout, j’ignore ce qui se passe dans sa petite tête, mais si j’étais à sa place, c’est probablement de cette manière que je résonnerais. « Quoi qu’il en soit ton histoire est digne d’un des plus grands romans à suspense! Je suis sidérée! D’ailleurs ta Katniss m’a l’air d’être un sacré numéro, j’ai vraiment hâte de la rencontrer » je m’exclame, enthousiasmée, avant d’ajouter « Tu aurais une photo d’elle? Tu me connais, je suis curieuse et j'ai très envie de voir à quoi elle ressemble »

Mes paroles semblent l’avoir rassuré et je suis contente d’avoir pu l’aider. Certes, je n’ai pas fait grand-chose, mais le simple fait de lui avoir redonné le sourire me comble de joie. Etre confronté à ses responsabilités parentales du jour au lendemain n’est pas une mince affaire et c’est toujours plus ou moins compliqué de se faire au changement. Pour être passée par-là avant lui, j’imagine très bien ce qu’il peut ressentir et si jamais il a besoin de quoi que ce soit, je veux qu’il sache que je serais toujours là pour lui. Les enfants sont beaucoup plus difficiles à gérer de nos jours et lorsqu’on est parent célibataire on se laisse plus facilement dépasser par les évènements. Même si la situation est délicate et qu’il soit parfaitement légitime qu’il se sente coupable de ne pas avoir été là pour elle lorsqu’elle était plus jeune, il est capital qu’il assoit son autorité. Bien sûr, je ne me permettrai pas de lui dire comment éduquer sa fille (je suis plutôt mal placée pour ça), mais j’estime que sans jouer les pères tortionnaires, il est primordial qu’il fasse preuve de fermeté quand cela est nécessaire. Ce n’est jamais facile de dire non et se disputer avec ses enfants est toujours un peu douloureux (surtout dans notre cas de figure), mais c’est aussi une étape nécessaire. Chaque parent est amené à entrer en conflit avec sa progéniture à un moment ou à un autre, mais les choses finissent toujours par s’arranger - raison pour laquelle je ne suis pas plus inquiétée que ça par sa petite querelle avec Katniss. D’ici quelques jours, tout sera oublié.

Impatiente de mettre un visage sur ce doux prénom, je m’empresse de lui demander s’il n’a pas quelques photos à me montrer - demande à laquelle il répond favorablement. Je profite de son absence pour boire une gorgée de mon café de peur qu’il ne refroidisse. Une fois réapparu, Javier tourne les pages de l’album photos qu’il a rapporté et passe une bonne demi-heure à commenter chacun des clichés. Un sentiment de fierté intense émane de son discours et je ne peux m’empêcher de lui lancer un regard attendri. « La paternité te va à ravir » je lâche entre deux photos. « Je ne t’ai jamais vu aussi épanoui et ta fille est absolument magnifique! » Et je ne dis pas ça dans l’unique but de flatter son égo, je le pense sincèrement. Katniss est une très jolie jeune fille et d’ici quelques années, Javier aura probablement du soucis à se faire! Enfin, inutile de crier au loup, il a encore le temps d’y penser.

