S’il y en avait un qui comprenait Kayla, qui l’écoutait et qui SURTOUT ne la contredisait jamais, c’était bien son chien Barney. Et c’est d’ailleurs pour toutes ces raisons qu’il était rapidement devenu son compagnon le plus fidèle, bien loin des conquêtes qu’elle enchainait soir après soir dans le seul et unique but de vider leur portefeuille. C’est ensuite avec une certaine fierté non-dissimulée que la belle racontait ses mésaventures à son chien, qui ne manquait pas de ronchonner en s’étalant à côté d’elle sur le canapé. Elle le soupçonnait parfois de se moquer d’elle, mais quoi qu’il fasse, il restait indéniablement l’être à qui elle faisait le plus confiance sur Terre. En face de Barney, Kayla ne jouait aucun jeu, elle était tout simplement elle-même et dans la vie de tous les jours, peu de gens avaient l’honneur de la voir sous cet angle-là. En bref, ce chien était une sorte de petit privilégié, qui pouvait se targuer de connaître la jeune femme mieux que personne, et même mieux que ses propres parents.

Autant dire que pour lui, Kayla ne reculait devant rien. Pas même devant le fait de devoir aller le promener assez régulièrement en ville, alors que son boulot et ses petites affaires personnelles lui prenaient déjà une certaine masse de temps. Et c’est donc dans cette optique que la jeune barmaid quitta son appartement, suivant avec une certaine nonchalance son chien qui tirait de toutes ses forces à l’autre bout de sa laisse. Bien plus préoccupée par ce qu’il se passait sur son téléphone portable que devant elle, Kayla laissa échapper par mégarde ladite laisse, rendant du même coup sa liberté à Barney qui en profita pour détaler, trop content de pouvoir courir à sa guise sans avoir besoin de trainer sa maitresse comme un fardeau. « HE ! REVIENS ICI, BARNEY !! QU’EST-CE QUE TU… » Mais elle avait beau pester et l’appeler du plus fort qu’elle le pouvait, a voix était couverte par les bruits des voitures alentour. L’animal n’eut donc aucun scrupule à la quitter, et à filer vers une destination inconnue. C’était bien sa veine… Elle qui croyait en finir rapidement avec cette stupide balade se voyait contrainte de partir à la recherche de son chien.

Mais fort heureusement, Kayla savait où Barney voulait la trainer à chacune de leurs sorties. Non loin de chez elle se trouvait un parc dans lequel il adorait courir et jouer, et c’est donc sans trop d’hésitation que la jeune femme se dirigea vers cet endroit où elle avait toutes les chances de le retrouver… s’il ne s’était pas fait écrasé avant d’y arriver. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsque, après plusieurs minutes de recherches, elle tomba nez-à-nez avec son chien… tenu en laisse par un inconnu. En la voyant, Barney stoppa sa petite balade improvisée en compagnie de son nouveau maître qui ne sembla pas réaliser ce qu’il se passait. « Oui, c’est pourquoi ? » Non mais quel culot il avait celui-là pour lui poser une telle question ! « C’est pour quoi ? » répéta-t-elle en restant un pu bouche bée. « Qu’est-ce que vous foutez avec mon chien ?! Vous comptiez aller jusqu’où comme ça ? » Kayla aurait pu penser que cet homme voulait lui ramener Barney, mais le ton qu’il avait adopté ne lui laissait que très peu d’espoir là-dessus. Et puis… quelque chose clochait avec lui. Ses yeux étaient bel et bien dirigés vers elle, mais la jeune femme avait l’impression que son regard la transpercer pour aller se poser au loin, comme si elle était inexistante. Cette sensation était pour le moins perturbante mais comme à son habitude, elle ne se laissa pas démonter et décida de soutenir le regard de l’inconnu.

Kayla n’en revenait définitivement pas. Elle était soufflée de voir son propre chien en présence d’un inconnu, agissant comme s’ils ‘étaient toujours connus et comme si elle n’avait jamais existé. Sans qu’elle ne puisse réellement se l’avouer, la jeune femme était bel et bien blessée dans son ego. La seule « personne » à qui elle faisait entièrement confiance et en face de laquelle elle osait se confier venait de lui faire faux bon. Et malgré son regard de chien battu (et c’était le cas de le dire), Kayla ne put s’empêcher de détester Barney l’espace d’un instant. Mais sa colère se retourna bien vite vers le jeune homme qui le tenait en laisse comme s’il se l’était approprié, et elle déversa sur lui toute son âpreté sans aucun ménagement. Cependant, elle fut rapidement interpellée par le regard de son interlocuteur, si l‘on pouvait encore appeler ça un regard d’ailleurs… Malgré la carapace qu’elle voulait bien se donner, la jeune serveuse était profondément perturbée par cet individu. Elle avait à la fois l’impression qu’il la fixait, et celle d’être totalement transparente. Mais elle poursuivit néanmoins son discours en forme d’agression. Quoi qu’il en soit, ce gars lui avait piqué son chien, son plus fidèle compagnon, et elle n’entendait pas le laisser filer sans broncher.

A première vue, Kayla ne l’avait pas soupçonné mais il se trouva que le jeune homme avait de la répartie. Au fond, c’était bien plus intéressant comme ça ! En effet, la jolie blonde trouvait les garçons timides d’un ennui terrifiant, et quitte à s’engueuler avec le premier venu, elle préférait ça. Le fait qu’on lui tienne tête avait le pouvoir de la mettre hors d’elle mais également de l’intéresser au plus haut point. Contrariez-la et vous serez certains d’attirer son attention. Mais alors qu’elle allait une nouvelle fois répliquer amèrement, un évènement vint la couper dans son élan. Sans qu’elle ne voit venir quoi que ce soit, le jeune homme avait dégainé une canne blanche de son sac et la lui avait dépliée sous le nez. Immédiatement, Kayla se figea. Tout s’expliquait… Ce regard qui la transperçait, ces yeux qui se posaient sur elle sans vraiment le faire… La jeune femme déglutit en fronçant les sourcils. Certes, il avait une sacrée circonstance atténuante, mais ça ne lui donnait pas pour autant le droit de partir avec Barney. Elle s’efforça donc de ne pas se montrer déstabilisée, et empoigna fermement la laisse de son chien alors que le jeune homme reprenait déjà son chemin. «Non mais… Vous croyez vraiment que je vais vous laisser partir avec mon chien là ?! Je me fous de savoir si vous êtes pressé ou non ! Je n’ai pas l’intention de vous le laisser. Je sais exactement où il va comme ça, et je n’ai pas spécialement envie de vous retrouver sur le pas de ma porte vous voyez… »

Bien sûr, un minuscule sentiment de culpabilité traversa l’esprit de la jeune serveuse, mais elle le chassa rapidement. Kayla n’avait pas pour habitude de se laisser envahir par ce genre de broutilles, et cet homme-là, aussi aveugle soit-il, n’allait pas faire office d’exception. Les passants autour d’eux commençaient à la regarder de travers, mais elle n’en avait que faire. Au contraire, elle répliqua sèchement : « Lâchez-le »