La soirée battait son plein à l’Awesome et comme chaque soir ou presque, les videurs étaient obligés de refuser l’entrée à des vagues de clients potentiels arrivés trop tard. La salle était pleine à craquer, la musique résonnait, bref, c’était un soir comme tous les autres dans un des bars les plus branchés de la ville. Parfois, Kayla priait pour que le service se termine et que le vacarme environnant cesse enfin, emportant avec lui la meut des clients déchainés à laquelle elle devait faire face chaque soir. Mais aujourd’hui, la jeune femme était d’humeur bien plus joviale. D’ailleurs, c’était un évènement assez rare pour être remarqué. Non pas qu’elle soit détestable à longueur de temps, mais le fait de la voir sourire à peu près sincèrement était tout de même relativement rare. Il fallait dire que ce soir, un de ses compagnons de « galère » n’état autre que Mathias. Ce jeune serveur était arrivé à l’Awesome voilà un an et demi, et au premier coup d’œil, a jeune barmaid l’avait tout de suite trouvé particulièrement à son goût. Seulement voilà, il y avait aussi eut William, et les clients… et rien n’était très facile lorsqu’une musique assourdissante vous agressait les oreilles toute la soirée. De plus, l’emploi de serveur qu’occupait le jeune allemand n’était qu’une sorte de petit boulot, servant a priori à payer les études qu’il menait en parallèle. Alors même si elle ne s’était pas privée de lui faire de l’œil depuis le début, ce n’est que tout récemment que Kayla était passée à la vitesse supérieure.

Elle s’était tout d’abord rapprochée de Mathias comme une collègue modèle, profitant des moments où ils faisaient la plonge ou le ménage pour en apprendre plus sur lui. Mais plus elle le côtoyait, moins elle pouvait le nier. Il avait ce petit truc en plus, cet insaisissable élément qui faisait qu’elle se sentait de plus en plus attirée. Et puis il y avait ses yeux… Ses yeux magnifiques qui ne faisait que décupler l’envie qu’elle éprouvait ne serait-ce qu’en l’apercevant. Alors de jour en jour, la sud africaine s’était faite plus entreprenante. Ce soir, elle s’était laissée allée à boire quelques verres derrière le comptoir, pendant son service, et les quelques grammes d’alcool qui devaient circuler dans son sang ne la rendaient que d’autant plus ouverte. Pendant le rush que constituait l’arrivée des vagues de clients dans l’établissement, elle n’avait eu de cesse de jeter à son collègue une multitude de petits regards, en faisant bien exprès de se faire remarquer, et en feignant d’avoir était prise en flagrant délit. Mais à chaque fois, Kayla ne pouvait s’empêcher d’afficher un sourire en coin, démontrant bien que tout ce petit manège était pleinement voulu. Alors que le flux des commandes au bar semblait un peu se calmer, c’est donc sans aucune hésitation qu’elle fila le rejoindre, s’appuyant nonchalamment contre le plan de travail derrière elle. Plantant son regard dans celui de Mathias, elle lui adressa un nouveau sourire rempli de sous-entendus, avant de se rapprocher de son oreille pour y déclarer : « Arrête de me regarder comme ça, tu me déconcentres… » dit-elle, espiègle, en sachant pertinemment que c’était elle qui le regardait et non l’inverse.

J’étais de service à l’Awesome ce soir – bar pour lequel je travaillais depuis un an et demi à présent afin de payer mes études, mais également subvenir à des besoins plus pratiques tels que le loyer ou encore la nourriture (bien que je n’avais pas encore à me plaindre de ce côté-là étant donné que j’habitais le quartier le plus riche de la ville pour un montant de misère – merci à Inès pour cela !). Le bar était bondé, comme à son habitude les soirs de week-ends, et mes collègues et moi-même n’avions pas une seule minute de répit. Lorsque quelqu’un commandait un verre, il y en avait dix autres qui suivaient derrière, et la soirée ne faisait que commencer. Je n’allais encore pas pouvoir me reposer beaucoup ce week-end… Entre les entraînements de sport, les révisions pour les examens (parce que ce n’était pas le tout de se muscler les muscles, il fallait également se muscler la cervelle !) et ce petit job – qui n’avait rien de « petit » –, je n’avais plus une minute à consacrer à mes loisirs moins… intenses physiquement parlant (car, bien que cela fasse partie de mes études, je considérais tout de même le sport comme l’un de mes loisirs).