Nous sommes toujours en train de feuilleter l’album quand nous tombons sur une photographie d’Ayhalina. Fièrement installée aux côtés de Javier et sa fille, elle a l’air d’une mère de famille épanouie. Réalisant que ce cliché ressasse des souvenirs douloureux, je m’empresse de tourner la page. De toute évidence mon meilleur ami a eu beaucoup de mal à se remettre de son départ et je n’ai aucune envie d’ajouter à sa peine en relançant le sujet. « Tu sais, j’ai vraiment hâte que tu la rencontres, c’est un véritable petit monstre mais elle est adorable une fois qu’on la connait. Un conseil, dis-lui tout de suite que tu es ma meilleure amie, elle est assez hargneuse avec les femmes qui m’entourent exceptée avec son institutrice. C’est même d’ailleurs très étrange car Miss Salvadore m’a invité à dîner chez elle et elle m’a souri » Un petit rire m’échappe ce qui fait sursauter Soraya. Passant ma main dans ses cheveux pour la rassurer, je lui tends son verre de jus d’orange, prête à répondre à Javier, mais il ne m’en laisse pas le temps. « Sinon toi, tu as pu relouer rapidement ? Si tu as besoin d’un hébergement, j’ai une chambre d’amis qui te tend les bras, ce serait avec plaisir que je vous accueillerai ici avec ta petite princesse. » Si tu penses t’en sortir à si bon compte tu te fourres le doigt dans l’œil mon cher, je songe amusée par le fait qu’il ait soudainement changé de sujet. « Je n’ai malheureusement pas pu récupérer mon ancien studio, mais nous avons trouvé un appartement plus grand, à deux pas de l’école de Soraya. Le loyer est un peu plus cher, mais on s’y plaît » j’explique plutôt enthousiaste. « Il faudra que tu viennes dîner avec Katniss un de ces quatre, tu pourras me dire ce que tu en penses. On s'en sort plutôt bien, mais merci de t’inquiéter pour nous, c’est adorable » je lance taquine, en lui pinçant légèrement la joue. « Mais c’est mal me connaître que de penser que je vais faire comme si je n'avais rien entendu et éluder ta nouvelle conquête. Décidément, tu as un succès fou! Dis moi Don Juan, tu as accepté son invitation finalement?  »

Javier manque de s’étouffer quand je plaisante sur son dîner avec sa mystérieuse institutrice ce qui m’amène à penser que j’ai peut-être vu juste. Qu’elle lui plaise ou non, elle le trouble indéniablement. Mais monsieur ne semble pas prêt à l’admettre et s’efforce même de me rassurer sur ses intentions. « C’est simplement l’institutrice de ma fille.. Rien de plus rien de moi ! Pour faire court, je suis plutôt branché voleuse dernièrement » Sa remarque me fait froncer les sourcils. Une voleuse? Depuis quand monsieur mon meilleur ami s’intéresse-t-il aux criminelles notoires? En voilà une drôle d’idée! « Tu vois le tableau au-dessus de la commode, là sur le mur ? » Bien que déroutée, j’acquiesce d’un signe de la tête. « Figure toi qu’il y a quelques jours, une voleuse dans une combinaison tout ce qu’il y a de plus sexy voulait me le voler. Franchement, tu vas me prendre pour un taré mais j’ai totalement craqué pour sa voix et son côté malicieux. Je suis bon à enfermer ! » Il est sérieux là? Je veux bien croire que ce genre d’accoutrement stimule les hommes, mais de là a s’enticher d’une voleuse, il y a de la marge. D’ailleurs, comment se fait-il qu’il n’ait pas été plus perturbé que ça par cette tentative de cambriolage?! J’ai conscience que Javier est un grand garçon et qu’il peut parfaitement se défendre tout seul, mais que ce serait-il passé s’il était sorti faire une course et que Katniss était restée seule à la maison? Que serait-il arrivé si elle avait surprise cette bonne femme en train de piller son salon? Après tout qu’elle ait une silhouette de rêve et une voix sensuelle ne l’empêche pas d’être une dangereuse psychopathe. En somme, cette femme aurait pu s’attaquer à sa fille, mais tout ce à quoi il pense, c’est la mettre dans son lit. Les hommes franchement, tous les mêmes! « Tu as certainement du entendre parler de ses exploits. Mince, je ne sais plus le nom exact mais je crois qu’il y a wolf dedans. Bref, j’ai eu sa visite et depuis, elle m’obsède. » Je hoche la tête de manière négative. Je n’ai jamais entendu parler de cette fille et vu ses occupations, j’espère bien ne jamais la rencontrer. « Ça ne me dit rien, mais si tu veux connaître le fond de ma pensée, je pense que tu devrais rester loin d‘elle! » je lâche avec conviction. « Tu ferais mieux d‘arrêter de penser à cette fille, tu ne la reverras probablement jamais de toute façon. Et quand bien même c‘était le cas mieux vaut qu‘elle reste un fantasme. Je ne veux pas jouer les rabats-joie, mais elle n‘est pas franchement fréquentable! » Je grimace légèrement, consciente que je suis ridicule. Je parle comme une vieille fille aigrie et même si je ne serais pas enchantée de le voir fréquenter ce type de femme, j’ai peut-être réagi un peu trop vivement. Après tout, il n’a jamais dit qu’il allait l’épouser ou quoi que ce soit du genre. Amusée par ma bêtise, je ne peux faire autrement, qu’éclater de rire.

