Être garde-du-corps était un métier assez intéressant. Bien entendu, Neven – ou plutôt Lucas – était sur la brèche, à l’affût du moindre danger et prêt à sacrifier sa vie pour celle d’un(e) inconnu(e) cependant, cela ne changeait pas grand-chose du métier qu’il exerçait avant sa perte de mémoire. On lui avait récemment appris qu’il faisait partie du MI-6 et qu’il avait été élevé dans le seul et unique but de service son pays. Neven en était donc arrivé au constat suivant : il vivait pour protéger les autres. Exercé un tel métier ne le dérangeait pas le moins du monde. Il avait ça dans le sens. Même avant de s’enrôler il avait tendance à tout analyser lorsqu’il foulait le sol d’un territoire inconnu et, qu’on se le dise, Neven adorait sentir l’adrénaline circuler dans ses veines lorsqu’il était en service pour la simple et bonne raison qu’il se sentait beaucoup plus vivant. Le britannique aimait aussi la diversité des personnes qu’il avait à surveiller ; ça allait parfois des politiciens ou personnalités beaucoup plus mondaines comme des acteurs voire des chanteurs. D’ailleurs, on lui avait récemment confié la ‘garde’ d’une star montante de 24 ans nommée Mylène Pearson. Neven – en plus d’être très professionnel – s’intéressait peu à la musique alors, forcément, pour lui la jeune femme n’était ni plus, ni moins qu’un contrat de plus. En voyant la foule qui se pressait à la sortie du concert dans l’espoir d’obtenir une photo ou un autographe de leur idole, Neven ne put que constater l’ampleur de sa notoriété : elle faisait sans doute de la bonne musique. Ca, Neven n’était pas très doué pour juger car il ne se souvenait même plus du style musical qu’il appréciait autrefois. Ses goûts s’étaient évanouis en même temps que ses souvenirs et Neven se devait de tout réapprendre allant même jusqu’à redécouvrir une nouvelle fois le goût horrible des choux de Bruxelles.

Une fois à l’intérieur de la limousine, le jeune homme remit correctement son costume et desserra légèrement sa cravate pour se mettre un peu plus à l’aise. Sa surveillance était presque terminée et il lui tardait d’enlever l’uniforme obligatoire pour parader chez lui dans une tenue beaucoup plus confortable. Il fallait dire que, même si le costume le rendait plus charismatique et intimidant, ce n’était pas vraiment très pratique pour envoyer un adversaire au tapis. Lorsque le chauffeur eut enfin regagné sa place, Mylène lui demanda de faire une halte dans un café tranquille et assez discret pour lui éviter une horde de fans. Ce qui risquait d’être moins discret, en revanche, c’était la limousine qui les y déposerait ! « Je propose que votre chauffeur nous dépose un peu plus loin, nous pourrons prendre un taxi pour faire le reste du chemin, ça évitera de trop attirer l’attention sur vous si vous cherchez le calme après l’agitation du concert. » proposa-t-il, le plus posément du monde. C’était pour ainsi dire l’une des rares fois où il ouvrait la bouche depuis le début de son service. S’il l’accompagnait ? Bien sûr ! Elle ne l’avait pas encore congédié, son travail n’était pas terminé et il ne serait tranquille que lorsque Mylène aurait regagné son appartement.

Neven était assez doué pour cerner la personnalité des étrangers, il ne se trompait rarement : sans doute était-ce un autre vestige de sa période oubliée. Mylène était profondément renfermée. Ce qu’elle donnait à son public, elle ne semblait pas vouloir le partager avec des inconnus et il doutait sincèrement que cela ne soit qu’un caprice de star parmi tant d’autres. Elle ne le regardait à peine, ne cherchait même pas à contester ses décisions alors qu’il s’agissait de sa propre sécurité … Neven ne s’en plaignait pas, c’était pour ainsi dire la première fois qu’on ne lui tenait pas tête, mais ça l’intriguait tout de même. De toute évidence, Mylène ne lui faisait pas entièrement confiance alors qu’il était censé la protéger. C’était pourtant le maître mot de ce métier, la relation de basique entre le garde-du-corps et sa protégée. Le nez fixé sur l’écran de son iPhone, elle se contenta uniquement de lui répondre par un « Je vous suis alors » sans grande conviction et sans accorder un seul regard à son interlocuteur. « Bien… » Répondit-il à son tour avant de faire signe au chauffeur de s’arrêter quelques mètres plus loin. Mylène était tellement différente de ce qu’elle avait été sur scène pendant son concert ; avec lui, elle était beaucoup moins sociable voire totalement sur ses gardes. D’ailleurs, lorsqu’ils furent en dehors de la limousine, l’américaine resta plantée comme un piquet dans l’attente de ce que ferait Neven. « Logiquement, c’est moi qui doit vous suivre comme votre ombre et non l’inverse. » commença-t-il, en se voulant le plus agréable possible. « Il y a un café à chaque coin de rue ici, lequel choisissez-vous ? ». Neven esquissa un petit geste de la main pour lui faire ouvrir la marche et se mit à la suivre. D’ordinaire, Neven n’était pas le garde-du-corps le plus bavard de toute la boîte, mais il sentait que Mylène avait besoin de ça pour se sentir plus à l’aise en sa compagnie… et lui aussi. Curieusement, la jeune femme le rendait nerveux à ne pas piailler comme les autres vedettes qu’il avait protégé jusqu’à présent. « J’ai l’impression que vous ne me faîtes pas confiance… ou alors tout ceci n’est qu’un test pour juger si j’en suis digne. ».