Totalement plongé dans le travail, j’avais mis du temps à remarquer les regards en coin que l’une de mes collègues, prénommée Kayla, me lançaient depuis le début de notre service. Je ne m’en préoccupai d’ailleurs pas trop au début, ayant l’habitude de ce petit jeu de séduction qui s’était installé peu à peu entre nous lorsque j’avais commencé à travailler à l’Awesome. Mais au fil des heures, ses coups d’œil dans ma direction devinrent de plus en plus insistants et je pus enfin en conclure une chose (oui, je sais, je suis un peu long à la détente…) : elle me faisait clairement du gringue. Je n’eus d’ailleurs pas le temps d’en douter puisqu’elle profita d’un moment de calme pour s’approcher de moi et venir me susurrer à l’oreille :

- Arrête de me regarder comme ça, tu me déconcentres…

- C’est plutôt à moi de te dire ça ! m’insurgeai-je faussement. Mais je peux comprendre que tu sois hypnotisés par mon corps d’Apollon, plaisantai-je, tout en m’amusant à prendre des poses afin de faire saillir les muscles de mes bras et de mon torse, avant d’arrêter parce qu’un client venait de remarquer mon petit manège et qu’il me regardait comme si j’étais fou (ce qui était à moitié le cas).

D’ordinaire, le petit plaisir de Kayla était de « persécuter » gentiment les petits nouveaux. Un peu comme s’il s’agissait d’un test, en leur en faisant voir de toutes les couleurs, la jeune barmaid s’assurait que les nouvelles recrues avaient bel et bien leur place dans l’équipe. Mais curieusement, avec Mathias, c’est un tout autre petit jeu qui s’était mis en place dès les premiers jours qui avaient suivis son arrivée. Un peu sous le charme du jeune allemand sans forcément vouloir se l’avouer, Kayla s’était tout de suite lancé dans un jeu de séduction. Un de ces jeux dans lesquels elle excellait et qui lui permettaient en général de racoler les victimes qu’elle voulait ensuite déposséder de leur argent. C’était une technique comme une autre, mais autant dire que les jolis yeux de la jeune barmaid lui permettaient en général de parvenir à ses fins sans trop de difficultés. En quelques coups d’œil seulement, Kayla était désormais capable de savoir s’il valait la peine de s’attarder sur un homme ou non. Si ce dernier allait finir par céder, et surtout s’il était assez naïf pour tomber dans le piège qu’elle avait pour habitude de tendre. Car pour arrondir ses fins de mois en joignant l’utile à l’agréable, Kayla était passée maître dans l’escroquerie de beaux et riches clients. Elle faisait tout pour finir dans leur lit, et après qu’ils se soient endormis, vidaient leur portefeuille avant de prendre la fuite et ne jamais les revoir. Cette technique n’avait rien de bien conventionnelle, mais elle lui avait permis de subsister quelques temps avant de trouver un emploi stable. Aujourd’hui, elle continuait son petit manège plus pour l’amusement et l’adrénaline que par réel besoin.

Mais en réalité, l’idée d’agir ainsi avec Mathias ne lui avait pour ainsi dire jamais effleuré l’esprit. D’abord parce qu’en tant que collègue, elle aurait été forcée de le recroiser assez rapidement, mais aussi parce qu’il gagnait certainement moins qu’elle et qu’elle ne voyait pas l’intérêt de le déposséder du peu qu’il devait toucher en travaillant ici. Et puis il y avait ce petit truc en plus, quelque chose d’insaisissable qui lui avait fait promettre de ne jamais s’en prendre à lui. Alors le fait qu’elle se laisse aller à lui faire du gringue ce soir n’avait absolument rien à voir avec ses manigances, ni même avec un quelconque intérêt qu’elle pourrait y trouver. Elle en avait envie, tout simplement. Lorsqu’elle s’approcha de lui en le provoquant, Mathias commença par se montrer faussement indigné, avant de rentrer dans son jeu, allant même jusqu’à prendre la pause sous le regard amusé de Kayla. Mais bien vite, il stoppa ses singeries en regardant en direction du comptoir. Déçue de ne pas profiter du spectacle un peu plus longtemps, la jeune serveuse se retourna par curiosité, et aperçut un client observant son collègue d’un air médusé. Aussitôt, elle laissa échapper un petit éclat de rire en flanquant un coup de coude dans les abdominaux de son voisin. « Ooooh regarde, on dirait que t’as une touche ! » Elle se voulait moqueuse et provocatrice, juste pour l’embêter, un peu à la manière d’une gamine. « Tu le trouves comment ? Lui, il est sous le charme, c’est clair ! »