« Par contre, tu crois que l’institutrice de Katniss m’a invité à dîner dans un tout autre objectif que celui de parler de ma fille ? » Je lève les yeux au ciel, hébétée par sa naïveté. « Voyons Javier, tu as quel âge? Si cette femme voulait uniquement te parler de ta fille, elle t’aurait convoqué à l’école, comme le font toutes les institutrices. Or, elle t’a demandé de dîner avec elle. En d’autres termes, elle a envie d’être seule avec toi! » Son visage se décompose et j’éclate de rire. Il est adorable. Mais aussi tellement gêné qu’il préfère changer de sujet. « Et puis, parle-moi un peu de toi, tu es de retour oui mais tu as trouvé du boulot ? » Aurait-il oublié que je n’étais pas du genre à lâcher l’affaire? Il peut éluder la question aussi longtemps qu‘il le voudra, je finirai bien par remettre le sujet sur la table à un moment ou à un autre. « Je travaille toujours à la boutique. Tu sais je l'avais fermée en attendant de décider ce que j’allais faire. A l'époque je ne savais pas si j'allais revenir m'installer ici alors, ça m'a semblé la meilleure solution. Je l’avais en gérance depuis un certain temps et lorsque j’étais en Espagne la propriétaire m’a téléphoné en m’annonçant qu’elle allait la vendre. J’ai trouvé là l’occasion idéale de prendre un nouveau départ et je l'ai tout simplement acheté. »

Monsieur ne semble pas réellement inquiété par cette tentative de vol et je décide de ne pas insister. Après tout, Javier est bien assez grand pour se débrouiller tout seul. Qui plus est, grâce à son passé de militaire, il saurait faire face à une situation dangereuse si l’occasion se présentait. « Mais quoi qu’il en soit, si jamais elle devait l’être, je n’hésiterai pas une seule seconde à régler ce problème. » Ne trouvant rien à ajouter, j’attrape ma tasse pour terminer mon café et lâche ma petite princesse qui ne tient plus en place. Après avoir attrapé sa poupée, qui dépassait jusqu’alors de mon sac, elle va s’asseoir sur une chaise et commence à jouer. Entre temps, ma conversation avec Javier a dévié sur ses amours et j’en ai profité pour lui donner une petite leçon. Je veux bien croire qu’il ait été marié très longtemps, mais est-ce là une raison valable pour avoir oublié comment fonctionnait les femmes? « Déjà que coucher avec une cliente n’est pas la meilleure chose que j’ai faite mais j’imagine que le faire avec l’institutrice de Katniss ne sera pas une très bonne idée non plus. » Je ne te le fais pas dire, je songe, légèrement amusée par la situation. Loin de moi l’idée de tourner « ses problèmes » en dérision, mais avouez qu’elle est plutôt cocasse! « Oui, elle est très mignonne et sympathique pour le peu que j’ai pu voir mais je ne couche pas avec tout ce qui bouge… » Il soupire et je baisse la tête. C’est vrai que j’aime bien le taquiner au sujet de ses conquêtes, mais je n’ai jamais voulu insinuer quoi que ce soit du genre. Je connais suffisamment bien Javier pour savoir que ce n’est pas un coureur de jupons. Du peu que j’en sache, il s’est efforcé de rester fidèle à Grace pendant qu’elle était dans le coma et beaucoup d’hommes auraient craqué à sa place. De fait, c’est même plutôt normal qu’il veuille fréquenter d’autres femmes. Ça ne signifie pas qu’il ne respecte pas la mémoire de son épouse ou qu’il l’ait oublié, mais il faut qu’il passe à autre chose et je pense que ça peut l’y aider. « Mais je n’ai jamais rien dit de tel! C’est vrai que j’aime bien t’embêter, mais je sais pertinemment que sous cette carrure virile de gros balourd se cache un homme au cœur tendre » je réplique sous le ton de la plaisanterie, ce qui semble le faire rire lui aussi.

Une nouvelle fois, notre sujet de conversation s’épuise et mon meilleur ami en profite pour me questionner sur ma vie. En ce qui me concerne, il n’y a pas grand-chose à dire, mais après l’avoir cuisiné de la sorte, j’estime qu’il mérite bien que je lui glisse deux ou trois infos croustillantes (ou pas) à mon sujet. « Oui! Me voilà styliste! Je t’avoue que les débuts sont un peu difficiles alors, je ne serais pas contre un peu de publicité gratuite, merci! Par contre, je n’ai pas de cartes sur moi alors, il faudra que tu passes en prendre à la boutique ou bien je t’en apporterai la prochaine fois! » je réplique tout sourire, avant d’ajouter « Sinon, tout se passe à merveille au magasin! J‘étais un peu débordée au départ, mais j‘ai trouvé de l‘aide. Une jeune interne en médecine travaille à temps partiels à la boutique et j‘ai pris une vendeuse à l‘essai, ce qui va me permettre de me concentrer sur les tenues que j‘ai vendue sur mon site ainsi que sur mes nouveaux croquis! » Autant dire que j’ai du pain sur la planche! « Pour ce qui est du prince charmant… well… je ne veux pas m’avancer, mais il semblerait que ce soit en bonne voie… » Je n’en dirai pas plus pour l’instant… Non pas que ça me dérange de parler de Malik, mais nous ne nous sommes pas encore revus et je ne voudrais pas m’avancer. Tout ce que je sais c’est que je me sens bien avec lui et que ça fait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

« Il faudra que tu me donnes ta recette pour recruter du bon personnel, je suis désespéré à l’idée de ne pas trouver une assistante qui vaille le coup » lâche-t-il dans un soupir, avant d’ajouter qu’il passera chercher lui-même les cartes, ce qui lui permettra de visiter la boutique. Sa réplique me fait froncer les sourcils. Avec tous ces jeunes qui pointent au chômage, j’ai du mal à croire qu’il n’ait pas encore trouvé son bonheur. Je sais bien que nos domaines d’expertise diffèrent légèrement, mais en ce qui me concerne, j’ai reçu tous un tas de CV lorsque j’ai fait passer mon annonce. Pourtant, je ne pense pas que la vente soit plus prisée que d’autres secteurs d’activités, mais je suis loin d’être une experte en la matière. « J’ai simplement passé une petite annonce dans le journal et sur des sites internet. Quelques jeunes filles se sont présentées et je n’ai eu qu’à choisir celle qui correspondait le plus à mes critères de recherche » je m’exclame tout sourire. « Mais si tu recherches vraiment quelqu’un, je peux toujours t’envoyer cette petite voleuse » je lâche en levant les yeux au ciel. « Oui, parce que tu n’es pas le seul à avoir à faire à ce genre de minettes! Figure-toi qu’une jeune femme a essayé de me voler des articles. Prise en flagrant délit, je l’ai menacé d’appeler la police, mais elle était tellement paniquée à l’idée de se faire embarquer qu’elle m’a proposé ses services. Tu me connais, j’ai le cœur sur la main donc j’ai accepté de faire un compromis. Le problème, c’est que je n’ai aucune confiance en cette fille… » Et comment pourrait-il en être autrement? Après tout, elle a essayé de me chaparder des vêtements! Je pousse un long soupir et finis par reposer mes yeux sur mon meilleur ami. Je sais ce qu’il pense. A cet instant précis, il doit se dire que j’ai fait preuve d’une mauvaise foi incroyable en le critiquant tout à l’heure, mais la situation est différente. Willow n’a jamais mis les pieds chez moi, il n’y a donc aucun danger pour Soraya. Et puis, la jeune femme n’est qu’une cleptomane sans grande envergure, pas une criminelle notoire! Il n’empêche que si je pouvais m’en débarrasser, je le ferais avec joie! Non pas qu’elle soit spécialement désagréable, au contraire elle est même plutôt sympathique - mais je me méfie constamment d’elle et c’est plutôt fatiguant de surveiller ses moindres faits et gestes.

Posant ses yeux sur Soraya, Javier me dit à quel point elle a grandi et je ne peux qu’acquiescer d’un signe de la tête. C’est vrai que ma petite Princesse a pris plusieurs centimètres depuis que nous avons quittés New-York, mais elle gagne aussi en force de caractère, ce qui est tout de suite moins plaisant. Je n’ai jamais été quelqu’un de particulièrement autoritaire et je n’ai pas pour habitude de me mettre en colère, mais ma fille a tendance à jouer les petites chipies et même si ça me contrarie, je suis bien forcée de sévir. ‘T’inquiètes pas pour ça, c’est l’âge’ me répète mon père! Si elle est déjà aussi turbulente, que se passera-t-il quand elle sera adolescente?! « En bonne voie ? » J‘esquisse un sourire contrit. « Je ne vais pas jouer les chieurs mais je tiens à ce que tu me tiennes au courant ! » Je m’en serais doutée! En tant que meilleur ami, c’est normal qu’il s’intéresse à ma vie privée, maintenant, je crains qu’il n’y ait pas grand-chose à en dire. « Je te ferais part du moindre détail, ou presque… » je réplique avec malice. « Mais pour l’instant rien n’est fait! Tu te souviens de ce livreur de pizzas que Soraya adore et avec lequel je m’étais liée d’amitié avant de partir en Espagne? » Il acquiesce d’un signe de la tête. « Et bien, il est possible qu’au final, il devienne plus qu’un ami. Du moins, je l’espère… » D’un autre côté, je ne suis pas certaine d’avoir envie de me précipiter dans une nouvelle relation. Les choses se sont plutôt mal terminées avec Mathis et je ne peux pas me permettre de faire n’importe quoi, il faut aussi que j’élève ma fille. « Enfin, on verra bien… » Le sujet étant clos (du moins provisoirement), Javier en lance un nouveau en me demandant quand je serais prête à lui accorder une petite danse. Mon visage se fige et je détourne légèrement les yeux. C’est vrai que lorsque j’étais en fauteuil roulant, Javier m’a souvent promis qu’une fois rétablie, nous irions danser et cette simple pensée m’a aidé à tenir bon. Le soucis, c’est que les docteurs m’ont demandé de ne pas faire d’efforts et, après avoir passé plus d’un an coincée dans une chaise roulante, j’ai peur de ne plus savoir bouger aussi bien qu’avant. « Pour ça il va falloir attendre un peu! Les médecins m’ont demandé de faire très attention et d’éviter de trop forcer sur mes jambes et sur mon dos pour l’instant! Mais je te promets de te réserver ma toute première danse! »

Avant même de lui parler de Willow, je savais que le sujet porterait à controverse. Javier et moi sommes très proches et il s’est toujours montré protecteur envers Soraya et moi-même. D’ailleurs, mon père s’amuse beaucoup de la situation et il semble voir en Javier le « gendre idéal ». Selon lui, il faut que je me dépêche de l’épouser avant qu’une autre ne me prenne de vitesse. Ce genre de remarque me fait toujours sourire parce qu’il ne se passera strictement jamais rien entre lui et moi, ce serait trop étrange, mais j’espère avoir la chance de rencontrer quelqu’un comme lui. Quelqu’un de doux, d’attentif et honnête. Je ne connais pas Malik aussi bien que je connais mon meilleur ami, mais je suis convaincue que c’est un garçon formidable et j’espère qu’on pourra faire un petit bout de chemin ensemble. Mais là n’était pas le propos. Nous sommes en train de parler boulot et mes histoires de cœur n’ont strictement rien à faire dans cette conversation. D’ailleurs, j’ai été tellement distraite que je ne suis pas certaine d’avoir bien compris la question qu’il m’a posé. Dans le doute, j’acquiesce poliment d’un signe de la tête, avant de finalement répliquer « Te fais pas de bile! Tu finiras bien par trouver la secrétaire idéale! Je t’aurais bien proposé mes services, mais je suis déjà suffisamment occupée comme ça et, on ne peut pas dire que ce job coïncide réellement avec mon domaine d’expertise! » Ma voix se brise dans un éclat de rire et nous échangeons une œillade complice, avant de centrer la conversation sur ma vie sentimentale.

Je ne sais pas si Javier se souvient réellement de Malik ou s’il s’est contenté d’acquiescer pour être poli, mais toujours est-il qu’il semble bien accueillir cette nouvelle. D’un autre côté, je n’ai pas réellement besoin de sa permission, mais ça m’embêterait que mon meilleur ami désapprouve mon choix. « Je suis content pour toi ma belle, tu le mérite et si en plus Soraya l’adore, c’est une très bonne chose crois-moi. Katniss ne supportait pas mon ex-petite amie et c’était la croix et la bannière pour lui faire décrocher un mot gentil » Je me pince les lèvres et lui adresse un sourire désolé. Je sais comme ça peut être compliqué d’être parent célibataire. Quand la personne qui nous plaît n’est pas freinée par le fait qu’on ait déjà un enfant, c’est notre petit bout de chou qui complexifie la situation ou bien autre chose. Il y aura toujours quelque chose qui se mettra en travers de notre route de toute manière, autant l’accepter dès le départ. « Oui. Tu sais, si elle n’était pas aussi jeune, je serais même prête à parier qu’elle fait tout pour nous voir ensemble. Mais bon, elle n’a que quatre ans. Aussi intelligente soit-elle, je doute qu’elle puisse mettre au point des plans aussi élaborés » je lâche sous le ton de la plaisanterie, en levant les yeux au ciel, amusée par ma bêtise. « Quoi qu’il en soit, je suis vraiment désolée que ça n’ait pas marché avec Mylène, mais peut-être que ça n'est pas plus mal au final. Tu sais, les enfants se trompent rarement sur les gens. Aussi jeune soit-elle, j’imagine que Katniss aura sentie qu’elle n’était pas la bonne. Tu finiras bien par trouver la perle rare, t’inquiètes pas! » Ma main va trouver la sienne et je lui adresse un tendre sourire. « Si ce n’est pas le cas et qu’on est toujours célibataire d’ici une dizaine d’années, on pourra toujours s’installer en collocation! » Sa réaction ne se fait pas attendre et nous partons tous deux dans un énième éclat de rire. Ces moments m’ont manqué. Ça fait vraiment du bien de pouvoir plaisanter avec lui.

Parce que nous avons l’habitude d’avoir plusieurs conversations en même temps, nous nous mettons subitement à parler de la danse et mon manque d’enthousiasme frappe immédiatement Javier, qui essaie tant bien que mal de me rassurer. « Nous irons doucement mais je te connais Manuela, tu vas repousser au lendemain puis au surlendemain car tu as peur d’échouer. Tu sais aussi à quel point je suis tête de mule n’est-ce pas ? Crois-moi, tu pourras re-danser comme j’ai pu le faire après ma rééducation » Je baisse les yeux. J’ai passé tellement de temps à m’apitoyer sur mon sort que j’en ai presque oublié qu’il était passé par-là lui aussi. Bien sûr, il est resté moins longtemps en fauteuil, mais tout comme moi à l’époque, il ignorait s’il remarcherait un jour. Qui pourrait me comprendre mieux que lui? « N’y pensons plus pour l’instant, j’ai bien le temps de te harceler plus tard. » Sage décision. C’est drôle, mais la pression retombe subitement. « Merci… » je bafouille en me frottant la nuque, comme je le fais souvent quand je suis mal à l’aise. « Pour tout te dire, même si j’étais jugée apte à le faire, je ne me sens pas prête… »

Même si ma plaisanterie semble l’amuser, Javier s’empresse de me rassurer sur la vie de couple. Après m’avoir souhaité de trouver l’homme de mes rêves, il commence à me parler de sa vie avec Grace et je crois discerner une certaine émotion dans sa voix quand il évoque ce souvenir. Mais comment pourrait-il en être autrement? Il a été heureux avec elle et le fait qu’elle ne soit plus de ce monde n’y changera rien. On n’efface pas des années de vie commune d’un simple coup de baguette magique. Et puis, je ne suis pas certaine qu’il en ait envie. Pourtant, bien que son discours soit vraiment très touchant, je reste dubitative. Il faut dire que je n’ai jamais été une grande partisane du mariage et l’échec de celui de mes parents n’a fait que me conforter dans l’idée que c’était quelque chose de complètement inutile. La majorité des unions se terminent en divorce de nos jours et au final, cela revient à dépenser beaucoup d’argent pour pas grand-chose. Ce n’est que mon point de vue, il n’engage que moi - mais en tout les cas, me marier n’est pas dans mes priorités. C’est vrai qu’aujourd’hui j’ai un discours bien arrêté sur la question, mais ça n’a pas toujours été le cas. Je me souviens que j’ai sauté de joie lorsqu’Adan m’a demandé de l’épouser. Mais le destin a subitement décidé de me l’arracher et j’ai fini par perdre foi en cette convention. J’ai déjà du mal à m’engager dans une relation alors, vous imaginez bien que je ne suis pas prête à m’engager. « En ce qui me concerne, ça m’étonnerait que je saute le pas un jour. Je ne refuse pas totalement de l’envisager, après tout, on ne sait pas ce qui peut arriver. Mais… » je réplique en me pinçant la lèvre. « même si j’ai réussi à faire mon deuil, la mort d’Adan restera un évènement marquant dans mon existence et… le fait que nous ayons été fiancé me refroidit légèrement. C’est con à dire, mais tu as toujours cette appréhension ridicule, cette pensée selon laquelle il ne faut pas t’engager, car les choses risquent de se reproduire et mal tourner…. » Mes mots s’éteignent dans un soupir et je passe ma main sur ma nuque. Décidément, nos conversations ont parfois le don de me mettre mal à l’aise. « Mais, n’en parlons! Si ça trouve d’ici quelques années tu joueras les témoins et me balancera fièrement une réplique du type : ‘Je te l’avais dis!’ » Je rie pour détendre l’atmosphère, mais évoquer le sujet a été plus perturbant que ce que je pensais. Bien sûr, je suis passé à autre chose, mais parler d’Adan est toujours un peu déroutant. J’imagine que c’est normal, n’est-ce pas? Il faut laisser le temps au temps. Après tout, Rome ne s’est pas faite en un jour…

Nous agrémentons quelques minutes encore le sujet, pour finir par nous concentrer sur cette histoire de danse. C’est vrai que j’avais promis à Javier de danser avec lui dès que je serais sur pieds, mais comme je lui ai dis, cela m’effraie. Heureusement, mon meilleur ami est compréhensif. « Il faut laisser le temps au temps mais garde à l’esprit que tu as une seconde chance, ne la gâche pas par peur. Allez, ne parlons plus de ça. Je ne veux pas te miner mais au contraire, te voir sourire » s’exclame-t-il avant de me lancer un clin d’œil. Soulagée, je lui adresse un énorme sourire. « Pendant que je tiens une styliste sous la main, que dirais-tu de me conseiller sur ma tenue pour mon rendez-vous avec l’institutrice de Katniss ? » Surprise par sa requête, je mets quelques secondes à réaliser. « Oh parce que maintenant c’est un rendez-vous… » je lâche dans l’unique but de le taquiner, même si je sais qu’en disant ça, il faisait allusion au premier sens de la chose, non pas à un rendez-vous galant. D’un autre côté le fait qu’il tienne à être bien habillé titille ma curiosité. « Enfin… Je suis là pour ça! Montre-moi un peu ce que tu as ! »

Dans une certaine mesure, nous avons vécu la même chose. A quelques différences prêts, nos histoires d’amour sont similaires - en tout cas, elles ont connu le même dénouement funeste. Perdre l’amour de sa vie est une expérience effroyable, un fardeau que je ne jetterai à personne, pas même à mon pire ennemi. Même si l’on s’efforce de continuer à vivre, on ne peut pas oublier l’être aimé. On refuse même d’y songer. La douleur, bien que lancinante sur le moment, n’est que passagère -alors que les souvenirs, s’ils sont honorés et cultivés sont éternels. C’est de cette manière que j’envisage les choses désormais et j’ose espérer que Javier aura gardé un merveilleux souvenir de Grace et qu’il ne l’a considère pas comme un boulet, une femme qu’il a du veiller des années durant. En ce qui me concerne, j’ai choisi de garder l’image d’un Adan gentil, protecteur et affectueux. C’est cette version de lui que j’ai présenté à sa fille, non pas celle d’un dealer ou du pauvre type assassiné au beau milieu d’une ruelle. « T’engager ou non ne te protégera jamais de ce genre de choses Manuela mais je comprends. Lorsqu’on m’a annoncé que Grace ne se réveillerait peut-être jamais, je me suis dit que ma vie s’arrêtait, comme suspendue au sort de ma femme. Je ne pensais plus jamais aimer une femme de toute ma vie mais la preuve en est, que nous ne sommes jamais au bout de nous surprise. La vie est un éternel recommencement et peut-être qu’un jour, je me remarierai mais pour l’heure, je ne suis pas pressé. » J’esquisse un sourire entendu, mais ne cherche pas plus loin. Je connais suffisamment bien mon meilleur ami pour savoir quand un sujet l’ennui et je sais que celui-ci n’est pas son favori. Parler de Grace réveille de mauvais souvenirs et je ne comprends que trop bien son malaise, raison pour laquelle je ne rechigne pas lorsqu’il change subitement de sujet. Qui plus est, la mode c’est mon rayon, alors vous pensez bien que je suis ravie quand mes amis me demandent de les conseiller sur leurs tenues.

M’agenouillant auprès de Soraya je dépose un baiser sur son front et lui fais savoir que je serai dans la pièce à côté si jamais elle avait besoin de moi. Une fois chose faite, je rejoins Javier dans sa chambre qui se tient debout devant son dressing. Lorsqu’il l’ouvre, je fais face à un panel de costumes relativement impressionnant - mais cela ne m’étonne pas plus que ça vu la profession qu’il exerce. « Je me fais peur Manuela. Je viens de penser que j’étais prêt à me faire une séance de shopping pour un rendez-vous professionnel. Je vais finir par croire que j’ai du mal avec l’idée d’être célibataire. » Mes lèvres s’étirent dans un léger rictus, mais je choisis de ne pas relever sa remarque pour l’instant, bien trop subjuguée par « l’inspection » de ses costumes. Quand il disait qu’il ne portait pas beaucoup de couleurs, c’était un euphémisme. Tout est sombre dans cette armoire! « Je pensais offrir une bouteille de vin ne sachant pas ses fleurs ni même si elle y est allergique ou non mais peut-être que cela ferait trop rendez-vous galant ? Bon sang, je suis rouillé de ce côté-là » Cette fois, j’éclate presque de rire. « Et après ça tu as encore le culot de prétendre que cette femme ne t’intéresse pas? » je lâche en posant mes mains sur mes hanches, un peu comme lorsque que l'on réprimande un enfant. « Quoi qu’il en soit… Tu auras bien le temps de songer à ce que tu apporteras plus tard! Pour l’instant, il faut s’occuper de ton look! » je poursuis en sortant un ensemble de son placard. « Loin de moi l’idée d’être désagréable, mais même si tes costumes sont bien coupés et ont beaucoup de classe, ils sont aussi très ternes. Surtout si tu te contentes de mettre des chemises grises ou blanches. L’idéal vois-tu, serait de marier ce pantalon de costume » dis-je en le lui tendant « avec une chemise de couleur. Ou bien tu peux aussi le mettre avec une chemise et un pull de couleur, en col v ou peu importe le style du moment qu’il n'est pas trop épais. Ce look plus décontracté donnera un côté moins formel à votre rencontre, mais tu garderas ta classe légendaire » j’ajoute sous le ton de la plaisanterie. « Comme tu sembles tout de même un peu intéressé par cette jeune institutrice, je pense que le pull est la meilleure alternative. Si tu veux, je t’en mets un de côté. On en a quelques uns à la boutique! » Même si notre commerce touche principalement la gente féminine, nous vendons quelques articles pour hommes et je travaille moi-même sur une collection mixte, raison pour laquelle j’ai tenu à vendre des articles pour ces messieurs.